C. LES CONSÉQUENCES DU DÉPART DES AMÉRICAINS
On aurait tort de conclure, au vu des progrès accomplis depuis l'été 2007, que la renaissance de l'Irak est un fait accompli. Une épreuve majeure attend, en effet, le pays : le retrait des forces américaines dont la présence aux cotés des forces irakiennes dans la lutte contre l'insurrection explique l'essentiel des succès remportés.
L'accord entre les Etats-Unis et l'Irak sur le retrait des forces américaines, adopté par la Parlement irakien le 27 novembre 2008, prévoit une évacuation en trois étapes.
Première étape déjà mise en oeuvre : l'armée américaine s'est retirée des villes en juin 2009. L'échéance fixée par l'accord irako-américain a été respectée. La ville de Mossoul est la seule agglomération où les Etats-Unis, en raison de l'extrême tension qui règne dans la ville et sa province, ont maintenu leurs forces avec l'accord de Bagdad.
Deuxième étape : le gros des troupes américaines doit avoir quitté l'Irak en août 2010. A cette date, il ne restera plus qu' « une force de soutien » de 35 à 50 000 hommes.
Troisième étape : l'armée américaine se sera entièrement retirée à la fin de 2011. Il ne restera plus alors en Irak que des unités militaires affectées à des tâches de formation et de logistique. Les Etats-Unis ne conserveront aucune base permanente en Irak.
Le calendrier, dont le Général Odierno nous a assurés que les Etats-Unis le respecteraient à la lettre, pourrait néanmoins être aménagé en cours de route par accord entre les deux pays. L'ambassadeur de Grande-Bretagne, qui a bien voulu recevoir la mission, estime, pour sa part, qu'une telle éventualité est probable.
L'armée irakienne et la police nationale suffiront-elles à empêcher une reprise de l'insécurité ? Les 300 000 hommes de l'armée irakienne, appuyés par la police nationale dont les effectifs sont du même ordre devraient suffire à la tâche à condition que les appartenances ethno-confessionnelles ne l'emportent pas sur le devoir d'obéissance au Gouvernement. Interrogé sur ce point, le général Odierno a estimé que 75 % de l'armée et de la police nationale étaient dès à présent fidèles au pouvoir central et 20 % en train de le devenir. Quant aux 5% restants, il n'y avait rien à en attendre.
Le retrait américain des villes s'est accompagné depuis quelques mois d'un regain de violence. Des attentats au camion piégé perpétrés sur des marchés à des heures de grande affluence ont fait de nombreuses victimes. Attentats-suicides, enlèvements, exécutions sommaires, n'ont pas cessé. Il convient, cependant, de replacer ces violences dans leur contexte. Elles restent pour l'essentiel circonscrites à Bagdad ainsi que dans les quatre gouvernorats non sécurisés du Nord et du Nord-est et elles n'inversent pas la courbe décroissante des attentats ainsi que des victimes : 26 000 morts en 2006, 23 000 en 2007, 7 000 en 2008 et 3 000 au cours du premier semestre 2009. Mais elles révèlent l'indiscutable fragilité des progrès accomplis.
Les « conseils de réveil » et les « conseils de soutien », animés par les tribus sunnites ralliées aux Etats-Unis, dépendent désormais d'un Gouvernement dirigé par les chiites. Al Maliki s'est engagé à maintenir les aides financières qui leur avaient été versées par le commandement américain et à intégrer les Sahwas dans les forces de sécurité irakiennes. Mais ces promesses tardent à se réaliser. Plusieurs incidents montrent que le Gouvernement devra faire preuve de beaucoup de doigté et de compréhension s'il veut préserver une relation essentielle à la pacification du pays.
Qu'on ne se fasse pas d'illusions. L'Irak est un pays convalescent, mais pas encore guéri. Les rechutes sont possibles. Nul n'en est plus conscient que le général Petraeus. Il a déclaré récemment devant le Congrès des Etats-Unis que « l'Irak allait mettre un temps considérable à éliminer tous les éléments extrémistes restants ». Il est clair, par exemple, que si Al-Qaïda a subi des revers décisifs, elle dispose de cellules dormantes ou actives qui sont à l'origine de plusieurs des récentes violences, notamment des attentats suicides dont l'organisation de Ben Laden s'est fait une triste spécialité. Certaines informations, d'autre part, font état d'infiltrations d'éléments hostiles dans les forces de sécurité.
D'autres menaces se profilent à l'horizon : l'instabilité politique en est une. Il est probable que les élections de janvier 2010 prolongeront la tendance favorable au Premier ministre qui s'est manifestée aux élections de janvier 2009. Mais il est à peu près certain qu'aucun des partis en compétition n'obtiendra seul une majorité permettant de gouverner. Une coalition devra se constituer et il n'est pas certain que les tractations entre partis politiques seront favorables à Al Maliki et lui permettront de se maintenir dans ses fonctions de Premier ministre. Si l'opinion publique et l'étranger lui rendent volontiers hommage, il n'en va pas de même des partis politiques qui lui reprochent son autoritarisme. Le Gouvernement du Kurdistan, en particulier, l'accuse de faire la sourde oreille à ses revendications territoriales, notamment à ses visées sur Kirkouk, et lui reproche de ne pas appliquer l'article 140 de la Constitution qui prévoit la tenue d'un référendum dont les Kurdes estiment qu'il leur serait favorable.
