II. LA CROISSANCE ÉCONOMIQUE POTENTIELLE
La croissance potentielle sur différentes sous-périodes dépend notamment de la démographie et de la productivité.
L'hypothèse faite ici est celle d'une stabilisation des taux d'activité entre 2010 et 2015, suite au niveau élevé de chômage qui crée un effet de découragement. Les taux d'activité remonteraient progressivement ensuite, du fait de la réforme des retraites qui augmente le taux d'activité des 55-64 ans, et du développement de la participation des jeunes (études en alternance et étudiants salariés).
Au final, la population en âge de travailler stagnerait sur les deux sous-périodes, 2010 à 2015 et 2015 à 2030, tandis que le taux d'activité augmenterait progressivement, notamment aux deux extrêmes du cycle de vie : on observerait en effet une meilleure insertion des jeunes dans l'emploi liée à la baisse tendancielle du chômage à partir de 2013, et une hausse des taux d'activité des 55 ans et plus du fait du report de l'âge de départ à la retraite.
Concernant le taux de croissance moyen de la productivité, on retient une évolution moyenne de 1,5% par an sur longue période, cohérent avec une évolution de la productivité de 3 à 3,5% par an dans l'industrie, et de 1% environ dans les services.
Selon ces hypothèses, le PIB potentiel, qui est fonction de l'évolution de la population en âge de travailler, du taux d'activité moyen et de la productivité, croîtrait comme suit:
4 De 2009 à 2015: +0,0%+0,0%+1,5% = 1,5% - où le premier chiffre correspond au taux de croissance de la population en âge de travailler, le deuxième au taux de croissance du taux d'activité moyen et le troisième au taux de croissance attendu de la productivité.
4 De 2015 à 2030: +0,0%+0,2%+1,5% = 1,7%
4 On suppose ensuite une accélération de la productivité entre 2020 et 2030, après la phase de restructuration qui aura caractérisé les années 2010 à 2020, ce qui permettrait d'augmenter la croissance potentielle à 1,9% entre 2020 et 2030.
Comme le scénario de croissance démographique retenu conduit à une baisse de la population en âge de travailler à court terme, puis à une légère hausse à plus long terme, il faut donc accroître le taux d'activité pour accroître la croissance potentielle au-delà de l'effet de la productivité.
Le taux d'activité et le taux d'emploi devraient donc à nouveau progresser à partir de 2015, comme indiqué sur le tableau ci-après, construit sur base d'une hypothèse de croissance du PIB de 1,5% par an en moyenne entre 2009 et 2015, et de 1,7% par an en moyenne entre 2015 et 2030.
Ces évolutions des taux d'activité et d'emploi se traduisent par une diminution du nombre d'inactifs de 55-64 ans en particulier - et par conséquent par une diminution, entre 2010 et 2020 puis entre 2020 et 2030, de la capacité de prise en charge à titre privé de la dépendance.
Évolution de la population en âge de travailler (15-64 ans)
Evolution de la population en âge de travailler, de la population active, de l'emploi et du chômage
En milliers et variations annuelles moyennes en %
Population 15-64 ans |
Population active |
Population active occupée |
Chômeurs |
Taux d'activité |
Taux d'emploi |
Taux de chômage |
|
1990 |
36 938 |
24 958 |
22 964 |
1 994 |
67,6% |
62,2% |
8,0% |
2008 |
39 760 |
27 818 |
25 757 |
2 061 |
70,0% |
64,8% |
7,4% |
2010 |
40 027 |
28 106 |
25 278 |
2 828 |
70,2% |
63,2% |
10,1% |
2015 |
40 078 |
28 155 |
25 422 |
2 733 |
70,2% |
63,4% |
9,7% |
2030 |
40 190 |
28 962 |
27 477 |
1 484 |
72,1% |
68,4% |
5,1% |
1990-2008 |
0,4% |
0,6% |
0,6% |
0,2% |
0,1% |
0,1% |
0,0% |
2008-2010 |
0,3% |
0,5% |
-0,9% |
17,1% |
0,1% |
-0,8% |
1,3% |
2010-2015 |
0,0% |
0,0% |
0,1% |
-0,7% |
0,0% |
0,1% |
-0,1% |
2015-2030 |
0,0% |
0,2% |
0,5% |
-4,0% |
0,1% |
0,3% |
-0,3% |
Source : INSEE et projections BIPE
Le graphe qui suit montre la remontée au fil du temps des taux d'activité des différentes tranches d'âge - et en particulier des personnes âgées de 55 à 64 ans.
