III. QUELLE INSCRIPTION EN LOI DE FINANCES POUR LES REFUS D'APUREMENT ?
Dans ses travaux consacrés au projet de loi de finances pour 2008 33 ( * ) , votre rapporteur spécial s'était interrogé sur les raisons qui conduisaient le Gouvernement à ne jamais inscrire de crédits en loi de finances initiale pour financer les refus d'apurement communautaire, ainsi que sur la compatibilité d'une telle pratique avec le principe de sincérité de la prévision budgétaire . La présente enquête a par conséquent été l'occasion d'approfondir la question de la transcription budgétaire et comptable des refus d'apurement, à laquelle s'ajoute celle de leur articulation avec l'évaluation de la performance.
A. LA BUDGÉTISATION DES REFUS D'APUREMENT : DES ANALYSES DIVERGENTES
Les refus d'apurement ont longtemps été financés par une inscription « automatique » de crédits au budget du ministère chargé de l'agriculture, réalisée en loi de finances rectificative . Le ministère mettait ces crédits à disposition de l'agence centrale du Trésor qui compensait, auprès des organismes payeurs, l'impact des refus d'apurement.
Cette pratique, qui aboutissait à priver la sanction européenne de tout effet sur le ministère chargé de l'agriculture et les organismes payeurs, a été abandonnée en 2006 et 2007 par le ministère chargé du budget, qui a refusé d'inscrire le montant des refus d'apurement en loi de finances rectificative . Cette décision résultait d'une volonté de responsabilisation du ministère de l'agriculture et de la pêche qui, s'il avait à supporter les conséquences financières des erreurs commises dans le paiement des aides européennes, serait incité à réduire leur fréquence.
1. Les raisons d'une budgétisation ex post
a) La position du ministère chargé du budget : une budgétisation aléatoire, auto-réalisatrice et contre-productive
La direction du budget du ministère du budget, des comptes publics et de la fonction publique oppose plusieurs arguments à la budgétisation des refus d'apurement en loi de finances initiale. Une telle budgétisation serait en premier lieu difficile à calibrer , dans la mesure où, comme votre rapporteur spécial l'a souligné, les refus d'apurement constituent une dépense très erratique, dont les montants varient dans des proportions très significatives d'une année sur l'autre.
En deuxième lieu, la direction du budget estime qu'une telle budgétisation serait auto-réalisatrice , les autorités nationales reconnaissant en quelque sorte leur « culpabilité » en inscrivant des crédits au titre des corrections attendues.
Enfin, le ministère chargé du budget fait valoir qu'une budgétisation ex ante serait contraire au principe « responsable-payeur », en ce qu'elle rendrait l'impact budgétaire des refus d'apurement indolore pour le ministère de l'agriculture et affaiblirait l'incitation, pour ce ministère, à éradiquer les irrégularités à la source des pénalités financières . Pour ces raisons, la solution retenue consiste donc à utiliser, pour le financement des refus d'apurement en loi de finances rectificative, une partie des crédits mis en réserve en début d'année au titre de la régulation budgétaire.
b) La position du ministère de l'agriculture et de la pêche : une marge de manoeuvre impossible à dégager dans le cadre des plafonds 2009-2011
Votre rapporteur spécial observe que le ministère de l'agriculture de la pêche souscrit globalement aux arguments opposés par la direction du budget à une inscription des refus d'apurement en loi de finances initiale. Cette convergence de vues résulte des mêmes objections de principe, mais également et surtout d'une forme de « réalisme budgétaire » , qui fait dire aux représentants du ministère que le dimensionnement au plus juste des crédits de la mission « Agriculture, pêche, alimentation, forêt et affaires rurales » rendrait très difficiles des redéploiements à enveloppe constante au profit des refus d'apurement.
Ainsi que l'a souligné M. Michel Cadot, au cours de l'audition à laquelle a procédé votre commission, la budgétisation des refus d'apurement en loi de finances initiale « n'a pas été prévu(e), dans nos plafonds 2009-2010. (...) Je comprends qu'on souhaite mettre un affichage en loi de finances - et c'était la recommandation de la Cour des comptes. (...) On peut trouver différents schémas pour afficher cette réalité du risque d'apurement dès la LFI mais j'insiste sur le fait qu'actuellement, pour le ministère de l'agriculture, qui a fait des efforts et qui va les poursuivre, ce ne serait pas très cohérent de l'afficher en cours de programmation et après que les négociations budgétaires ont été achevées. Je pense préférable que ce schéma soit réfléchi pour l'après 2011, dans le cadre d'une prochaine programmation - de sorte à responsabiliser les résultats du travail engagé ».
