II. UN DIAGNOSTIC PERTINENT QUI DESSINE UN VISAGE NOUVEAU DE LA COOPÉRATION
La première partie du projet de document-cadre, dans l'état où il a été adressé à la commission des affaires étrangères, établit un diagnostic des bouleversements du contexte international dans lequel la politique de coopération française se déploie.
A. UN DIAGNOSTIC QUI RENOUVELLE NOTRE REGARD SUR L'AIDE AU DÉVELOPPEMENT
Dans un premier temps, le projet de document-cadre dresse un historique de l'évolution du contexte international relatif au développement.
Il tire les conséquences de la fin de la Guerre froide pour les pays en développement. Il dresse le constat d'une forte différenciation des trajectoires de développement au Sud avec l'émergence de l'Asie et de l'Amérique latine, et la stagnation de l'Afrique subsaharienne. Il souligne la naissance d'un monde globalisé et interdépendant qui met fin au caractère exclusif de la relation bailleur-bénéficiaire. Il observe également le renouveau de fortes tensions économiques, et politiques, ainsi que l'apparition de nouvelles problématiques environnementales et démographiques. Il appelle de tous ses voeux une intensification de la coopération internationale, essentielle dans ce nouveau monde d'interdépendances.
On ne reviendra pas ici sur ce tableau d'ensemble, qui fait l'objet d'un relatif consensus, pour se concentrer sur les éléments de ce diagnostic qui dépeint le nouveau visage des politiques d'aide au développement.
Sur bien des aspects ce document présente, en effet, la coopération sous un jour nouveau qui se démarque de la vision traditionnelle de l'aide au développement.
1. La définition d'une aide au développement comme un mode de régulation de la mondialisation
Le document-cadre souligne que la « mondialisation génère une forme de peur diffuse, liée au sentiment qu'elle n'est pas sous contrôle, avec un double sentiment d'injustice et d'impuissance » et conclut que « l'ambition d'une mondialisation maîtrisée redéfinit la coopération au développement ».
Une des évolutions majeures des dernières décennies est l'interdépendance croissante des pays du Nord et du Sud dont on mesure progressivement l'importance. Longtemps, l'aide au développement s'est déployée dans un environnement où l'évolution des pays du Sud n'avait pas d'influence sur celle des pays du Nord. La coopération était fondée sur un idéal de justice sociale qui visait à compenser des injustices internationales héritées de l'histoire coloniale, à assurer une redistribution conforme à un principe d'égalité.
Les attentats de septembre 2001, la résurgence de la piraterie, le retour des pandémies ont montré que le sous-développement constituait un terreau favorable à de nouvelles menaces qui touchent aussi bien les pays du Sud que du Nord.
Dès lors, l'aide au développement n'est plus seulement un acte de charité, mais aussi un moyen de régulation de la mondialisation et de gestion des relations Nord/Sud.
Comme l'a fait observer M. Jean Michel Severino, lors de la table ronde du 12 mai, « ce document est fondé sur l'idée que l'aide au développement ne s'inscrit plus désormais dans une démarche caritative, ou compassionnelle ; elle consiste en une véritable politique publique, que justifient les interdépendances mondiales... En effet, on a bien pris conscience, aujourd'hui, que l'échec économique des pays d'Afrique ou d'Asie comme leur réussite, d'ailleurs est susceptible d'engendrer des conséquences déstabilisantes pour les pays d'Europe. Des enjeux migratoires, économiques, environnementaux, voire de sécurité, pour l'Occident, résultent directement de la situation des autres régions du monde. ».
Le cas de la santé publique est particulièrement frappant. L'accroissement des échanges commerciaux et humains constitue un facteur de multiplication des épidémies. Le Sida, le Sras ou la grippe aviaire le montrent : conçue de longue date comme « bien public » appelant une politique nationale, la santé devient « bien public global » dès lors qu'elle renvoie à des maladies ne connaissant pas de frontière. Le monde en développement, maillon faible dans la chaîne de surveillance épidémiologique, demande un accompagnement tout particulier.
Dans ce contexte, l'aide au développement doit à la fois poursuivre des intérêts communs aux pays du Sud, comme la santé publique, la préservation du climat, la lutte contre le terrorisme ou la délinquance financière, mais aussi veiller aux intérêts de la France en contribuant à sécuriser son environnement.
