C. LE RECENSEMENT DES RÉGIMES JURIDIQUES D'EXCEPTION FAIT APPARAÎTRE QU'ILS NE COMPORTENT AUCUNE DISPOSITION PRÉVOYANT LA MOBILISATION DES RÉSERVISTES
La mission s'est interrogée sur la possibilité de contourner les lacunes du dispositif juridique régissant les réserves en matière de mobilisation et de réactivité en ayant recours aux régimes juridiques d'exception. En situation de crise majeure, le droit français permet-il de réquisitionner les réservistes ?
Les règles d'application de l'état d'urgence sont prévues par la loi du 3 avril 1955 instituant l'état d'urgence. Selon l'article 1 er de cette loi, l'état d'urgence peut être mis en oeuvre, soit en cas d'atteintes graves à l'ordre public, soit en cas d'événements présentant, par leur nature et leur gravité, le caractère de calamité publique.
L'état d'urgence permet de prendre des mesures restreignant certaines libertés individuelles telles la liberté d'aller et venir ou la liberté de réunion, et autorise la censure de la presse. Cependant, la mobilisation des réservistes n'est pas évoquée dans la loi relative à l'état d'urgence.
L'état de siège est, quant à lui, prévu par l'article 36 de la Constitution et les articles L. 2121-1 à L. 2121-8 du code de la défense. L'état de siège ne peut être déclaré, par décret en conseil des ministres, qu'en cas de péril imminent, résultant d'une guerre étrangère ou d'une insurrection armée. Il relève de la compétence exclusive du Parlement de prolonger l'état de siège au-delà de 12 jours. Il ne peut être fait application simultanément des dispositions de l'état de siège et de l'état d'urgence.
L'état de siège organise le transfert vers les autorités militaires des pouvoirs de maintien de l'ordre et de police. Les autorités civiles continuent à exercer leurs autres attributions.
Là encore, la mobilisation des réservistes n'est pas évoquée dans les textes relatifs à l'état d'urgence.
Enfin, les mesures prises dans le cadre de l'application des pouvoirs exceptionnels prévue par l'article 16 de la constitution sont exigées par les circonstances et inspirées par la volonté d'assurer aux pouvoirs publics constitutionnels, dans les moindres délais, les moyens d'accomplir leur mission.
Là encore, aucune disposition relative aux pouvoirs exceptionnels ne renvoie au recours aux réservistes.
Seule la mobilisation générale ou partielle permet la mobilisation des réservistes.
En vertu de l'article L. 1111-1 du code de la défense, la défense a pour objet d'assurer en tout temps, en toutes circonstances et contre toutes les formes d'agression, la sécurité et l'intégrité du territoire, ainsi que la vie de la population.
L'article L. 111-2 du code précité ajoute qu'en cas de menace, les mesures peuvent être soit la mobilisation générale, soit la mise en garde. Ces deux notions sont définies par l'article L. 2141-1 du même code.
Selon l'article L. 2141-3 du code de la défense, les décrets de mise en garde et de mobilisation ont pour effet, dans le cadre des lois existantes, la mise en vigueur immédiate de dispositions qu'il appartient au Gouvernement de préparer et d'adapter à tout moment aux nécessités de la défense. Le recours aux réservistes peut être adopté dans ce cadre.
Le titre III du livre II de la 4ème partie du code de la défense précise les personnes soumises à l'obligation de disponibilité et les conditions de leur emploi.
L'article L. 4231-1 précise que sont soumis à obligation de disponibilité :
- « 1° Les volontaires pendant la durée de leur engagement dans la réserve opérationnelle ;
- 2° Les anciens militaires de carrière ou sous contrat et les personnes qui ont accompli un volontariat dans les armées, dans la limite de cinq ans à compter de la fin de leur lien au service ».
L'article L.4231-3 dispose que : « les personnes soumises à l'obligation de disponibilité sont tenues de répondre, dans les circonstances prévues aux articles L.4231-4 et L.4231-5, aux ordres d'appel individuels ou collectifs et de rejoindre leur affectation pour servir au lieu et dans les conditions qui leur sont assignées ».
L'article L.4231-4 dispose que : « En application de l'article L.1111-2, l'appel ou le maintien en activité de tout ou partie des réservistes soumis à l'obligation de disponibilité peut être décidé par décret en conseil des ministres ».
Il existe, en outre, une disposition particulière pour la réserve de la gendarmerie. L'article L. 4231-5 dispose, en effet, que : « en cas de troubles graves ou de menaces de troubles graves à l'ordre public, le ministre de la défense peut être autorisé par décret à faire appel, pour une durée déterminée, à tout ou partie des réservistes de la gendarmerie nationale soumis a l'obligation de disponibilité. »
En conclusion, le recours immédiat au réserviste n'est possible qu'en cas de mobilisation générale ou de mise en garde (L. 4231-4). Dans ce cadre, les réservistes, durant leur volontariat dans la réserve et les anciens militaires, pendant les cinq années qui suivent leur cessation d'activité, peuvent être appelés ou maintenus en activité.
Or les décrets de mise en garde et de mobilisation sont des mesures particulièrement graves et fortes de conséquences. Ils ont avant tout été pensés contre un risque d'agression extérieure ou d'invasion contre le territoire national. Ils ont notamment pour effet la mise en oeuvre immédiate de dispositions permettant au Gouvernement de répondre aux nécessités de la défense.
Ils ouvrent tous, au profit du gouvernement, le droit de requérir les personnes, les biens et les services, de soumettre à contrôle et à répartition, les ressources en énergie, matières premières, produits industriels et produits nécessaires au ravitaillement et, à cet effet, d'imposer aux personnes physiques ou morales en leurs biens, des sujétions jugées indispensables.
Il s'agit là d'un état d'exception attentatoire aux libertés publiques si peu conforme à l'esprit du temps que l'on imagine mal les autorités politiques s'en saisir en cas de catastrophe naturelle ou de pandémie et même en cas de crise terroriste. Comme le souligne le Livre blanc, le recours à un dispositif tel que la mobilisation est devenu « improbable ».
Le pouvoir de réquisition des préfets résultant de leurs pouvoirs de police générale ou de pouvoirs spécifiques conférés notamment par le code de la santé publique ne constitue pas non plus une réponse adaptée à la mobilisation des réservistes. Il s'agit d'une part d'une procédure lourde individuelle qui en outre réquisitionne le réserviste en tant qu'individu et non en tant que réserviste et le place dans un régime juridique et opérationnel qui n'est plus celui de la réserve.
Dès lors, il apparaît que les pouvoirs publics ne disposent pas d'un moyen collectif de mobilisation des réservistes.