2. Les perspectives sans réforme de la PCP
La Commission analysait ensuite les perspectives sans réforme de la PCP dans plusieurs dimensions : l'état de conservation des stocks, la dimension environnementale, la flotte, le processus décisionnel, le contrôle et la dimension économique et sociale, et la pêche en Méditerranée.
L'état des principaux stocks de poisson suscitait l'inquiétude. Le Conseil international pour l'exploitation de la mer (CIEM) a pu montrer que les quantités de poissons démersaux adultes ont accusé une baisse importante depuis 25 ans. Entre 1970 et 1990, les quantités ont diminué de 90 %. Les tonnages débarqués ont diminué dans les mêmes proportions . Les poissons pélagiques ont, eux, connu une augmentation qui s'explique en large partie par la restauration du stock de hareng mais sans doute également par la diminution du nombre des prédateurs. La pérennité d'un nombre élevé de stocks était susceptible d'être compromise d'autant plus que la régénération était plus faible que prévu, imposant des plans de reconstitution spécifiques.
Cette situation s'expliquait par des déficiences en matière de gestion dans l'état, à l'époque, de la PCP. Celle-ci recourait presque exclusivement au plafonnement des quantités qu'il était permis de pêcher en un an (totaux admissibles de capture - TAC - et quotas nationaux) combiné à des mesures techniques et à la maîtrise de l'effort de pêche. « Ces tentatives ont largement échoué ».
La Commission relevait d'ailleurs qu'il « n'a pas été possible non plus d'impliquer suffisamment les pêcheurs dans la politique mise en oeuvre, ce qui aurait permis d'obtenir leur adhésion et de mettre à profit leur savoir-faire » . De plus, les outils se sont révélés peu efficaces pour gérer les pêcheries multispécifiques, mais aussi parce que nombreuses mesures techniques sont restées lettre morte, notamment en Méditerranée.
La dimension environnementale était également un sujet de préoccupation. La Commission estimait que la PCP devrait à l'avenir l'intégrer de manière beaucoup plus volontariste. La dégradation des habitats consécutive aux activités de pêche suscitait une inquiétude croissante alors même qu'on ne disposait que d'une connaissance trop fragmentaire du fonctionnement des écosystèmes marins et des effets seconds de la pêche.
A cet égard, la Commission admettait : « Pour être équitable, il importe de souligner que bon nombre des questions qui se posent en matière d'environnement marin ne sont pas liées à l'industrie de la pêche, laquelle a d'ailleurs pâti de dégâts environnementaux. La pollution est préjudiciable à la qualité du poisson proposé au consommateur. Les pollutions mais aussi l'évolution du climat sont des facteurs qui ont eux aussi contribué à la diminution du stock ou la raréfaction du poisson dans certaines zones. A ces facteurs s'ajoutent les effets du tourisme ».
Concernant la flotte, la Commission estimait que « la flotte actuelle est beaucoup trop importante . Le progrès technique accroît l'efficacité des bateaux de pêche et il réduit l'efficacité des efforts tendant à une réduction programmée de la capacité ». Elle relevait que des rapports de 1990 et 1995 préconisaient une réduction de la mortalité par pêche en moyenne de 40 % et parfois beaucoup plus et donc de diminuer fortement l'effort de pêche. Elle regrettait particulièrement qu'après un effort de l'ordre de 15 % entre 1992 et 1996, le seul objectif de réduction de 3 % de 1997 à 2001 ait en réalité conduit à une augmentation de la puissance de capture compte tenu de l'importance du progrès technique. De ce fait, la Commission jugeait « Si le cap suivi actuellement n'était pas rectifié, non seulement il serait impossible de réduire la capacité excessive de la flotte, mais l'effort de pêche augmenterait encore alors même qu'il est déjà trop intense eu égard à l'état des stocks ».