En substance, les représentants du ministère de l'agriculture et de la pêche semblent redouter les arbitrages qu'entraînerait une budgétisation en LFI des crédits dévolus aux refus d'apurement communautaire, arbitrages dont le caractère douloureux a été ostensiblement mis en évidence, au cours de l'audition, par le directeur de cabinet du ministre : « j'ai noté le souhait d'une sorte de pénalisation, qui nécessiterait alors - je tiens à le dire clairement devant les sénateurs - de prélever sur d'autres programmes. Il faudrait par exemple que nous limitions la prime à la vache allaitante ou l'indemnité compensatoire de handicap naturel, pour trouver ces 25 millions 34 ( * ) d'euros !! »
2. Les arguments plaidant pour une inscription en loi de finances initiale
Si plusieurs arguments plaident pour la budgétisation ex post des refus d'apurement, l'absence totale d'inscription de crédits en loi de finances initiale n'en est pas pour autant satisfaisante au regard de l'impératif de sincérité budgétaire .
a) La position du Comité interministériel d'audit des programmes
Dans un avis du 13 septembre 2006, le comité interministériel d'audit des programmes (CIAP) rappelait « la nécessité de veiller à la sincérité du programme en dotant, dès la LFI, les lignes particulièrement importantes concernant [...] les suites financières des refus d'apurement , dès lors qu'elles apparaissent inéluctables pour l'année budgétaire concernée ».
Cette observation s'inscrivait dans une analyse plus globale des fortes perturbations qui affectent traditionnellement l'exécution budgétaire en matière agricole, en raison des aléas fréquents touchant ce secteur (aléas économiques, sanitaires ou climatiques). Le CIAP notait en particulier que « dans le nouveau contexte de la LOLF qui donne désormais une grande importance à la mesure de la performance, cette pratique, outre la question de la sincérité budgétaire qu'elle pose, conduit à des réallocations internes de crédits qui vont bien au-delà des logiques de fongibilité et mettent en cause la capacité des gestionnaires à se projeter dans l'état d'esprit que requiert la mise en oeuvre de la LOLF. »
En somme, l'absence de budgétisation en LFI des refus d'apurement peut être regardée comme un facteur aggravant de ces perturbations de l'exécution budgétaire, difficilement compatible avec une gestion de long terme et avec la poursuite d'une démarche de performance.
b) L'analyse de la Cour des comptes
Les conclusions auxquelles est parvenue la Cour des comptes au terme de son enquête sont de nature similaire : « l'absence de toute inscription budgétaire, dans le budget du MAP, même indicative ou évaluative, est en contradiction avec l'esprit de la LOLF ».
Au total, l'inscription de crédits en loi de finances rectificative résulte de l'absence totale de dotation en loi de finances initiale, mais aussi de l'impossibilité de dégager en gestion des montants de crédits suffisants pour faire face à des corrections financières qui se chiffrent fréquemment en dizaines de millions d'euros. Or, selon la Cour, « si l'on peut trouver des fondements à cette conception, elle se révèle à l'usage contestable dans la mesure où les refus d'apurement sont annuellement inscrits au budget de l'Etat et que leur montant, certes variable d'un exercice à l'autre comme dans le temps tout au long de la procédure d'apurement, peut néanmoins être cerné avec une certaines précision au fur et à mesure de l'avancement de cette procédure. D'ailleurs le MAP et la direction du Budget disposent des évaluations faites par l'AUP ».
Compte tenu de ces observations, la Cour a suggéré d'inscrire en loi de finances initiale un montant de crédits égal soit à la moyenne des dix dernières années (ce qui correspond à environ 100 millions d'euros), soit au niveau de correction le plus faible de ces mêmes dix dernières années (23 millions d'euros en 2007), et d'ajuster ces montants en loi de finances rectificative compte tenu des refus d'apurement effectivement enregistrés.
* 33 Voir le rapport général n° 91 (2007-2008), tome III, annexe 3.
* 34 Ce montant correspond approximativement à une inscription de crédits minimale recommandée par la Cour des comptes.