V. QUELLES MODALITÉS POUR UN RENFORCEMENT DE LA COOPÉRATION FRANCO-BRITANNIQUE EN MATIÈRE DE DÉFENSE ?
A. LA POSITION DU ROYAUME-UNI VIS-À-VIS DE L'EUROPE A ÉVOLUÉ MAIS DEMEURE NÉANMOINS FONDÉE SUR SES POSITIONS TRADITIONNELLES
La position du Royaume-Uni vis-à-vis de l'Europe a évolué . Il est particulièrement révélateur que la question européenne n'ait pas été un enjeu du débat électoral.
Les travaillistes mettent en évidence les bénéfices que le Royaume-Uni retire lorsqu'il se place au centre des instances multilatérales, en particulier au sein de l'Union européenne ou du G20. Les conservateurs, de leur coté, ont pris acte avec pragmatisme de l'entrée en vigueur du Traité de Lisbonne et ont renoncé à provoquer un référendum a posteriori sur la question de l'adhésion du Royaume-Uni. Le nouveau Premier ministre, M. David Cameron, alors candidat, avait reconnu qu'un référendum « n'aurait pas plus d'effet qu'interdire au soleil de se lever le matin ».
Si le principe de réalité s'impose, « la politique extérieure britannique, qu'elle soit menée par les travaillistes ou par les conservateurs demeure fidèle au concept d'une Europe dont l'objectif est avant tout de faciliter les transactions financières, commerciales et industrielles, et donc d'accroitre la richesse de chacun et de l'ensemble. Les Britanniques restent extrêmement réticents à une plus grande intégration et surtout à tout ce qui peut diminuer leur capacité à déterminer leur futur ailleurs qu'à Westminster ». 12 ( * )
Le Livre vert oriente clairement la question de la coopération européenne, et donc de la position du Royaume-Uni vis-à-vis de la PSDC, dans le sens d'une relation toujours plus étroite avec l'OTAN et avec les États-Unis. Il se félicite d'ailleurs des déclarations françaises sur la complémentarité entre les deux organisations. Les conservateurs privilégient le renforcement des capacités européennes de préférence à une évolution des structures qui doit, selon eux, strictement dépendre des besoins constatés. Ils s'opposent clairement à un quartier général permanent à Bruxelles dont ils estiment qu'il doublonnerait avec l'OTAN et sont très réticents à un quelconque développement du rôle de l'Agence européenne de défense (AED).
Ces divergences d'appréciation par rapport à la ligne politique française vis-à-vis de la PSDC et de la construction européenne de la défense sont atténuées par le nouvel atlantisme de la France, son rapprochement avec les Etats-Unis et son plein retour dans les structures intégrées de l'OTAN.
En définitive, la position britannique vis-à-vis de l'Union européenne est empreinte d'un grand pragmatisme.
La « relation spéciale » avec les Etats-Unis L'affaiblissement de la relation spéciale est un thème récurrent de la relation Etats-Unis-Royaume-Uni. On a pu la qualifier de « Lazare des relations internationales ». Elle repose sur 4 piliers historiques qui se sont plus ou moins affaiblis ou qui s'adaptent au contexte du moment : • La relation étroite entre les leaders et les sociétés civiles ; • La disponibilité du Royaume-Uni à être le « deputy sheriff » des Etats-Unis et d'obtenir en contrepartie un « policy access » ; • La coopération scientifique, essentiellement dans le domaine nucléaire ; • La coopération en matière de renseignements. Deux éléments ont contribué récemment à s'interroger sur la qualité de cette relation : une prise de conscience que l'engagement sans faille du Royaume-Uni n'est pas toujours payé de retour en termes de participation à la décision et le retour complet de la France dans les structures de l'OTAN qui a permis de rehausser le niveau des relations directes entre la France et les Etats-Unis. Le passage de l'unilatéralisme de Président Bush au multilatéralisme pragmatique du Président Obama possède cependant une constante : avec des objectifs différents pour les deux administrations, la « relation spéciale » se nourrit de la capacité du Royaume-Uni de peser dans les débats internes à l'Europe . C'est dans ce sens que va M. Chris Patten quand il développe une analyse originale de ce que devrait être la position européenne (et donc britannique) vis-à-vis des Etats-Unis : • « politiquement