N° 554
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2008-2009
Rattaché à la séance du mardi 16 juin 2009 |
RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
au nom de la délégation du Sénat pour la Planification (1) sur l' évaluation des politiques publiques concernant les zones humides ,
Par M. Joël BOURDIN,
Sénateur.
(1) Cette délégation est composée de : M. Joël Bourdin, président ; MM. Pierre André, Bernard Angels, Mme Evelyne Didier, M. Joseph Kergueris, vice-présidents ; M. Yvon Collin, Mme Sylvie Goy-Chavent, secrétaires ; Mme Jacqueline Alquier, M. Gérard Bailly, Mme Bernadette Bourzai, MM. Jean-Luc Fichet, Philippe Leroy, Jean-Jacques Lozach, Jean-François Mayet, Philippe Paul
Mesdames, Messieurs,
Votre Délégation pour la planification a souhaité approfondir sa réflexion sur un sujet qui se situe au carrefour des problématiques économiques et environnementales, à un moment où « l'économie verte » est érigée en moyen prioritaire pour sortir de la crise.
En dépit d'un taux de population urbaine (77%) légèrement supérieur à la moyenne de l'Union européenne, la France conserve de vastes superficies rurales avec 295.000 km 2 de surface agricole utile et 15,5 millions ha de forêts. Cependant l'accélération de l'urbanisation engendre une consommation accrue de terrains à la périphérie des villes.
Dans ce contexte de transformation rapide, les zones humides focalisent l'intérêt des aménageurs, des naturalistes et des citoyens. Moult colloques et séminaires sur ce sujet se sont tenus depuis un an.
Cette mobilisation a suscité la curiosité de votre délégation dans le cadre de ses réflexions sur les évolutions à moyen et long termes de notre société.
Délibérément, nous nous sommes limités aux zones humides tempérées de métropole. En effet, outre-mer, les problématiques sont spécifiques. Bien qu'elle ne soit pas totalement inventoriée, l'exceptionnelle richesse biologique de la forêt tropicale humide, des forêts marécageuses et des mangroves est notoire ; mais les interrogations et les modes de gestion sont différents.
Après un rappel historique, nous tenterons d'expliciter les motifs du regain d'intérêt actuel pour les zones humides.
La complexité des règles juridiques applicables à ces territoires sera ensuite abordée.
En faisant le point des connaissances scientifiques sur les zones humides, on pourra vérifier la difficulté du dialogue entre science et droit, et entre l'idéal et le possible.
Après avoir vérifié la nécessité d'une gestion adéquate pour obtenir les « bénéfices écologiques » attendus, nous tenterons de faire le point des moyens publics mobilisés pour les zones humides.
I. L'ÉMERGENCE D'UN REGARD POSITIF SUR LES ZONES HUMIDES
A. DE L'ANATHÈME À LA RECONNAISSANCE
Historiquement, dans le vieux continent européen, les zones humides ont été perçues négativement.
En effet, dans les siècles passés, la première préoccupation de nos ancêtres est de se procurer de la nourriture. Chacun connaît l'impact des mauvaises récoltes dans le déclenchement des révolutions et des guerres et l'effet bénéfique de l'importation de certains végétaux tels que la pomme de terre - qui n'aurait pas dû quitter les rives du lac Titicaca selon les règles de l'écologie correcte - mais a permis d'éviter quelques famines aux Européens.
Le plus souvent impropres aux cultures dont la population tire sa subsistance, les zones humides sont également réputées insalubres du fait des insectes qui s'y développent et propagent la malaria.
Des communautés religieuses se voient parfois concéder ces terres pauvres pour entreprendre de les mettre en valeur.
L'assainissement des zones humides est encouragé sous l'Ancien Régime, pendant le Premier Empire, tout au long du XIXe siècle et jusqu'à la Seconde Guerre mondiale.
Sous l'impulsion de quelques scientifiques, des négociations engagées au niveau international conduisent à la signature en 1971 de la Convention relative aux zones humides d'importance internationale, dite « Ramsar ».
Les signataires de cette convention estimaient alors qu'il convient de préserver les zones humides pour réguler le régime hydraulique et protéger les habitats (faune et flore) écologiquement intéressants.
Simultanément, des programmes de recherche sont engagés sur les zones humides.
Au niveau national, ce revirement se concrétise par le vote de la loi du 10 juillet 1976 relative à la protection de la nature, il est confirmé par la loi n° 92-3 du 3 janvier 1992 sur l'eau qui officialise les zones humides et prescrit la préservation de ces espaces ; mais c'est bien plus tard que les aides financières de l'Etat à l'assainissement seront supprimées. D'aucuns prétendent que certains conseils généraux financeraient encore le drainage ; votre rapporteur n'a pu vérifier cette assertion.
En 1994, à l'initiative du Premier ministre, le comité interministériel de l'évaluation des politiques publiques engage - avec le Commissariat général du Plan - un vaste travail d'évaluation des politiques visant les zones humides. Ce travail est fondé notamment sur des fiches d'analyse de différents sites comportant des zones humides. Force est de constater le caractère souvent sommaire de ces fiches fondées sur des observations recueillies, semble-t-il, en prenant soin d'éviter de se rapprocher des gestionnaires des territoires.
A la suite du rapport de ce comité présidé par le préfet Paul Bernard, le ministre chargé de l'environnement engage un plan d'action, avec notamment la création d'un « observatoire national » chargé au sein de l'IFEN (Institut français de l'environnement), de l'analyse et du suivi scientifiques de 152 zones humides métropolitaines remarquables.
Certaines affirmations de ce rapport d'évaluation suscitent quelque perplexité. Ainsi, pour mettre en relief l'intérêt des zones humides du point de vue de la production de matière organique, on cite une étude nord-américaine, selon laquelle, certaines prairies à spartines des marais côtiers des États-unis produisent jusqu'à 40 tonnes de matière sèche/ha/an, mais on se garde bien de mentionner qu'à ce jour, nul n'a trouvé un moyen quelconque propre à valoriser la spartine du point de vue alimentaire ou industriel ; même les chèvres n'en veulent pas. Tout au plus peut-on mentionner qu'aux États-unis la spartine serait utilisée dans l'édification de remblais, alors qu'en France elle contribue à l'envasement de certains espaces maritimes remarquables et à la diminution de la biodiversité locale.
Au demeurant, en préconisant la préservation ou la reconstitution de zones humides, il faut se garder d'une vision romantique d'un « retour à la nature » idyllique et à un « âge d'or » fantasmagorique. D'ailleurs, sur le terrain, il est souvent difficile de dire avec certitude qu'un espace écologiquement intéressant est « naturel » dans un vieux continent où les terres sont exploitées depuis des millénaires (cf. Annexe I).
Simultanément, les autorités de l'Union européenne ont affiché clairement leur volonté de mener une politique active visant les zones humides. Les principes de cette politique ont été précisés en particulier dans une résolution du Parlement sur la communication de la Commission au Conseil et au Parlement européen sur l'utilisation rationnelle et la conservation des zones humides, en date du 12 décembre 1996.