Annexe 3 : Audition de MM Gilles Carrez et Michel Thenault, co-présidents du groupe de travail sur la maîtrise des dépenses locales, devant la Délégation, le mardi 18 mai 2010
M. Alain Lambert , président. - Vous connaissez tous nos invités.
Vous savez que M. Michel Thenault est un membre éminent du Conseil d'État et qu'il assuma, entre autres fonctions essentielles pour nous, celles de directeur général des collectivités locales (fonctions qui, à elles seules, lui valent d'être un habitué des auditions du Sénat).
Vous savez également que M. Gilles Carrez, député du Val-de-Marne, est le rapporteur général de la commission des finances de l'Assemblée nationale, ainsi que le président du comité des finances locales.
C'est en leur qualité de co-présidents du groupe de travail sur la maîtrise des dépenses locales que nous les recevons aujourd'hui.
Je rappelle que ce groupe de travail a été installé par Éric Woerth le 9 mars dernier, à l'époque où il était encore le ministre en charge des comptes publics. J'indique également que j'ai l'honneur d'en faire partie, ainsi que Thierry Carcenac, le président de la commission consultative d'évaluation des charges, que nous avons reçu, ici-même, il y a deux semaines.
Les réflexions de ce groupe sont d'ailleurs directement liées à celles que nous conduisons au sein de notre délégation.
Je pense d'abord, bien entendu, à la question de la mutualisation des moyens des collectivités territoriales : j'ai présenté, le 27 avril, la problématique générale, notamment au regard du droit communautaire, et nous examinerons la semaine prochaine deux rapports thématiques : l'un sur la mutualisation dans le cadre intercommunal, dont sont chargés MM. Yves Détraigne et Jacques Mézard ; l'autre sur la mutualisation des moyens des départements, dont le rapporteur est M. Bruno Sido.
Je pense aussi aux réflexions de nos collègues Roland du Luart et Yves Krattinger, sur les relations financières entre l'État et les collectivités territoriales, et à celles d'Yves Daudigny, sur l'ingénierie publique, dont les fruits nous seront présentés courant juin.
Je pense enfin - et je m'arrêterai là - au débat en séance publique, inscrit à l'ordre du jour du 17 juin à la demande de notre délégation et qui portera sur l'optimisation des dépenses des collectivités territoriales.
C'est un double honneur que nous font aujourd'hui MM. Michel Thenault et Gilles Carrez : d'abord, en nous consacrant une part de leur temps dans un agenda que je sais fort chargé, surtout à 48 heures de la remise du rapport de leur groupe de travail ; ensuite, parce que l'imminence de la publication de leur rapport va nous permettre, je n'en doute pas, de disposer, sinon de scoops, du moins d'informations que je qualifierai à la fois d'une grande fraîcheur et d'une brûlante actualité.
Je rappelle enfin - je vous l'avais indiqué à l'issue de notre dernière réunion - qu'il a été entendu avec MM. Carrez et Thenault que nous laisserions le plus de place possible au jeu des questions-réponses.
Je leur cède néanmoins bien volontiers la parole pour quelques propos introductifs.
M. Gilles Carrez. - Notre réunion d'aujourd'hui tombe à point nommé puisque nous mettons la dernière main au rapport.
Notre groupe de travail, qui tiendra son ultime réunion demain, a travaillé dans un climat que nous avons tout fait pour rendre consensuel. Vous vous souvenez que certaines associations d'élus, en l'occurrence celles représentant les régions et les départements, n'avaient pas souhaité prendre part à la première conférence sur les déficits. En revanche, au sein du groupe de travail que M. Thenault et moi-même présidons, toutes les associations ont participé, et elles l'ont fait très activement.
Nous nous sommes efforcés de dresser un état des lieux aussi complet que possible. Nous l'avons abordé sous l'angle des dépenses, ce qui nous a d'abord conduits à un constat d'accord sur l'analyse historique. J'insiste sur ce point car, jusqu'à présent, il était sujet à des différends. Il ressort de notre état des lieux que, depuis 1983, la part des dépenses des départements dans le PIB, à compétences constantes (c'est-à-dire en dehors des transferts de décentralisation), ne s'est pas accrue. Il en va de même, à un très faible pourcentage de PIB près, pour les dépenses des régions.
En revanche, en ce qui concerne l'ensemble communes/intercommunalités, il y a eu une augmentation assez sensible et c'est cela qui explique que, à compétences constantes, la part des dépenses locales dans le PIB ait augmenté d'un peu plus d'un point. Cette évolution résulte d'une hausse significative entre 1983 et 1995 suivie, jusqu'à maintenant, par une période de stabilité par rapport au PIB.
