N° 673
SÉNAT
SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2009-2010
Enregistré à la Présidence du Sénat le 13 juillet 2010 |
RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
au nom de la mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale (Mecss) (1) de la commission des affaires sociales (2) sur l' organisation du système de retraites en Allemagne ,
Par M. Alain VASSELLE,
Rapporteur général,
Mme Christiane DEMONTÈS et M. André LARDEUX,
Sénateurs.
(1) Cette mission est composée de : M. Alain Vasselle , président ; M. Bernard Cazeau , vice président ; MM. Gilbert Barbier, Guy Fischer, secrétaires ; Mmes Christiane Demontès, M. Gérard Dériot, Mmes Sylvie Desmarescaux, Muguette Dini, MM. André Lardeux, Jacky Le Menn, Dominique Leclerc, Jean-Marie Vanlerenberghe. (2) Cette commission est composée de : Mme Muguette Dini , présidente ; Mme Isabelle Debré, M. Gilbert Barbier, Mme Annie David, M. Gérard Dériot, Mmes Annie Jarraud-Vergnolle, Raymonde Le Texier, Catherine Procaccia, M. Jean-Marie Vanlerenberghe , vice-présidents ; MM. Nicolas About, François Autain, Paul Blanc, Jean-Marc Juilhard, Mmes Gisèle Printz, Patricia Schillinger , secrétaires ; M. Alain Vasselle, rapporteur général ; Mmes Jacqueline Alquier, Brigitte Bout, Claire-Lise Campion, MM. Jean-Pierre Cantegrit, Bernard Cazeau, Yves Daudigny, Mme Christiane Demontès, M. Jean Desessard, Mme Sylvie Desmarescaux, M. Guy Fischer, Mme Samia Ghali, MM. Bruno Gilles, Jacques Gillot, Adrien Giraud, Mme Colette Giudicelli, MM. Jean-Pierre Godefroy, Alain Gournac, Mmes Sylvie Goy-Chavent, Françoise Henneron, Marie-Thérèse Hermange, Gélita Hoarau, M. Claude Jeannerot, Mme Christiane Kammermann, MM. Ronan Kerdraon, Marc Laménie, Serge Larcher, André Lardeux, Dominique Leclerc, Jacky Le Menn, Jean-Louis Lorrain, Alain Milon, Mmes Isabelle Pasquet, Anne-Marie Payet, M. Louis Pinton, Mmes Janine Rozier, Michèle San Vicente-Baudrin, MM. René Teulade, François Vendasi, René Vestri, André Villiers. |
AVANT-PROPOS
Mesdames, Messieurs,
La mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale (Mecss) de la commission des affaires sociales a choisi de consacrer l'essentiel de ses travaux en 2010 à la question des retraites.
Après avoir analysé les difficultés du système français et présenté des orientations susceptibles non seulement de remédier aux déséquilibres financiers actuels mais également de préparer une modernisation durable des régimes 1 ( * ) , elle a souhaité apporter au Sénat des éléments d'information sur la manière dont un pays voisin, l'Allemagne, adapte l'organisation de son régime de retraite aux difficultés qu'il rencontre.
Une délégation de la Mecss, conduite par son président, Alain Vasselle, et composée de Christiane Demontès et André Lardeux, s'est donc rendue à Berlin, les 1 er et 2 juin derniers. Elle y a rencontré les administrations concernées ainsi que des représentants des organisations professionnelles de salariés et d'employeurs. Ayant déjà étudié, en 2006, les mutations de la protection sociale outre-Rhin 2 ( * ) , la mission a pu faire le point des dernières mesures mises en oeuvre pour assurer la pérennité des régimes de retraite allemands et des effets des réformes conduites depuis le début des années 2000.
Confrontée à une situation démographique plus préoccupante que celle de la France - le vieillissement de la population s'accompagne en effet d'un taux de natalité particulièrement bas -, l'Allemagne a progressivement adapté l'organisation, le financement et le pilotage de son système de retraite. Jusque récemment, ces réformes se sont faites dans un consensus social relatif, la population allemande ayant une conscience aiguë de la nécessité de ne pas reporter sur des générations futures peu nombreuses les charges des retraites d'aujourd'hui .