Cet environnement dépend, pour une large part, de ce qui se passe dans les pays en développement. Comme l'a souligné le ministre des affaires étrangères lors de sa présentation du document-cadre devant notre commission, le 26 mai dernier : « Dans le long terme, nos intérêts convergent avec les leurs. Les aider, c'est nous aider nous-mêmes. La coopération au développement, c'est un pari politique sur l'avenir ». L'aide au développement apparaît de plus en plus comme une réponse aux effets collatéraux de la mondialisation et un investissement pour un monde plus sûr.
Cela ne justifie pas que les objectifs de justice sociale soient abandonnés. La persistance de la pauvreté, dans un monde d'information instantanée et globale, reste objet de scandale au regard d'une morale universelle pour laquelle un homme vaut un homme, mais elle devient aussi sujet d'inquiétude géopolitique globale.
Votre commission estime, dans cette perspective, que les objectifs de politique de développement se situent au confluent des intérêts des pays concernés et de nos propres intérêts.
Le principe éthique est, dans ce document, doublé d'une vision plus utilitariste de l'aide. Toutefois le moteur qui anime cette «instrumentalisation » constitue bien un projet de gestion commune des dérèglements nés de la mondialisation. En ce sens, le terme d'« aide », lui-même porteur de profonds malentendus, est rendu quelque peu obsolète. Ses « bénéficiaires » sont en réalité de véritables partenaires dans la gestion de leurs propres intérêts et des intérêts croisés qui déterminent nos destinées globales.
Vos rapporteurs observent que les objectifs de l'aide au développement relèvent également de notre politique étrangère et, par conséquent, doivent refléter nos préoccupations propres . Des préoccupations telles que la gestion de la mondialisation, le contrôle des flux migratoires et la stabilisation des zones sensibles, dans lesquelles nous avons des intérêts à long terme, comme le Sahel où se situent notamment une des sources majeures de notre approvisionnement énergétique nucléaire.
La France a des intérêts géostratégiques dans une Afrique de plus en plus courtisée par les Américains et les Chinois. L'AFD intervient dans les pays émergents d'Asie afin de participer à la lutte contre le réchauffement climatique, mais aussi pour entretenir un dialogue avec des puissances mondiales qui façonneront le monde de demain. Au-delà de son simple poids économique, la France souhaite conserver son influence dans la construction de l'architecture mondiale en s'investissant dans la définition de la politique globale.
Vos rapporteurs estiment qu'on ne peut attendre d'une politique extérieure qu'elle soit tout à fait désintéressée ; chaque État remplissant la mission qui est la sienne pour le compte de ses citoyens. Faut-il pour autant s'en alarmer ? Un don n'est-il plus un don du seul fait que le donateur en retire certains bénéfices ? La véritable question se situe moins dans les intérêts poursuivis que dans les bénéfices retirés in fine par le pays aidé.
Ils observent, en revanche, qu'il y aurait une plus grande transparence à le formuler plus clairement et à définir plus précisément dans ce document les intérêts géostratégiques de la France . Comme l'a souligné M. François Bourguignon lors de la table ronde : « Le document évoque, par exemple, la répartition des bénéficiaires de l'aide en zones géographiques essentielles aux «intérêts français et européens» de la France. Il conviendrait de mieux définir ces intérêts».
Dans un contexte de remise en cause de la répartition des pouvoirs au sein des grandes instances internationales, la France oeuvre pour maintenir son rang et ses intérêts dans le concert des institutions multilatérales. Les arbitrages réalisés dans cette optique, notamment parmi nos contributions multilatérales, seraient sans doute plus pertinents ou du moins plus lisibles si les intérêts de la France étaient plus explicites.
2. La fin d'une politique de développement indifférenciée
Le projet de document-cadre souligne « La fin d'une vision monolithique du monde en développement : les pays en développement ont connu des trajectoires très différenciées et notre coopération doit bâtir des partenariats stratégiques différenciés ».
La catégorie même de pays en développement est de plus en plus hétérogène, au fur et à mesure que les pays émergents se distinguent par leur croissance et leur dynamisme.