Taux d'activité par tranche d'âge, entre 1990 et 2030
A. LES ÉVOLUTIONS DES ATTENTES LE LONG DU CYCLE DE VIE DES INDIVIDUS
Le « cycle de vie » d'un individu peut être divisé en six phases :
4 Enfance et adolescence
4 Jeunesse
4 Nidification
4 Maturité
4 Retraite active
4 Vieillesse
Au cours de chaque phase du cycle de vie, les comportements des individus, leurs « besoins » et les arbitrages de consommation varient. Ainsi, l'équipement du foyer et les achats immobiliers sont proportionnellement plus importants dans la phase « nidification », correspondant à l'installation en couple et la naissance des premiers enfants, que lors de la phase précédente (jeunesse) ou de la phase suivante (maturité). Dans la phase de maturité, les enfants deviennent de jeunes adultes et s'autonomisent par rapport à leurs parents, d'où une moindre demande de services de garde d'enfants, mais généralement plus de demande de services dits « de confort » visant à faciliter la vie quotidienne.
Lors de la « retraite active », les ménages retrouvent le temps de se prester des services à soi-même, d'où généralement une baisse de la demande de services, par rapport à la phase de vie « maturité ». Puis, avec la vieillesse, la demande de services augmente à nouveau.
Le graphe qui suit montre la part des dépenses totales des ménages consacrées à l'achat de « services » de type des services à la personne considérés ici, en fonction de l'âge moyen du chef de ménage.
Part de la dépense totale consacrée aux SAP par tranche d'âge, en %
Source : BIPE, d'après l'enquête BdF 2005 (INSEE)
Ce graphe confirme la baisse relative de la dépense des ménages de 55 à 64 ans, tranche d'âge qui correspond actuellement à la phase de départ à la retraite, pendant laquelle les personnes retrouvent le temps de « se prester des services à soi-même ».
Le graphe qui suit montre la répartition de la population française selon la phase du cycle de vie en 2010. On observe un nombre comparativement plus important de personnes dans la phase dite de « maturité », et des cohortes de populations de l'ordre de 10 à 12 millions dans les trois phases de vie précédentes : nidification, jeunesse et « enfance ».
Cette répartition de la population s'appuie sur des limites d'âge allant de 0 à 4 ans pour les enfants en bas âge, de 5 à 17 ans pour la phase dite « enfance », de 18 à 32 ans pour la phase « jeunesse », de 33 à 45 ans pour la phase « nidification », de 46 à 60 ans pour la phase « maturité » et de 61 à 76 ans pour la phase « retraite active », avant la phase de « dépendance ».
Ces limites fixées pour l'année 2010 tiennent compte de l'évolution des modes de vie au cours des deux dernières décennies, qui ont eu pour effet de modifier les limites d'âge des différentes phases. Ces « bornes » délimitant les différentes phases du cycle de vie continueront d'évoluer dans les années à venir. En effet :
4 L'âge d'entrée dans la vie active augmente progressivement : les jeunes restent plus longtemps à domicile.
4 L'âge de la mise en couple et celui du premier enfant sont aussi sur une tendance haussière.
4 Par conséquent, l'âge auquel les enfants quitteront le domicile parental augmente aussi au fil du temps.
4 De même, l'âge de départ à la retraite devrait augmenter dans les années à venir, du fait de la réforme des retraites.
4 L'espérance de vie en bonne santé croît. Notons cependant qu'elle pourrait baisser à nouveau dans quelques décennies du fait de l'augmentation de certaines pathologies (diabète, obésité, asthme, mais aussi maladie d'Alzheimer, Parkinson ...), ce qui conduirait à diminuer - à long terme - l'âge de début de la dépendance. Ce n'est pas l'hypothèse retenue ici, à l'horizon 2020 et 2030.
Nombre de personnes par phase du cycle de vie en 2010
Concernant la hausse de l'âge moyen du premier enfant, une étude de l'INSEE montre qu'il augmente de près de deux ans par décennie pour les femmes moyennement ou très diplômées. Par ailleurs :
4 En France, la moitié des femmes nées dans les années cinquante ont eu leur premier enfant avant 24 ans, contre 26 ans pour les femmes nées dans les années soixante, soit à peine 10 ans plus tard. Cette évolution est également observée dans d'autres pays, comme par exemple en Angleterre et au Pays de Galles, où la fécondité des femmes nées dans les années soixante était aussi nettement plus faible et plus tardive que pour celles nées dans les années cinquante.
4 L'âge du premier enfant augmente avec le niveau de diplôme: en France, les femmes plus diplômées des générations nées dans les années 50 et 60 ont donné naissance à leur premier enfant à 28 ans, tandis que les anglaises diplômées ont donné naissance à leur premier enfant à 30 ans pour celles nées dans les années 50, et à 32 ans pour celles nées dans les années soixante. On observe donc un report de plus en plus prononcé avec le temps dans les pays anglo-saxons. Ce report pourrait se propager à la France dans les années à venir.
