N° 358

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2008-2009

Rattaché pour ordre au procès-verbal de la séance du 9 avril 2009

Enregistré à la Présidence du Sénat le 10 avril 2009

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes (1) sur les Actes de la rencontre avec les maires élues en 2008, organisée le 9 mars 2009 ,

Par Mme Michèle ANDRÉ,

Sénatrice.

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(1) Cette délégation est composée de : Mme Michèle André, présidente ; Mme Jacqueline Panis, M. Alain Gournac, Mmes Christiane Kammermann, Gisèle Printz, M. Yannick Bodin, Mmes Catherine Morin-Desailly, Odette Terrade, Françoise Laborde, vice-présidents ; Mme Joëlle Garriaud-Maylam, M. Patrice Gélard, secrétaires ; Mmes Jacqueline Alquier, Nicole Bonnefoy, Brigitte Bout, Marie-Thérèse Bruguière, Françoise Cartron, Jacqueline Chevé, MM. Yvon Collin, Roland Courteau, Mmes Marie-Hélène Des Esgaulx, Sylvie Desmarescaux, Muguette Dini, Catherine Dumas, Bernadette Dupont, Gisèle Gautier, Christiane Hummel, Bariza Khiari, Françoise Laurent-Perrigot, Claudine Lepage, M. Philippe Nachbar, Mmes Anne-Marie Payet, Catherine Procaccia, Mireille Schurch, Esther Sittler, Catherine Troendle, M. Richard Yung.

Journée internationale de la Femme - rencontre avec les maires élues en 2008

Lundi 9 mars 2009

Organisée sous le haut patronage de

M. Gérard Larcher, président du Sénat

et sous la présidence de

Mme Michèle André, sénatrice du Puy-de-Dôme,
Présidente de la Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes

ALLOCUTION DE BIENVENUE - de Mme Michèle André, présidente de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes

Mesdames et Messieurs les Présidents,

Mes chers collègues, sénateurs et sénatrices,

Mesdames les Maires,

Chers amis,

Je suis heureuse de vous accueillir ici dans les salons de Boffrand de la Présidence du Sénat, pour recueillir de vous, Mesdames les Maires, les retours d'expérience que vous tirez de la première année d'exercice de votre mandat, et débattre ensemble, plus généralement, de ce que signifie l'exercice d'un mandat politique au féminin.

Je tiens à adresser mes sincères remerciements à M. Gérard Larcher, président du Sénat, qui a chaleureusement appuyé, dès l'origine, notre projet de vous réunir aujourd'hui et qui nous offre l'hospitalité dans ces magnifiques salons de la Présidence du Sénat, que nous désignons sous le nom de l'architecte qui les a conçus : Boffrand, un disciple de Mansart.

M. Gérard Larcher, qui est retenu ce matin dans sa ville de Rambouillet, m'a chargée de vous dire ses regrets de ne pouvoir vous accueillir lui-même ce matin, mais il viendra nous rejoindre tout à l'heure, dans le courant de notre pause déjeuner.

Je souhaite exprimer aussi ma vive gratitude à l'Assemblée des maires de France (AMF) et, plus particulièrement, à son président M. Jacques Pélissard, à sa vice-présidente, notre collègue sénatrice Jacqueline Gourault et à leurs collaborateurs, car sans leur participation très active, l'organisation de cette journée n'aurait pas été possible, particulièrement dans les délais très courts que nous nous étions imposés pour que notre rencontre se rattache à la célébration de la Journée internationale de la femme.

C'est en effet grâce à l'AMF et à son réseau d'associations départementales qui nous ont proposé vos noms que nous avons pu entrer en contact avec vous.

Même si tous les départements n'ont pu nous envoyer des représentantes, je crois qu'avec une cinquantaine de maires issues d'un peu toutes les régions de la métropole, nous disposons malgré tout, grâce à vous toutes qui avez accepté de répondre à notre appel, d'une assemblée représentative des différents horizons géographiques et politiques de notre réalité communale. Certes, et je le regrette, mais pourrait-il en être autrement compte tenu de l'éloignement, nous ne comptons aucune élue d'outre-mer. Mais je remercie l'Association des élus métropolitains d'origine outre-mer de nous avoir délégué l'une de ses membres, conseillère déléguée de Paris, qui nous permettra indirectement peut-être, de ne pas nous limiter à une vision strictement métropolitaine.

Et puis, je tiens à vous remercier très chaleureusement, Mesdames les maires, d'avoir répondu à notre invitation, et d'avoir entrepris, malgré vos différentes obligations - ce sera l'un des thèmes de notre débat - un voyage souvent long et fatigant, pour être avec nous aujourd'hui.

Je suis heureuse que nous puissions avoir ce moment d'échange, et je suis heureuse que celui-ci puisse avoir lieu ici, au Sénat, et ce pour plusieurs raisons.