L'aide au développement reposait sur une relation entre deux groupes de pays relativement homogènes : la communauté des donateurs et les pays en développement. Or, l'émergence de puissances économiques parmi les pays en développement a remis en cause l'homogénéité de cette dernière catégorie. Cette émergence redessine peu à peu le paysage économique et politique du monde, et, par extension, les enjeux de la coopération et de l'aide.
L'essor du Sud se manifeste plus particulièrement par la montée en puissance de l'Asie et des BRICS (Brésil - Russie - Inde - Chine- Afrique du Sud). Certains de ces pays sont même devenus à leur tour des donateurs de premier plan. Toutefois, cela ne signifie pas que ces pays ne sont plus éligibles à l'aide au développement, non seulement parce que nombre d'entre eux doivent encore faire face à des défis considérables en matière de lutte contre la pauvreté ou de sécurité sanitaire, mais aussi parce qu'il y a un intérêt majeur à ce que ces pays adoptent un modèle de croissance durable respectueux de l'environnement.
Le monde devient multipolaire et donc plus hétérogène, ce qui nécessite d'inventer de nouveaux partenariats différenciés. On ne peut plus parler « d'une » politique du développement parce que l'Agence Française de Développement ne fait pas la même chose et n'entretient pas la même relation avec les autorités maliennes et les autorités chinoises. Comme l'a souligné M. Jean Michel Severino, lors de la table ronde, dans ce document : « l'aide au développement n'apparaît plus comme une aide en faveur de pays pauvres indifférenciés : elle est désormais consacrée à des thèmes prioritaires, distincts selon les zones du globe ».
Votre commission se félicite que le document-cadre définisse les éléments communs et les points de différenciation entre la lutte contre la pauvreté dans les pays pauvres et la coopération au développement dans les pays émergents.
C'est un élément important pour rendre plus lisible la présence de l'AFD dans les pays asiatiques, où elle intervient sous forme de prêts, pour un coût budgétaire sans commune mesure avec les dons effectués en Afrique subsaharienne.
Le document-cadre prend également acte de l'idée qu'en dépit des grands principes relatifs à l'efficacité de l'aide, les progrès de notre coopération ne peuvent être obtenus par l'imposition d'une démarche standardisée qui se déclinerait de façon uniforme du Mali à l'Inde et qu'ils nécessitent, au contraire, une attention forte aux spécificités des contextes locaux.
3. Vers une vision de la coopération qui n'est plus exclusivement fondée sur le financement de l'aide publique au développement
Traditionnellement, la politique de développement était composée d'un ensemble de dons, de prêts et d'assistance technique financés par le budget de la coopération et déclarés comme une aide publique au développement à l'OCDE.
Les auteurs du document-cadre souhaitent mettre fin à cette vision d'une aide exclusivement cantonnée à l'aide publique au développement. Ils observent que « la part de l'aide publique au développement dans le financement du développement se réduit » et que « les instruments et modes de financement se diversifient ». Ils constatent que « à côté de l'aide publique au développement, l'aide de fondations privées, les investissements privés, les flux de migrants ainsi que de nombreux instruments de marché, comme les prêts aux entreprises, le capital risque, les mécanismes de garantie, participent au développement des pays du Sud » .
Le projet de document-cadre complète cette vision en observant : « Il importe de restituer l' aide publique au développement dans un cadre plus global des politiques et initiatives qui ont un impact sur le développement : négociations commerciales, politiques agricoles, flux de migrants, flux de capitaux, évolution des prix sur les marchés internationaux, etc ».
