D. UNE RÉSERVE CITOYENNE À LA CROISÉE DES CHEMINS
La réserve citoyenne accueille les Français volontaires pour servir en qualité de réserviste citoyen au sein d'une armée ou d'une formation rattachée. Ces volontaires font l'objet d'un agrément délivré par l'autorité militaire habilitée. L'agrément est une condition préalable à l'intégration dans la réserve citoyenne. Il ne préjuge pas de la fréquence ni des conditions de la participation du réserviste citoyen à des activités définies ou agréées par l'autorité militaire.
À ce titre, l'autorité de rattachement d'un réserviste citoyen désignée pour une activité définie peut être différente de l'autorité d'agrément. Par ailleurs, un réserviste citoyen peut souscrire un engagement à servir dans la réserve opérationnelle dès lors que sa demande de retrait d'agrément est effective. En effet, l'agrément dans la réserve citoyenne et l'engagement à servir dans la réserve opérationnelle (ESR) sont exclusifs l'un de l'autre.
Les réservistes citoyens sont recrutés parmi : les anciens militaires de carrière ou sous contrat au terme de leurs obligations au titre de la disponibilité, les anciens militaires du service national, les anciens réservistes opérationnels, à l'issue de leur engagement à servir dans la réserve, les jeunes gens ayant suivi avec succès une période militaire d'initiation ou de perfectionnement à la défense nationale, les membres de la société civile, sans expérience militaire préalable.
La réserve citoyenne a essentiellement pour objet d'entretenir l'esprit de défense et de renforcer le lien entre la Nation et ses forces armées. Les activités qui s'y rattachent peuvent s'inscrire dans une démarche interarmées ou dans le cadre d'un projet particulier propre à une armée ou une formation rattachée. Ces activités sont définies ou agréées par l'autorité militaire, ponctuellement ou annuellement, dans le cadre d'un plan d'activité.
Les réservistes citoyens peuvent manifester leur soutien aux armées de différentes manières, notamment dans les domaines suivants : actions visant à renforcer l'esprit de défense, aide au recrutement de l'active et de la réserve, aide à la reconversion et au reclassement des anciens militaires, actions d'information au profit de la défense, communication et relations publiques au profit des forces armées, sensibilisation et information des décideurs civils sur les questions de défense, participation au recueil de l'information ouverte, contribution au devoir de mémoire, actions au profit de la jeunesse conduites dans le cadre de la défense, participation à des actions de sensibilisation et d'information sur l'intelligence économique, voire à des missions de conseil juridique, technique ou stratégique.
Il appartient au contrôle général des armées, à chaque état-major d'armée, direction, délégation ou service de préciser les conditions dans lesquelles les membres de sa réserve citoyenne peuvent participer à des activités agréées ou définies par l'autorité militaire, de désigner l'autorité militaire chargée de définir, d'approuver et d'organiser les activités des membres de la réserve citoyenne.
En vue de faciliter les rencontres et les échanges entre monde civil et monde militaire, une structure dédiée aux Carrefours de la défense est mise sur pied dans chaque département. Cette structure informelle réunit, autour du délégué militaire départemental et à son initiative, des réservistes citoyens ou d'anciens réservistes admis à l'honorariat de leur grade, représentatifs du tissu local de la réserve militaire, volontaires pour animer et développer les relations entre les forces armées et la société civile. Ces carrefours constituent des points d'ancrage essentiels pour les activités de la réserve citoyenne et des associations de réservistes. Ils doivent permettre d'organiser et de conduire, de manière concertée, des actions adaptées aux spécificités locales et faciliter ainsi la coordination, par le délégué militaire départemental, des activités à caractère interarmées de la réserve citoyenne.
Les activités de la réserve citoyenne peuvent s'inscrire dans une démarche conduite au sein de réseaux fonctionnels, à l'image de celui constitué par « les réservistes locaux à la jeunesse et à la citoyenneté » (RLJC) dont l'action s'exerce au profit de la jeunesse. Ces réseaux sont constitués en tant que de besoin pour faciliter le dialogue avec des milieux spécifiques susceptibles, par la place qu'ils tiennent dans la Nation, de relayer efficacement et durablement les messages au profit de la Défense. Ils peuvent concerner, par exemple, le monde de l'éducation (référents éducation nationale, chefs d'établissement, enseignants), le monde de l'entreprise (chefs d'entreprise, organisations socioprofessionnelles, référents défense des entreprises, correspondants régionaux entreprise-défense), les élus locaux (correspondants défense des municipalités), le monde associatif non politique.
