B. LA FIN D'AL-QAIDA ?

1. Les erreurs de la « guerre totale contre la terreur »

En riposte aux événements du 11 septembre 2001, l'administration de Georges W. Bush a mis en place une stratégie fondée sur « la guerre globale contre la terreur » (ou contre le terrorisme) dont l'intervention militaire en Irak a été présentée comme une application.

Le concept même de guerre globale contre le terrorisme était une erreur. Le terrorisme n'est qu'un procédé. Ce sont les groupes et les hommes qui le mettent en oeuvre qu'il faut combattre. On déclare la guerre à Hitler, pas au blitzkrieg . Déclarer la guerre à un procédé -le terrorisme- ou à un sentiment -la terreur- c'est détourner l'attention d'un ennemi qu'il eut mieux valu désigner : les « jihadistes internationaux », Oussama Ben Laden ou encore « le front islamique de lutte contre les Juifs et les croisés ».

On comprend que la première puissance mondiale ait hésité à se lancer dans une chasse à l'homme contre ce qui n'était encore qu'une bande organisée de quelques centaines de fanatiques et non pas une organisation internationale d'envergure. De même, il était sans doute difficile d'admettre qu'un si petit groupe ait pu avec si peu de moyens infliger autant de dommages à la première puissance mondiale. Les Etats-Unis n'avaient pas grand chose à gagner dans une telle chasse à l'homme, sinon quelques maigres succès sans rapport avec les moyens déployés.

Il fallait donc ré-étatiser le conflit en s'en prenant non seulement aux hommes -les groupes terroristes- mais aussi aux Etats qui les abritent : les « Etats voyous ». Les Etats-Unis y parviennent sans peine en prenant le contrôle de l'Afghanistan à la fin de 2001. Mais trop rapide et trop facile, l'opération ne suffisait pas à laver l'affront. Il fallait frapper un Etat offrant suffisamment de résistance pour que sa reddition montre au monde qu'on ne peut s'attaquer impunément aux Etats-Unis. L'Irak était d'autant mieux placé pour jouer ce rôle de bouc émissaire que le groupe des néo-conservateurs et de leurs alliés républicains comme Donald Rumsfeld ou Dick Cheney, voulaient « finir le travail » entamé par Georges H.W. Bush lors de la première guerre du Golfe qui avait stoppé les troupes américaines à la frontière de l'Irak.

Cette focalisation sur le terrorisme et l'Irak a pris la forme d'une doctrine dans la « stratégie nationale de sécurité » du Président Georges W. Bush, publiée à l'automne 2002. On a, sans doute, trop insisté sur les frappes militaires « préventives » que la « doctrine Bush » préconisait, lorsque les intérêts supérieurs des Etats-Unis étaient menacés, et insuffisamment souligné qu'elle mettait également l'accent sur le développement de la coopération internationale, la défense des droits de l'Homme et des libertés. Elle poursuivait l'objectif ambitieux d'une refondation du monde arabo-musulman, n'excluant pas, pour y parvenir, les changements de régime. Paradoxalement, comme l'a montré Olivier Roy, « les néoconservateurs ont poussé jusqu'au bout l'idée que les valeurs de l'Occident sont universelles et doivent être promues, au besoin par une intervention directe » 55 ( * ) .Ce faisant cette politique rompait avec la traditionnelle politique occidentale de soutien aux régimes en place, qu'ils fussent ou non autoritaires. Résoudre le conflit israélo-palestinien afin d'éteindre les racines de la haine s'imposait mais n'était qu'un aspect particulier d'un problème plus général : « tant que cette région sera en proie à la tyrannie, au désespoir et à la colère, elle engendrera des hommes et des mouvements qui menacent la sécurité des Américains et de leur alliés. » 56 ( * )

Malheureusement, la guerre globale contre la terreur prendra essentiellement la forme d'actions policières et militaires réalisées sur ordre du Gouvernement des Etats-Unis, appuyées par leurs alliés, membres de l'OTAN, contre des organisations proches du terrorisme islamiste. Elle combine la lutte directe -démantèlement des cellules terroristes et destruction des camps d'entraînement- et l'action indirecte : enquêtes et pressions sur les Gouvernements, organisations et personnes soutenant les mouvements terroristes, gel des avoirs soupçonnés d'appartenir à des groupes terroristes ou d'être utilisés à leur profit. La guerre globale comporte aussi des aides financières aux pays qui participent à la lutte contre le terrorisme ainsi que le développement de la coopération internationale au niveau du renseignement, de la police et de la justice.

Les résultats de cette politique sont peu convaincants. Les Etats-Unis, défenseurs traditionnels de l'Etat de droit et des libertés publiques ont eux-mêmes quelque peu perdu de vue ces valeurs, au premier rang desquelles le « due process of law », en recourant à la torture et à l'emprisonnement sans jugement. Les prisons d'Abou Ghraib en Irak et de Guantanamo à Cuba en sont devenues les symboles malheureux. Dans le sillage des Etats-Unis, le Royaume-Uni a été le seul État européen à mettre en place une procédure dérogatoire à la Convention européenne des droits de l'Homme afin de permettre la détention sans jugement et de façon pratiquement illimitée de « terroristes internationaux présumés » qu'il n'était pas possible d'expulser du pays (chapitre IV de l' Anti-terrorism, Crime and Security Act de 2001). Procédure condamnée par la Cour européenne des droits de l'Homme et depuis abrogée. Quant à Al-Qaïda, qui n'était pas présente en Irak, elle a pu s'y installer, y recruter et s'y entraîner jusqu'à ce que ses attentats aveugles contre la population civile amènent les tribus sunnites à la rejeter.

* 55 Olivier Roy, op. citée p. 10

* 56 Discours du Président Georges W. Bush le 4 février 2004

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