Ce constat relativise l'idée souvent reçue selon laquelle les dépenses locales ont galopé de façon irresponsable et plus rapidement que d'autres. Il ne faut cependant pas aller jusqu'à en conclure que l'évolution de la dépense publique locale a été vertueuse. Ainsi, par exemple, il n'y a pas eu de compétences nouvelles pour le bloc communal/intercommunal et le fait que ses dépenses augmentent depuis une quinzaine d'années parallèlement au PIB signifie que les gains de productivité ne se sont pas traduits par un infléchissement par rapport à celui-ci. On constate d'ailleurs que, en ce qui concerne les dépenses de personnel, chaque année ont été créés 35 000 à 40 000 postes depuis deux décennies.
Dès lors que l'on ne raisonne plus à champ de compétences constant pour prendre en considération les transferts effectués, on constate un phénomène qui touche tout particulièrement les départements, et qui n'est d'ailleurs pas lié aux grandes lois de décentralisation, mais plutôt à des lois spécifiques : transfert du revenu minimum d'insertion (RMI), allocation personnalisée d'autonomie (APA), prestation de compensation du handicap (PCH)...
On sait que le budget de l'État prend en charge des ajustements sur les comptes locaux et sociaux : c'est lui qui compense le manque à gagner pour la sécurité sociale des exonérations de charges sociales ; de même, c'est lui qui absorbe, par exemple, les dégrèvements d'impôts locaux.
Notre groupe de travail a pris comme une donnée le fait que le budget de l'État ne pouvait plus se permettre des ajustements aussi massifs. En 2009, 40 % des dépenses de l'État ont été financées par le déficit et donc par l'emprunt. Ce n'est pas tenable et c'est pour cela que nous prenons comme hypothèse que, sur une période qui reste à préciser, l'ensemble des concours de l'État (dotations, prises en charge des dégrèvements et exonération de la fiscalité locale aux collectivités territoriales et FCTVA) n'augmentera pas en valeur courante. Ces différents concours représentent plus de 70 milliards d'euros. Rapportés à un budget total de 350 milliards, les concours de l'État aux collectivités territoriales représentent donc 20 % de ses dépenses. Nous pensons que le budget de l'État ne peut pas se rééquilibrer en exonérant une telle part de l'objectif de maîtrise des dépenses.
Partant de ce postulat, le groupe de travail a procédé à une analyse pour les différents échelons de collectivités territoriales qui a donné des résultats différents selon les niveaux.
Pour le bloc communal et intercommunal, nous avons raisonné en dépenses consolidées, c'est-à-dire intégrant à la fois les dépenses par habitant de la commune et, le cas échéant, celles de l'intercommunalité. Le constat est celui d'une énorme disparité dans les dépenses : entre les 10 % des 36 000 communes qui dépensent le moins et les 10 % qui dépensent le plus, le rapport est de 1 à 3 ! Même quand on essaie de raisonner en fonction des différentes strates de population, les écarts restent très importants : pour les communes de moins de 10 000 habitants, le rapport va de 1 à 2 ; pour celles de moins de 3 000, il va de 1 à 3 ; pour les villes comprises entre 50 000 et 200 000 habitants, il est de 1 à près de 1,8.
Un autre constat nous a frappés, sur la base de travaux universitaires conduits par des personnes qui font autorité comme Alain Guengant et Guy Gilbert : celui d'une indiscutable corrélation entre le niveau de dépenses et le niveau de recettes. En effet, 60 % des dépenses s'expliquent par le niveau des recettes et, curieusement, non par celui des ressources fiscales, mais par celui des dotations. Depuis trente ans, on n'a eu de cesse de remplacer des parties de recettes fiscales par des dotations (par exemple, la suppression de la vignette a été compensée par voie de dotation). Il en résulte que l'inégalité des dépenses vient dans une large mesure du budget de l'État. Dès lors, notre groupe de travail a considéré que la solution passait par un renforcement de la péréquation.
Depuis des temps immémoriaux, on a toujours conduit les réformes des finances locales en garantissant à chacun de conserver ce qu'il avait avant. Il n'a jamais été question de ne garantir qu'en partie, même si cette part était très importante, ce que percevaient les plus riches. On en arrive à des situations étranges. Par exemple, les deux communes de France qui ont la dotation globale de fonctionnement (DGF) la plus élevée par habitant sont Lourdes et Vichy, tout simplement parce qu'elles avaient autrefois beaucoup de commerces et que, lorsqu'on a supprimé la taxe locale pour la remplacer par la TVA, dans les années 1960, on leur a garanti le produit correspondant.
Ce mode de fonctionnement supposait l'existence d'un surplus annuel, qui permettait de faire grossir les dotations et donc de donner un peu plus aux plus pauvres tout en garantissant le maintien du niveau pour les plus riches. Mais, à partir de 2011, il n'y aura plus de surplus. Il sera donc inévitable de travailler à une péréquation « en-dedans ». Notre groupe va faire des propositions en conséquence.
