Audition de M. Francis DELON, Secrétaire général de la Défense et de la Sécurité Nationale, le 6 juillet 2010
En présence de :
- M. François LUCAS, préfet, directeur protection et sécurité de l'état au SGDSN
- Lieutenant Colonel IANNI, chargé de mission au SGDSN
En introduction, M. Delon, Secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale a rappelé les termes de l'entretien de février. Il a indiqué que, dans le cadre de la mise en oeuvre des recommandations du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale, la direction de la protection et de la sécurité de l'Etat du SGDSN avait animé depuis mars un groupe de travail composé de représentants des différents ministères concernés par la problématique des réserves ainsi que de représentants du secrétariat de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat. Il a indiqué que ce groupe s'était réuni à de nombreuses reprises et était parvenu à des conclusions consensuelles.
Il a ensuite cédé la parole à la direction de la protection et de la sécurité de l'Etat.
Le groupe de travail interministériel s'est fixé comme objectif d'étudier les possibilités de création d'une « réserve de sécurité nationale » permettant de renforcer les services de l'Etat essentiels au fonctionnement de la nation et à la protection de la population en cas de crise majeure sur le territoire national.
L'étude pilotée par le SGDSN a permis de dresser un point de situation des réserves en France et d'identifier les besoins probables des ministères en cas de crise majeure. Elle a en particulier abouti à la définition d'un avant-projet de cadre juridique créant un « dispositif de réserve de sécurité nationale » visant à faciliter l'engagement des réservistes civils et militaires, sur le territoire national, en cas de crise d'ampleur exceptionnelle.
Un bilan de l'état des réserves militaires et civiles a été dressé. Il a été souligné qu'elles étaient à la fois fragiles et indispensables.
Les ministères de la défense, de l'intérieur et de la santé disposaient de réservistes. Une réserve pénitentiaire est en cours de création au ministère de la justice. Le volume global de réservistes aujourd'hui directement employables est de l'ordre de 62 000 personnes, dont 57 000 militaires (armées et gendarmerie). Les réserves militaires, les plus anciennes, sont les plus nombreuses et les mieux organisées. Les réserves de la police nationale pourraient se renforcer à la faveur d'un élargissement de leur vivier de recrutement à l'ensemble des citoyens français, comme le prévoit une disposition du projet de LOPPSI II en cours de discussion au Parlement. Les réserves sanitaires sont embryonnaires et les réserves pénitentiaires encore inexistantes.
La situation actuelle, notamment la réalisation des effectifs, est soumise à de fortes contraintes budgétaires qui nuisent à l'emploi, à la formation et à la fidélisation des réservistes. Pourtant, l'utilité des réservistes est unanimement reconnue. Aux ministères de la défense et de l'intérieur, les réservistes sont devenus indispensables au bon fonctionnement de certains services. Dans les armées, la réalisation du contrat opérationnel sur le territoire national fixé par le Livre blanc nécessiterait l'engagement de nombreux réservistes opérationnels. De façon générale, en cas de crise majeure sur le territoire national, le recours aux réservistes sera une nécessité pour l'ensemble des ministères concernés.
Il a été ensuite souligné que chaque réserve était régie par des dispositions particulières, adaptées aux besoins et aux contraintes d'emploi du ministère de tutelle pour leurs activités quotidiennes. Les ministères maîtrisent correctement l'emploi de leurs réservistes et disposent des outils adéquats.
S'agissant de la mobilisation des réservistes en cas de crise majeure sur le territoire national, le groupe de travail a cependant estimé que le cadre juridique de l'emploi des réserves n'était pas adapté aux circonstances exceptionnelles qui exigeraient plus de réactivité. Le Livre blanc préconise la «mise en place d'une gestion commune des réserves relevant de différents ministères afin de répondre de façon coordonnée aux besoins liés à des crises aiguës sur le territoire national». Les travaux menés dans le cadre du groupe de travail avec les ministères concernés ont montré que cet objectif est actuellement inenvisageable :
- modifier de façon conséquente les dispositions actuelles pourrait aboutir à une profonde désorganisation des différentes réserves et à une très forte fragilisation, voire à un effondrement des effectifs.
- les ministères, en particulier le ministère de la défense, sont opposés à la mise en place d'un dispositif de gestion commune ainsi qu'à une coordination territoriale au niveau des préfets de zone de défense et de sécurité. Ainsi, les réservistes militaires (armées et gendarmerie) sont indifféremment engagés au sein des unités d'active, en fonction des besoins opérationnels, au même titre que les personnels d'active.
- enfin, la mise en place d'un système de gestion commune pourrait se révéler coûteux et complexe à mettre en oeuvre.
