N° 721
SÉNAT
SECONDE SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2009-2010
Enregistré à la Présidence du Sénat le 28 septembre 2010 |
RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
au nom de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes (1), sur les dispositions du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, portant réforme des retraites (n° 713, 2009-2010) ,
Par Mme Jacqueline PANIS,
Sénateur.
(1) Cette délégation est composée de : Mme Michèle André, présidente ; Mme Jacqueline Panis, M. Alain Gournac, Mmes Christiane Kammermann, Gisèle Printz, M. Yannick Bodin, Mmes Catherine Morin-Desailly, Odette Terrade, Françoise Laborde, vice-présidents ; Mme Joëlle Garriaud-Maylam, M. Patrice Gélard, secrétaires ; Mmes Jacqueline Alquier, Maryvonne Blondin, Nicole Bonnefoy, Brigitte Bout, Marie-Thérèse Bruguière, Françoise Cartron, MM. Yvon Collin, Roland Courteau, Mmes Marie-Hélène Des Esgaulx, Sylvie Desmarescaux, Muguette Dini, Catherine Dumas, Bernadette Dupont, Gisèle Gautier, Sylvie Goy-Chavent, Christiane Hummel, Bariza Khiari, Françoise Laurent-Perrigot, Claudine Lepage, M. Philippe Nachbar, Mmes Anne-Marie Payet, Catherine Procaccia, Mireille Schurch, Catherine Troendle, M. Richard Yung.
INTRODUCTION
Mesdames, Messieurs,
La délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes se réjouit d'avoir été saisie des dispositions du projet de loi portant réforme des retraites, en application de l'article 6 septies de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires.
La contrainte démographique et financière qui pèse sur nos régimes de retraites est sans précédent. Dans ce contexte nécessairement restrictif, la délégation s'est cependant attachée à examiner les conséquences des mesures de sauvetage de notre système par répartition sur l'égalité des chances entre femmes et hommes en matière de retraite.
Votre rapporteure, par souci d'efficacité, a concentré son programme d'auditions et d'investigations sur cet angle d'approche spécifique de la réforme des retraites. Au cours de ses travaux, elle s'est efforcée de dégager, à travers la diversité des opinions qui se sont exprimées, et en tenant compte de la diversité des rapports et travaux existants, un certain nombre d'orientations. Il s'agit essentiellement de préconiser des correctifs équitables à des écarts de retraites qui sont la résultante et le reflet de l'évolution sociologique, économique, culturelle et générationnelle des inégalités professionnelles entre les sexes dans notre pays. Bien loin de céder à la facilité d'un discours purement « compassionnel », comme ont pu le craindre certains, une telle démarche vise, en fin de compte, à permettre à notre système de retraites de refléter plus fidèlement la participation des femmes et hommes au processus de création de richesses de notre pays.
Trois séries de considérations se dégagent de cet examen.
En premier lieu, depuis le début des années 2000, la tendance à la réduction des écarts de retraite entre femmes et hommes a été fortement contrecarrée par la contrainte juridique communautaire et l'évolution de l'emploi féminin. Lors de son audition par votre rapporteure, Mme Marie-Jeanne Vidaillet-Peretti, présidente du Conseil National des Femmes Françaises (CNFF) a rappelé que le travail intérimaire ou à temps partiel, essentiellement féminin, constituait une variable d'ajustement en cas de ralentissement conjoncturel. En même temps, au cours des dernières années, les avantages familiaux de retraite traditionnellement réservés aux femmes ont étés remis en question par les politiques d'égalité entre femmes et hommes au niveau européen.
Cette évolution défavorable aux femmes justifie, ensuite, très largement les mesures correctrices ponctuelles prévues dans plusieurs articles du projet de loi initial : la délégation ne peut qu'approuver leur renforcement voté par l'Assemblée nationale.
Enfin, parce que des inquiétudes majeures subsistent et appellent des ajustements. Votre rapporteure s'est attachée à dégager des recommandations dans quatre séries de domaines : l'égalité entre hommes et femmes au regard de la fixation à 67 ans de l'âge pour atteindre le taux plein ; l'idée d'un partage des droits à la retraite en cas de divorce ou de séparation ; l'inégalité des droits en matière de cumul emploi-retraite qui pèse sur la reprise d'activité des titulaires d'une pension de réversion et l'information claire des conséquences des choix professionnels sur la constitution des droits à pension.