4 L'évolution des différentiels de fécondité entre pays s'est produite à un moment où la vie des femmes s'est profondément modifiée. Elles ont notamment bénéficié d'un plus large accès à l'éducation, qui n'a pas été sans effet sur les changements de comportement observés entre les générations. Si la prolongation des études a retardé l'âge de la première maternité, son impact est néanmoins très différent selon les pays du fait de différences dans les dispositifs d'aide et les modes de vie.
Ces évolutions de l'âge médian des femmes de différents pays à la naissance de leur premier enfant sont résumées dans le tableau qui suit. Elles nous conduisent à supposer un report de l'âge de début de la phase du cycle de vie dite « nidification » de 2 ans entre 2010 et 2020, soit une hausse de 32 à 34 ans, et d'un an entre 2020 et 2030 : la borne inférieure de la phase « nidification » serait ainsi de 35 ans en 2030, année correspondant à l'âge médian des femmes à la naissance de leur premier enfant.
Âges médians des femmes à la naissance de leur premier enfant selon leur niveau d'études par génération, en France, Grande-Bretagne et Norvège
Source : Âge au premier enfant et niveau d'études : une analyse comparée entre la France, la Grande-Bretagne et la Norvège,
Données sociales, La société française, édition 2006
Sur un marché de l'emploi toujours déprimé, l'âge d'entrée dans la vie active augmente aussi. Ainsi 206 ( * ) :
4 En une génération, la date d'entrée dans la vie active s'est retardée d'un an et demi ;
4 D'après une étude de l'INSEE, 24% des jeunes salariés français avaient un emploi précaire en 2005, contre 4% chez les plus de 50 ans ;
4 Une enquête de l'IPSOS de juin 2005 confirme l'entrée plus tardive des jeunes sur le marché du travail, et indique également une mobilité plus forte des jeunes aujourd'hui que les générations antérieures en début de carrière. Cela impacte l'âge de sortie de chez les parents.
Ici, on suppose une hausse de l'âge délimitant la fin de l'enfance et le début de la phase « jeunesse » (correspondant à l'entrée sur le marché du travail) de 1 an entre 2010 et 2020, et d'un an supplémentaire entre 2020 et 2030. L'âge de début de la phase « jeunesse » augmenterait ainsi de 17 ans en 2010 à 18 ans en 2020, et 19 ans en 2030.
Au final, nous retenons donc les évolutions suivantes des « limites d'âge » des différentes phases du cycle de vie :
4 Les enfants en bas âge sont ceux de 0 à 4 ans sur l'ensemble de la période considérée (2010-2030).
4 Les jeunes en phase « enfance » (encore dépendants de leurs parents) sont ceux âgés de 5 à 17 ans en 2008, de 5 à 18 ans en 2020 et de 5 à 19 ans en 2030.
4 Les ménages en phase de « jeunesse » (pas d'enfants, début de carrière avec mobilité fréquente) sont âgés de 18 à 32 ans en 2010, de 19 à 34 ans en 2020 et de 20 à 35 ans en 2030.
4 Les ménages en phase de « nidification » (arrivée des enfants, carrière bien installée) sont âgés de 33 à 45 ans en 2010, de 35 à 46 ans en 2020 et de 36 à 47 ans en 2030.
4 Les ménages en phase de « maturité » (carrière bien installée, plus besoin de gardes d'enfants) sont âgés de 46 à 60 ans en 2010, de 47 à 62 ans en 2020 et de 48 à 65 ans en 2030.
4 Les ménages en phase de « retraite active » sont âgés de 61 à 76 ans en 2010, de 63 à 78 ans en 2020 et de 66 à 79,5 ans en 2030.
Ci-dessous, nous illustrons l'évolution très différente du nombre de personnes (total cumulé sur la période) dans chaque phase du cycle de vie, entre 2010 et 2020, ainsi que l'évolution de ce même nombre de personnes par phase du cycle de vie lorsqu'on tient compte de l'évolution des modes de vie et des âges clés le long du cycle de vie .
Sans prise en compte de l'évolution des âges clés de la vie, le nombre de personnes entrant dans la phase de retraite active - comparativement moins consommatrice de services à la personne - augmenterait de 2 480 000 entre 2010 et 2020, et le nombre de personnes dans la phase de dépendance augmenterait de 431 000.
Évolution du nombre de personnes selon les phases du cycle de vie, sans glissement des bornes entre 2010 et 2020
Accroissement 2010-2020 en % et en nombre
Ces chiffres sont cependant considérablement modifiés dès lors que l'on prend en compte l'évolution des modes de vie, et donc des âges clés de la vie.