En ce qui concerne les régions, l'analyse doit être partenariale car elles interviennent dans une large mesure via les contrats État/régions ou des partenariats financiers. Les ajustements devront donc se faire par adaptation aux moyens financiers réels des différents programmes, d'infrastructures, de rénovation universitaire, ou autres.
Quant aux départements, nous reprenons à notre compte tout le début du rapport de M. Jamet, qui a fait un travail sérieux et qui, dans ses 20 premières pages, dresse un bilan très inquiétant. Il décrit un effet de ciseaux qui met aujourd'hui en grave difficulté 15 ou 20 départements et qui nous conduit à poser la question : à qui le tour demain ? Nous considérons qu'il faut absolument traiter cette question.
Au final, il faut absolument que l'État, et donc aussi nous-mêmes en tant que parlementaires, nous efforcions à une rigueur totale dans toutes les décisions qui, de près ou de loin, impactent les finances locales. Ces décisions sont de deux natures : il y a d'abord tout ce qui touche aux normes. On a mis en place la commission consultative d'évaluation des normes (CCEN), que préside M. Alain Lambert, et qui donne de bons résultats, mais pour laquelle il faudrait peut-être aller plus loin, par exemple en lui conférant un pouvoir d'avis conforme ; il y a ensuite ce que M. Alain Lambert appelle des transferts rampants, parmi lesquels des textes généreux que l'on vote sans en mesurer forcément toutes les conséquences financières pour les collectivités.
Pour conclure, je souligne que notre groupe de travail exclut catégoriquement toute idée de norme de dépenses imposée d'en haut.
D'abord, parce que ce n'est pas à des fonctionnaires de Bercy de dire, depuis leur bureau, ce que doit être l'évolution des dépenses locales.
Ensuite, parce que, à partir de 2011, la tension sur les recettes des collectivités va être double : d'une part, avec des dotations qui n'augmentent plus ; d'autre part, avec la réforme de la taxe professionnelle qui réduit grandement les marges de manoeuvre en termes de vote des taux (surtout pour les régions), si bien qu'il sera très difficile de jouer sur ce levier pour chercher à accroître les recettes. Il est donc évident que les exécutifs locaux seront obligés d'ajuster leurs dépenses et qu'une norme nationale de dépenses locales n'aurait pas de sens.
Je précise qu'il nous faudra être très attentifs aux conséquences macroéconomiques car nous risquons d'avoir dans un premier temps un ralentissement des dépenses d'investissement beaucoup trop important, avec les conséquences que vous imaginez sur l'emploi et la croissance.
M. Alain Lambert, président. - Je vous remercie pour cet exposé complet et pédagogique. Je laisse désormais la parole à nos collègues.
Mme Jacqueline Gourault . - Je partage globalement l'analyse présentée par M. Gilles Carrez et je tiens à saluer le travail remarquable qui a été fait.
Il est vrai que le bloc communal n'a pas bénéficié, au cours des dernières années, de transferts officiels de compétences, contrairement aux départements ou aux régions. Il faut cependant noter qu'un certain nombre d'obligations incombent aux communes et aux intercommunalités : par exemple, les communes se sentent obligées de renforcer les effectifs de leur police municipale lorsque l'État décide de diminuer les forces de police nationale ou de gendarmerie sur leur territoire.
Les intercommunalités n'ont pas, elles non plus, bénéficié de transferts de compétences officiels sauf ceux opérés par les communes. Mais l'intercommunalité a permis le développement de nouveaux services qui n'existaient pas auparavant dans les petites communes, notamment rurales : il en est ainsi en matière de crèches ou de ramassage scolaire. Ces nouveaux services ont conduit à une augmentation des dépenses, notamment de personnels, qui peuvent ne pas être toujours justifiées. On peut en revanche regretter que la mutualisation entre communes et intercommunalités ne soit pas plus développée.
C'est pourquoi je pense qu'il ne faut pas opposer des collectivités territoriales qui seraient qualifiées de vertueuses à d'autres qui ne le seraient pas. Lors du débat sur la réforme des collectivités territoriales, j'ai regretté les discours selon lesquels les collectivités étaient trop nombreuses et trop dépensières.
Sur la question des contraintes, je partage le constat selon lequel des mesures adoptées par le Parlement entraînent de nouvelles charges pour les collectivités territoriales. Mais il faut également prendre en compte les exonérations de fiscalité locale décidées par les gouvernements, qui renforcent la part budgétaire de l'État en faveur des collectivités territoriales. Par exemple, l'exonération de taxe foncière sur les propriétés non bâties en faveur des agriculteurs était présentée comme un dispositif destiné à sauver l'agriculture française. Or, il n'en a rien été. Pourtant, ce type de mesures coûte cher, ne se justifie pas toujours et accentue la dépendance des collectivités territoriales envers l'État.