Cependant, le groupe de travail a bien constaté que les dispositions actuelles étaient inadaptées aux situations de crise majeure. La réactivité et la disponibilité réelles des réservistes pourraient être améliorées pour permettre aux ministères de disposer de la ressource humaine nécessaire au renforcement des capacités de l'Etat à intervenir et à protéger les populations.
L'étude pilotée par le SGDSN a notamment montré que les règles actuellement applicables limitent fortement la réactivité des réservistes. Ces limitations concernent notamment le préavis de convocation, un mois en moyenne, et la durée d'emploi, limitée à 30 jours pour les réserves militaires en condition normale. Par ailleurs, les réservistes ne sont pas tenus de répondre à une convocation du ministère dont ils dépendent.
Les travaux ont donc conduit à l'élaboration d'un avant-projet de cadre juridique permettant aux ministères de déroger, en cas de crise d'ampleur exceptionnelle, aux règles habituelles de convocation et de durée d'emploi, tout en créant une obligation pour les réservistes et pour les employeurs.
L'objectif est désormais de créer un outil complémentaire de conduite de crise, non exclusif, permettant de faciliter l'engagement des réservistes, en fonction de besoins clairement identifiés, dans la gestion d'une crise grave sur le territoire national, afin de renforcer les services publics et privés essentiels au fonctionnement de l'Etat et de la Nation.
Le dispositif de réserve de sécurité nationale serait distinct des régimes juridiques d'exception (guerre, état de siège, état d'urgence, mobilisation et mise en garde) dont la mise en application répond à des critères particuliers, notamment sur le plan politique.
Le déclenchement du dispositif de réserve de sécurité nationale serait du ressort du Premier ministre.
Les règles dérogatoires définies dans le dispositif de réserve de sécurité nationale concernent le préavis de convocation et la durée d'emploi. Les réservistes pourraient être convoqués sur très court préavis, de l'ordre de quelques jours. Les durées d'emploi seraient adaptées aux besoins identifiés par l'autorité civile.
Par ailleurs, les réservistes seraient dans l'obligation de rejoindre leur affectation, sous peine de sanctions (amendes). Les réservistes employés au sein d'une entreprise dont le fonctionnement serait jugé essentiel par l'autorité civile pourraient, sous certaines conditions, déroger à cette obligation.
Ce projet précise que les prérogatives des ministères en matière de gestion de leurs réservistes sont strictement respectées. Les réservistes sont ainsi convoqués et employés par le ministère dont ils dépendent, en cohérence avec les besoins exprimés par l'autorité civile chargée du traitement de la crise.
Les ministères procèdent actuellement au recensement qualitatif des réservistes dont ils ont la charge. Ce recensement permettra d'avoir un état détaillé des réservistes engagés au sein de plusieurs réserves et des réservistes exerçant une profession pouvant être particulièrement sollicitée en cas de crise grave sur le territoire national (policiers réservistes dans la gendarmerie nationale ou dans les armées, sapeurs pompiers, policiers municipaux...).
M. Francis Delon a ensuite souligné que ce texte apparaissait comme une réponse adaptée tant aux préoccupations formulées par le Livre blanc qu'à celle du président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat.
Il a fait observer que le projet aboutissait à la solution paradoxale d'instaurer une obligation à destination de réservistes qui sont par essence volontaires. Il a concédé que c'était sans doute nécessaire dans des circonstances exceptionnelles et que cela permettra également de couvrir les réservistes qui souhaiteraient se mettre à disposition des autorités publiques dès les premières heures d'une crise vis-à-vis de leur employeur.
Il a ensuite souligné que ce projet introduisait de nouvelles contraintes pour les employeurs tenus de libérer leurs salariés réservistes en cas de crise majeure. Il a estimé que le MEDEF devrait être consulté sur ce point, mais qu'il ne doutait pas que le sens de l'intérêt général dans un contexte de crise d'une gravité exceptionnelle puisse l'emporter.
Interrogé par la Sénatrice Joëlle Garriaud-Maylam sur l'opportunité de prévoir un dispositif plus large qui permette de mobiliser l'ensemble des citoyens volontaires et notamment les membres de la réserve citoyenne, M. Francis Delon a estimé qu'il fallait bien distinguer les réserves opérationnelles qui sont intégrées dans une chaîne de commandement et formées à des tâches spécifiques des autres formes de réserves ou de volontariat. Lors d'une crise majeure, les pouvoirs publics ont avant tout besoin d'un dispositif opérationnel qui vient renforcer les forces d'active. Il n'en demeure pas moins que le volontariat à travers des formes variées telles les réserves citoyennes, les réserves opérationnelles, les sapeurs pompiers, sont essentielles à la capacité des pouvoirs publics à résister aux conséquences d'une catastrophe majeure, puis à rétablir rapidement leur capacité de fonctionner normalement. Il a à cet égard préconisé que la mission se rapproche de M. Hirsch, chargé de la mise en place du service civique.