A l'écoute de ses interlocuteurs, la Mecss a notamment retenu plusieurs éléments essentiels :
- les pouvoirs publics ont utilisé l'ensemble des paramètres à leur disposition pour adapter le régime de base : âge de départ, taux de cotisations, taux de remplacement. Après avoir été porté à soixante-cinq ans, l'âge de départ sera progressivement relevé à partir de 2012 pour atteindre soixante-sept ans en 2029. Le taux de cotisations a connu des évolutions successives à la hausse ou à la baisse pour tenir compte de la situation financière du régime, mais le législateur a souhaité le plafonner jusqu'en 2030, afin que son augmentation ne constitue pas la principale variable d'ajustement. Le taux de remplacement au titre de la retraite de base connaît, quant à lui, une diminution substantielle sous l'effet des différentes réformes ;
- en 1992, l'Allemagne est passée d'un calcul de la pension par annuités à un calcul par points , ce qui facilite depuis lors le pilotage du système ;
- elle a intégré dans le calcul des pensions des facteurs d'ajustement automatique destinés à éviter les dérives financières. Cependant, la formule théorique de réajustement des pensions qui en résulte de n'a pratiquement jamais été appliquée dans toute sa rigueur, compte tenu de la difficulté de faire accepter une baisse du niveau des pensions ;
- en 2007, la réforme portant l'âge de départ en retraite de soixante-cinq à soixante-sept ans a été engagée sans concertation avec les partenaires sociaux. Alors que l'application de ce report doit démarrer en 2012, à raison d'un mois par an pendant douze ans puis de deux mois par an pendant six ans, cette modification demeure contestée au sein de l'opinion allemande et, a fortiori , parmi les organisations représentatives de salariés.
Le modèle de « cogestion » à l'allemande paraît dans l'ensemble mis à mal depuis quelques années sur ces questions, les syndicats considérant qu'ils ne sont plus associés aux réformes depuis le début des années 2000 ;
- compte tenu de la nécessité de rééquilibrer le régime légal de retraite, la réforme « Riester » de 2001 a misé sur le développement de l'épargne retraite à travers les retraites d'entreprises et la mise en place d'une subvention importante à l'épargne retraite individuelle. Près de dix ans après l'entrée en vigueur de cette réforme, ces contrats d'épargne connaissent un développement significatif mais leur capacité à compenser la baisse du taux de remplacement dans le régime de base reste débattue ;
- enfin, les réformes successives ont été accompagnées de la mise en place d'un système très complet d'information des assurés sur la retraite , qui leur permet de disposer dès l'âge de vingt-sept ans de projections de leur pension.
A quelques semaines de la discussion au Sénat du projet de loi portant réforme des retraites, la Mecss a souhaité apporter une nouvelle contribution au débat à travers la présentation du système allemand de retraite.
I. LE RÉGIME D'ASSURANCE RETRAITE PAR RÉPARTITION : UNE ADAPTATION PROFONDE POUR FAIRE FACE AU DÉFI DÉMOGRAPHIQUE
A. LES CARACTÉRISTIQUES DU RÉGIME
Le système de retraite allemand repose sur trois piliers , dont le premier - fondé sur le principe de la répartition entre les générations - assure encore aujourd'hui la très grande majorité des ressources des retraités (environ 80 % pour l'assurance légale et les pensions des fonctionnaires, contre 5 % environ pour les retraites d'entreprise et un peu plus de 10 % pour le pilier privé facultatif).
Ce pilier est composé d'un régime général , plus couramment appelé l'« assurance légale allemande » ( Deutsche Rentenversicherung ), et de plusieurs régimes spécifiques à certaines professions (fonctionnaires, agriculteurs, professions libérales).
L' assurance légale est universelle et obligatoire pour les employés, les ouvriers, certaines catégories de travailleurs indépendants 3 ( * ) , ainsi que pour les chômeurs percevant un revenu de remplacement. Les personnes non soumises à l'obligation d'assurance peuvent, en principe, demander à être intégrées au régime général.
L'assurance retraite a conservé jusqu'à présent les principales caractéristiques de ses origines bismarckiennes, avec cependant quelques nuances :
- un financement par cotisations : la branche vieillesse, à l'instar des autres branches de l'assurance sociale, est majoritairement financée par des cotisations assises sur un salaire brut sous plafond, les prestations relevant de la solidarité nationale devant être, en principe, couvertes par l'impôt.