l'Europe n'est qu'un poids mouche. Notre propre conscience de l'inadéquation politique de l'Europe s'est renforcée avec l'implosion de l'URSS et le démembrement de la Yougoslavie... • Le fâcheux unilatéralisme du président Bush a permis à l'Europe en tant que telle d'éviter de prendre des engagements internationaux responsables...... • nous devrions oser croire que ce qui répond le mieux aux intérêts européens est sans doute également ce qui est le plus profitable à notre relation avec les Etats-Unis... • L'Europe n'est pas et ne deviendra pas une superpuissance ni un super-Etat. Mais là où un problème empoisonne son environnement dans notre proximité immédiate, nous devrions avoir une politique qui ne se résume pas à attendre de nous déclarer d'accord avec celle que les Etats-Unis estiment devoir mener». Source : Le Monde 23 mars 2010 « Pour un multilatéralisme efficace » En dépit d'une prise de conscience plus vive de leur position de « junior partner », due aux relations entre les deux pays en Irak, la « relation spéciale » avec les États-Unis demeure la pierre angulaire et reste indispensable dans les domaines du renseignement, du nucléaire, de l'armement, des investissements etc.... Elle n'a jamais été véritablement remise en cause et demeure la constante de la politique étrangère et de défense du Royaume-Uni. |
A ces fondamentaux de la politique étrangère et de défense du Royaume-Uni, la crise économique et financière a également contribué à une prise de conscience pragmatique et réaliste que la Grande-Bretagne doit développer ses partenariats et « partager le fardeau » avec ses alliés, car il est évident qu'elle ne peut plus assumer seule l'ensemble des charges qui pèsent sur ses armées et sur son budget. Ce point de vue rencontre exactement la même analyse en France bien que - mutatis mutandis - la situation des finances publiques y soit plus favorable qu'au Royaume-Uni. Cette constatation ouvre la voie à un renforcement de la coopération bilatérale entre les deux pays.
À cet égard, la position prise par Sir Malcolm Rifkind, ancien ministre des affaires étrangères et de la défense de Margaret Thatcher, mérite attention. Il indique qu'en dehors des Etats-Unis, seules la Grande Bretagne et la France ont les moyens de déployer des forces militaires crédibles dans le monde. La Russie, la Chine ou l'Inde qui ont des forces plus nombreuses ne disposent pas de la technologie, de la logistique et d'une expérience comparables pour mener des opérations de combats dans des environnements divers. Il reconnaît que la Grande-Bretagne ne peut plus s'offrir le luxe d'une dissuasion nucléaire, de porte-avions, d'avions de combat ultra sophistiqués, etc. Il recommande donc une collaboration renforcée avec la France et une spécialisation capacitaire des quelques Etats membres qui détiennent une vraie capacité militaire, selon leurs besoins propres et leurs spécificités. Pour Sir Rifkind « une nouvelle entente cordiale est nécessaire, 100 ans après la première ». 13 ( * )
Enfin, l'intégration industrielle et le développement sans intervention étatique -libéralisme et libre jeu des forces du marché obligent- et les rapprochements entre les groupes industriels ne peuvent qu'être encouragés et souhaités.
Si le Royaume-Uni paraît souhaiter une plus grande coopération avec la France c'est non seulement parce que, en matière de défense, seuls ces deux pays, en Europe, ont les mêmes engagements internationaux et consacrent les mêmes moyens au service de politiques étrangère et de sécurité voisines, mais c'est également parce que l'expérience des coopérations multilatérales vécue par le Royaume-Uni -en particulier celle de l'A400M- l'a convaincu de l'inefficacité de cette méthode. En particulier, le principe du juste retour conduit à un partage des responsabilités industrielles qui repose sur des équilibres politiques et non sur les compétences, le savoir-faire et l'existence d'une base industrielle nationales.
* 12 Bruno Carré, chercheur associé à l'Iris « La défense britannique dans la tourmente électorale » 16 octobre 2009
* 13 Source The Times 1 er février 2010 « A pact with France will keep us fighting fit"