ANNEXES

ANNEXE N° 1 : PRINCIPALES CONCLUSIONS DU PREMIER RAPPORT DE VOTRE DÉLÉGATION44 ( * )

Premier constat : la coordination des politiques économiques est un engagement international solennel , élément à part entière de l'équilibre sur lequel repose la construction européenne.

Elle est inscrite dans le Traité fondateur qui stipule que « les États membres considèrent leurs politiques économiques comme une question d'intérêt commun et les coordonnent au sein du Conseil » .

Deuxième constat : cet engagement est pertinent car, contrairement à ce que suggèrent certains travaux, la coordination des politiques économiques en Europe est non seulement nécessaire mais encore profitable.


• La thèse de l'inutilité de la coordination des politiques économiques s'accompagne souvent de celle de la nocivité de cette coordination. Elles reposent, principalement, toutes deux, sur des fondements théoriques que ne valident pas les travaux empiriques.

Elles amalgament arguments pseudo-techniques (les anticipations rationnelles des agents ôtent toute efficacité aux politiques budgétaires...) et visions « hobbesiennes » d'un État toujours prompt à se faire Léviathan (l'école du Public Choice...) pour construire des « modèles » où les politiques économiques sont au mieux inefficaces, au pire régressives. Dans ces conditions, les interdépendances économiques et financières entre États européens, que certaines études vont jusqu'à nier, ne sauraient être gouvernées. La seule coordination qui vaille est une coordination a minima dont l'essentiel du propos est d' encadrer les politiques économiques afin que celles-ci ne perturbent pas les différents marchés, des biens, du travail, du capital (les marchés financiers) et de la monnaie (les marchés des changes, le marché monétaire).

Cette approche exerce une influence très forte sur les modalités d'organisation de l'Europe économique dont le pacte de stabilité et de croissance témoigne dans le domaine budgétaire, ainsi que dans le domaine de l'économie réelle, les différentes recommandations visant à instaurer un cadre de croissance néo-classique (il s'agit globalement de la série des recommandations qui prônent la déréglementation du marché du travail - la flexibilité - du marché des biens - la mise en concurrence de toutes les productions - des marchés financiers - jugés responsables par essence et capables de s'autoréguler -). Quand des nuances sont introduites dans ce paradigme, ce qui est en partie le cas avec la stratégie de Lisbonne et, à un niveau plus global, avec l'édiction même du principe de coordination des politiques économiques, elles ne sont secondées par aucune procédure susceptible de leur conférer un prolongement pratique véritable.


• Pourtant, la coordination des politiques économiques en Europe est nécessaire et serait profitable .

La coordination des politiques économiques est nécessaire car l'incoordination crée des antagonismes, en incitant à des comportements de « passager clandestin ». Sans coordination, un pays peut par exemple compter sur la demande domestique de ses partenaires pour développer sa production en amplifiant ses gains par la contention de sa propre demande, ou encore, négliger, du moins un temps, son inflation, sûr que les efforts des partenaires maintiendront les taux d'intérêt communs dans une zone monétaire unique à un bas niveau.

La coordination est aussi profitable : elle permet d' optimiser l'efficacité de l'action publique et , avant cela même, de la rendre possible . Sans coordination des politiques économiques, dans des économies ouvertes les unes aux autres, les risques d'une politique économique expansive solitaire sont grands car les partenaires peuvent en capter les bénéfices ou exploiter ses coûts transitoires. Dès lors, les incitations à agir sont altérées et la coordination est nécessaire pour lever les barrières à l'action publique.

En outre, les moyens à mobiliser pour atteindre un même objectif sont beaucoup plus faibles quand les politiques économiques sont coopératives.

Troisième constat : malgré un engagement politique fort et pertinent en valeur de la coordination des politiques économiques, les États européens, loin d'avoir mis en oeuvre des politiques économiques coordonnées, ont conduit des politiques économiques antagonistes .


• S'agissant de la politique budgétaire , son utilisation à des fins conjoncturelles est restée purement nationale et les pays confrontés à des chocs communs ont adopté des réactions différentes qui en ont minoré l'efficacité .

Dans le même domaine budgétaire, les différences structurelles sont encore plus marquantes.