Mécanismes impliquant la mobilisation d'instruments financiers |
Mécanismes n'impliquant pas de mobilisation financière |
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Mobilisation des ressources domestiques |
Appui à la gestion des finances publiques (y.c impôts et douanes), appui à la structuration du secteur financier (y.c microfinance, assurance, marché obligataire...) |
Lutte contre l'évasion fiscale, coopération fiscale, révision des normes comptables internationales |
Mobilisation des ressources internationales privées |
Prises de participations, garanties, avances sur marché (AMC) |
Facilitation des transferts des migrants, transparence de l'information, transferts de technologies et de savoir-faire |
Commerce |
Aide au commerce, infrastructures régionales |
Négociations commerciales multilatérales (DDR), accords de libre échange, APE, dérogations commerciales, cohérence des politiques sectorielles, propriété intellectuelle |
Subventions d'APD des pays de l'OCDE |
Dons et coopération technique |
Efficacité, transparence |
Accès des Etats aux marchés financiers et gestion de la dette |
Prêts concessionnels, annulations et restructuration de dettes, capitalisation et fonds de bonification des IFIs, couverture du risque de change |
Evolution des droits de vote dans les institutions internationales, révision des modèles d'allocation, cadre de soutenabilité de la dette, limitation des fluctuations de change |
Le financement Des enjeux globaux |
Financements ciblés : climat, stabilisation financière... Financement structurel de politiques publiques globales (OMD et leurs suites)... |
Effets d'incitation et d'orientation des taxes mondiales en fonction des sources et niveaux de prélèvement |
Votre commission ne peut que souscrire à cette vision large de l'aide au développement, qui ne doit pas être réduite aux subventions, ni même à l'ensemble des mécanismes de financement, mais doit définir les objectifs d'une politique globale de création d'un environnement favorable au développement, qui couvrirait tous les champs du schéma qui précède.
La conception traditionnelle de l'aide au développement ne correspond, dans le tableau ci-avant, qu'à la ligne « subvention APD des pays de l'OCDE », ce qui illustre combien les autres enjeux et mécanismes sont nombreux.
Votre commission souscrit à cette vision globale du développement mais regrette que le document-cadre n'ait pas maintenu cette vision dans la définition des objectifs.
Des thèmes comme la lutte contre l'évasion fiscale, la coopération fiscale, la révision des normes comptables internationales, les transferts de technologies et de savoir-faire, les négociations commerciales multilatérales, les accords de libre-échange, la cohérence des politiques sectorielles, les questions de propriété intellectuelle, l'évolution des droits de vote dans les institutions internationales, la cadre de soutenabilité de la dette, la limitation des fluctuations de change sont peu ou pas abordés dans le projet de document qui nous a été transmis.
Il est dommage que ce document-cadre n'ait pas été l'occasion de définir la stratégie et les objectifs de la France concernant tous les aspects du développement. Comme l'a souligné M. Jean-Michel Severino lors de la table ronde : « la France devrait pouvoir se doter, un jour, d'un document-cadre de stratégie visant le développement, et pas seulement l'aide publique au développement ».
4. La fin d'un modèle de développement exclusif
Le projet de document-cadre constate la fin d'un modèle de développement exclusif, applicable à tous, et l'épuisement du modèle de développement fondé sur la consommation d'énergie fossile.
L'aide au développement a longtemps reposé sur des modèles « clés en main » que les politiques de coopération s'efforçaient de mettre en oeuvre. Aux indépendances, la théorie dominante était celle d'une possibilité de sortie d'un état endémique de sous-développement par le biais d'un soutien vigoureux à l'investissement et à la croissance. Il s'agissait de compenser le déficit d'épargne des pays en développement, qui empêchait notamment la réalisation des grandes infrastructures nécessaires à la croissance.
Plusieurs décennies plus tard, avec la crise de l'endettement, commence la grande période des ajustements. L'accent est mis sur les équilibres macro-économiques et budgétaires, ainsi que sur l'ouverture des économies. Le consensus de Washington, d'inspiration libérale, devient le paradigme dominant et s'accompagne de libéralisations, de privatisations et de déréglementations. Au milieu des années 90, face à une certaine caricature du consensus de Washington confondu avec l'Etat minimal, la priorité est alors donnée à la lutte contre la pauvreté et se traduit notamment par le lien fait entre la remise de dette et la priorité aux secteurs sociaux.
Aujourd'hui, la « recette » n'existe plus, les modèles imposés sont d'autant plus remis en question que le développement des pays émergents s'est effectué à travers un processus qui, par bien des aspects, est à l'opposé de ce que la théorie économique prévoyait. Là où le rattrapage économique des pays en développement devait se traduire par un déficit d'épargne, un niveau d'investissement impliquant un déficit de la balance extérieure, les pays émergents se sont développés à partir d'une balance commerciale excédentaire, la conquête de marché extérieurs et un surcroît d'épargne.
