III. LE FOSSÉ ENTRE LES PEUPLES ET LES GOUVERNANTS

Lorsque, en avril 2003, la statue de Saddam Hussein, figure emblématique du tyran arabe, est abattue en plein centre de Bagdad, l'espoir est grand de voir le monde arabe s'engager enfin sur le chemin de la démocratie. La plupart des régimes affichent alors une volonté de réforme et multiplient élections et gestes conciliants face à leur propre opposition. Pourtant, aucun d'entre eux ne peut être vraiment qualifié de démocratique. En effet la démocratie n'est pas seulement un mode opératoire limité à des élections. C'est également un ensemble de valeurs, au centre desquelles figurent les droits de l'Homme garantis par un Etat impartial et par un Etat de droit.

A. DIVERSITÉ DU TABLEAU POLITIQUE RÉGIONAL

Le tableau politique régional est en fait assez diversifié : au sein même des monarchies, une différence existe entre celles qui prohibent toute activité politique ou rechignent à se prêter au jeu électoral et celles qui disposent d'une véritable arène politique et de Parlements élus. Quant aux Républiques, il y a celles qui sont devenues héréditaires, ou qui aspirent à l'être, celles qui excluent totalement les élections et les partis politiques et celles qui consentent à la presse et aux opposants une liberté d'expression encadrée.

B. DES DÉMOCRATIES EN TROMPE-L'OEIL

Loin de s'implanter véritablement dans le champ institutionnel du Moyen-Orient, la question démocratique ne semble offrir en réponse que de simples apparences, et les élections qui s'y multiplient, après avoir longtemps été réduites à un simple exercice plébiscitaire, en offrent une illustration particulièrement intéressante. L'année 2005 a ainsi été marquée par une vague d'élections en Irak, en Libye, en Arabie saoudite, mais également en Égypte, où le Président Moubarak, au pouvoir depuis 1981, a organisé, sous la contrainte des Etats-Unis, la première élection présidentielle aux apparences pluralistes puis, à la faveur des élections législatives, a laissé les Frères Musulmans devenir la première force d'opposition dans un Parlement sans pouvoir. Mais ces élections ont rarement été pluralistes et concurrentielles. Elles ont été administrées par des régimes résolus à en contrôler les résultats à travers la manipulation de la loi électorale, l'interdiction des partis d'opposition et une combinaison de fraude et de répression.

C. LA CRISE DE LA LÉGITIMITÉ POLITIQUE

Les causes de cette carence démocratique sont multiples et tiennent majoritairement au manque de légitimité de certains Gouvernements. La légitimité permet aux peuples d'accepter, sans contrainte excessive, l'autorité d'une institution. Or, la majorité des régimes de l'Orient arabe connaissent une crise aiguë de légitimité. Peu d'entre eux ont une authentique légitimité historique ou démocratique. Les peuples se soumettent à leur pouvoir, mais les détestent. Ne restent que les solidarités de proximité : confessionnelles, tribales, claniques.... Seule la légitimité « patriotique », accordée à celui qui combat les ennemis de la Nation (arabe) et lui restitue ainsi sa dignité, semble désormais devoir s'imposer. Or depuis Nasser, aucun chef d'Etat ne correspond plus à cette attente populaire 8 ( * ) .

* 8 Voir Amin Maalouf - Le dérèglement du monde - Grasset 2009

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