Enfin, M. Frédéric Lefebvre a récemment annoncé, sur différentes radios, la nécessité de lier les aides de l'État à l'effort fiscal des collectivités territoriales : les communes ne faisant pas d'effort fiscal en la matière devant bénéficier, selon lui, d'un bonus de dotations budgétaires de l'État. S'agit-il d'une position isolée ou d'un projet du Gouvernement ?
M. Jean-Claude Peyronnet . - Je tiens à féliciter les auteurs pour la qualité des conclusions de leur rapport.
Je souhaiterais tout d'abord préciser qu'il me semble normal que l'État prenne en charge les compensations des exonérations fiscales qu'il a créées.
Ensuite, je partage l'analyse de Jacqueline Gourault, selon laquelle la grande majorité des dépenses du bloc communal répond à des besoins de la population, et non à un gaspillage, bien que certaines dépenses puissent répondre aussi à un luxe. Dans le domaine de la petite enfance, les caisses d'allocations familiales ont fortement investi dans la construction de crèches mais force est de constater que le fonctionnement quotidien de ces établissements repose sur le budget des collectivités territoriales. Compte tenu des habitudes prises par nos concitoyens, il existe un risque majeur à vouloir sabrer certaines dépenses liées à un service à la population.
S'agissant de la situation financière des départements, le rapport Jamet est intéressant mais ne propose aucune solution qui pourrait être mise en oeuvre rapidement. Or, aujourd'hui, il y a urgence. Le conseil général de la Haute-Vienne, dont je suis élu, sera dans une situation financière difficile d'ici les deux prochaines années, compte tenu de l'augmentation des charges liées au handicap ou au revenu de solidarité active. Par ailleurs, les solutions proposées ne doivent pas avantager les départements ayant mal géré leurs budgets.
M. Roland du Luart . - ... ou dont les dépenses ont dérapé.
M. Pierre-Yves Collombat . - Je tiens à saluer la clarté et la précision de votre présentation. Deux points me paraissent essentiels. Tout d'abord, je partage votre analyse selon laquelle le niveau de charges d'une collectivité territoriale reflète souvent sa capacité financière à dépenser plus. Ensuite, ma deuxième remarque porte sur le risque macroéconomique d'une « mise sous rideau » des finances locales, dans un contexte de crise économique. Rappelons que l'investissement local représente 75 % de l'investissement public en France. Les collectivités territoriales ont certes procédé à un nombre important de recrutements ces dernières années. Mais dans un contexte de forte montée du chômage, faut-il vraiment réduire le nombre de fonctionnaires au sein de nos collectivités ?
J'ai été surpris de constater que l'évolution des dépenses du bloc communal a fortement augmenté entre 1983 et 1995, et s'est stabilisée après cette date. Or, le développement de l'intercommunalité est lié à la loi Chevènement de 1999. Par conséquent, la forte croissance des dépenses du bloc communal entre 1983 et 1995 ne s'expliquerait-elle pas par le développement des communes, comme l'a dit notre collègue Jacqueline Gourault ?
Je souhaiterais enfin savoir si l'analyse des dépenses serait plus pertinente en se basant, non sur le niveau des dépenses, mais sur le type de dépenses. On remarque en effet que certaines dépenses de personnels se justifient, d'autres pas, et que les dépenses d'investissement ne peuvent pas être appréciées de la même manière que les dépenses de fonctionnement. Je suis, par ailleurs, réticent à opposer dotations de l'État et produits fiscaux, dans la mesure où certaines dotations sont d'anciens revenus fiscaux tandis que d'autres sont de réelles dotations. Il en est ainsi de la dotation globale de fonctionnement, avant que n'y soit intégrée la dotation correspondant à la part salaires de la taxe professionnelle, par exemple.
M. Michel Thenault. - Sur la question de l'intercommunalité, nous avons écrit que « l'accroissement des dépenses du bloc communal, à partir d'une analyse consolidée des comptes, résulte d'une plus grande prise en considération des besoins, qui a effacé les effets de mutualisation entre communes et EPCI ». Nous avons effectivement constaté des démarches de mutualisation, qui ne sont pas aussi poussées qu'on aurait pu le souhaiter.
