N° 324

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2010-2011

Enregistré à la Présidence du Sénat le 28 février 2011

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées (1) sur la politique africaine de la France ,

Par M. Josselin de ROHAN,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : M. Josselin de Rohan , président ; MM. Jacques Blanc, Didier Boulaud, Jean-Louis Carrère, Jean-Pierre Chevènement, Robert del Picchia, Jean François-Poncet, Robert Hue, Joseph Kergueris , vice - présidents ; Mmes Monique Cerisier-ben Guiga, Joëlle Garriaud-Maylam, MM. André Trillard, André Vantomme, Mme Dominique Voynet , secrétaires ; MM. Jean-Étienne Antoinette, Robert Badinter, Jean-Michel Baylet, René Beaumont, Jean-Pierre Bel, Jacques Berthou, Jean Besson, Michel Billout, Didier Borotra, Michel Boutant, Christian Cambon, Marcel-Pierre Cléach, Raymond Couderc, Mme Michelle Demessine, M. André Dulait, Mmes Bernadette Dupont, Josette Durrieu, MM. Jean Faure, Jean-Paul Fournier, Mme Gisèle Gautier, M. Jacques Gautier, Mme Nathalie Goulet, MM. Jean-Noël Guérini, Michel Guerry, Robert Laufoaulu, Simon Loueckhote, Philippe Madrelle, Pierre Mauroy, Rachel Mazuir, Louis Mermaz, Mme Lucette Michaux-Chevry, MM. Jean Milhau, Charles Pasqua, Philippe Paul, Xavier Pintat, Bernard Piras, Christian Poncelet, Yves Pozzo di Borgo, Jean-Pierre Raffarin, Daniel Reiner, Roger Romani, Mme Catherine Tasca.

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

Au moment où la France a entrepris de renouveler les accords de défense qu'elle avait avec un certain nombre de pays africains, comme l'engagement en avait été pris par le Président de la République dans son discours du Cap le 28 février 2008, il a semblé à votre commission pertinent d'analyser ce que sont les lignes directrices de la politique de notre pays vis-à-vis de l'Afrique.

Ces principes, qui fondent notre politique, s'inscrivent naturellement dans le cadre de la diversité et de la singularité de chacun des pays avec lesquels des accords ont été passés.

Le présent rapport traite principalement des questions de défense et de sécurité.

S'agissant de nos rapports avec l'Afrique subsaharienne, l'analyse montre que depuis 1990 c'est la continuité qui l'emporte. Depuis 30 ans, du discours de La Baule au discours du Cap, la politique diplomatique et de défense de la France en Afrique évolue sans rupture majeure mais en suivant l'évolution des grands bouleversements mondiaux et en s'y adaptant.

Elle a été ainsi marquée par deux inflexions majeures dues, pour la première, à la chute du mur de Berlin en 1989 et à l'effondrement du monde bipolaire qui a entraîné une « démocratisation » du continent, et pour la seconde, aux effets de la mondialisation qui conduit inévitablement à l'internationalisation des politiques et au multilatéralisme.

Entre ces deux adaptations majeures, nous avons procédé à de très importants changements de structure de la coopération française qui tirent les conséquences de ces bouleversements et permettent d'accompagner les politiques.

I. POLITIQUES DE LA FRANCE EN AFRIQUE OU POLITIQUE AFRICAINE DE LA FRANCE ?

La diversité du continent, que ce soit sous l'angle géographique (Afrique du Maghreb et Afrique subsaharienne), linguistique (francophone, anglophone, lusophone, multitude de langues nationales), économique et politique, ne permet pas d'appréhender le continent comme un tout homogène. La politique de la France en Afrique tient naturellement compte de ces spécificités nationales et régionales.

Pourtant, s'il convient de distinguer le nord du continent, dont les problématiques relèvent plus des rapports avec l'Europe au sein de l'ensemble euroméditerranéen, de l'Afrique subsaharienne, le continent est en mouvement vers une unité qui rend plus que jamais nécessaire l'affirmation des lignes directrices d'une politique africaine de la France, d'autant que l'onde de choc des bouleversements politiques partis de Tunisie et d'Egypte ne manquera pas d'avoir des répercussions sur l'ensemble du continent et au-delà.