Dès leur admission dans la réserve citoyenne, les volontaires issus directement de la société civile reçoivent une information sur la défense, ses buts, son organisation, les cursus proposés par les forces armées (périodes militaires d'initiation ou de perfectionnement à la défense nationale, volontariat dans l'active et la réserve opérationnelle, carrières militaires), l'acquisition de connaissances sur les armées, la gendarmerie et les services, en privilégiant l'armée ou la formation rattachée d'appartenance. Les réservistes citoyens peuvent se voir confier un mandat particulier par l'autorité militaire, recevoir des compléments d'information sur la Défense et être récompensés pour leur action au sein de la réserve.
Pour éviter une trop grande disparité de traitement entre les membres de la réserve citoyenne, un socle de règles communes aux armées et formations rattachées est mis en place en matière de gestion et d'administration. Ces règles peuvent être complétées, en tant que de besoin, par chaque armée ou formation rattachée. À cet effet, les armées et formations rattachées désignent, chacune pour ce qui la concerne, les autorités responsables de la gestion de leur réserve citoyenne.
L'admission des volontaires dans la réserve citoyenne est subordonnée à l'agrément délivré par l'autorité militaire. Cet agrément est donné en fonction des priorités retenues par chaque armée ou formation rattachée quant aux activités de sa réserve citoyenne, de considérations propres à la personnalité du volontaire (motivation, capacité de rayonnement, compétence et expérience utiles à la défense). L'information initiale sur la défense dispensée au moment de l'agrément doit être prolongée par une information continue afin de crédibiliser l'action des réservistes citoyens dans leur environnement.
Cette information peut prendre différentes formes : conférences ou exposés, participation aux activités de l'institut des hautes études de défense nationale (IHEDN) ou du centre des hautes études de l'armement (CHEAr), journées d'information, possibilités d'accès à des centres d'information et de documentation militaire de défense, diffusion d'informations spécialisées, création de sites internet accessibles par le portail Défense, etc.
En revanche, l'information et le maintien à niveau des connaissances de la réserve citoyenne ne sauraient en aucun cas prendre la forme d'une préparation opérationnelle, exclusivement réservée à la réserve opérationnelle.
Les volontaires anciens militaires d'active ou de la réserve opérationnelle sont admis dans la réserve citoyenne avec le grade qu'ils détiennent. Ils peuvent se voir attribuer un grade honorifique supérieur au titre de la réserve citoyenne. Les volontaires issus directement de la société civile sont agréés en qualité d'officiers, de sous-officiers ou d'officiers mariniers, de militaires du rang ou de matelots de la réserve citoyenne. Un grade leur est attribué à titre honorifique.
L'attribution du dernier grade du corps des officiers supérieurs doit être exceptionnelle. Elle est réservée à la décision du chef du contrôle général des armées, des chefs d'état-major d'armée, du délégué général pour l'armement, du directeur général de la gendarmerie nationale, du directeur central du service de santé des armées et du directeur central du service des essences des armées.
La mention ou le port des insignes du grade dans la réserve citoyenne doit être accompagné par l'indication formelle et visible de l'appartenance à cette composante de la réserve militaire. Les conditions et modalités du port de l'uniforme par les volontaires de la réserve citoyenne sont fixées un arrêté du 14 décembre 2007.
Les activités, définies ou agréées, exercées dans la réserve citoyenne ouvrent droit à l'attribution de récompenses dans les conditions fixées par des textes particuliers.
Fin 2002, le conseil supérieur enregistrait dans la réserve citoyenne (hors gendarmerie), outre 11 840 anciens militaires disponibles, 32 797 réservistes citoyens volontaires répartis ainsi : 28 615 dans la marine (87 % du total), 2 094 dans l'armée de terre, 317 dans l'armée de l'air, 1 771 dans le service de santé, un dans les essences. La réserve citoyenne volontaire de la marine était ainsi largement supérieure en effectifs à toutes les autres réserves citoyennes et même à la réserve opérationnelle volontaire de la marine.
En 2007, après la réforme législative éliminant les disponibles de la réserve citoyenne, les réservistes citoyens étaient à un volume plus bas de 14 588 réservistes, soit la moitié des effectifs de 2002. La marine continuait à compter 85 % des effectifs totaux de la réserve citoyenne.
Enfin, en 2008, la réserve citoyenne a décru à 1 949 réservistes agréés, la marine ayant radicalement comprimé ses réservistes à un effectif de 333, soit 17 % du total. La marine explique que, là où les autres gestionnaires conçoivent leur réserve citoyenne comme un outil d'influence devant rassembler des élites (parlementaires, hauts fonctionnaires, décideurs économiques...), et donc d'effectif réduit par ce fait, elle considérait que la réserve citoyenne devait rassembler tous ceux qui sont attachés à l'armée sans vouloir ou pouvoir la servir dans l'active ou la réserve opérationnelle. Ce qui explique des volumes d'effectifs essentiellement différents.