En préambule, votre rapporteure souhaite rappeler quelques données incontournables.
Le phénomène qui domine aujourd'hui l'évolution de nos régimes de retraite est de nature démographique :
- selon les statistiques de l'INSEE et de la CNAV, dans le régime général , il y avait pour 10 retraités 40 cotisants en 1960, 32 en 1975, 19 en 1990 et 14 en 2009. Le « rapport démographique » a donc été divisé par plus de deux au cours des trente dernières années et, en 2009, il s'établit à 1,43 avec 17,5 millions de cotisants pour 12,2 millions de retraités du régime général ;
- si l'on prend en compte l'ensemble des régimes, le rapport démographique entre actifs et retraités est aujourd'hui de 1,8 et tomberait à 1,2 en 2050 .
Ces indicateurs justifient pleinement le discours de réalisme tenu jeudi 16 septembre 2010 dernier par Mme Danièle Karniewicz, secrétaire nationale de la Confédération française de l'encadrement - Confédération générale des cadres (CFE-CGC) et présidente du conseil d'administration de la caisse nationale d'assurance vieillesse (CNAV), lors de son audition par la commission des affaires sociales : « Je ne pense pas que notre régime de retraite soit plus dur que dans d'autres pays européens ; au contraire, c'est l'un des meilleurs. Nos retraités sont bien protégés, même s'ils touchent de petites retraites. D'autres pays connaissent des situations bien plus catastrophiques. Il faut défendre notre système et faire des efforts : la solidarité doit entrer en jeu, mais on ne peut tout attendre d'elle. Il serait certes souhaitable que les mesures sur le congé maternité ou autres soient rétroactives, mais en avons-nous les moyens ? Il faut évaluer le coût de ces propositions. »
Par ailleurs, deux idées générales ont le mérite d'éclairer le débat sur la réforme des retraites sous un angle novateur.
En premier lieu, on peut souligner que jamais la situation des femmes n'avait été autant débattue qu'aujourd'hui à l'occasion d'une réforme des retraites .
Ensuite, le principal enseignement qui se dégage des données quantitatives transmises par le Conseil d'orientation des retraites (COR) à la rapporteure est qu'il convient de bien distinguer la situation actuelle des retraités et la dynamique future de notre système de retraites .
I. DEUX ÉVOLUTIONS DÉFAVORABLES À L'ÉGALITÉ DES CHANCES EN MATIÈRE DE RETRAITE DEPUIS LES ANNÉES 1990 SE SURAJOUTENT A UN CONTEXTE GÉNÉRAL RESTRICTIF
Deux évolutions, l'une juridique, et l'autre de nature économique et sociale ont affaibli, depuis une dizaine d'années, la tendance à la réduction des écarts de retraite entre femmes et hommes.
A. JURIDIQUEMENT, DE NOUVELLES CONTRAINTES ONT CONDUIT À MODIFIER L'ÉQUILIBRE DU DROIT DES RETRAITES ENTRE HOMMES ET FEMMES AU DÉTRIMENT DE CES DERNIÈRES.
Les avantages familiaux de retraite qui bénéficiaient principalement aux femmes ont ainsi été progressivement étendus aux hommes et, parallèlement, réduits depuis une dizaine d'années.
Il convient de souligner que le Parlement et le Gouvernement se sont efforcés, depuis le début des années 2000, d'adapter notre droit aux exigences communautaires d'alignement des règles entre hommes et femmes, tout en tenant compte de la nécessité de protéger les droits des mères.