Le processus de décision n'apparaissait pas bien adapté à la nécessité de réagir à des problèmes locaux ou à des situations de crise, comme l'interdiction immédiate de zones de pêche. En outre, « les acteurs de la pêche ont le sentiment de ne pas être suffisamment associés à certains aspects importants de la PCP, par exemple l'élaboration d'avis scientifiques ou l'adoption de mesures techniques. Beaucoup de pêcheurs estiment notamment que leurs opinions et leurs connaissances ne sont pas assez prises en considération par les décideurs et par les scientifiques. Ce déficit de participation influe négativement sur l'adhésion aux mesures de conservation adoptées ». La aussi la Commission concluait que « la réforme de la PCP ne peut pas réussir si les pêcheurs ont le sentiment que leurs intérêts, leurs points de vue et leur expérience sont tenus pour quantité négligeable ».
En matière de surveillance et de contrôle , les dispositions « actuelles » étaient jugées insuffisantes et leur efficacité pas à la mesure des besoins de l'Union .
Le constat était assez grave : « Les actions de surveillance et de contrôle mises en oeuvre aux fins de la PCP sont considérées par beaucoup comme insuffisantes et discriminatoires . Dans la presque totalité des États membres, les pêcheurs demandent que l'on mette en place au niveau communautaire un système de contrôle plus centralisé et plus harmonisé , qui permettrait selon eux d'agir plus efficacement dans toute la Communauté et d'y assurer l'égalité de traitement ». Là aussi, la Commission soulignait la gravité de la situation : « En manquant cette occasion, on porterait un coup fatal à la crédibilité de la PCP ».
La dimension économique et sociale n'était pas absente du Livre vert mais c'était pour constater l'importance des subventions publiques consenties au secteur, les effets « fâcheux » de la surcapacité sur la rentabilité de la flotte, un emploi qui ne cesse de décliner et que « si les politiques et les approches actuelles ne sont pas remises en cause, la durabilité et la viabilité économique du secteur de la pêche se dégraderont de plus en plus ».
La Commission pointait très clairement l'étroite corrélation entre la surcapacité, la rentabilité des navires et les ressources halieutiques disponibles : « S'il y a surcapacité, il faut partager entre un nombre plus élevé d'intervenants la somme totale plus ou moins constante correspondant à la valeur du poisson débarqué. La surcapacité a un certain nombre de conséquences économiques fâcheuses : chaque navire, considéré isolément, est moins à même de procurer un revenu adéquat ; la rentabilité de la flotte souffre de la sous-utilisation des investissements ; concomitamment, l'insuffisance du retour sur investissement retarde la modernisation et affaiblit encore la compétitivité ».
Son jugement sur les subventions publiques était sévère : « Quant aux subventions dont bénéficient aujourd'hui les investissements réalisés dans le secteur de la pêche et à certaines mesures fiscales comme la détaxation du carburant, elles ne contribuent assurément pas à la réalisation de ces objectifs ; réduisant artificiellement les coûts ainsi que les risques inhérents à l'investissement, elles aggravent les difficultés d'un secteur qui souffre déjà de surcapitalisation. Dès qu'un navire donne lieu à l'octroi de subventions, chaque navire de la flottille concernée enregistre une baisse de sa productivité et de sa rentabilité. La politique de subvention a également un effet pervers sur la concurrence, étant donné que les navires, subventionnés ou non, se partagent les mêmes zones de pêche et le même marché ».
Utiliser les subventions pour préserver l'emploi à la pêche n'est pas moins négatif et voué à l'échec selon la Commission . Elles n'ont pu empêcher l'emploi de diminuer de 2 % par an en raison de l'effet combiné de la raréfaction de la ressource et du progrès technique, sachant par ailleurs que la faible rentabilité de la flottille empêche d'accroître les rémunérations.
A nouveau, la conclusion de la Commission était sans appel : « Les politiques économiques menées jusqu'à présent dans le secteur de la pêche au niveau communautaire ou national laissent beaucoup à désirer ».
Enfin, au sujet de la pêche en Méditerranée, la Commission indiquait : « Il s'est révélé difficile d'appliquer les tailles de débarquement minimum et d'en imposer l'exécution. L'existence d'un marché pour les poissons de plus petite taille, l'absence - traditionnelle dans certaines régions du bassin méditerranéen - de contrôles rigoureux et le sentiment largement répandu chez les pêcheurs de n'avoir pas été assez associés aux décisions prises » formaient un ensemble de facteurs qui conduisaient à une situation particulièrement insatisfaisante, d'autant plus que les flottes des pays tiers étaient loin d'êtres soumises aux mêmes règles.