S'agissant de la distinction des deux périodes d'évolution des dépenses de décentralisation, il est vrai que l'intercommunalité s'est fortement développée depuis 1999, date de l'adoption de la loi Chevènement. Mais depuis 1992, la croissance de l'intercommunalité est visible au niveau des dotations de l'État, avec des écarts importants de DGF par habitant entre groupements. L'ancien président du comité des finances locales, M. Jean-Pierre Fourcade, avait proposé la création d'une DGF autonome pour les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI). Bien qu'elle soit techniquement impossible à mettre en place, cette proposition visait à démontrer la forte croissance de la DGF de certains EPCI, diminuant d'autant celle attribuée aux communes, qui bénéficiaient alors de dotations de garantie, annihilant ainsi toute politique de péréquation.
M. Gilles Carrez. - Je partage pleinement l'analyse de Mme Jacqueline Gourault, sur le développement de l'intercommunalité. En effet, dans un premier temps, l'intercommunalité a permis la création de services que les communes seules ne pouvaient mettre en place, et répondait à des besoins de la population, en matière de voiries, d'infrastructures, d'assainissement ou de traitements des déchets. Mais à cette phase de projet doit succéder une phase de mutualisation, compte tenu de la raréfaction des ressources budgétaires.
Les transferts « rampants », selon la terminologie utilisée par notre collègue Alain Lambert, dans son rapport sur les relations financières entre l'État et les collectivités territoriales de décembre 2007, sont indéniables bien qu'on ne puisse pas en mesurer les conséquences. La sécurité en est un exemple emblématique. Entre 1983 et 1989, on observe une faible augmentation des dépenses du bloc communal, en pourcentage du PIB. A cette première phase succède une période de forte augmentation des dépenses au cours des années 1990, compte tenu du développement de l'intercommunalité et de la crise économique des années 1990, avant d'observer une nouvelle période de stabilisation des dépenses communales depuis quelques années.
M. Jean-Claude Peyronnet. - Je ne partage pas totalement cette analyse : par exemple, les dépenses liées au traitement des déchets sont financées par la taxe d'enlèvement des ordures ménagères et les budgets des collectivités territoriales doivent être votés en équilibre. Ainsi, nous ne pouvons pas parler d'explosion des dépenses des communes.
M. Gilles Carrez. - Notre analyse ne prend pas en compte les budgets annexes. Par ailleurs, les statistiques sont à manier avec prudence, en raison par exemple de la remunicipalisation de certains services. Il est ensuite incontestable que le bloc communal a subi un certain nombre de transferts « rampants ».
Par ailleurs, les exonérations et allègements sont des décisions prises au niveau national. Comme l'a rappelé Jacqueline Gourault, ils se transforment en dotations de l'État, et connaissent ainsi les vicissitudes du budget de l'État. Autrement dit, on est face à un phénomène de transformation de l'or, que sont les exonérations et allègements, en plomb, lorsqu'ils se transforment en dotations de l'État.
C'est pourquoi leur suppression relève de l'intérêt général, aussi bien pour l'État que pour les collectivités territoriales. Les dégrèvements étant liés à la liberté de fixation des taux, l'actuelle réforme de la fiscalité locale permet la suppression d'un certain nombre d'entre eux, dans la mesure où les taux des nouvelles impositions seront fixés nationalement. Il demeurera toujours le dégrèvement de la cotisation sur la valeur ajoutée, mais le taux sera, là encore, fixé au niveau national.
S'agissant de la position de M. Frédéric Lefebvre, elle est complètement absurde. Une commune, qui dispose de bases de taxe professionnelle dix fois moins élevées qu'une autre commune, doit, pour bénéficier du même produit, avoir un taux fiscal dix fois plus élevé. Cette proposition rejoint une ancienne idée du ministère des finances, visant à lier la DGF à un système de bonus / malus, selon que les collectivités territoriales sont bien ou mal gérées. Mais comment apprécier la bonne et la distinguer d'une mauvaise gestion ?
Nous n'avons pas abordé, dans notre rapport, la question de l'utilité de la dépense sociale. Dans l'avenir, certaines dépenses ne pourront plus être assumées. Des ajustements sont nécessaires, mais avec un certain délai pour y parvenir. Un point me paraît particulièrement important sur la question de la demande sociale : celle du rapprochement des modes de vie. Lorsque la DGF a été créée en 1979, on admettait un rapport de 1 à 3 entre la DGF par habitant d'une commune rurale et celle d'une commune urbaine, considérant que les dépenses en milieu urbain étaient plus élevées qu'en milieu rural. Ce raisonnement est moins pertinent aujourd'hui, compte tenu du rapprochement des modes de vie avec, par exemple, en milieu rural, les difficultés liées à la garde d'enfants, pour des couples dont les deux conjoints disposent d'un emploi. Ces inégalités ont fait l'objet d'une réforme en 2004, les écarts de DGF s'expliquant désormais en partie par la création de nouveaux critères, tels que la superficie.
