N° 572
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2009-2010
Enregistré à la Présidence du Sénat le 22 juin 2010 |
RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
au nom de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation (1) sur les compensations des transferts de compétences ,
Par MM. Yves KRATTINGER et Roland du LUART,
Sénateurs.
(1) Cette déléguation est composée de : M. Alain Lambert, président ; MM. Dominique Braye, Philippe Dallier, Yves Krattinger, Hervé Maurey, Jacques Mézard, Jean-Claude Peyronnet, Bruno Sido, Jean-François Voguet, v ice-présidents ; MM. François-Noël Buffet, Pierre-Yves Collombat, secrétaires ; M. Jean-Michel Baylet, Mme Marie-France Beaufils, MM. Claude Belot , Claude Bérit-Débat, Pierre Bernard-Reymond, Mme Marie-Thérèse Bruguière, MM. Gérard Collomb, Jean-Patrick Courtois, Yves Daudigny, Yves Détraigne, Éric Doligé, Mme Jacqueline Gourault, MM. Didier Guillaume, Pierre Hérisson, Edmond Hervé, Pierre Jarlier, Claude Jeannerot, Antoine Lefèvre, Roland du Luart, Jean-Jacques Mirassou, Rémy Pointereau, François Rebsamen, Bruno Retailleau, René Vestri, Mme Dominique Voynet |
INTRODUCTION
La prise de conscience récente de la situation budgétaire des départements par les administrations d'État a mis en lumière les difficultés nées de l'application des dispositions de l'article 72-2 de la Constitution en matière de compensations des transferts et des créations/extensions de compétences.
Le groupe de travail consacré à la maîtrise des dépenses locales, présidé par MM. Gilles Carrez et Michel Thenault, dont les résultats ont été présentés lors de la deuxième conférence des déficits publics le 20 mai 2010, conclut que, hors problématique des compensations, les dépenses des collectivités territoriales ont peu évolué en part de PIB depuis 1982 1 ( * ) . En revanche, la prise en compte de la question des compensations conduit à une analyse différente des résultats, particulièrement prégnante pour les départements.
C'est pourquoi votre Délégation a choisi d'aborder la question de la compensation des transferts de compétences de l'État vers les collectivités territoriales, qui s'élève en 2010 à 18,5 milliards d'euros, et leurs conséquences sur la situation budgétaire actuelle des départements. Bien que les dispositions de l'article 72-2 de la Constitution distinguent les régimes de compensations des transferts, d'une part, et des créations/extensions de compétences, d'autre part, le terme de « transferts » dans le présent rapport regroupe à la fois le dispositif relatif aux transferts proprement dits et celui propre aux créations/extensions de compétences.
La réflexion de vos rapporteurs a également porté sur la problématique des « transferts rampants », qui sont la conséquence de décisions de l'État qui imposent aux collectivités territoriales de renforcer certaines de leurs compétences, sans pour autant pouvoir prétendre à une aide compensatrice de l'État. Par ailleurs, l'inflation normative des administrations d'État, et notamment leurs conséquences sur les finances locales, sont également abordées, ainsi que la question des SDIS. Bien que ces derniers ne soient pas, au sens de l'article 72-2 de la Constitution, un transfert de compétences au profit des départements mais un transfert de charges, vos rapporteurs ont considéré qu'il s'agissait d'un exemple témoignant de la complexité des relations entre l'État et les collectivités territoriales.
Si la question de la compensation des transferts de compétences n'a pas entraîné de difficultés particulières, force est de constater qu'il n'en est pas ainsi s'agissant des créations ou extensions de compétences en matière de décentralisation sociale. En effet, l'évolution des dépenses des trois principales prestations sociales versées par les départements met en exergue les ambiguïtés liées aux dispositifs de l'article 72-2 de la Constitution : une sous-estimation des prévisions de dépenses, une augmentation de celles-ci du fait de facteurs exogènes aux politiques des conseils généraux, conduisant à un malentendu entre les départements et l'État sur l'interprétation des dispositions constitutionnelles précédemment citées et, plus largement, sur le financement de la décentralisation.
Dans un contexte d'incertitude pour l'ensemble des collectivités territoriales lié à la suppression de la taxe professionnelle, à l'octroi, pour chaque niveau local, d'un nouveau panier de ressources fiscales et à l'annonce récente du Gouvernement de geler, entre 2011 et 2013, la plupart des dotations budgétaires de l'État, il est urgent de définir de nouvelles relations financières entre l'État et les collectivités territoriales. La question de la compensation des prestations sociales universelles départementales en est un exemple important qui nécessite des réponses rapides à mettre en oeuvre, notamment dans un contexte de crise des finances publiques de l'État et de crise socio-économique.