Évolution du nombre de personnes selon les phases du cycle de vie, avec glissement des bornes entre 2010 et 2020
Accroissement 2010-2020 en % et en nombre
Comme illustré sur le graphique qui précède, des bouleversements importants sont attendus entre 2010 et 2020 :
o D'une part, on prévoit une forte hausse du nombre de personnes dans les deux premières phases du cycle de vie, du fait de la natalité importante des dernières décennies.
o En parallèle, on observe une baisse importante du nombre de ménages en phase de nidification (-1 294 000), et une hausse de « seulement » 754 000 individus des personnes en phase de « maturité », généralement très demandeuses de services à la personne.
o On prévoit en revanche une hausse importante (près de 2 millions) du nombre de personnes en phase de retraite active, donc d'individus en bonne santé (génération des baby-boomers), comparativement peu demandeuse de services « externalisés ».
o Enfin, le nombre de personnes dépendantes devrait diminuer entre 2010 et 2020, du fait de l'augmentation de l'espérance de vie en bonne santé.
Une conséquence de ces évolutions de la taille des cohortes est que, dans les 10 prochaines années, la demande de services sera centrée sur les individus actifs et le soutien aux enfants en bas âge et aux adolescents , ainsi que sur la demande de services à la personne pour les ménages bi-actifs dont les enfants ont quitté le foyer (soit des individus avec des ressources).
Puis, entre 2020 et 2030, la demande de services devrait exploser : la raison en est l'évolution du nombre de personnes dans des phases du cycle de vie très demandeuses de services, et en particulier dans la phase de vie « dépendance » : la génération des baby boomers, dans la phase de retraite active entre 2010 et 2020, abordera en effet la phase de dépendance lors de la décennie 2020-2030, augmentant sensiblement les besoins de services.
En parallèle, la période 2020 à 2030 devrait connaître une baisse importante du nombre de personnes en phase de retraite active, donc à même de s'occuper de leurs parents âgés et de se prester des services à eux-mêmes. En d'autres termes, le nombre de personnes dépendantes va augmenter sensiblement, alors qu'il y a moins de personnes inactives pour s'occuper d'eux à titre bénévole. Les besoins de services en seront fortement accrus.
Par ailleurs, sur la période 2020 à 2030 le taux de chômage devrait être plus faible, suite à l'arrivée sur le marché du travail de cohortes de moins en moins nombreuses pendant plusieurs années consécutives. Les taux d'activité des jeunes et des seniors seront donc plus élevés, comme indiqué ailleurs dans ce rapport. De ce fait, les actifs en phase de maturité seront toujours plus nombreux, augmentant la demande de services à domicile.
Enfin, le nombre d'enfants et de jeunes continue de croître, augmentant la demande de gardes d'enfants et de soutien scolaire ou autres activités pour les jeunes.
Les conséquences de ces évolutions en termes de nombre de personnes dans chaque phase du cycle de vie est illustré ci-après. Le graphe met en évidence la forte hausse du nombre de personnes dans la phase dite de « maturité » entre 2020 et 2030 - phase très utilisatrice de services à la personne. Combiné avec une hausse des taux d'activité, cela réduira le nombre de personnes disponibles pour la prise en charge à titre privé de la dépendance, et augmentera donc en parallèle le besoin d'accompagnement des personnes dépendantes.
Nombre de personnes par phase du cycle de vie, de 2005 à 2030
Source : BIPE
Le graphe de la page suivante illustre l'évolution, entre 2005 et 2030, du ratio des retraités actifs par personne dépendante, et de son complémentaire, illustrant le nombre de personnes qui, en 2010, 2020 et 2030 respectivement, auraient été prises en charge à titre privé si les taux d'activité des seniors en 2005 restaient inchangés, mais qui ne pourront plus être pris en charge dans les années à venir du fait de l'augmentation des taux d'activité des femmes et des 55-64 ans en général.
Evolution de la capacité de prise en charge à titre privé de la dépendance entre 2005 et 2030
Source : BIPE
Le graphe montre une augmentation, à horizon 2020, du nombre de « jeunes » retraités par personne dépendante (les « jeunes retraités » étant les inactifs de la tranche d'âge 55-64 ans), et de ce fait une diminution, par rapport à 2010, du nombre de personnes ne pouvant pas être prise en charge par un de leurs proches du fait de l'augmentation des taux d'activité. A horizon 2030, toutefois, la capacité de prise en charge à titre privé de la dépendance diminue, du fait de l'augmentation de la taille de la cohorte des personnes « dépendantes » (qui incluent les baby boomers), et de la hausse des taux d'activité des 55-64 ans.
C'est donc entre 2020 et 2030 que la demande de services de prise en charge de la dépendance augmentera le plus vite, et non entre 2010 et 2020.
* 206 Source: Le travail aux âges de la vie : regards croisés sur le travail chez les salariés de 15-30 ans et de 50 ans et plus (enquête IPSOS)