6. L'Amérique Latine
L'extension géographique de la culture bananière en Amérique Latine, en latitude du Belize au sud de l'Equateur, conduit à ce qu'elle s'exerce dans des conditions climatiques et pédologiques très diversifiées.
Et donc, sous des contraintes de lutte contre les ravageurs différentes qui ne font pas nécessairement de la lutte contre le charançon une priorité, alors que celle contre la cercosporiose noire est massive (une moyenne de 50/60 épandages aériens par an contre 10 aux Antilles).
Par exemple, au Costa-Rica, on ne trouve que peu de traces d'emploi de la chlordécone parce que la saison sèche est longue et que la culture bananière s'effectue dans des sols plus profonds, ce qui a pour résultat que d'éventuelles attaques de larves de charançons sur les rhizomes exposent moins les plants au déracinement, comme c'est le cas aux Antilles.
Mais il existe une donnée commune : le contrôle de la culture bananière méso-américaine par les grandes compagnies américaines et leurs centres techniques.
Les quelques enseignements tirés de la littérature scientifique confirme que la chlordécone (sous la formulation de képone) y a été expérimentée et utilisée, mais de façon, semble-t-il, moins intensive qu'aux Antilles.
Une série de rapports effectués par des chercheurs de l'Institut de recherche sur les fruits tropicaux et agrumes (IFAC) font état :
- au Panama 38 ( * ) et au Honduras, d'un usage du képone (formulation américaine de la chlordécone) dans les plantations d'« United Fruit », mais limité aux plants de bananiers de 6 ans ou plus (1969),
- de traitements biannuels des plants de bananes au képone au Nicaragua (1968-1970),
Enfin, en 1978, ont été publiées dans la revue Fruits des notes de voyage d'étude d'un groupe de chercheurs (Darthenuq et al.) au Honduras, au Costa-Rica ou Equateur et en Colombie.
Le cas du charançon du bananier y est mentionné en quelques lignes « un seul pays se soucie encore du charançon, l'Equateur 39 ( * ) , où le problème est considéré comme secondaire, le Honduras comme le Costa-Rica semblent ignorer ce parasite ».
Dans la mesure où l'Equateur est le premier exportateur de bananes au monde, où sa culture fait vivre plus d'un million de personnes (dont près de 400 000 emplois directs) sur une population de 14 millions d'habitants, un de vos rapporteurs y a effectué une mission.
Il ressort des éléments recueillis que la chlordécone n'a plus été utilisée en Equateur depuis une quinzaine d'années et que le pays n'a jamais connu d'attaques fortes de charançon. L'utilisation du produit a été prohibée en novembre 1992 40 ( * ) . Mais votre rapporteur a relevé que 16 ans après son interdiction aux Etats-Unis (1976), le « Farm Chemical Handbook » le référençait en 1992 sous le nom de Kepone, en relevant sa toxicité pour le rat et la faune aquatique. Est-ce que l'usine brésilienne qui fournissait la molécule à Calliope, avant sa formulation en Curlone et son utilisation aux Antilles, a dérivé une partie de sa production vers l'Amérique Latine ? C'est une interrogation qui est restée sans réponse.
Par ailleurs, votre rapporteur a relevé qu'aucune analyse de chlordécone dans le sol n'est effectuée en Equateur. Alors même qu'à la saison des pluies, les bananeraies sont inondées, l'eau se retirant, peu à peu, vers des zones marécageuses qui sont utilisées par la culture du riz.
On retrouve, dans ce cas, l'attitude qui avait été relevée à la FAO : comme la molécule n'est plus produite et plus utilisée, on ne recherche plus ses résidus.
Ce bilan, malheureusement incomplet, permet de rappeler que 1 800 tonnes d'un polluant extrêmement persistant ont été répandues sur la planète, dont environ 300 tonnes en Guadeloupe et en Martinique.
Et comme ce polluant n'est plus produit depuis 1975 (pour les 1 600 tonnes produites aux Etats-Unis) et depuis 1991 (par les 200 tonnes produites pour le compte de la société Vincent de Lagarrigue), il n'est plus recherché et donc plus contrôlé par les Etats .
Ceci à l'exception de la Guadeloupe et de la Martinique.
On pourrait donc potentiellement se trouver en présence d'un problème sanitaire mondial, dont certaines des solutions doivent être recherchées dans un cadre international.
C'est, d'ailleurs, pourquoi l'action 40 du « plan chlordécone » s'efforce de recenser les zones d'utilisation, notamment en Europe, afin de mener des actions de coopération pour réduire la présence de la molécule de l'environnement.
* 38 Une brochure d'Allied Chemical datant du début des années 1970 fait également état d'essais satisfaisants du produit au Panama.
* 39 La saison sèche relativement longue n'est pas propice au développement du ravageur.
* 40 S'il n'y a pas identité, il y a convergence de date avec l'interdiction française en 1991.