Par ailleurs, vos rapporteurs ont pris acte de l'annonce, par le Premier ministre, de la prochaine réforme du cinquième risque, celui de la dépendance, qui devrait être présentée au Parlement au cours de l'automne prochain, pour une mise en oeuvre à partir du 1 er janvier 2011. Un volet consacré au financement de l'allocation personnalisée pour l'autonomie (APA) devrait être inclus. Il en est de même s'agissant de la question de l'inflation normative, que vos rapporteurs qualifient d' « incontinence » ou de « folie » réglementaire, avec l'annonce du Premier ministre d'élargir le champ des missions de la Commission consultative d'évaluation des normes, en lui confiant l'analyse du stock de normes existantes pour aboutir à une « lecture intelligente » de ces dernières.
C'est pourquoi vos rapporteurs soumettent à la sagesse de votre Délégation un certain nombre de propositions, qui se veulent pragmatiques et concrètes, destinées à créer de nouvelles modalités de compensations financières des transferts et des créations/extensions de compétences et, au-delà, à définir les prémices de relations budgétaires plus pacifiées entre l'État et les collectivités territoriales, que vos rapporteurs appellent de leurs voeux.
I. LA COMPENSATION DES TRANSFERTS DE COMPÉTENCES : UN PRINCIPE CONSTITUTIONNEL
Le principe de compensation financière des transferts de compétences a été posé par la loi du 2 mars 1982 2 ( * ) , avant de recevoir une consécration constitutionnelle avec son insertion au quatrième alinéa de l'article 72-2 de la Constitution, issu de la loi constitutionnelle du 28 mars 2003 3 ( * ) , selon lequel « tout transfert entre l'État et les collectivités territoriales s'accompagne de l'attribution de ressources équivalentes à celles qui étaient consacrées à leur exercice. Toute création ou extension de compétences ayant pour conséquence d'augmenter les dépenses des collectivités territoriales est accompagnée de ressources déterminées par la loi ».
De cet article découlent deux dispositifs sensiblement différents :
• la compensation des compétences transférées par l'État, d'une part ;
• le financement des compétences créées ou étendues , d'autre part.
A. LES PRINCIPES RELATIFS À LA COMPENSATION DES TRANSFERTS DE COMPÉTENCES
Codifiée à l'article L. 1614-1 du Code général des collectivités territoriales (CGCT), la compensation financière des transferts de compétences est soumise au respect de cinq principes destinés à assurer la neutralité budgétaire desdits transferts sur le budget des collectivités territoriales bénéficiaires, conformément aux dispositions de l'article 119 de la loi relative aux libertés et responsabilités locales du 13 août 2004 4 ( * ) . Les modalités de mise en oeuvre de cette disposition constitutionnelle sont, quant à elles, assurées par trois dispositifs.
1. Les cinq principes des compensations financières des transferts de compétences
a) L'intégralité de la compensation
Les ressources transférées par l'État aux collectivités territoriales doivent être équivalentes aux dépenses, directes ou indirectes, effectuées par l'État au titre des compétences transférées, diminuées du montant des éventuelles réductions brutes de charges ou des augmentations de ressources entraînées par les transferts 5 ( * ) .
L'hypothèse d'une telle diminution peut concerner :
• l'augmentation de ressources entraînées par les transferts : le transfert de certains biens, tels que les musées ou les monuments historiques, représente une charge pour les collectivités territoriales mais leur procure également des ressources sous la forme de droits d'entrée ;
• la réduction brute de charges vise le cas spécifique des transferts de compétences des collectivités territoriales vers l'État. Il s'agit, par exemple, de la recentralisation des politiques de vaccination, de la lutte contre la lèpre ou contre la tuberculose.
Chaque dépense fait l'objet d'une évaluation sur une période prévue par la loi, variable selon le type de dépense :
• le droit à compensation pour les charges de fonctionnement transférées est égal à la moyenne des dépenses actualisées constatées sur une période de trois ans précédant le transfert de compétences ;
• le droit à compensation pour les charges d'investissement transférées est égal à la moyenne des dépenses actualisées, hors taxes et hors fonds de concours, constatées au cours des dix dernières années précédant le transfert, sauf pour le domaine routier pour lequel la durée est établie à cinq ans.
