N° 24
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2009-2010
Enregistré à la Présidence du Sénat le 8 octobre 2009 |
RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
au nom de la commission des affaires européennes (1) sur le développement du rôle européen du Sénat ,
Par M. Hubert HAENEL,
Sénateur.
(1) Cette commission est composée de : M. Hubert Haenel , président ; MM. Denis Badré, Michel Billout, Jean Bizet, Jacques Blanc, Jean François-Poncet, Aymeri de Montesquiou, Roland Ries, Simon Sutour, vice-présidents ; Mmes Bernadette Bourzai, Marie-Thérèse Hermange, secrétaires ; MM. Robert Badinter, Jean-Michel Baylet, Pierre Bernard-Reymond, Didier Boulaud, Mme Alima Boumediene-Thiery, MM. Gérard César, Christian Cointat, Philippe Darniche, Mme Annie David, MM. Robert del Picchia, Pierre Fauchon, Bernard Frimat, Yann Gaillard, Charles Gautier, Mme Fabienne Keller, MM. Serge Lagauche, Jean-René Lecerf, Mmes Colette Mélot, Monique Papon, MM. Jean-Claude Peyronnet, Hugues Portelli, Yves Pozzo di Borgo, Josselin de Rohan, Mme Catherine Tasca et M. Richard Yung. |
INTRODUCTION
Le rôle européen des parlements nationaux comprend trois grandes facettes.
Ils ont tout d'abord un rôle législatif , qui prend lui-même deux formes bien différentes.
La première est que les parlements nationaux sont « législateurs de base » de l'Union dans la mesure où leur approbation est nécessaire pour les actes les plus fondamentaux de l'Union. Ce rôle est maintenu, pour l'essentiel, par le traité de Lisbonne qui prévoit une approbation par les parlements nationaux :
- pour la révision des traités (article 48 du traité sur l'Union européenne - TUE) ;
- pour l'adhésion de nouveaux États (article 49 du TUE) ;
- pour la décision éventuelle de mettre en place une défense commune (article 42 du TUE) ;
- pour la fixation des règles relatives aux ressources propres du budget communautaire (article 310 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne - TFUE) ;
- pour les décisions éventuelles de compléter la liste des droits constitutifs de la citoyenneté européenne (article 25 du TUE) ;
- pour les décisions concernant l'adoption d'une procédure uniforme ou de principes communs pour les modalités d'élection des députés européens (article 223 du TFUE).
La deuxième forme est l'intervention des parlements nationaux pour la transposition des directives en droit national. Ce rôle n'est pas modifié par le traité de Lisbonne. En effet, l'article 288 du TFUE maintient la définition de la directive, qui « lie tout État membre destinataire quant au résultat à atteindre, tout en laissant aux instances nationales la compétence quant à la forme et les moyens » .
Les parlements nationaux ont ensuite une fonction de contrôle . Cette fonction s'exerce aujourd'hui essentiellement à l'égard de l'action européenne de chaque gouvernement ; mais elle a commencé à s'exercer, de manière informelle, à l'égard des institutions européennes elles-mêmes, grâce à la « procédure Barroso » qui permet à chaque chambre d'un parlement national d'adresser directement à la Commission européenne des « observations » concernant le respect des principes de subsidiarité et de proportionnalité.
Cette fonction de contrôle est en pleine mutation pour le Parlement français , en raison de la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 et de la réforme des règlements des assemblées qui vient d'en tirer les conséquences. De plus, l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne conduira à la mise en place du contrôle de subsidiarité, qui permettra pour la première fois aux parlements nationaux d'intervenir directement dans le processus législatif ordinaire de l'Union, en s'appuyant sur des instruments juridiques spécifiques, afin de veiller au respect du principe de subsidiarité : le Sénat devra, le moment venu, adapter son Règlement afin de définir les modalités selon lesquelles il exercera cette responsabilité nouvelle.
Le présent rapport a pour objet ce renforcement de la fonction de contrôle du Sénat en matière européenne. Après avoir rappelé l'évolution jusqu'à la révision constitutionnelle de 2008, il présente les nouveaux pouvoirs découlant de celle-ci et les modalités retenues pour leur mise en oeuvre par la réforme du Règlement. Puis il évoque la manière dont pourraient être abordées dans le Règlement du Sénat les nouvelles responsabilités accordées aux parlements nationaux par le traité de Lisbonne.
Enfin, il convient de rappeler que le rôle européen du Sénat comprend également la participation à la coopération interparlementaire au sein de l'Union (1 ( * )) . L'utilité de cette coopération pour le « bon fonctionnement de l'Union » est reconnue par le traité de Lisbonne (article 12 du TUE). Elle permet aux parlements nationaux d'exercer un suivi collectif des principales politiques de l'Union. Mais sa qualité est également importante pour l'exercice par chaque parlement de sa fonction de contrôle, grâce à l'échange d'informations et de bonnes pratiques entre les assemblées (2 ( * )) .
Cependant, les conditions de cette coopération n'étant appelées à être affectées ni par des dispositions internes, ni par le traité de Lisbonne, cet aspect ne sera pas abordé dans le présent rapport, qui est donc uniquement consacré à la fonction de contrôle du Sénat sur les questions européennes .
I. DES POUVOIRS PROGRESSIVEMENT RENFORCÉS
1. Les délégations pour l'Union européenne
Jusqu'en 1979, date de la première élection du Parlement européen au suffrage direct, le Parlement français était associé à la construction européenne par l'intermédiaire de ceux de ses membres qu'il désignait au Parlement européen. Au demeurant, la dimension essentiellement économique de la construction européenne durant cette période, ainsi que la conception traditionnelle selon laquelle le Parlement n'exerce qu'un contrôle très restreint sur l'action extérieure du Gouvernement, conduisaient à ce que l'Europe n'occupe qu'une place réduite dans les travaux parlementaires.
La rupture du lien qui naissait de l'élection des parlementaires européens au suffrage indirect a conduit à l'adoption de la loi du 6 juillet 1979 créant dans chacune des deux Assemblées une « délégation parlementaire pour les Communautés européennes » de dix-huit membres. Toutefois, la loi confiait uniquement à ces délégations une mission d'information des assemblées.
La croissance du nombre des directives et règlements communautaires, à la suite de l'entrée en vigueur de l'Acte unique européen en 1987, provoqua une prise de conscience de la nécessité de revoir ce dispositif. La loi du 10 mai 1990 renforça le rôle des délégations. Elles comptaient désormais trente-six membres et leur mode de fonctionnement se rapprochait de celui d'une commission permanente, avec notamment la possibilité de procéder à des auditions et d'adopter des rapports. Chargées d'une mission générale de suivi des travaux conduits par les institutions européennes et d'information du Parlement, elles étaient destinataires de tous les textes transmis au Conseil de l'Union et devaient être informées par le Gouvernement des négociations en cours.
* (1) Un document que j'ai préparé conjointement avec Herman de Croo, président du Comité d'avis chargé des questions européennes au sein de la Chambre des représentants de Belgique, retrace le développement de la coopération interparlementaire dans l'Union depuis 20 ans autour de la Conférence des organes spécialisés dans les affaires communautaires (COSAC). Ce document est disponible sur le site de la COSAC à l'adresse suivante : www.cosac.eu/fr/meetings/stockholm/ordinary/
* (2) Comme illustration du développement des échanges d'information et de bonnes pratiques entre parlements nationaux, voir les rapports semestriels de la COSAC disponibles sur le site de celle-ci à l'adresse suivante : www.cosac.eu/fr/documents/biannual/