Le document-cadre est élaboré à un moment où la pensée du développement cherche son équilibre entre discipline macro-économique et budgétaire, investissement sur le capital humain et promotion du secteur privé.
Le document-cadre arrive également à un moment où chacun prend conscience que le modèle de développement fondé sur la consommation sans limites des énergies fossiles n'est, à terme, plus tenable. Même si chacun éprouve des difficultés à en tirer les conséquences, l'idée de la nécessité d'infléchir notre modèle de croissance comme celui des pays en développement fait son chemin.
Comme l'a souligné, devant notre commission, M. William C. Ramsay, directeur du programme Energie de l'Institut français des relations internationales (IFRI) : « si les tendances actuelles de consommation d'énergie se poursuivaient jusqu'en 2030, 80 % de l'énergie utilisée dans le monde proviendrait des énergies fossiles, ce qui engendrerait une augmentation de 60 % des émissions de gaz carbonique et une augmentation de 6°C de la température 4 ( * ) ».
Le document-cadre prend acte de cette situation et fixe à notre coopération comme objectif de favoriser « un nouveau modèle de développement, moins énergétivore, moins émetteur, promoteur d'une gestion des ressources naturelles plus durable ».
Votre commission ne peut que s'en féliciter.
Elle est bien consciente que ce sujet doit recevoir une approche différenciée selon les zones. Sans doute la lutte contre la pauvreté peut-elle apparaître comme prioritaire en Afrique par rapport à la préservation des biens publics mondiaux.
Ce nouvel objectif de préservation de l'environnement doit cependant profondément modifier l'approche du développement dans les pays pauvres. Il faut avoir à l'esprit que les énergies fossiles représentent les deux tiers de la production électrique subsaharienne. Les pays les plus pauvres d'Afrique sont ceux dont la production électrique est la plus chère au monde, et au contenu en carbone le plus élevé. C'est pourquoi l'objectif de développement des énergies renouvelables, comme l'énergie solaire et hydroélectrique, est tout aussi prioritaire en Afrique.
La recherche d'un nouveau modèle de croissance concerne en fait tous les continents au Sud comme au Nord.
5. Une coopération qui doit désormais toujours se penser sous la forme de partenariats
La coopération française s'est longtemps pensée à travers les relations privilégiées que la France entretenait avec ses anciennes colonies. Ce document-cadre illustre une évolution d'une politique qui ne se conçoit plus comme un exercice solitaire, mais une relation de partenariat avec les pays récipiendaires d'abord, avec les autres bailleurs de fonds nationaux et multilatéraux, ensuite, et, enfin, avec un nombre croissant d'intervenants en France (ONG, collectivités, entreprises) et au niveau international (organisations internationales, fonds verticaux, fondations, nouveaux pays donateurs ...).
La France n'intervient plus que rarement seule . La mise en oeuvre de notre politique bilatérale consiste aujourd'hui à repérer des opportunités où elle peut faire valoir sa valeur ajoutée et à construire des partenariats autour d'une action. Le Mali est un exemple de pays où la France a naturellement vocation à intervenir. Elle n'y représente plus que 10 % de l'aide publique au développement. La France a donc naturellement intérêt à trouver des partenariats.
En outre, parce qu'elle est convaincue de la valeur ajoutée d'une action européenne pour le développement, la France a également fait le choix d'inscrire sa politique d'aide au développement dans un cadre européen. De surcroit, elle a toujours oeuvré pour l'affirmation de cette compétence de l'Union. Le quart de son aide publique au développement est mis en oeuvre par des actions de la Commission européenne.
La coopération française s'inscrit enfin résolument dans le cadre multilatéral qui constitue, dans un monde devenu totalement interdépendant, le niveau approprié pour l'élaboration de réponses communes aux défis mondiaux, parmi lesquels figure l'extrême pauvreté.
En se référant à la notion de partenariat en insistant sur la complémentarité entre les niveaux bilatéraux, européens et multilatéraux, le document-cadre prend acte de cette évolution.
6. La fin d'une coopération fondée sur le socle exclusif des souverainetés nationales
Le diagnostic du document-cadre sur les évolutions internationales souligne « la fin d'un monde international fondé sur le socle exclusif des souverainetés nationales ».