Dans ce contexte, la présentation des lignes directrices de notre politique est un élément de la réflexion. Si celle-ci a évolué, c'est la continuité qui l'emporte. Cette politique africaine connaît de grandes similitudes quels que soient les gouvernements qui se sont succédé en France.

Depuis trente ans, la politique diplomatique de la France en Afrique évolue sans ruptures majeures mais en suivant l'évolution des grands bouleversements mondiaux et en s'y adaptant.

Elle a ainsi été marquée par deux inflexions sensibles dues pour la première à la chute du mur de Berlin en 1989 et à l'effondrement d'un monde bipolaire, et pour la seconde aux effets de la mondialisation qui conduit inéluctablement à l'internationalisation des politiques et au multilatéralisme. Entre ces deux adaptations, il a été procédé à de très importants changements des structures de la coopération française qui en tire les conséquences et permet d'accompagner les politiques.

Enfin, l'axe fondamental de toute politique étrangère africaine demeure la préservation et la progression des intérêts que les pays européens, dont la France, et l'Europe ont en commun avec les pays africains et l'Afrique.

A. L'INFLEXION « DÉMOCRATIQUE » DE 1990

1. La France accorde une prime à la démocratisation des régimes africains......

En déplacement officiel au Cameroun, à Yaoundé, le 22 juin 1983, le Président de la République, M. François Mitterrand, constatait : « Il n'y a pas de hiatus dans la politique africaine de la France avant mai 1981 et après. Si la méthode a changé, l'objectif est resté.» Dans la conférence de presse qui suivait, il nuançait quelque peu cette affirmation en disant : « Je pense vraiment qu'il y a eu progrès dans le comportement de la France à l'égard du tiers monde, étant entendu que je n'établis pas une sorte de hiatus entre avant 1981 et après, une disposition d'esprit qui ont permis déjà depuis longtemps, comme je le disais à l'instant, d'être plus à l'écoute du tiers monde que certains autres pays. »

Il soulignait ce faisant le rôle singulier de la France en Afrique dû à une longue histoire coloniale commune qui s'est transformée en une relation particulière qu'on a pu qualifier de « familiale ».

Comme le fait aujourd'hui la Chine au nom du principe de non ingérence dans les affaires intérieures, la France - dans un contexte de guerre froide, et partageant sans doute l'idée communément admise que les pays africains n'étaient pas mûrs pour la démocratie - ne mettait pas au premier rang de ses exigences le caractère démocratique des institutions étatiques et la question des droits de l'homme.

La chute du mur de Berlin et l'effondrement de l'Union soviétique et de l'ensemble des régimes communistes d'Europe orientale et centrale modifient fondamentalement le jeu diplomatique et vont permettre d'impulser un changement capital en Afrique. Comme l'indique très clairement le Président Mitterrand dans son discours prononcé à la Baule à l'occasion du XVI ème sommet Afrique-France, le 20 juin 1990, le principe de démocratie est apparu aux peuples de l'Europe centrale comme une « évidence absolue au point qu'en l'espace de quelques semaines, les régimes, considérés comme les plus forts, ont été bouleversés.» L'Afrique ne peut pas échapper à ces changements et les pays africains doivent prendre la direction de la démocratie.

Le ministre des affaires étrangères, M. Roland Dumas, a résumé cette inflexion en deux phrases, d'une part, " le vent de liberté qui a soufflé à l'Est devra inévitablement souffler un jour en direction du Sud ", d'autre part, " il n'y a pas de développement sans démocratie et il n'y a pas de démocratie sans développement. " De manière plus imagée, le ministre de la coopération M. Pelletier, avait indiqué « que le vent d'Est a fait plier les cocotiers ».