Au 31 décembre 2009, le nombre de réservistes citoyens agréés est de 2 536 volontaires. Ce chiffre est en augmentation de 12,41 % comparativement à 2008 (2 256). La proportion des réservistes citoyens issus directement de la société civile reste identique à celle observée l'année passée avec un taux de 31 %.
Source : CSRM
Indépendamment des effectifs nombreux de la marine, la plupart des gestionnaires de réserve ont tendu à attribuer des grades d'officiers supérieurs dans la réserve citoyenne à un petit nombre de personnes influentes.
Ainsi, dans les 628 réservistes citoyens de l'armée de l'air à fin 2007, 118 détenaient le grade honorifique maximum de colonel, accordé directement par le chef d'état-major, et constituaient un réseau d'influence présent dans tous les milieux administratifs, politiques, médiatiques ou économiques (Ader).
Bien qu'appartenant à la réserve militaire, le réserviste citoyen n'a pas été placé sous statut militaire pendant ses activités : l'article L.4211-5 du code de la défense ne donne explicitement la qualité de militaire qu'au réserviste opérationnel (volontaire ou soumis à l'obligation de disponibilité). Les activités accomplies dans le cadre de la réserve citoyenne s'effectuent sous un statut hybride souvent assimilé à celui de collaborateur bénévole du service public 62 ( * ) . En conséquence, le réserviste citoyen ne peut recevoir d'affectation dans une unité militaire. Toutefois, il est rattaché à une formation pour les opérations d'ordre administratif le concernant et pour apporter une aide à cette formation dans les domaines d'activité propres à la réserve citoyenne.
Cette relative ambiguïté a posé un problème de principe à des gestionnaires des réserves.
Le 15 octobre 2004, l'instruction de l'armée de terre 3799/DEF/EMAT/DRAT/CM a explicitement restreint l'autorisation de porter un uniforme militaire aux seuls réservistes citoyens anciens militaires d'active ou de la réserve opérationnelle. Dès lors, les réservistes citoyens de l'armée de terre non anciens militaires ont perdu cette faculté. D'autres gestionnaires ont maintenu des dispositions contraires.
En décembre 2007, l'arrêté ministériel du 14 décembre tranche la question à plus haut niveau. Aux termes de l'arrêté, les réservistes citoyens peuvent être autorisés « à titre exceptionnel » à porter « la tenue spécifique de la réserve citoyenne lors de prises d'armes, de cérémonies militaires ou de rencontres officielles ». Cette tenue de la réserve citoyenne reste à définir par chaque gestionnaire de réserve. Cependant, les réservistes citoyens anciens de l'active ou de la réserve opérationnelle restent autorisés à porter leur uniforme antérieur.
Quant au grade, la réglementation de la réserve citoyenne souligne que le grade conféré à un réserviste citoyen l'est à titre honorifique. En particulier le port des insignes correspondants ne permet pas d'occuper un emploi militaire, d'exercer le commandement ni de conserver ce grade en cas d'admission dans l'active ou la réserve opérationnelle.
On voit par là que la réserve citoyenne, partie intégrante de la réserve militaire, n'est pas entièrement considérée comme une composante militaire. Le seul volontariat de ses membres ne leur donne pas accès aux attributs les plus distinctifs de la condition militaire, c'est chacun des gestionnaires de réserve qui décide d'autoriser le port d'une tenue distincte (pour les réservistes citoyens non anciens militaires) qu'il aura définie. Depuis la fixation de ce principe en décembre 2007, aucun gestionnaire de réserve n'a défini cette tenue de réserviste citoyen ni fixé les conditions autorisant son port.
Cette situation traduit un malaise interne. Selon l'armée de terre, l'ambiguïté du statut, qui permet à certains réservistes citoyens de trouver satisfaction dans un grade ou une tenue jugés prestigieux quoiqu'honorifiques, provoque par contrecoup incompréhension, voire malaise chez certains réservistes opérationnels - pour qui l'attribution de grade suit des principes différents.
Tout en constatant que les réservistes citoyens méritaient « une vraie reconnaissance » , Le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale a déclaré que la réserve citoyenne pâtissait « d'un manque de visibilité et de clarté des objectifs qui lui sont assignés. L'appellation de réserve ne correspond pas à la vocation de ce corps citoyen, dès lors qu'il n'a pas pour objectif de participer à des opérations en tant que renfort opérationnel » .
