B. LA CRISE DU LAIT, RÉSULTAT DU DÉMANTÈLEMENT DES RÉGULATIONS ET RÉVÉLATEUR DES DYSFONCTIONNEMENTS DU MARCHÉ.

1. Un marché qui fonctionne mal.

a) Une offre et une demande rigides.

L'avis de l'Autorité de la concurrence ne laisse pas de doute sur le mauvais fonctionnement concurrentiel du marché du lait. Ce dernier tient tant aux rigidités de l'offre et de la demande qu'à une répartition très inégale du pouvoir de marché des différents acteurs.

Le premier facteur de dysfonctionnements du marché tient à l'extrême rigidité de l'offre. Les producteurs n'ont pas le choix de la quantité de lait qu'ils mettent sur le marché : ils doivent traire leurs vaches. Et le lait ne se stockant pas plus de quelques jours, il leur est indispensable de le vendre rapidement.

A court terme, ils ne peuvent pas agir sur la production de leur cheptel, qui dépend davantage de conditions météorologiques et de la saison. A moyen terme, les ajustements de quantité à la hausse sont longs à mettre en oeuvre, car il faut trois ans entre la naissance et l'arrivée à maturité d'une vache laitière. A la baisse, les ajustements passent par l'abattage des bêtes, qui peuvent déséquilibrer par ricochet le marché de la viande bovine. En outre, la valorisation par ce canal n'est pas très satisfaisante pour les éleveurs.

En face d'une offre rigide, la demande de produits laitiers est assez stable et peu sensible aux variations de prix. Ainsi configuré, le marché du lait est très instable et une faible variation de la production est susceptible d'entraîner de fortes variations de prix.

b) Le déséquilibre des forces au détriment des producteurs.

Coopératives et groupes industriels assurent chacun environ la moitié de la collecte. Il existe plus de 500 collecteurs, si bien qu'on pourrait imaginer que les échanges entre producteurs et collecteurs se font réellement dans un cadre concurrentiel. L'Autorité de la concurrence estime au contraire que le marché est déséquilibré. D'une part, seuls 66 établissements assurent 70 % des collectes . Et si sur le lait destiné à une transformation sous forme de fromage, aucun acteur ne domine le marché, en matière de lait liquide ou de beurre, le secteur de la transformation est très concentré, laissant peu de marges de manoeuvre aux producteurs .

D'autre part, dans certaines zones géographiques, et notamment dans les régions de montagne, il n'existe qu'un seul collecteur.

L'Autorité de la concurrence estime en revanche qu'une fois passée la première transformation, le marché des produits laitiers redevient concurrentiel entre acteurs industriels, qui échangent beurre et poudre de lait, produits facilement stockables et transportables.

2. Le démantèlement des régulations nationale et européenne à la source de la volatilité accrue du marché du lait.

a) La fin de la régulation nationale.

La régulation nationale des prix du lait a reposé de 1997 jusqu'en mai 2008 sur les recommandations de prix émises par le CNIEL. Ces recommandations, trimestrielles, étaient basées sur différents indicateurs. Elles n'avaient pas de caractère obligatoire mais étaient globalement acceptées dans les relations entre producteurs et transformateurs, pour donner son cadre à la paye du lait, établie mensuellement par le collecteur à son producteur. Les prix étaient discutés ensuite au sein des Centres régionaux interprofessionnels de l'économie laitière (CRIEL). Des primes de qualité pouvaient être attribuées pour les laits de qualité supérieure.

Au mois d'avril 2008, la DGCCRF a demandé à l'interprofession laitière de cesser ses recommandations en matière d'évolution de prix, cette pratique pouvant être apparentée à une entente illicite, interdite par la réglementation communautaire et dont le secteur de la viande bovine avait déjà fait les frais précédemment 11 ( * ) . L'interprofession s'est pliée à cette injonction en n'émettant plus de recommandations de prix depuis juin 2008.

L'Autorité de la concurrence souligne que ce ne sont pas seulement des raisons juridiques qui condamnent ce système de recommandations de prix, mais également des raisons économiques qui compromettent sa viabilité .

En effet, l'existence d'une concurrence internationale forte sur certains segments du marché des produits laitiers transformés, comme la poudre de lait et le beurre en vrac, interdit que l'on puisse envisager de s'écarter durablement du prix mondial, faute de quoi les industriels reporteraient leur demande de lait vers des fournisseurs étrangers.

Au demeurant, une tentative pour sécuriser juridiquement un mécanisme de prix indicateur du lait a été effectuée. Dans le cadre de la loi de finances pour 2009, le Parlement avait adopté une nouvelle disposition créant un article L. 632-14 du code rural, disposant que les opérateurs de la filière laitière peuvent se référer aux indices de tendance élaborés par le CNIEL et aux valeurs calculées par les CRIEL. Cette tentative a fait long feu et n'a pas permis de réactiver le dispositif précédent de recommandations de prix, dont la compatibilité avec le droit européen est d'ailleurs douteuse.

b) Le démantèlement progressif des outils de la politique agricole commune concernant la filière laitière.