La démonstration faite par le Président de la République dans son discours suit les étapes suivantes :

• le développement reste " un élément indissociable des progrès de la démocratie " ;

• la France ne veut pas intervenir dans les affaires intérieures ;

• « la France continuera d'être votre amie, et si vous le souhaitez, votre soutien, sur le plan international, comme sur le plan intérieur ; le principe que s'impose la politique française est que chaque fois qu'une menace extérieure pourrait attenter à votre indépendance, la France sera présente aux côtés. La France en accord avec les dirigeants, veillera à protéger ses concitoyens, ses ressortissants mais elle n'entend pas arbitrer les conflits » ;

• « la France liera tout son effort de contribution aux efforts qui seront accomplis pour aller vers plus de liberté ; Il y aura une aide normale de la France à l'égard des pays africains, mais il est évident que cette aide sera plus tiède envers ceux qui se comporteraient de façon autoritaire, et plus enthousiaste envers ceux qui franchiront, avec courage, ce pas vers la démocratisation... » ; 1 ( * )

• « s'agissant de démocratie, un schéma est tout prêt : système représentatif, élections libres, multipartisme, liberté de la presse, indépendance de la magistrature, refus de la censure.... » ;

• « A vous peuples libres, à vous Etats souverains que je respecte, de choisir votre voie, d'en déterminer les étapes et l'allure... »

2. Mais ne modifie pas sa posture militaire sur le continent africain

Interrogé sur la situation des troupes françaises en Afrique, le Président de la République a abordé la question des accords de défense :

• « il est un certain nombre de pays avec lesquels nous avons signé dans un temps déjà lointain des accords de coopération militaire. Ces accords de coopération militaire comportent un droit d'assistance en cas de menace ou d'agression extérieure. Certains de ces accords ont précisé par des clauses secrètes qui sont connues de tout le monde, qu'il pourrait y avoir des interventions. Ces dernières dispositions n'ont pas été appliquées depuis de longues années, en tout cas pas depuis que j'ai la charge d'assurer la Présidence de la République. On peut donc estimer que les accords de coopération militaire portent sur un soutien aux pays amis et alliés qui pourraient subir une agression venue de l'extérieur.

• Ce soutien, constate le Président de la République, constitue une menace dissuasive efficace : «  Nous avons eu à nous manifester, nous n'avons encore jamais eu à en découdre. ..... les moyens n'ont pas été utilisés puisque les menaces extérieures ont aussitôt cessé. »

• « il y a des troupes françaises ici ou là. Je vous répète qu'elles ne sont jamais intervenues dans les problèmes de maintien de l'ordre. »

• « Quant aux coopérants militaires : il existe un certain nombre de personnes qui sont dans les administrations de différents pays africains. Quelques militaires, pas beaucoup, quelques policiers, pas beaucoup. J'ai demandé que l'on en fasse le compte exact. Ce sont des personnes à la retraite qui sont libres de leur choix. Mais il faut éviter toute confusion entre le caractère national d'une armée et la mission d'assistance de la nôtre. »

*

* *

L'Afrique est-elle soluble dans la démocratie ?

Le discours de La Baule a donné une indiscutable impulsion au développement de la démocratie en Afrique. Les « conférences nationales » qui se sont tenues au début des années 90 dans un certain nombre de pays d'Afrique subsaharienne (Bénin, Burkina Faso, Mali, Congo....) ont permis la participation de la société civile et l'émergence des revendications démocratiques. M. Jean-Michel Severino constate que « dans de nombreux cas, elles ont permis de définir de nouvelles institutions démocratiques et d'impulser d'importantes révisions constitutionnelles ».

Ce mouvement, irréversible depuis les indépendances, indispensable au développement économique, résulte directement de la chute des régimes et de l'idéologie communiste en Russie et en Europe de l'Est. Le discours de La Baule établit formellement ce lien.

Vingt ans après, les résultats sont contrastés : du régime dictatorial du président Mugabe au Zimbabwe, au Bénin, en passant par l'Afrique du sud, par les démocraties héréditaires, les coups d'Etat et les mascarades électorales, les progrès de la démocratie s'inscrivent dans un temps long.

« On nous demande de faire 1789 en présence d'Amnesty International » soulignait Laurent Gbagbo. 2 ( * )

Le paradoxe du discours en faveur de la démocratie, politiquement fondé, a été que les événements de 1990 en Europe de l'Est ont fait perdre au continent africain son statut de terrain d'affrontement idéologique, économique et militaire entre les blocs capitaliste et socialiste, substituant l'Est au Sud dans les priorités occidentales, et faisant disparaître l'une des motivations essentielle de l'aide au développement. De fait, entre 1990 et 2001, les montants alloués à l'aide au développement pour l'Afrique subsaharienne passent de 34 à 21 dollars par habitant. Les retombées promises de la démocratie n'ont donc pas été au rendez-vous.