La première, c'est que le Sénat est, pour reprendre le mot célèbre de Gambetta qui reste d'actualité une sorte de « Grand Conseil des communes de France » . Il est donc tout à fait dans sa vocation d'accueillir nos débats d'aujourd'hui, et je souhaite vivement que vous vous sentiez ici chez vous, dans cette maison qui est aussi un peu la vôtre, même si certaines d'entre vous la visiteront peut-être tout à l'heure pour la première fois.

La seconde, c'est parce que le Sénat a bien des choses à se faire pardonner au chapitre de la participation des femmes à la vie politique.

C'est en effet lui qui, à plusieurs reprises, dans l'entre-deux-guerres, s'est opposé avec succès à ce que soit reconnu le droit de vote des femmes. « Ici, nous n'avons pas pour mission de réaliser le modernisme » expliquait en 1932 le sénateur Armand Calmel.

Reconnaissons, pour être équitables, que si la Chambre des Députés était apparemment plus ouverte en ce domaine, le suffrage féminin y suscitait cependant de fortes réticences qui dictaient aux défenseurs du suffragisme des prudences qui nous paraissent aujourd'hui bien timides.

La première proposition de loi, déposée en 1901 par le député Gautret n'accordait le droit de vote qu'à certaines catégories de femmes (les célibataires, les veuves et les divorcées).

La seconde, défendue en 1906 par le député Duchaussoy prévoyait de n'accorder aux femmes que le droit de vote, mais non l'éligibilité et encore pas pour tous les suffrages.

D'une façon générale, dans l'entre-deux-guerres, les partisans du vote féminin se partageaient entre les défenseurs du suffrage intégral et ceux du « petit suffrage » qui ne permettait aux femmes de ne participer et d'être élues qu'aux scrutins municipaux.

Je ne résiste pas à la tentation de vous citer quelques-uns des arguments qui ont été opposés au vote féminin, notamment au Sénat.

Certains tiennent à une supposée fragilité ou émotivité de la femme qui la disqualifierait pour le combat politique.

« La constitution de la femme, organisée pour la prolongation de l'espèce, est essentiellement différente de celle de l'homme. La femme n'arrive à l'idée que par l'émotion, qu'à travers le sentiment, la passion et trop souvent, à travers ses douleurs. C'est une contre-vérité que de dire que la femme n'est pas intelligente, mais elle est surtout un être émotif et sensible » . (Docteur François Labrousse, sénateur de la Corrèze, 14 novembre 1922).

D'autres sont inspirés par une délicatesse douteuse : « Plus que pour manier le bulletin de vote, les mains des femmes sont faites pour être baisées dévotement quand ce sont celles des mères, amoureusement quand ce sont celles des femmes ou des fiancées. » (Alexandre Bérard, Sénateur de l'Ain, 3 octobre 1919).

D'autres se présentent comme des considérations sociales sur la vocation supposée naturelle de la femme.

« Séduire et être mère, c'est pour cela qu'est faite la femme. Tout ce qui la détournera de son noble rôle humain, tout ce qui la détournera de son foyer est une violation de la loi humaine » . (Alexandre Bérard, 3 octobre 1919).

« Nous avons voté la loi - limitant le travail à 8 heures par jour - pour que le travailleur fût plus près de sa femme et de ses enfants. Mais si vous voulez qu'il rentre volontiers chez lui, il faut que la femme soit au foyer quand il y arrivera. Vous voulez qu'elle aille à toutes ces réunions au lieu de soigner ses enfants ? Vous le savez bien, ni la crèche, ni le phalanstère ne remplace les soins d'une mère » . (Edmond Lefebvre du Prey, député du Pas-de-Calais, 15 mai 1919).

« Vous allez augmenter le nombre de femmes alcooliques si vous leur accordez le droit de vote : en les appelant à la fréquentation des réunions électorales et aux réunions de café qui suivent celles-ci, vous ne manquerez pas de développer l'alcoolisme que vous avez la légitime préoccupation de combattre » . (Raymond Duplantier, sénateur de la Vienne, 28 juin 1932).

N'oublions pas non plus les arguments politiques : « Jeter 12 millions d'électeurs de plus à un moment où, après la guerre, il y a 1 800 000 femmes de plus que d'hommes, c'est s'exposer à un bouleversement complet de notre régime politique et de nos lois » . (Alexandre Bérard, sénateur de l'Ain, 16 juin 1921).

Ces propos d'un autre âge présentent à mes yeux un double intérêt.

Ils permettent tout d'abord de mesurer le chemin parcouru depuis l'adoption de l'ordonnance du 21 avril 1944 qui a fait, un peu tardivement il est vrai - et par ordonnance donc sans débat - des femmes françaises des citoyennes à part entière.

Mais ils reflètent aussi des préjugés et des stéréotypes qui ont la vie dure même s'ils n'osent plus s'exprimer avec la même candeur ou la même franchise brutale.

La troisième raison pour laquelle je suis heureuse que notre débat se déroule ici, c'est que notre Sénat a beaucoup changé. Je puis en témoigner en qualité de présidente de la Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes.

Tout d'abord, parce que grâce à la loi du 6 juin 2000 et aux autres lois sur la parité qui l'ont complétée, la proportion de femmes élues au Sénat n'a cessé de progresser : 5,3 % en 1998, 10,6 % en 2001, 16,9 % en 2004 et maintenant, depuis 2008, 22 % avec 75 sénatrices sur un total de 343 sénateurs.