Nous ne présenterons aucune proposition pour les conseils généraux lors de la prochaine conférence nationale des déficits publics. En revanche, nous informerons le Gouvernement que les difficultés financières des départements nécessitent des solutions rapides, avec notamment une réforme urgente de la dépendance, dans la foulée de celle des retraites.
De même, nous ne proposerons aucune réforme du fonds de compensation de la taxe sur la valeur ajoutée (FCTVA) compte tenu des risques graves qui pourraient en résulter, dans un contexte de crise de l'investissement public.
M. Michel Thenault. - Le fait de ne proposer aucune réforme du FCTVA ne doit pas nous empêcher d'analyser l'assiette et l'éligibilité de certains investissements à ce fonds.
M. Roland du Luart. - Lorsque les communautés de communes ont été créées, les communes ont transféré des compétences sans réduire, à due concurrence, les charges transférées. Dans mon département, cela a été quasi systématiquement le cas en milieu rural. Cette pratique a provoqué une inflation des dépenses, il ne faut pas nier cette réalité. L'idée selon laquelle il y a pléthore d'investissements dans un certain nombre d'intercommunalités, sans que cela soit vraiment justifié, est fondée, alors que dans d'autres endroits de véritables politiques de maîtrise des dépenses locales sont mises en oeuvre. Il y a sur ces questions un besoin de rationalisation des pratiques.
Je voudrais également indiquer que les départements attendent beaucoup du rapport Carrez-Thenault, en raison de la dégradation de leur situation financière, même pour les mieux gérés d'entre eux. Cette attente est d'autant plus forte que le rapport Jamet ne préconisait pas de solutions pour sortir les départements de leurs difficultés financières. Ces difficultés sont provoquées par la prise en charge des politiques de solidarité (APA, PCH, RSA). Si ces prestations n'étaient pas financées par les départements, ces derniers n'auraient aucune difficulté financière. Il y a urgence à trouver une solution équitable sinon les collectivités territoriales se retrouveront dans une situation financière catastrophique, avec toutes les conséquences que cela peut avoir.
M. Philippe Dallier . - Si la réforme de la péréquation des finances locales était nécessaire avant la crise, elle devient aujourd'hui un impératif absolu alors que les concours financiers de l'État aux collectivités territoriales vont se réduire mécaniquement. Nous avons raté de nombreuses occasions de réformes. Il y a deux ans nous avons renoncé à réformer la dotation de solidarité urbaine (DSU) faute de travaux préparatoires suffisants. De même, la réforme de la géographie prioritaire (les contrats urbains de cohésion sociale - CUQS) a été repoussée d'un an et la possibilité d'un nouveau report est évoquée. Or, à mon sens il faudrait appréhender ces questions de manière globale, avoir le courage de retirer le bénéfice des CUQS à certaines villes, et réformer en même temps la DSU.
Le plafonnement du fonds de compensation de la TVA (FCTVA) présenterait des risques.
Il convient plutôt d'analyser la pertinence des investissements réalisés, car il existe des communes suréquipées, alors que d'autres rencontrent des difficultés pour financer des équipements prioritaires.
Il ne faut pas oublier que les normes imposées aux collectivités territoriales sont sources de dépenses d'investissements importantes. C'est par exemple le cas des normes en matière de performance énergétique des bâtiments communaux qui, pour la seule ville de Pavillon-sous-Bois, représente 14 millions d'investissements sur les dix ans à venir avec un objectif de retour sur investissement de 42 ans. A ces investissements, il convient d'ajouter ceux nécessaires pour la mise en conformité des établissements recevant du public aux nouvelles règles d'accessibilité, soit 25 millions sur dix ans pour respecter les obligations légales. Au total, l'ensemble du budget d'investissement de la commune pourrait être absorbé. Il est louable de se fixer de tels objectifs mais il ne faut pas que cela se traduise par des situations absurdes pour les budgets locaux. Il faut alerter le Gouvernement sur cette situation.
M. Alain Lambert. - Il faudrait même agréger les résultats de tous les audits réalisés par les collectivités territoriales pour démontrer les conséquences des décisions prises par l'État sur les budgets locaux.
M. Claude Jeannerot . - Des départements sont financièrement écrasés par la demande sociale, d'autres départements sont durement frappés par la crise. Les uns et les autres doivent donc faire face à des dépenses d'APA et de RSA de plus en plus lourdes. Dans le même temps, la participation financière de l'État diminue inexorablement. Dans mon département, la part de l'État dans la prise en charge de l'APA n'est plus aujourd'hui que de 23 %, alors qu'elle représentait 50 % de la dépense à l'origine.
Vingt-cinq départements connaissent déjà une situation financière très dégradée, d'autres seront dans la même situation dans les deux ans qui viennent. C'est inexorable. Il importe donc de traiter la situation financière des départements de manière spécifique. Les mesures ne peuvent plus être reportées dans le temps, c'est la raison pour laquelle votre mission suscite des attentes importantes.