Jean-Michel Severino et Olivier Ray en concluent que « les jeunes démocraties qui naquirent dans la convulsion de cette époque ne bénéficièrent pas des dividendes politiques promis par les discours à répétition nés de celui de La Baule. Il leur revint de gérer l'exacerbation de la crise économique en même temps que le retrait du soutien dont les pères dictateurs avaient bénéficié. Nul étonnement, dès lors, à la multiplication des guerres civiles et autres soubresauts domestiques. »

On a récemment pu constater une recrudescence des coups d'Etat en Mauritanie, en Guinée, au Niger qui, selon Saïd Djinnit, Représentant des Nations unies pour l'Afrique de l'Ouest 3 ( * ) , témoignent de l'insuffisante solidité des institutions face à des changements et à une évolution remarquable dans le sens de la démocratie. Il s'agit donc d'une régression mais qui est un « contretemps ».

L'analyse qu'il fait de l'évolution de la démocratie en Afrique et de son application pratique est particulièrement intéressante. Il souligne que :

• « l'erreur est de croire que l'adhésion aux règles démocratiques implique leur application systématique ».

• Selon M. Djinnit « L'Afrique est confrontée à de nombreux dilemmes. Elle veut la paix, elle veut le développement, elle veut aussi la démocratie et la justice. Parfois ces principes sont contradictoires. Si à un moment donné il y a un choix à faire, l'Afrique se rangera toujours du côté de la paix. La paix et la stabilité priment toujours sur le reste. Non pas parce que le reste ne compte pas, mais parce qu'il n'y a pas d'autre solution. ».

• « La paix en elle-même n'est pas le principal problème. C'est la gouvernance, la gouvernance politique et économique. La mise en place d'organismes de gouvernance économique passe par la stabilité et pas forcément la démocratie. Même dans les pays qui ne sont pas démocratiques, tant qu'il y a de la stabilité, les affaires marchent. La stabilité de longue durée repose sur la démocratie. »

• « La gouvernance, politique et économique, est le véritable obstacle à la paix et à la stabilité, car les gens ont besoin de sentir que le pouvoir comme les ressources sont équitablement partagés. »

Cette analyse, extrêmement pertinente au regard des évènements que traversent actuellement les pays arabes, montre que l'action internationale doit venir en appui des institutions, pour renforcer leur solidité et leur légitimité politique. Il s'agit en premier lieu de l'Union Africaine et des organisations régionales comme la CEDEAO. Le refus des coups d'Etat, la condamnation des changements institutionnels non consensuels ou les pressions pour que les auteurs de coups d'Etat ne se présentent pas aux élections, supposent une forte légitimité politique et morale. L'exemple de la Cote d'ivoire en est la démonstration éclatante.

Pourtant, s'il est évident - comme le Président Mitterrand le soulignait - que la démocratie ne s'importe pas selon un modèle occidental ou jeffersonien, on ne peut que constater ses progrès, lents et progressifs - une sorte de « démocratie aux pieds nus » - qui remonte de la société civile vers les gouvernements. La perspective de démocratisation de l'Afrique n'est donc pas une utopie et se réalise pas à pas. C'est ce mouvement qu'il convient d'accompagner sans oublier, comme dans les années 90, d'augmenter ou, au minimum, de maintenir l'aide au développement.


* 1 Il est frappant de constater que, vingt ans plus tard, le 21 février 2011 les ministres des affaires étrangères de 27 pays de l'Union européenne, réunis pour élaborer une réponse collective aux mouvements dans les pays arabes déclarent promettre: « un nouveau partenariat » ...impliquant un « soutien plus effectif aux pays qui mettent en oeuvre des réformes politiques et économiques ».

* 2 Cité dans Jean-Pierre Foirry « l'Afrique, continent d'avenir ?, Ellipses 2006.

* 3 Afrique Renouveau, Vol. 24#1 (Avril 2010)

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