« Tout sauf Maliki » est un slogan que la mission a entendu à plusieurs reprises. Si cet état d'esprit l'emportait après les élections de janvier 2010, la stabilité politique, dont l'Irak a bénéficié et qui lui est absolument nécessaire pour relever les nombreux défis qui l'attendent, pourrait se trouver menacée.
Le principal de ces défis concerne la reconstruction des grandes infrastructures -routes, eau, électricité, santé- dont dépend l'indispensable amélioration du niveau de vie de la population. Celle-ci vit dans le dénuement, ne dispose, dans le meilleur des cas, d'eau potable et de courant électrique que quelques heures par jour. La remise en état des réseaux exigera des investissements évalués au minimum à soixante milliards de dollars. La détérioration de ces infrastructures remonte, en effet, aux sanctions imposées à l'Irak de Saddam Hussein après la première guerre du Golfe. Les bombardements qui ont accompagné l'invasion et l'insécurité qui en a résulté n'ont rien arrangé. Un grand nombre de contrats de reconstruction ont été passés par les autorités américaines avec des sociétés irakiennes et étrangères, mais on n'en voit pas de retombées concrètes sur le terrain.
La lenteur des progrès accomplis s'explique dans une assez large mesure par l'importance des sommes englouties dans le puits sans fond de la corruption. L'ONG Transparency International place, sur une liste des pays des moins corrompus aux plus corrompus, l'Irak au 178 ème rang sur 180, à égalité avec la Birmanie et la Somalie. Les autorités ont désormais pris conscience de la gravité du problème. L'Irak a ratifié en mars 2008 la convention des Nations unies contre la corruption et mis en place un Conseil national de la lutte contre la corruption. Le ministre du Commerce vient d'être contraint à démissionner pour faits de concussion. Le montant de la fraude lié à son seul ministère s'élèverait à 5,3 milliards de dollars. L'avion dans lequel il tentait de fuir à Dubaï a été contraint de rebrousser chemin et l'intéressé arrêté. Cet épisode spectaculaire a frappé les esprits mais il reste pour l'heure un cas isolé. La règle jusqu'ici a été l'impunité ou la fuite hors du pays. Lutter contre la corruption constituera un des défis auxquels le Gouvernement qui sortira des élections devra avoir le courage de s'attaquer.
Heureusement l'Irak est un pays potentiellement riche du fait de ses très importantes ressources pétrolières. La production actuelle n'est que de 2,3 millions de barils/j et devrait atteindre, à la fin de 2009, 2,5 millions. Mais l'objectif fixé par le Gouvernement est d'atteindre 6 millions de barils /j dans les années à venir. La production pourrait même dépasser ce niveau si les travaux de remise en état des installations existantes et la mise en service de capacités nouvelles étaient entrepris. Les investissements nécessaires seraient de l'ordre de cinquante à soixante milliards de dollars, ce qui exige l'intervention des grandes compagnies étrangères. Un premier contrat vient d'être passé avec un consortium constitué autour de British Petroleum . La société Total , qui suit la situation de près, a fait savoir qu'elle était prête à devenir un partenaire privilégié de l'Irak. On estime dans les milieux pétroliers que lorsque les réserves de l'Irak auront été complètement explorées, ce qui est loin d'être le cas, le pays se situera au deuxième rang mondial après l'Arabie saoudite. C'est dire l'intérêt que l'Irak suscite dans le monde des grandes compagnies.
L'extraction et l'exportation du pétrole, qui constituent plus de 90 % des recettes extérieures et budgétaires de l'Irak, ne posent pas que des problèmes techniques et financiers. En raison de son inégale répartition géographique, le pétrole revêt une dimension politique majeure. 13 % de la production se situe dans le nord autour de Kirkouk et de Mossoul, dans une zone revendiquée par le Kurdistan. Le reste de la production et des réserves se situe au sud, dans la province chiite de Bassorah. La partie centrale de l'Irak, zone de concentration des tribus sunnites, ne dispose d'aucune ressource pétrolière, d'où l'exigence des sunnites que le pétrole devienne une ressource nationale dont l'exploitation et la répartition soient soumises à l'autorité du Gouvernement central et non à celle des gouvernorats de province. La loi pétrolière appelée à régler le problème est en panne au Parlement et ne sera reprise que par le Gouvernement issu des élections de janvier 2010. Mais elle est un élément essentiel du pacte national sans lequel l'unité du pays ne pourra pas être préservée.