Position de M. Jean-Pierre Chevènement
Si le compte rendu des entretiens conduits en Inde, en Afghanistan et au Pakistan par la mission dirigée par Monsieur Josselin de Rohan, Président de la Commission des Affaires Etrangères et des Forces Armées est parfaitement fidèle, et si toutes les parties descriptives me conviennent, je ne puis m'associer à certaines préconisations stratégiques en particulier celles relatives à l'augmentation du niveau des forces en vue de mettre en oeuvre une stratégie de « contre-insurrection ».
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Les buts politiques de l'intervention ne me paraissent pas aujourd'hui clairement définis. La définition des objectifs politiques ne doit pas être laissée aux militaires : ceux-ci demandent toujours des renforts.
Si, personnellement, je n'étais pas au départ (2001) favorable à l'envoi de troupes terrestres françaises en Afghanistan (sans pour autant contester la légitimité de la riposte américaine), je reconnais bien volontiers qu'il n'est pas possible aujourd'hui d'annoncer sans conditions préalables un dégagement des forces de l'OTAN. Les raisons de l'intervention de 2001 étaient justifiées au départ (priver Al Quaïda d'un sanctuaire). Elles ont largement évolué depuis lors vers la construction d'un Etat démocratique répondant à des normes de gouvernance et de droit à l'« occidentale ». L'énorme effet de pollution exercé par l'invasion de l'Irak en 2003 sur l'évolution du conflit afghan ne se résume pas à l'insuffisance des effectifs déployés. Il est aussi et surtout de nature politique, en ce que cette invasion a pu laisser croire à une « guerre des civilisations » entre les Etats-Unis et le monde musulman. Le temps perdu ne se rattrape pas.
C'est l'élection d'un nouveau Président américain, Barack Obama, et la rupture qu'il a déclaré vouloir opérer dans les relations des Etats-Unis avec les pays musulmans qui autorisent aujourd'hui une réévaluation de la situation. L'objectif de la FIAS ne peut être de s'installer durablement en Afghanistan où la tête d'Al Quaïda ne se trouve vraisemblablement plus. Celle-ci est plus probablement à rechercher dans les zones tribales du Pakistan. Le retrait doit donc être affirmé comme l'objectif normal de l'intervention militaire. Quelles conditions est-il légitime de mettre à ce retrait ?
Pour ma part, je ne crois pas possible d'exporter la démocratie dans un pays étranger, comme l'implique la déclaration du sommet de l'OTAN à Bucarest, en 2008 (alors que se terminait la présidence de G.W. Bush aux Etats-Unis), a fortiori quand il s'agit d'un pays aussi différent des pays occidentaux que l'Afghanistan. On ne peut plaquer du dehors une Constitution « à l'occidentale » sur un pays comme l'Afghanistan pour imposer nos conceptions en matière de gouvernance et d'Etat de droit. Sept ans après son accession au pouvoir, le Président Karzaï ne dispose plus d'une légitimité suffisante. La restauration de l'Etat afghan conditionne la montée en puissance d'une armée et d'une police nationales mues par un véritable patriotisme. Pour faire surgir un pouvoir légitime, on ne peut faire l'économie de la société elle-même, de ses traditions et de son mouvement. Nous, Français, en avons fait l'expérience en Algérie, les Américains au Vietnam et en Irak, et les Russes et les Britanniques en Afghanistan déjà. La stratégie de la « contre-insurrection » n'a de chances à long terme que si elle est menée par des éléments autochtones, non par une armée occidentale dans un pays musulman.
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L'objectif politique essentiel de notre présence militaire doit donc être préalablement défini : ce ne peut être que le rejet par la rébellion islamo-nationaliste patchoune du terrorisme d'inspiration internationaliste. Le seul moyen pour y parvenir est la constitution d'un gouvernement d'union nationale n'excluant aucune composante du peuple afghan et qui par définition devrait être plus fort que les gouvernements provinciaux. Un deuxième objectif peut être acquis dans le cadre d'une conférence internationale incluant les pays voisins et avec le soutien de ceux-ci : c'est la neutralisation de l'Afghanistan et l'acceptation par son gouvernement d'un principe de non ingérence dans les affaires intérieures de ses voisins. En attendant que ces conditions soient réunies, la pression militaire devrait être maintenue sans engagement de calendrier.
L'OTAN doit choisir une stratégie soutenable à long terme, avec des moyens limités. L'opinion publique occidentale doit pouvoir, en effet, soutenir cette stratégie et ne pas être pour celle-ci un facteur d'affaiblissement.
Aucune stratégie, enfin, ne peut faire l'économie de la coopération active du Pakistan dont la communauté internationale doit soutenir la réorientation démocratique et la modernisation, ce qui implique une certaine normalisation des rapports indo-pakistanais et sino-indiens pour offrir un cadre international favorable à la restauration de la paix en Afghanistan.
Jean-Pierre Chevènement
Sénateur du Territoire de Belfort