3. Soutenir un tissu de TPE particulièrement dense
a) Des TPE nombreuses et fragilisées...
En mars 2010, une étude de l'Insee portant sur la période 1994-2007 titrait : « Les petits restaurants ne sont pas dans leur assiette » 5 ( * ) . Cette formule, qui résume assez bien la situation économique de la petite restauration traditionnelle, contribue à éclairer la décision des pouvoirs publics de réduire le taux de TVA sur les ventes à consommer sur place : il s'agit aussi de soutenir les très petites entreprises (TPE) dont le modèle économique paraît de plus en plus fragilisé. En 2007, on en dénombre 84 000 de moins de 10 salariés, qui représentent 93 % des 89 900 entreprises du secteur de la restauration traditionnelle 6 ( * ) .
Les entreprises du secteur de la restauration traditionnelle
Taille (nombre de salariés) |
En 2007 |
0 |
17761 |
1 ou 2 |
34880 |
3 à 9 |
31410 |
10 à 99 |
5794 |
100 ou plus |
87 |
Total |
89932 |
Source : INSEE, données fiscales.
De fait, la situation économique des très petits restaurants traditionnels (0 à 2 salariés) a connue une dégradation continue depuis une quinzaine d'années. Leur part de marché n'a cessé de baisser : ils ne réalisaient plus, en 2007, que 20 % du chiffre d'affaires du secteur, contre 29 % en 1994. Leur profitabilité également a diminué fortement. La part du profit brut courant avant impôts dans le chiffre d'affaires des entreprises sans salariés a ainsi reculé de 22 % à 16 % entre 2001 et 2007 (- 27 %), tandis que celui des entreprises de 1 ou 2 salarié(s) est passé de 14 à 10 % (- 28 %) et celui des entreprises de 3 à 9 salariés, de 9 à 7 % (- 22 %). Les entreprises de plus grande taille, jusqu'au déclenchement de la crise économique de 2008/2009, sont quant à elles parvenues à maintenir leurs profits, voire à les augmenter légèrement. Enfin, la dégradation des ratios de rentabilité se traduit naturellement par un recul des capacités d'autofinancement des plus petits établissements. L'épargne des restaurants de moins de 3 salariés ne couvre plus, en 2007, que 28 % de leurs dettes bancaires et financières, contre 41 % en 2001.
Source : INSEE.
Outre le poids croissant de la restauration rapide, la perte de vitesse de la très petite restauration traditionnelle, souvent familiale, constitue donc l'autre évolution structurelle du marché de la restauration depuis une quinzaine d'années.
b) ... en raison d'une forte croissance du coût des consommations intermédiaires...
La dégradation de la profitabilité des restaurants traditionnels entre 2000 et 2009 résulte en premier lieu du poids croissant des consommations intermédiaires 7 ( * ) dans leur chiffre d'affaires : cette part représente 71 % en 2007 pour les entreprises sans salarié (+ 14,5 % par rapport à 2000) et 60 % dans les entreprises de 1 ou 2 salariés (+ 5,3 %), alors que ce poste de dépenses reste stable en proportion pour les entreprises de plus grande taille du secteur.
Tableau 1 : part des consommations intermédiaires dans le chiffre d'affaires des restaurants (en %)
Nombre de salariés |
1994 |
2000 |
2007 |
0 |
62 |
65 |
71 |
1 ou 2 |
57 |
58 |
60 |
3 à 9 |
53 |
54 |
54 |
10 à 99 |
50 |
50 |
50 |
100 et plus |
56 |
51 |
51 |
Ensemble |
54 |
54 |
54 |
Source : INSEE.
Les données de l'INSEE ne permettent pas véritablement de comprendre les raisons de cette explosion du coût des intrants. On peut penser, sans pouvoir le vérifier pour l'instant, qu'elle tient au coût croissant des loyers. D'une part en effet, la restauration traditionnelle exige une surface moyenne plus importante que la restauration à emporter afin d'accueillir les clients. D'autre part, la très petite restauration traditionnelle est fortement concentrée dans les zones urbaines denses (où les loyers sont plus élevés), alors que les entreprises de plus grande taille sont relativement plus situées dans les zones périphériques. Les données du tableau ci-dessous confirment bien que les petits restaurants traditionnels sont davantage situés dans le principal pôle de vie des agglomérations. Ces deux facteurs tendent logiquement à accentuer le poste « loyer » dans le coût des TPE de la restauration traditionnelle.
La localisation des restaurants 8 ( * )
Champ : « grandes communes ».
Source : Insee, répertoire des entreprises et des établissements (Sirene 2008), Clap 2007.
c) ... et du coût du travail
Outre les consommations intermédiaires, la croissance de la masse salariale a elle aussi exercé un impact significatif sur le niveau de charges des entreprises de la restauration. On observe en effet que le niveau des salaires du secteur a connu une croissance vive, plus soutenue en tout cas que celle des salaires dans l'emploi tertiaire marchand et dans l'emploi marchand en général.