Les femmes sont depuis quelques années déjà plus nombreuses au Sénat qu'à l'Assemblée Nationale, où elles ne sont aujourd'hui que 18,5 %.

La proportion des sénatrices a donc quasiment quadruplé en 10 ans entre 1998 et 2008, et cette évolution a eu, je le crois, et mes collègues vous le confirmeront, des répercussions sensibles sur l'état d'esprit de notre assemblée.

Les femmes accèdent maintenant plus facilement aux postes de responsabilités du Bureau du Sénat. Mon élection à la vice-présidence du Sénat en 2004 avait constitué une petite révolution. Depuis le renouvellement de 2008, le Bureau du Sénat comporte deux vice-présidentes, Mme Catherine Tasca et Mme Monique Papon et cinq secrétaires. La présence des sénatrices ne fait plus question.

La loi sur la parité a permis, de la même façon, une entrée massive des femmes dans les conseils municipaux.

C'est particulièrement vrai dans les communes de plus de 3 500 habitants où les conseillers municipaux sont élus au scrutin de liste à deux tours dans un système qui fait une bonne part à la représentation proportionnelle.

La proportion des femmes y est ainsi passée de 25,7 % en 1995 à 47,5 % en 2001 grâce à la parité. Elle s'établit aujourd'hui, depuis les dernières élections municipales, à 48,5 % d'après les données recensées par l'Observatoire de la parité : un quasi-doublement en 10 ans.

La loi sur la parité ne s'applique pas dans les communes de moins de 3 500 habitants, mais peut-être a-t-elle malgré tout produit un certain effet d'entraînement : l'effectif des conseillères municipales est en effet passé de 21 % en 1995 à 30 % en 2001 et à 32,2 % en 2008. Ce n'est pas négligeable.

On a souvent remarqué que cette entrée massive des femmes dans les conseils municipaux ne s'était pas accompagnée d'un accès des femmes aux fonctions de maires dans des proportions équivalentes.

Dans les communes de plus de 3 500 habitants, les maires sont encore pour 90 % des hommes et pour 10 % des femmes (9,6 % pour être exact). Il est vrai que ce rapport n'était que de 4,4 % contre 95,6 % en 1995. Dans les communes de moins de 3 500 habitants, les femmes maires sont plus nombreuses : 14,2 % de l'ensemble. Elles n'étaient que 7,8 % en 1995.

Même si la proportion de femmes maires a cessé d'être marginale, elle conserve un caractère encore un peu exceptionnel qui justifie, en soi, le débat que nous vous proposons aujourd'hui.

Celui-ci nous permettra, je l'espère, d'évoquer très librement un certain nombre de questions qui nous paraissent fondamentales.

Quels sont les freins qui ralentissent l'accès des femmes aux responsabilités de maire ? Tiennent-ils à des pesanteurs sociologiques ? Celles-ci sont-elles le fait des électeurs ou des élus municipaux ? Trouvent-elles leur origine chez les femmes élues elles-mêmes qui hésiteraient à se proposer pour des responsabilités de premier rang ? Tiennent-elles tout simplement à des problèmes d'organisation matérielle et à la complexité supplémentaire qu'ajoute l'exercice d'un mandat politique à la difficulté déjà grande de concilier vie personnelle et vie professionnelle ?

Mais je souhaiterais aussi que vous nous indiquiez, au terme de votre première année de mandat, les impressions que vous retirez de l'exercice de ces responsabilités municipales. Pensez-vous que les femmes ont une approche différente de celle des hommes en matière de gestion d'une municipalité et qu'elles privilégient d'autres priorités ? Pensez-vous qu'elles ont également d'autres formes d'exercice du pouvoir et que, par exemple, elles recourent plus volontiers à la délégation ?

Enfin, le mandat municipal est souvent présenté comme la première étape dans la vie politique et l'on peut espérer d'ailleurs que les femmes élues à l'échelon municipal constitueront par la suite un vivier dans lequel se recruteront les candidates aux scrutins départementaux, régionaux et nationaux. Mais on dit aussi que les femmes n'ont pas la même approche « carriériste » que les hommes de leur engagement politique et qu'elles renoncent par exemple plus facilement à briguer un nouveau mandat quand elles estiment qu'elles ont atteint les objectifs pratiques qu'elles se proposaient de réaliser.

Toutes ces questions tournent au fond autour d'un grand thème général : « Femmes élues et temps de vie » . C'est pourquoi j'ai demandé à Mme Béatrice Majnoni d'Intignano, qui a beaucoup travaillé sur ces questions comme économiste et comme sociologue, de lancer notre débat.

Mme Majnoni d'Intignano est universitaire. Elle est professeure agrégée à l'université Paris XII Créteil. Elle est, par ailleurs, membre depuis 2006 du Conseil supérieur à l'égalité professionnelle entre les hommes et les femmes.

Je lui passe la parole.

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