M. Alain Lambert. - Il convient de soutenir la proposition de stabilisation en valeur des concours de l'État aux collectivités territoriales, et refuser le principe d'une stabilisation en volume qui est imprécise par nature. Cette solution permettra d'établir des relations financières sincères entre l'État et les collectivités territoriales.
Il faudrait également clarifier la question de la responsabilité du prescripteur et du maître d'oeuvre car la situation actuelle soulève de nombreuses difficultés. C'est ce que fait ressortir la situation des départements qui doivent appliquer des décisions prises à un autre niveau territorial.
Il revient à l'exécutif de clarifier la question de la décentralisation et de s'interroger pour savoir si la solidarité doit relever de l'échelon local.
Le groupe de travail doit proposer des solutions pour améliorer la situation financière des départements ou recommander à l'exécutif de se fixer un délai, par exemple la fin de l'année. A titre personnel, je suis favorable à ce que l'État propose des contrats de consolidation budgétaire aux départements.
M. Michel Thenault. - Il existe plusieurs façons d'aborder la question de la part de financement, ou de reste à payer, versée par les départements pour financer les prestations sociales. D'un point de vue théorique, je rappellerai que les dépenses d'APA et de RSA ne figurent pas dans les grandes lois de décentralisation, mais dans des textes spécifiques. Les modalités de prise en charge de ces prestations par les départements ne relèvent donc pas des règles de compensation liées aux transferts de charges. Le débat se pose en fait dans des termes juridiques différents.
La question du financement de ces charges liées à la solidarité nationale constitue un sujet politique majeur : comment finance-t-on la dépendance, le handicap ? C'est un problème de société influencé par l'état d'esprit de l'opinion à un moment donné. Lors de la mise en place de ces prestations, les pouvoirs publics ne disposaient pas d'une vision claire des coûts que cela entraînerait.
La question de la gestion de ces prestations peut également être posée. Ces politiques relèvent-elles de la compétence des collectivités territoriales ? Si la réponse est négative, seul l'État peut alors en assurer la charge, mais il ne dispose pas des moyens logistiques nécessaires pour gérer ces prestations. Il devra donc se retourner vers les départements. Ces derniers pourraient alors assurer une simple gestion des prestations sur la base d'un cahier des charges établi au niveau national. En cas de non-respect de ce cahier des charges, les dépenses supplémentaires seraient à la charge du département gestionnaire.
J'évoquerai enfin la situation des bénéficiaires. Si nous sommes dans une problématique de solidarité nationale, chacun doit contribuer en fonction de ses revenus. La piste consistant à modifier les règles d'attribution de l'APA en tenant compte des revenus familiaux mérite d'être examinée. La question de la solidarité familiale entre ascendants et descendants est aussi un problème de société.
M. Gilles Carrez. - Il convient de procéder à une rationalisation juridique et financière des relations entre le donneur d'ordre et le gestionnaire des prestations.
Pour ce faire, ces dépenses (APA, RSA, PCH) pourraient être rassemblées dans un budget annexe qui regrouperait toutes les prestations dont le département assure la gestion. Une recette nationale, par exemple la CSG, viendrait abonder ces budgets afin qu'ils soient équilibrés. En contrepartie, les départements devront accepter d'être contrôlés par le prescripteur.
Si le département est prescripteur de la prestation, il doit pouvoir moduler le montant de la prestation. Cette solution locale est-elle acceptable pour des éléments de solidarité nationale ? Certains présidents de conseils généraux commencent à promouvoir la notion de sécurité sociale territoriale. De telles modulations sont possibles en matière de voirie, cela semble beaucoup difficile à mettre en oeuvre à destination des publics les plus fragiles, personnes âgées et dépendantes, personnes handicapées, qui doivent être au coeur des politiques sociales dans une société moderne. Il semble donc difficile de moduler les prestations sur d'autres critères que la situation familiale.
Le groupe de travail n'a pas les moyens de déterminer les aides financières à mettre en oeuvre pour les départements dès aujourd'hui, mais il est indispensable d'instruire la question des départements. La prochaine conférence des exécutifs locaux devrait être l'occasion pour le Premier ministre de venir installer une structure chargée de suivre l'évolution des budgets départementaux. En effet, si aujourd'hui 12 départements connaissent de grandes difficultés, l'ensemble des conseils généraux rencontreront ces difficultés financières à très court terme si rien n'est fait.