Elle se distingue toutefois par le fait qu' un quart de ses recettes provient de transferts du budget fédéral . Initialement (lors de la réforme de l'assurance vieillesse de 1957), le « supplément fédéral » ( Bundeszuschuss ) - qui constitue le coeur de l'apport du budget fédéral à l'assurance vieillesse -, avait pour vocation exclusive de couvrir les prestations non contributives. Cette fonction très précise s'est cependant perdue au fil du temps, compte tenu notamment de la difficulté à s'accorder sur un périmètre, et donc sur un chiffrage, des prestations ;
- un financement égal employeur-employé : la charge des cotisations est partagée par moitié entre le salarié et l'employeur ;
- une gestion paritaire : l'assurance retraite allemande est, comme les autres branches, gérée de manière paritaire par les représentants des assurés et des employeurs.
1. Un régime par points
Calculée en annuités jusqu'en 1992, la pension de retraite légale est depuis lors exprimée en points. Ceci étant, le système est en fait intermédiaire entre ces deux formules puisque la pension versée reste dépendante du nombre d'années de cotisations et du montant du salaire perçu.
La méthode de calcul comprend trois éléments :
- le premier facteur définit le type de pension et lui attribue un chiffre : un pour une pension retraite, deux pour une pension d'invalidité, etc. ;
- le deuxième élément concerne le processus d'acquisition des points. Le nombre de points obtenus chaque année est égal au ratio entre la rémunération du salarié (plafonnée) et la rémunération moyenne de tous les assurés.
L'assuré accumule des points tout au long de sa vie , sur la base d'un point par an pour le paiement de cotisations correspondant à une année pleine au salaire moyen 4 ( * ) . Les cotisations sont toutefois plafonnées ; l'assuré ne peut pas accumuler plus de deux points par an. A l'inverse, les situations de moindre cotisation donnent droit à des bonifications (faible revenu, période d'éducation des enfants) ou à une modulation du niveau des cotisations (période de chômage) ;
- le troisième facteur est la valeur actuelle de la pension. Cette valeur, ajustée tous les ans, représente le montant financier d'un point de rémunération. Elle est actuellement de 27,20 euros dans les anciens Länder et de 24,13 euros dans les nouveaux (ex - RDA).
La formule de calcul de la pension peut être ainsi résumée :
Montant mensuel de la pension = Facteur correspondant au type de pension × Points de rémunération individuels × Valeur actuelle de la pension
Par exemple, le montant mensuel de la pension d'un assuré ayant quarante-cinq points de rémunération et vivant dans un ancien Land est égal à : 1 x 45 x 27,20 euros = 1 224 euros.
Au 31 décembre 2007, près de 35 millions de personnes cotisaient à l'assurance légale, soit environ 80 % des actifs. Au 1 er juillet 2008, le régime versait 24,8 millions de pensions (de droits propres et de droits dérivés) à 20,32 millions de pensionnés 5 ( * ) .
En incluant les pensions de réversion, la pension moyenne brute s'élève à 806 euros par mois . Elle est de 691 euros pour les femmes et de 963 euros pour les hommes.
Les chiffres montrent que le nombre moyen d'années de cotisations validées est inférieur à la référence de quarante-cinq ans 6 ( * ) : il est de 41,2 ans pour les hommes (40,1 dans les anciens Länder et 45 dans les nouveaux) et de 29 ans pour les femmes (26,3 dans les anciens Länder et 37,7 dans les nouveaux). Par ailleurs, le nombre moyen de points validés par année est de 1,0379 pour les hommes et 0,7841 pour les femmes. Enfin, l'âge effectif de départ à la retraite est inférieur à soixante cinq ans : il est actuellement de 63,3 ans pour les hommes et de 63 ans pour les femmes.
* 1 Rapport Mecss Sénat n° 461 (2009-2010) de Christiane Demontès et Dominique Leclerc, « Retraites 2010 : régler l'urgence, refonder l'avenir ».
* 2 Rapport Mecss Sénat n° 439 (2005-2006) d'Alain Vasselle et Bernard Cazeau, « Préserver la compétitivité du " site Allemagne ": les mutations de la protection sociale outre-Rhin ».
* 3 Ainsi que pour les parents élevant des enfants, qui ne paient pas de cotisations, et les allocataires de prestations de remplacement. Pour les autres catégories d'indépendants, il existe des caisses spécifiques (caisse des agriculteurs, des artistes, des avocats...).
* 4 Ainsi, en 2010, le salaire moyen, soit 32 000 euros, produit un point de rémunération.
* 5 Statistiques de l'assurance retraite allemande.
* 6 Le niveau de la pension standard est en effet calculé sur la base de quarante-cinq années de cotisations au salaire moyen.