La vigueur des salaires dans le secteur de la restauration s'explique par les difficultés persistantes de recrutement que rencontrent les employeurs. Ainsi, en 2000, les offres d'emplois de cuisiniers enregistrées étaient 1,6 fois plus nombreuses que les demandes 9 ( * ) . En 2006, ce rapport est retombé à 1,1 (cet indice de rareté est passé de 1,2 à 1 pour les employés et agents de maîtrise de l'hôtellerie et de la restauration). Ce rééquilibrage de l'offre et de la demande de travail a été obtenu au prix d'une hausse significative du niveau de rémunération, puisque, sur la même période, les salaires unitaires des salariés du secteur de la restauration sont passés de 15 146 euros à 16 700 euros constants entre 2000 et 2006 (+ 10,2 %).
1,2
16 713
1,6
1,1
1
15 146
Source : INSEE.
Cette amélioration des salaires et des conditions de travail se traduit évidemment par une forte croissance du poste « charges de personnel » dans les comptes des restaurants. Dans l'ensemble, le poids de ces charges par rapport au chiffres d'affaires ont augmenté de près de 6 % entre 2000 et 2007, mais la hausse atteint 12 % pour les restaurants de 1 à 2 salarié(s). Encore ces augmentations tiennent-elles compte des aides massives apportées par l'État pour réduire le coût du travail dans ce secteur d'activité : le transfert vers la collectivité de la prise en charge d'une partie des salaires a donc atténué l'impact des revalorisations salariales sur les comptes des entreprises.
Part des frais de personnel dans le chiffre d'affaires des restaurants traditionnels
nombre de salariés |
1994 |
2000 |
2007 |
1 ou 2 |
24 |
25 |
28 |
3 à 9 |
35 |
36 |
38 |
10 à 99 |
42 |
41 |
41 |
100 et plus |
37 |
38 |
39 |
Ensemble |
33 |
34 |
36 |
Source : INSEE.
d) ... que n'a pu compenser une forte progression des prix de vente
Pour maintenir leurs marges face à l'augmentation du poids des salaires et des consommations intermédiaires, les entreprises de la restauration ont tenté de répercuter la hausse du coût des intrants dans leurs prix de vente. Le secteur se caractérise ainsi, entre 2001 et 2009, par une tendance inflationniste forte : la hausse des prix à la consommation y est nettement plus soutenue que dans le reste de l'économie, comme l'atteste le graphique suivant.
Source : établi à partir des données de l'INSEE.
Cette vive hausse des prix à la consommation dans la restauration a partiellement permis d'atteindre l'objectif recherché par les entreprises du secteur, à savoir maintenir la croissance du chiffre d'affaires en valeur malgré l'érosion du chiffre d'affaires en volume.
Source : établi à partir des données de l'INSEE.
Cependant une telle politique de hausse de prix de vente, dès lors qu'on suppose que la demande n'est pas inélastique aux prix, a très probablement contribué à détourner une partie de la clientèle vers d'autres formes de restauration et, par là-même, a alimenté un cercle vicieux « recul de la demande/hausse des prix/recul de la demande ».
La réduction du taux de TVA sur les ventes à consommer sur place répond à des objectifs économiques et politiques multiples : harmoniser les taux en vigueur sur les différents segments de marché au nom d'une concurrence loyale, redynamiser un secteur d'activité stratégique du fait de sa contribution aux créations d'emplois, soutenir un tissu de TPE dont le modèle économique paraît de plus en plus menacé. |
* 5 Bénédicte Mordier, « Les petits restaurants ne sont pas dans leur assiette », Insee Première n° 1286 - mars 2010.
* 6 Les statistiques sur le nombre d'entreprises fournissent des résultats assez différents selon les sources. La source DADS (Déclaration annuelle de Données Sociales, formalité que doit remplir toute entreprise employant des salariés) compte un peu plus de 75 000 entreprises dans la restauration en 2007. Ce nombre n'inclut cependant pas les entreprises sans salarié, très nombreuses dans la restauration (17 761) à cette date. L'annexe 3 fournit un panorama plus complet (inclut la restauration traditionnelle, les hôtels avec restaurants et les débits de boisson), mais les chiffres sont plus anciens (2006).
* 7 Les consommations intermédiaires correspondent à la valeur des biens et services transformés ou entièrement consommés au cours du processus de production. Pour un restaurant, il s'agit des coûts de sous-traitance, crédit-bail, location et rémunération du personnel extérieur à l'entreprise. S'ajoutent les dépenses en énergie, les aliments qui entrent dans la composition des repas et quelques dépenses additionnelles (décoration, linge de table...).
* 8 Les « pôles de vie » sont des zones dont l'activité commerciale de proximité est importante. Ces pôles de vie regroupent ainsi les centres-villes ainsi que quelques pôles en périphérie (qui sont des centres de quartier). Le plus grand pôle de vie de chaque commune correspond le plus souvent au centre-ville.
* 9 Bénédicte Mordier, « Les petits restaurants ne sont pas dans leur assiette », Insee Première n° 1286 - mars 2010.