2. Al-Qaïda et le concept de Jihad
Comme l'écrit Jean-Pierre Filiu, peu de concepts auront été aussi dévoyés que celui de jihad. Généralement traduit par « guerre sainte », le « jihad sur la voie de Dieu » correspond à la mobilisation guerrière de la communauté musulmane soit à des fins d'autodéfense, soit en vue de l'islamisation de nouveaux territoires. Mais qu'il soit défensif ou offensif, ce jihad militaire est moins noble que le « grand jihad » qui correspond au travail piétiste, voire mystique du musulman sur lui-même pour progresser dans l'approfondissement de sa foi.
Contrairement à ce qui est souvent dit, le jihad ne fait pas partie des cinq piliers de l'Islam que sont la profession de foi, la prière, l'aumône, le jeûne du ramadan et le pèlerinage à La Mecque.
La synthèse contemporaine du Jihad avec le terrorisme remonte au 6 octobre 1981 avec l'assassinat du Président Anouar el-Sadate, dont les assassins se réclament d'un groupe appelé « Jihad » et se vantent d'avoir châtié le premier signataire arabe d'un traité de paix avec Israël.
En 1983 , apparaît à Beyrouth une mystérieuse « Organisation du Jihad islamique » qui harcèle la Force multinationale déployée au Liban et qui commet, le 23 octobre 1981, deux attentats-suicides simultanés qui font des centaines de victimes parmi les forces américaines et françaises.
Alors que ce jihad terroriste s'impose au Proche-Orient, un jihad d'une toute autre ampleur se développe en Afghanistan : la résistance à l'occupation soviétique s'organise sur le mode du jihad défensif. Une nébuleuse arabe, d'origine égyptienne et saoudienne, étoffe ses rangs et forge sa légende. C'est elle qui revendique la gloire de la victoire sur l'URSS, laquelle revient, en réalité, aux résistants afghans : les moudjahiddines. Les « nomades » du jihad global parasitent dans les mêmes conditions les combats menés en Bosnie, en Tchétchénie ou au Cachemire. Mais ils se heurtent partout aux tenants d'une lutte nationale et ils finissent par se retrouver en Afghanistan pour y fonder une base.
La mobilisation internationale contre le terrorisme, à partir de l'automne 2001, prive le jihad global de son sanctuaire afghan. Mais Al-Qaïda n'est pas éradiquée et reprend sa quête d'un territoire de substitution. Elle saisit l'opportunité de l'invasion américano-britannique de l'Irak pour se ressourcer au coeur de l'Islam et s'implanter aux frontières de l'Arabie. Le jihad sunnite irakien, dans la haine et la confusion de la résistance à l'occupation américaine, s'accommode au début du renfort d'Al-Qaïda face à l'occupation des « infidèles ». Mais l'alliance des sunnites et d'Al-Qaïda se heurte au jihad chiite sur cette terre où naquit le grand schisme musulman.
Nous retiendrons la différence fondamentale entre le jihadisme d'Al-Qaïda, mouvement déterritorialisé, aux objectifs globaux, et les mouvements dits « islamico-nationalistes », tels que le Hamas, le Hezbollah, ou encore les talibans dont les revendications sont, avant tout, nationales.