Mme Marie-Thérèse Bruguière . - Certains EPCI ont pris l'habitude de mutualiser leurs moyens, d'autres n'ont toujours pas rationalisé leur organisation. Il faudrait dresser un tableau comparatif des comportements des différents EPCI au sein d'une même strate démographique, en matière d'investissements et de dépenses, pour évaluer la pertinence des choix réalisés par les uns et les autres. Cela ferait apparaître des comportements quasi irrationnels, face auxquels personne n'intervient, ni l'État, ni les communes membres. Il faut que l'État puisse interdire les investissements inutiles.
Les collectivités territoriales peuvent accepter de réduire leurs dépenses, mais elles sont inquiètes de constater que l'État leur impose sans cesse de nouvelles contraintes financières. C'est le cas par exemple en matière d'accessibilité des établissements recevant du public.
M. Alain Lambert. - L'administration peut effectivement imposer des travaux dont l'opportunité est discutable.
Mme Marie-France Beaufils . - Je partage l'analyse selon laquelle les conseils généraux traversent une période de difficultés financières. Mais ce constat ne doit pas occulter les difficultés des autres niveaux de collectivités territoriales. L'explosion des dépenses liées à la gestion de l'aide personnalisée à l'autonomie, à la prise en charge du handicap ou au revenu de solidarité active, va impacter les politiques départementales en faveur des communes rurales. Dans mon département d'Indre-et-Loire, la capacité du conseil général à aider les communes rurales ne sera pas sans conséquence pour le maintien d'une vie locale dans ces territoires. Ce constat nous invite à analyser les répercussions de la suppression de la clause générale de compétence des départements sur les territoires ruraux.
Ensuite, certaines communes ont pu effectivement financer des investissements dispendieux et dont l'utilité est discutable. Mais aujourd'hui, les collectivités territoriales sont confrontées à des charges de plus en plus lourdes, compte tenu de la dégradation de la situation de leur population. Je partage l'idée selon laquelle les politiques de solidarité devraient être prises en charge au niveau national, mais force est de constater qu'elles continuent de l'être au niveau local. Dans ma commune, les dépenses d'action sociale en 2010 seront plus élevées que celles de 2009 et il est impossible d'anticiper une telle augmentation.
Nous constatons, par ailleurs, un rajeunissement de la population, nécessitant la mise en oeuvre d'un certain nombre de services, notamment en faveur de la petite enfance. Or, le nombre de contrats « enfance » signés avec les caisses d'allocations familiales diminuent chaque année. Plus généralement, nous assistons aujourd'hui à une réduction du nombre d'acteurs locaux qui nous accompagnaient dans la mise en oeuvre de services à la population.
De même, nous engageons des investissements coûteux afin de réduire notre consommation d'énergie. Or, le Gouvernement vient d'annoncer une nouvelle augmentation importante du prix de l'énergie. Enfin, la parité actuelle euro/dollar aura des conséquences négatives sur les économies liées à nos investissements.
M. Gilles Carrez. - Mme Beaufils aborde un sujet difficile à appréhender au niveau des communes : celui de la dépense sociale corrélée à un niveau de pauvreté, qui varie beaucoup d'une population à l'autre.
Malgré la prise en charge par le conseil général de certains aspects de l'exclusion, force est de constater que les communes continuent d'assumer, à travers leur centre communal d'action sociale (CCAS), des dépenses dans ces domaines, notamment pour aider des personnes ne pouvant plus payer leur loyer ou se chauffer. Mais les difficultés rencontrées par les CCAS sont différentes d'une commune à l'autre et les outils de quantification font défaut pour apprécier ces problèmes.
Nous essayons de faire face à ce problème à travers, par exemple, la dotation de solidarité urbaine, avec le critère « revenu » pondéré à 10 % du total de la dotation. Je pense qu'il faudrait doubler la pondération de ce critère pour le rendre plus pertinent.
M. Alain Lambert, président. - Je tiens à remercier chaleureusement MM. Gilles Carrez et Michel Thenault du temps qu'ils ont bien voulu nous consacrer, alors qu'ils doivent finaliser leur rapport d'ici jeudi, date de la prochaine conférence nationale des déficits publics. Nous souhaitons vivement vous revoir, afin d'assurer avec vous un suivi des conclusions de votre rapport.
Par ailleurs, s'agissant de la problématique de la mutualisation abordée au cours de l'audition, notre délégation, qui y travaille actuellement, constate que nous nous heurtons aux rigidités du droit communautaire. Nous souhaiterions vivement que le rapporteur général de la commission des finances de l'Assemblée nationale nous accompagne, avec des représentants de la direction générale de la comptabilité publique, pour rencontrer les fonctionnaires de la Commission européenne, car j'ai le sentiment que les deux administrations, française et européenne, ne se parlent pas. On a ainsi l'impression que, pour la Commission, il n'y a aucun problème en ce qui concerne l'évolution des dépenses publiques, ce qui prouve qu'il y a beaucoup de travail d'explications à fournir.