Initialement très régulé, le secteur du lait a aussi été à l'origine des abus les plus spectaculaires de l'ancienne politique agricole commune (PAC). Dans les années 1980, la surproduction laitière a produit des montagnes de beurre et de poudre de lait que les éleveurs étaient incités à générer en bénéficiant de la garantie d'un prix d'achat donné de leur production, défini au niveau communautaire.

Les réformes successives de la PAC ont rapproché le secteur du lait d'un fonctionnement normal de marché . Toutefois, la politique du lait est marquée par l'existence d'un quota de production, décliné par État membre, dont les dépassements donnent lieu à sanctions. Le bilan de santé de la PAC adopté le 20 novembre 2008 a conclu à un abandon progressif des quotas laitiers à l'horizon 2015 , avec une augmentation des quotas de 1 % chaque année entre les campagnes 2009/2010 et 2013/2014 pour garantir un « atterrissage en douceur » du secteur laitier 12 ( * ) . La fin des quotas n'étant pas encore effective, il est cependant difficile de lui faire endosser la responsabilité de la crise actuelle, d'autant que les États membres avaient une production inférieure de 4,2 % à leur quota au 31 mars 2009 13 ( * ) .

Par ailleurs, la commission dispose également d'outils de soutien au marché, définis dans l'OCM unique 14 ( * ) , comme l'aide au stockage privé, les restitutions à l'exportation et les achats à l'intervention.

Enfin, la politique en faveur du secteur laitier passe par des aides aux éleveurs. L'aide directe laitière (ADL) avait un montant proportionnel aux quotas individuels des exploitations. À partir de 2006, l'ADL a été découplée et intégrée aux droits à paiement unique (DPU).

L'ensemble des réformes mises en oeuvre visent à transformer la nature des mesures d'intervention communautaire sur le secteur du lait : d'outils de régulation et de stabilisation des prix du lait, elles deviennent un simple filet de sécurité , laissant en temps ordinaire le marché déterminer librement les orientations des prix et des quantités de lait échangés entre opérateurs.

LES MESURES COMMUNAUTAIRES DE SOUTIEN AU MARCHÉ DU LAIT

Les instruments dont l'Union européenne dispose pour soutenir le marché du lait sont de trois ordres :

L'aide au stockage privé du beurre est précisée par le règlement (CE) n° 1182/2008 de la commission du 28 novembre 2008. Elle est ouverte en principe du 1 er janvier au 15 août 2009. Son montant est de 15,62 € par tonne entreposée en ce qui concerne les frais fixes de stockage et de 0,44 € par tonne et par jour de stockage. Il n'y a pas de limite de quantité. Une aide au stockage privé de la poudre de lait et du fromage peut également être déclenchée à l'initiative de la commission mais elle est facultative. La commission a proposé de permettre l'utilisation de cet instrument jusqu'en février 2010.

Les restitutions à l'exportation pour le beurre, le fromage, ainsi que la poudre de lait ont été activées depuis le 23 janvier 2009, dans la mesure où le prix mondial des produits laitiers était inférieur aux prix d'interventions communautaires. Les restitutions sont versées par voie d'une adjudication, ouverte de manière permanente, et au prix fixé par les règlements de la Commission.

Les achats à l'intervention sont possibles du 1 er mars au 31 août sur le beurre et la poudre de lait, si les prix atteignent 92 % du prix d'intervention, fixé pour le beurre à 246,39 € pour 100 kg et pour le lait en poudre à 174,69 € pour 100 kg. Les interventions sont obligatoires jusqu'à concurrence de 30 000 tonnes de beurre et 109 000 tonnes de lait en poudre. Au-delà, les interventions sont facultatives. Dans sa communication du 22 juillet 2007, la commission européenne a fait savoir qu'elle avait déjà acheté à l'intervention pour 81 900 tonnes de beurre et 231 000 tonnes de lait en poudre, à des prix d'adjudication très proches de celui applicable aux quantités contingentées par le règlement « OCM unique ». En juillet, le Conseil a prolongé l'intervention jusqu'à la fin de la campagne 2009/2010, c'est-à-dire jusqu'au 1 er mars 2010.

Le coût total de ces mesures est estimé à environ 600 millions d'euros en fin d'année par la Commission européenne.

En outre, la règlementation communautaire prévoit quatre types d'aides d'un impact plus modeste sur le secteur du lait : l'aide à l'utilisation du lait pour l'alimentation animale (article 99 du règlement n° 1234/2007), l'aide à la transformation du lait en caséine ou caséinates (article 100), l'aide à l'achat de produits laitiers à prix réduit par certains types de consommateurs comme les collectivités ou l'armée (article 101) et enfin l'aide à la fourniture de produits laitiers aux élèves (article 102).

* 11 Amende infligée en avril 2003 par la commission européenne à six fédérations françaises du secteur de la viande bovine, pour entente sur les prix et en faveur d'une limitation des importations.

* 12 Pour l'Italie, l'augmentation de 5 % est introduite dès la campagne 2009/2010.

* 13 Communication du 22 juillet 2009 de la commission au Conseil européen sur la situation du marché laitier en 2009.

* 14 Règlement (CE) n° 1234/2007 du Conseil du 22 octobre 2007 portant organisation commune des marchés dans le secteur agricole et dispositions spécifiques en ce qui concerne certains produits de ce secteur.

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