Il a envisagé que « la mise en place d'un volontariat de la sécurité nationale correspondrait mieux à la réalité et aux besoins tout en prenant en compte le désir d'engagement. » Les missions qui seraient assignées à ce volontariat seraient proches de celles confiées à la réserve citoyenne, à ceci près qu'elles couvriraient le champ de la défense et de la sécurité nationale.
De façon générale, la réserve citoyenne est aujourd'hui conçue comme un outil d'influence et de réseau devant rassembler des élites (parlementaires, hauts fonctionnaires, décideurs économiques...). Un des exemples les plus aboutis de cet usage est le réseau ADER composé de 118 colonels de réserve de l'armée de l'air nommés à ce grade directement par le chef d'état-major dont l'objet est de constituer un réseau d'influence présent dans tous les milieux administratifs, politiques, médiatiques ou économiques.
Disponibles pour toute tâche entretenant l'esprit de défense et le lien entre la Nation et ses armées, les réservistes citoyens ont également été appelés à apporter aux armées un concours concret dans des domaines spécialisés.
Un certain nombre d'entre eux effectuent individuellement des missions de conseils ou d'expertises auprès des états-majors.
Le Livre blanc rejoint l'appréciation largement partagée par les personnes auditionnées considérant que le concept de réserve citoyenne doit être revu et affiné pour donner son plein essor à ce dispositif qui permet que le volontariat de certains et leur attachement aux armées s'expriment sous la forme d'une collaboration bénévole au service public.
Cette réserve répond à la nécessité d'impliquer ceux de nos concitoyens qui entendent assumer leur rôle dans la sécurité de la nation et tient compte des impératifs budgétaires car, bénévole, elle ne pèse pas sur les finances publiques. Elle donne aussi toute leur place aux femmes.
La mission estime qu'il faut étendre son champ d'application et ouvrir son recrutement, jusqu'ici trop élitiste. Elle doit être davantage complémentaire des réserves opérationnelles et se développer sur deux axes essentiels : les opérations à l'international et les missions d'ordre civique. Le domaine international est l'un de ceux qui pourraient le plus bénéficier de la réserve citoyenne : les affectations d'officiers d'active coûtent cher.
Or il existe un vivier de Français implantés à l'étranger qui accepteraient volontiers de contribuer à l'action de la France en lui apportant leur expertise tant dans les domaines de défense que dans le cadre d'une veille économique, commerciale et stratégique au sein de la réserve citoyenne.
Le deuxième type d'actions doit porter sur la construction d'un sentiment d'appartenance à la nation et à ses valeurs, en développant le brassage social et l'intégration. Le danger n'est plus celui d'une invasion étrangère ; il est plus pernicieux, car lié à une désagrégation du lien social qui porte en germe l'insécurité à l'intérieur même de nos frontières.
L'objectif de la réserve citoyenne doit aller au-delà du renforcement du lien armées-nation et doit s'intégrer dans un vrai parcours citoyen initié à l'école. Une plus grande ouverture de la réserve citoyenne, une meilleure connaissance de ses enjeux, un fonctionnement dynamisé permettraient sans doute de susciter nombre d'engagements spontanés, tant il est vrai que les Français restent profondément attachés à l'avenir de leur pays.
*
La mission constate, à travers tous ces exemples issus des différentes réserves des armées et des services du ministère de la défense, qu'en dépit des difficultés que la mission a relevées, des incertitudes qui pèsent sur les réserves, sur leur format et sur les besoins auxquels elles répondent, sur la nature du contrat d'engagement et sur la fidélisation des volontaires, les réserves sont devenues des éléments indispensables du quotidien des armées. Cette situation illustre le succès de la logique de pleine intégration des réserves dans les forces actives.
Cette intégration dans le quotidien des armées est un élément essentiel de qualité de la contribution que peuvent apporter les réserves en temps de crise. La formation des réservistes pendant leur période d'activité à des postes donnés, leur pleine intégration dans une chaîne de commandement sont des éléments essentiels pour qu'en cas d'événement majeur leur contribution soit pleinement efficace.
La réserve militaire n'est plus une armée de bonne volonté, mobilisable pour les grands jours, mais bien une réserve professionnalisée. C'est d'ailleurs cette réussite là qui a incité les autres ministères à développer leurs réserves en s'inspirant du modèle militaire.
* 62 Question écrite n° 10964 de Mme Muriel Marland-Militello (Union pour un Mouvement Populaire - Alpes-Maritimes) publiée au JO le 27/01/2003 page 442.