B. MAIS, REFLETS DU MAINTIEN D'UNE VISION RÉDUCTRICE DE L'ÉQUILIBRE BUDGÉTAIRE...
Mais, malgré ces assouplissements apparents (et relatifs), la réforme consacre en fait une position de principe limitant le maniement contra-cyclique de la politique budgétaire.
En effet, il faut compléter les amendements apportés aux règles du pacte de stabilité et de croissance par la prise en compte d'une disposition fondamentale devant se traduire par l'effet contraire :
« Lorsqu'il évalue la trajectoire d'ajustement qui doit conduire à la réalisation de l'objectif budgétaire à moyen terme, le Conseil examine si l'État membre concerné procède à l'amélioration annuelle de son solde budgétaire corrigé des variations conjoncturelles, déduction faite des mesures ponctuelles, et autres mesures temporaires, de 0,5 % du PIB en tant que référence, requise pour atteindre son objectif budgétaire à moyen terme. Le Conseil examine également si un effort d'ajustement plus important est consenti en période de conjoncture économique favorable, alors que l'effort peut être plus limité pendant les périodes défavorables. »
On doit sans doute relever la concession que l'effort d'ajustement structurel peut être moins important lorsque la période est économiquement défavorable que les 0,5 point de PIB requis dans le droit commun. Toutefois, outre qu'elle ressort comme une concession, elle n'empêche que doive être réalisé un effort d'ajustement structurel même dans les périodes défavorables.
On en déduit que la discipline budgétaire en Europe reste fondamentalement inspirée par un principe de limitation de l'utilisation de l'instrument budgétaire à des fins contracycliques .
En cas de ralentissement économique, la politique budgétaire ne peut agir discrétionnairement dans un sens compensateur. On admet certes que le déficit public puisse augmenter sous l'effet du ralentissement, mécanismes que les économistes désignent sous le nom de « jeu des stabilisateurs automatiques », mais ce jeu est doublement contraint :
• d'une part, dans l'état de la
réglementation européenne, il n'est pas sûr qu'il puisse se
dérouler jusqu'à la perspective d'un déficit de moyen
terme supérieur à 1 point de PIB (voir
supra
) ;
• d'autre part, les décisions de politique
budgétaire (la
politique budgétaire
discrétionnaire
32
(
*
)
) non seulement ne peuvent amplifier l'effet des
stabilisateurs automatiques quand bien même celui-ci serait insuffisant
pour contrecarrer le ralentissement économique, mais encore sont
supposées le limiter. Sans doute, l'ajustement structurel peut-il
être moindre que les 0,5 point (au moins) prévu usuellement,
mais il doit y avoir ajustement structurel.
Autrement dit, le pacte de stabilité et de croissance n'interdit pas qu'une impulsion budgétaire (définie comme la somme de la variation conjoncturelle du solde public et de sa variation structurelle) intervienne en cas de ralentissement économique, mais il en limite l'ampleur. Celle-ci est nécessairement plus faible que ce qui résulte du jeu des stabilisateurs automatiques, dans la mesure où quand ceux-ci induisent un glissement conjoncturel du solde public, des mesures discrétionnaires doivent intervenir pour rapprocher le solde public d' un objectif d'équilibre, voire d'excédent, à moyen terme .
Le pacte de stabilité et de croissance comporte un biais qui limite systématiquement les possibilités d'utiliser la politique budgétaire pour contrer un ralentissement.
1. Des indicateurs de surveillance des positions budgétaires dont, significativement, le simplisme subsiste
Dans l'Union européenne, comme c'est d'ailleurs le cas globalement dans le monde économique développé, les finances publiques mobilisent une fraction très importante des ressources économiques (autour de 45 % dans l'Union européenne).
Cette réalité devrait inviter à un développement de l'économie des interventions publiques. Or, c'est tout le contraire qu'on constate. L'économie des interventions publiques est sans doute la branche la plus sous-développée de l'économie. Qu'on compare le luxe de détails avec lequel tel investissement privé est soupesé avec sa cohorte de « business plans », de tableaux de financement, d'indicateurs de rendement et la légèreté de nos instruments de pilotage budgétaire ! Qu'on observe aussi que ceux-ci sont quasi-exclusivement des clignotants de gestion, et qu'ils ne livrent presque jamais d'informations sur leurs « retours » économiques et sociaux, qui en sont pourtant la justification essentielle !