C'est le droit communautaire qui a tout d'abord contraint à réaménager le code des pensions civiles et militaires, qui relève du domaine législatif et s'applique aux fonctionnaires ainsi que les régimes spéciaux qui sont du domaine réglementaire :
- pour se conformer à l'arrêt Griesmar rendu le 29 novembre 2001 de la Cour de justice des communautés européennes (CJCE) qui avait jugé notre code des pensions civiles et militaires de retraite discriminatoire à l'égard des « fonctionnaires masculins qui sont à même de prouver avoir assumé l'éducation de leurs enfants » , la loi du 21 août 2003 portant réforme des retraites, a rétabli une égalité apparente dans le code des pensions civiles et militaires de retraite, en attribuant la bonification pour enfant né ou adopté avant le 1 er janvier 2004 aux fonctionnaires hommes et femmes à condition qu'ils justifient d'une interruption d'activité continue de 2 mois dans le cadre d'un congé statutaire lié à l'enfant. Pour les enfants nés après 2003 la « bonification », a été remplacée par une simple majoration de durée d'assurance de 6 mois ou la validation gratuite du temps partiel et du congé parental jusqu'aux 3 ans de l'enfant ;
- en outre, ce n'est qu'un an plus tard, et sur la base avérée d'une nouvelle jurisprudence de la Cour de justice des communautés européennes, que l'article 136 de la loi de finances rectificative pour 2004 a modifié l'ancien dispositif de retraite anticipée réservé aux femmes fonctionnaires mères de trois enfants ayant 15 années d'ancienneté : ce droit a été étendu aux hommes fonctionnaires et subordonné à une condition nouvelle d'interruption d'activité fixée à deux mois par un décret du 10 mai 2005.
S'agissant des salariés du régime général , le dispositif de majorations de durée d'assurance réservé aux seules mères n'a pas été remis en cause sur le fondement du droit communautaire mais par la jurisprudence de la Cour de cassation, qui s'est référée à des dispositions de la convention européenne des droits de l'homme. Pour éviter de faire peser sur le régime général un risque financier qui aurait pu résulter d'un afflux de recours contentieux de pères salariés, le législateur a réaménagé cet avantage familial de retraite par l'adoption de l'article 65 de la loi n° 2009-1646 du 24 décembre 2009 de financement de la sécurité sociale pour 2010.
Le texte définitivement adopté est conçu pour continuer de bénéficier essentiellement aux femmes, tout en respectant les principes de non-discrimination rappelés par la Cour de cassation. À titre de rappel, la loi prévoit désormais l'attribution, comme c'était le cas antérieurement, de huit trimestres par enfant. Toutefois, ces huit trimestres sont désormais divisés en deux composantes : quatre trimestres liés à l'accouchement et à la maternité et quatre à l'éducation de l'enfant. Le I de l'article L.351-4 du code de la sécurité sociale dans la rédaction issue de l'article 65 de la loi de financement de sécurité sociale prévoit l'attribution automatique d'une majoration de durée d'assurance de quatre trimestres aux femmes assurées sociales pour chacun de leurs enfants. Elle est justifiée par « l'incidence sur leur vie professionnelle de la maternité, notamment de la grossesse et de l'accouchement ». Le deuxième volet du dispositif (II de l'article L.351-4) consiste en l'attribution de quatre trimestres aux parents de l'enfant au titre de son éducation pendant les quatre années suivant sa naissance ou son adoption . Le fait générateur est ici l'éducation de l'enfant, biologique ou adopté, et, conformément au principe posé par la Cour de cassation, ce droit est ouvert de façon égale au père et à la mère. Le silence du couple dans les six mois suivant le quatrième anniversaire de l'enfant (ou de son adoption), qui devrait vraisemblablement être l'hypothèse la plus fréquente, vaut désignation de la mère .
À travers la complexité des dispositifs ainsi réaménagés se manifeste une idée simple, exprimé par M. Raphaël Hadas-Lebel, président du Conseil d'orientation des retraites : « Pour moi, il ne s'agit pas ici d'équité mais d'un principe que je juge philosophiquement fondamental, celui de l'égalité entre les hommes et les femmes. Il n'y a lieu de faire aucune concession en la matière. Mais je constate que les juridictions européennes, en application d'une conception que je juge anormale du principe d'égalité, se contentent d'examiner l'égalité formelle et considèrent ainsi que les hommes doivent avoir les mêmes droits que les femmes, sans se rendre compte des inégalités réelles dont ces dernières sont victimes et que M. Muzeau nous a rappelé : retraites de 40 % inférieures, carrières chaotiques, etc. Tant que l'on n'y a pas remédié, je ne veux pas entendre parler de l'égalité en faveur des hommes, car ce combat ne me paraît absolument pas prioritaire . » 1 ( * )
* 1 Rapport d'information n° 2763 de la commission des affaires sociales, sur la réforme des retraites, présenté par M. Pierre Méhaignerie, enregistré à la présidence de l'Assemblée nationale le 13 juillet 2010.