Si les recettes provenant des impositions diminuent pour des raisons étrangères au pouvoir de modulation reconnu aux collectivités bénéficiaires, l'État compense cette perte dans les conditions fixées en loi de finances, afin de garantir à ces dernières un niveau de ressources équivalent à celui qu'il consacrait à l'exercice de la compétence avant son transfert.
b) La concomitance de la compensation au transfert
Tout accroissement de charges résultant des transferts de compétences s'accompagne du transfert concomitant des ressources nécessaires à leur exercice.
La compensation se fonde sur une estimation au moment du transfert (qui fait l'objet d'une prévision en loi de finances initiale), régularisée lorsque les comptes de l'État sont définitivement connus (par un ajustement réalisé dans la plus prochaine loi de finances rectificative).
c) L'évolution de la compensation
L'évolution de la compensation est variable, dans les années suivant le transfert, selon la nature des ressources transférées.
Ainsi, les dispositions de l'article L. 1614-1 du CGCT prévoient une évolution des ressources transférées selon la dotation globale de fonctionnement (DGF). La dotation générale de décentralisation (DGD) évolue ainsi au même rythme que la DGF, soit celui de l'inflation 6 ( * ) , tandis que la fiscalité transférée tire son évolution du dynamisme propre aux impositions transférées.
En revanche, la dotation départementale d'équipement des collèges (DDEC) et la dotation régionale d'équipement scolaire (DRES) évoluent en fonction de la formation brute de capital fixe (FBCF) des administrations publiques (articles L. 3334-16 et L. 4332-3 du CGCT).
En cas de diminution des recettes fiscales transférées, il appartient à l'État de maintenir un niveau de ressources équivalent à celui qu'il consacrait à l'exercice de cette compétence avant son transfert, en majorant le montant de la fiscalité transférée à due concurrence 7 ( * ) .
d) Le contrôle de la compensation
Le montant des accroissements de charges est constaté par arrêté ministériel, après avis de la Commission consultative sur l'évaluation des charges (CCEC). Le rôle et les modalités de fonctionnement de celle-ci sont précisés aux articles L. 1211-4-1, L. 1614-3 et R. 1211-19 à R. 1211-26 du CGCT.
Formation restreinte du Comité des finances locales (CFL) 8 ( * ) , la mission principale de la CCEC réside dans le contrôle de la compensation financière allouée par l'État en contrepartie des transferts de compétences, en donnant son avis sur les projets d'arrêtés interministériels fixant le montant de cette compensation pour chacune des collectivités territoriales concernées.
Par ailleurs, la CCEC est associée à la définition des modalités d'évaluation des accroissements et diminutions de charges résultant des transferts de compétences entre l'État et les collectivités territoriales.
Elle peut également être consultée par le ministre de l'intérieur ou le ministre du budget sur les réclamations des collectivités territoriales.
Pour chaque transfert de compétences, la CCEC réunit paritairement les représentants de l'État et de la catégorie de collectivités territoriales concernée par le transfert. Pour l'examen de questions intéressant l'ensemble des catégories de collectivités, notamment celles relatives aux modalités d'évaluation des accroissements ou diminutions de charges, la commission siège en formation plénière.
e) La conformité des compensations de transferts à l'objectif d'autonomie financière
Le troisième alinéa de l'article 72-2 de la Constitution dispose que « les recettes fiscales et les autres ressources propres des collectivités territoriales représentent, pour chaque catégorie de collectivités, une part déterminante de l'ensemble de leurs ressources. La loi organique 9 ( * ) fixe les conditions dans lesquelles cette règle est mise en oeuvre ».
Les dispositions de cet article visent à privilégier les transferts de fiscalité aux dotations budgétaires pour respecter le principe d'autonomie financière des collectivités territoriales.
* 1 Voir annexe 3.
* 2 Loi n° 82-213 du 2 mars 1982 relative aux droits et libertés des communes, des départements et des régions.
* 3 Loi n° 2003-276 du 28 mars 2003 relative à l'organisation décentralisée de la République.
* 4 Loi n° 2004-809 du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales.
* 5 Article L. 1614-1 al. 1 du CGCT.
* 6 Article 7 de la loi n° 2009-135 du 9 février 2009 de programmation des finances publiques pour les années 2009 à 2012.
* 7 Conseil constitutionnel, Décision DC n° 2003-489 du 29 décembre 2003, Loi de finances pour 2004, considérant n° 23.
* 8 Article 118 de la loi n° 2004-809 du 13 août 2004 précitée.
* 9 Loi organique n° 2004-758 du 29 juillet 2004 prise en application de l'article 72-2 de la Constitution relative à l'autonomie financière des collectivités territoriales.