On ne reprendra pas ici en détail les arguments pour et contre les politiques budgétaires contra-cycliques exposées dans le premier rapport de votre délégation sur la coordination des politiques économiques.
Les oppositions à des politiques budgétaires actives ne sont plus guère « audibles » en ces temps de récession, voire de dépression. Pour n'évoquer que la thèse selon laquelle un déficit budgétaire provoque en soi une réduction de même ampleur de la demande des agents (« théorème d'équivalence Ricardo-Barro), bien rares doivent être aujourd'hui les agents économiques qui augmentent leur épargne du seul fait des perspectives offertes par l'amplification des déficits publics. Il faut concéder que la politique monétaire paraît aujourd'hui hors d'état de soutenir l'activité : elle est partiellement paralysée dans son efficacité par les anticipations inflationnistes et le marasme qui touche les bilans de ses relais, les banques.
Pourtant, il faut revenir autrement sur ce sujet en s'inquiétant des pesanteurs que l'Europe, au niveau communautaire, continue de connaître, voire de promouvoir.
En un mot, la doctrine de la Commission européenne en ce domaine pose un véritable problème et les conditions dans lesquelles elle entend appliquer le pacte de stabilité et de croissance traduisent une conception qui ne peut qu'inquiéter.
Ainsi, il faut montrer, comme un prolongement à ce problème, l'urgence renouvelée qu'il y a à mettre en place une coordination efficace de politiques budgétaires conjoncturelles en Europe et énoncer quelques suggestions pratiques pour une telle instauration.
La Commission européenne n'a pas inventé le pacte de stabilité et de croissance. Et on ne peut se plaindre qu'elle en fasse application. Pour autant, cette application n'est pas mécanique : la Commission dispose d'une marge d'appréciation et d'une marge d'expression dont elle use comme il est normal. Mais, comme il est normal aussi, ce faisant elle s'expose aux critiques .
Rappelons aussi que la Commission européenne est une institution à part de l'Union européenne, qui a pour mission de promouvoir l'intérêt général de l'Union et qu'à cette fin, elle dispose d'un pouvoir d'initiative, mais aussi se voit reconnaître un rôle de coordination.
On ne fera ici qu'évoquer la question des délais de réaction de la Commission face à une crise économique qu'elle n'a pas plus que d'autres su ni prévenir, ni anticiper.
Il reste que ces délais posent un problème en soi, qu'il s'agisse de la conception d'un plan de relance intervenu fin novembre 2008 ou de la situation critique que connaît le marché intérieur en cette fin de premier trimestre 2009 du fait de l'extrême détérioration de la situation économique des pays dits de l'Europe centrale et orientale. S'agissant du plan de relance, il est quand même un peu étonnant que dans l'introduction à sa communication au Conseil du 26 novembre 2008, la Commission puisse paraître ne s'être décidée à agir qu'après que la dégradation du climat économique en Europe ait offert la perspective d'une croissance négative et qu'après avoir été sollicitée par le Conseil (début novembre) de lui adresser des propositions pour une réponse coordonnée des États à la crise.
Mais, c'est surtout par ce que révèlent ces délais de la conception même du rôle de la Commission au service de la coordination des politiques économiques que réside le problème.
En premier lieu, l'intervention de la Commission européenne pour promouvoir une relance budgétaire coordonnée ne va pas de soi dans le cadre actuel de la construction européenne. Que la Commission ne soit intervenue qu'à la suite d'une demande du Conseil n'était pas inéluctable d'un point de vue juridique mais cela semble découler d'une culture générale qui confère à la Commission dans le domaine budgétaire, plutôt un pouvoir d'empêcher (les États de passer outre les règles du pacte de stabilité et de croissance), qu'un pouvoir d'entraîner . Juridiquement , la mission de promotion de l'intérêt général européen et la mention des fonctions de coordination de la Commission semblent suffire à ce qu'elle prenne des initiatives visant à ce qu'un plan de relance européen coordonné soit mis en oeuvre. Culturellement , ce type d'initiative n'entre pas dans le patrimoine de la Commission pour des raisons qui ne tiennent pas seulement, et pas essentiellement, à l'exceptionnalité des circonstances économiques du moment.