Nombre de défis contemporains, comme la lutte contre le réchauffement climatique ou la sécurité sanitaire et, plus généralement, ce que l'on appelle les biens publics mondiaux, nécessitent la mise place de politiques globales menées au niveau mondial.
Cette évolution vers des politiques publiques globales est loin d'être acquise. Paradoxalement, le sentiment d'interdépendance tel qu'on peut l'observer aujourd'hui est un phénomène nouveau par son ampleur, mais il ne se traduit pas par plus de multilatéralisme ou par l'émergence de règles universelles. Au contraire, il est contemporain, dans nombre de domaines, d'une réaffirmation de la souveraineté des Etats.
Pourtant, en l'espace de quelques années, les pandémies du Sras ou de la grippe aviaire, les premiers effets du changement climatique, la crise alimentaire globale et la déroute financière de la fin 2008 ont illustré l'urgence d'une action collective associant l'ensemble des Etats de la planète. L'avenir ne demandera pas moins mais plus de collaborations internationales en faveur du climat, de la sécurité alimentaire, de la biodiversité, de la prévention et la gestion des conflits, des crises financières ou des grandes pandémies.
Ces vingt dernières années ont été marquées par la prolifération des acteurs de l'aide. ONG, fondations philanthropiques, organismes bilatéraux et multilatéraux, nouveaux bailleurs et entreprises forment une coalition hétéroclite au service du développement, qui se révèle particulièrement difficile à coordonner en l'absence d'autorité puissante et légitime.
Or ce manque de coordination représente un coût considérable en termes d'efficacité. De ce point de vue, le projet de document-cadre voit juste. Comme l'a illustré l'échec de la conférence de Copenhague, les défis du 21 è siècle exigeront des solutions collectives qui vont au-delà d'une coopération fondée sur le socle exclusif des souverainetés nationales.
Comme l'a souligné le Séminaire d'Ermenonville sur l'émergence des politiques globales organisé par l'AFD en février 2010 5 ( * ) le chemin à parcourir pour mettre en place ces politiques globales sera long, mais la France se doit d'y participer.
Cette évolution marque une rupture avec le passé. Elle impose à la France de présenter des propositions institutionnelles pour une gouvernance internationale efficace apte à régler les questions globales, notamment d'environnement, de finances et de commerce.
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Le changement le plus marquant par rapport aux analyses traditionnelles de l'aide au développement est dans l'ensemble du document la fin d'une vision dichotomique du monde.
L'atténuation de la dichotomie politique Nord-Sud, marquée par l'entrée des grands pays émergents dans le G20, apparaît potentiellement aussi importante que la fin de la confrontation Est-Ouest.
La fin de la dichotomie pays riches/pays pauvres, avec l'apparition d'un classement moins binaire des Etats : moins avancés, pauvres, intermédiaires.
La fin de la dichotomie donateurs/récipiendaires, avec un nombre croissant de pays qui sont simultanément donateurs et bénéficiaires d'aide publique au développement et avec lesquels il nous faudra inventer ensemble de nouvelles réponses aux défis contemporains.
La fin de la dichotomie aide publiques/marchés, avec la multiplication des instruments hybrides où l'action publique contribue à mobiliser les flux privés en faveur du développement.
La fin de la dichotomie Etat/ONG au profit d'une diversité d'acteurs publics (Etats, collectivités, opérateurs publics, chambres consulaires) et privés (associations, fondations, syndicats) et d'actions menées en consortium par ces divers acteurs.
Le diagnostic du projet de document-cadre offre une grille d'analyse nouvelle qui permet de mieux comprendre la complexité dans laquelle se déploie la politique d'aide au développement et de renouveler la lecture qu'on peut faire de notre coopération.
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* 4 Audition de M. William C. Ramsay, directeur du programme Energie de l'Institut français des relations internationales (IFRI), mercredi 17 février 2010, commission des affaires étrangères. http://www.senat.fr/bulletin/20100215/etr.html
* 5 Repenser l'aide au XXIem siècle : L'émergence des politiques globale, seminaire d'Ermenonville, AFD, 11 février 2010