A travers un focus sur la comparaison franco-allemande, le rapport mettait d'abord en évidence un mouvement de ciseaux concernant le niveau relatif des dépenses publiques avec son corrélat, le taux des prélèvements obligatoires.

Élargissant le propos, il montrait encore que des phénomènes de concurrence fiscale étaient à l'oeuvre dans l'Union européenne. La structure des prélèvements obligatoires en est influencée : des pays captent des recettes fiscales très supérieures en proportion au poids relatif de l'activité économique qui est le leur, l'imposition du capital est en Europe en baisse sensible et plus légère qu'aux États-Unis, des réaménagements de fiscalité ont été entrepris pour pénaliser les exportations des partenaires...


• S'agissant du partage de la valeur ajoutée , la divergence, là aussi, est notable. Les coûts salariaux unitaires révèlent dans leur évolution trois « modèles » : celui (allemand et autrichien) de désinflation compétitive ; celui (italien et espagnol) de déformation du partage de la valeur ajoutée au profit des salariés ; un modèle, français notamment, plus équilibré.

Quatrième constat : l'Europe accumule des déséquilibres.

Dans les conditions de concurrence des choix macroéconomiques, la compétitivité-prix des pays européens se déforme et les différentiels de dynamique des croissances de la demande domestique - qui sont liées à ces configurations hétérogènes - ajoutent à ce premier facteur pour entraîner le creusement des déséquilibres commerciaux entre pays européens.

L'Allemagne, l'Autriche, la Finlande et les Pays-Bas ont accumulé des excédents commerciaux tandis que les autres pays ont subi une dégradation de leurs positions commerciales internationales.

Ce phénomène est étroitement corrélé avec les variations des coûts salariaux unitaires ainsi que le montre le graphique suivant.

CORRÉLATION ENTRE LES COÛTS SALARIAUX UNITAIRES ET LES VARIATIONS DES SOLDES COURANTS ENTRE LA PÉRIODE 1991-1998 ET LA PÉRIODE 1999-2006

Source : Commission européenne.

Hormis les Pays-Bas qui ont augmenté leur excédent courant alors que les coûts salariaux unitaires y étaient croissants, la corrélation est forte entre les deux variables pour les deux raisons mentionnées.

Au total, il existe en Europe certains États qui se laissent tirer par d'autres alors même que les niveaux relatifs de développement en Europe impliqueraient plutôt la situation inverse.

Pour finir, le rapport mentionnait les inquiétudes que l'antagonisme des politiques économiques en Europe conduisait à nourrir.

Pour décrire la situation actuelle de l'Europe , on peut évoquer un triangle d'incompatibilité .

TRIANGLE D'INCOMPATIBILITÉ EUROPÉEN

Source : CEPII

Dans le cadre de l'euro , le pacte de stabilité contraint à renoncer aux déficits structurels, objectif en soi contestable et dont l'atteinte devient totalement illusoire en cas de généralisation des politiques non-coopératives, notamment de concurrence fiscale, tout en faisant obstacle aux objectifs de la stratégie de Lisbonne , avec lesquelles les politiques économiques européennes antagonistes entrent, elles-mêmes, directement en conflit, par leur esprit et leurs incidences pratiques.

L'angle le plus faible du triangle est assurément la stratégie de Lisbonne , qui est pourtant le seul projet économique européen . Ni la monnaie unique, l'euro, qui est un instrument essentiel, mais qui n'est qu'un instrument, ni la concurrence ne sont de vraies politiques économiques puisqu'elles ne comportent en elles-mêmes aucun objectif économique.

Au total, le défaut de coordination des politiques économiques en Europe , qui se résout en une « coordination de fait », en dégénérant en politiques économiques antagonistes , est source de problèmes qui ne sont pas seulement de court terme et conjoncturels mais, encore, au-delà des problèmes structurels .

De ce dernier point de vue, le rapport estimait que :


• l'euro pouvait être menacé ;


• et que l'objectif d'élévation de la croissance potentielle en Europe (la « Stratégie de Lisbonne ») était relégué au rang de simple rhétorique.

* 44 Rapport d'information de MM. Joël Bourdin et Yvon Collin, au nom de la délégation du Sénat pour la planification, n° 113 (2007-2008) : « La coordination des politiques économiques en Europe : le malaise avant la crise ? ».

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