Ces raisons sont, en effet, plus profondes et tiennent à la conception que s'est forgée la Commission de la bonne politique budgétaire .
Dans un de ses précédents rapports 33 ( * ) , votre délégation avait fait l'historique du pacte de stabilité et de croissance et montré comment divers codes de conduite adoptés par le Conseil, sur rapport de la Commission , avaient resserré les « dispositions budgétaires » au point d'orienter l'application du pacte dans le sens d'une position budgétaire devant être structurellement équilibrée voire excédentaire . Cette option a été défendue à la fois :
au nom de la logique du volet préventif du pacte
de stabilité et de croissance qui vise à prévenir
l'apparition d'un déficit public excessif
(- 3 points de
PIB) et conduit ainsi à recommander d'être dans une situation
budgétaire structurellement équilibrée afin de pouvoir
« encaisser » les ralentissements conjoncturels sans
dépasser cette limite fatidique ;
et pour assurer plus structurellement la soutenabilité à long terme des finances publiques confrontée aux perspectives financières liées au vieillissement de la population (ralentissement de la croissance potentielle, donc des recettes fiscales, et alourdissement des dépenses publiques liées à l'âge dans les domaines de l'éducation et de la santé).
Quoi qu'il en soit de son bien-fondé, à ce stade, la conception des finances publiques dont les règles de fond du pacte de stabilité et de croissance témoignent, a trouvé dans la Commission un défenseur, comme il est normal, très rigoureux, ce qui relève davantage d'un choix et ses conséquences ne sont pas mineures : pour ce qui nous occupe ici, l'intervention de la politique budgétaire à des fins de stabilisation conjoncturelle - qui est un des trois fondements essentiels de l'intervention de l'État dans le fonctionnement économique - en ressort très rigoureusement encadrée.
Hors circonstances exceptionnelles, la politique budgétaire conjoncturelle est conditionnée à un objectif structurel d'équilibre qui peut conduire à la contrecarrer et se trouve limitée dans son ampleur par le jeu de deux verrous : le déficit public ne doit pas dépasser - 3 points de PIB ; théoriquement, il ne peut excéder ce qu'implique le jeu des « stabilisateurs automatiques ».
LES CIRCONSTANCES EXCEPTIONNELLES
Dans sa version initiale de 1997, le Pacte de stabilité et de croissance (PSC) prenait en compte l'effet mécanique du ralentissement de la croissance sur le solde budgétaire en inscrivant dans le Pacte deux cas de « circonstances exceptionnelles » permettant de suspendre la procédure pour déficit excessif : si, au cours de l'année, le PIB avait baissé d'au moins 2 %, cette procédure était automatiquement stoppée ; pour une baisse du PIB comprise entre 0,75 % et 2 %, la clause de « circonstances exceptionnelles » pouvait être activée, après discussion au sein du Conseil et justification du caractère soudain de la récession. Depuis l'entrée en vigueur du PSC en 1999, la conjoncture des pays de la zone euro n'a jamais été dégradée au point d'approcher ces seuils (voir le tableau ci-dessous). En mars 2003, le Pacte a été amendé dans le sens d'une meilleure prise en compte de la conjoncture, mais la définition des « circonstances exceptionnelles » est restée inchangée. Toutefois, à l'automne 2004, la Commission européenne a énoncé un certain nombre de principes en vue d'un réaménagement du PSC qui comprenait l'assouplissement de la définition des « circonstances exceptionnelles ». Afin de tenir compte des périodes où la croissance est positive, mais très faible pendant une durée prolongée, et quand de telles évolutions son inattendues, d'éventuelles améliorations pourraient inclure la redéfinition du concept de grave récession économique et une clarification du « caractère soudain de la récession et de la « baisse cumulative de la production par rapport à l'évolution constatée dans le passé » . Finalement, le nouveau régime « circonstances exceptionnelles » qui a été adopté est le suivant : un déficit excédant 3 points de PIB peut ne pas conduire à l'engagement d'une procédure pour déficit excessif quand le déficit résulte soit d' une circonstance inhabituelle indépendante de la volonté de l'État membre ayant des effets sensibles sur les finances publiques, soit d'une grave récession économique . Depuis la réforme de 2005, la « grave récession économique » est évaluée comme suit : - un taux de croissance négatif, - ou une période de faible croissance prolongée (« baisse cumulative de la production pendant une période prolongée de croissance très faible par rapport au potentiel de croissance »). |
CROISSANCE DU PIB EN VOLUME
(Glissement annuel en %)*
1999 |
2000 |
2001 |
2002 |
2003 |
|
Allemagne |
2,1 |
2,9 |
0,6 |
0,2 |
0,4 |
Autriche |
2,7 |
3,5 |
0,7 |
1,0 |
1,2 |
Belgique |
3,2 |
3,7 |
0,8 |
0,7 |
1,2 |
Espagne |
4,2 |
4,2 |
2,7 |
2,0 |
2,0 |
Finlande |
3,4 |
5,5 |
0,7 |
1,6 |
2,2 |
France |
3,2 |
3,8 |
2,1 |
1,2 |
1,1 |
Grèce |
3,6 |
4,2 |
4,1 |
4,0 |
3,6 |
Irlande |
11,1 |
10,0 |
5,7 |
6,0 |
3,3 |
Italie |
1,7 |
3,1 |
1,8 |
0,4 |
1,0 |
Pays-Bas |
4,0 |
3,3 |
1,3 |
0,3 |
0,1 |
Portugal |
3,8 |
3,7 |
1,6 |
0,5 |
0,5 |
* Les cases grisées indiquent les cas où les déficits publics dépassent les 3 % |
Source : Commission européenne
La définition des circonstances exceptionnelles ressort comme plus souple qu'auparavant puisque la récession peut être constatée non seulement en cas de repli de la production (le taux de croissance négatif) mais encore si le taux de croissance étant positif est malgré tout « très faible par rapport au potentiel de croissance » de l'économie concernée.
Il n'est donc plus nécessaire de subir une contraction de sa production pour que soit reconnue l'existence d'une récession.
Cependant cet assouplissement reste assez vague puisque des conditions imprécises sont formulées (« faible croissance prolongée » ; « très faible », « par rapport au potentiel de croissance ») . En outre, il est aussitôt tempéré par une condition qui laisse une très grande marge d'appréciation à la Commission. La dégradation des comptes publics doit n'être que temporaire. Or le dépassement est considéré comme « temporaire » si les prévisions de la Commission européenne indiquent que le déficit passera en dessous de la valeur de référence lorsque la circonstance inhabituelle ou la grave récession aura disparu.
L'application récente des règles du pacte de stabilité démontre l'ampleur des marges de manoeuvre subsistantes (voir plus loin).
La procédure de déficit excessif a été réformée en 2005 pour accroître la marge d'appréciation de la Commission européenne, pour réduire l'automaticité du pacte de stabilité et de croissance.
Désormais, la Commission tient compte de « tous les facteurs pertinents ». Cette notion comprend :
- l'évolution de la position économique à moyen terme , en particulier :
• le potentiel de croissance,
• les conditions conjoncturelles,
• la mise en oeuvre de politiques dans le cadre du
programme de Lisbonne,
• les politiques visant à encourager la
R&D et l'innovation ;
- l'évolution de la position budgétaire à moyen terme , notamment :
• les efforts d'assainissement budgétaire au
cours de « périodes de conjoncture favorable »,
• la viabilité de la dette,
• les investissements publics,
• la qualité globale des finances
publiques.
En outre, la Commission accorde « toute l'attention voulue à tout autre facteur » qui, de l'avis de l'État membre concerné, est pertinent pour pouvoir évaluer globalement, en termes qualitatifs, le dépassement de la valeur de référence, et que l'État membre a présenté à la Commission et au Conseil.
A cet égard, une attention particulière est accordée aux efforts budgétaires visant à accroître ou à maintenir à un niveau élevé les contributions financières destinées à :
• encourager la solidarité internationale,
• réaliser des objectifs de la politique
européenne, notamment l'unification de l'Europe si elle a un effet
négatif sur la croissance et la charge budgétaire de État
membre.
Une évaluation globale équilibrée tient compte de tous ces facteurs.
* 32 Voir l'encadré pour une définition des différents concepts utilisés pour l'analyse de la position budgétaire des Etats.
* 33 Voir notamment le rapport d'information n° 369 de la délégation pour la planification : « Pour une discussion du pacte de stabilité et de croissance », de M. Joël Bourdin (2002-2003).