EXAMEN EN DÉLÉGATION
Au cours de sa réunion du mercredi 12 novembre 2008 , tenue sous la présidence de M. Joël Bourdin, président, la délégation pour la planification a procédé à l'examen du rapport d'information de M. Joël Bourdin, président, rapporteur, sur les perspectives macroéconomiques et des finances publiques à moyen terme (2009-2013) .
M. Joël Bourdin, rapporteur , a d'abord rappelé qu'avec ce travail, la délégation était le seul organisme public en France à apporter au débat, chaque année, à travers une simulation quantitative, une évaluation de la stratégie des finances publiques définie par les gouvernements successifs, conformément aux obligations européennes.
En effet, le Pacte de stabilité et de croissance oblige chaque Etat à notifier des programmes de stabilité pluriannuels. Ils comportent, d'une part, un ou des scénarios macroéconomiques, souvent très peu détaillés, et, d'autre part, une projection des finances publiques.
Dans cette perspective, un exercice de programmation pluriannuel figure en annexe de la loi de finances initiale. Depuis cette année, la vision pluriannuelle des finances publiques s'est enrichie d'une loi de programmation des finances publiques, qui porte sur les quatre années civiles à venir.
M. Joël Bourdin, rapporteur , a indiqué que, dans ce contexte, le rapport avait pour ambition d'envisager le programme du Gouvernement dans sa globalité en le resituant dans le contexte économique international et en élucidant ses conditions de réalisation.
Il a ensuite admis qu'avec la crise actuelle, tout exercice de projection économique prenait un tour quelque peu irréel. Le contexte mondial est en effet très défavorable, et les aléas, très importants. La récente révision par le Fonds monétaire international (FMI) de ses prévisions économiques a encore assombri l'horizon. En 2009, pour la première fois depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, les pays développés subiraient une contraction de leur production.
Ce contexte récessif trouve son origine dans la crise financière qui a démarré au cours de l'été 2007.
L'attentisme des pouvoirs publics, pendant toute la première phase de la crise, a été particulièrement préjudiciable. La mise en oeuvre tardive de mesures de sauvetage du système bancaire n'a pas suffi pour juguler la crise boursière, qui s'est aggravée en raison de perspectives macroéconomiques qui ne cessent de se dégrader. La contagion à l'économie réelle semble inéluctable :
- d'une part, un rationnement du crédit est prévisible : résultant du réajustement des bilans bancaires, il sera d'autant plus violent que la perte des valeurs d'actifs amplifie les besoins en fonds propres, selon un mécanisme d'inversion du levier d'endettement, et que les agents économiques apparaissent comme très endettés ;
- d'autre part, la diminution de la valeur des actifs produit des effets de richesse négatifs pour les ménages et les entreprises.
L'ampleur du ralentissement de l'économie réelle est difficilement prévisible, mais elle ne sera pas indépendante du volontarisme des politiques économiques, et notamment des politiques budgétaires contra-récessives qui, selon le rapporteur, devraient intervenir.
Malgré ce contexte, l'exercice de prévision n'en demeure pas moins riche d'enseignements pour analyser la situation et dégager des principes d'action.
M. Joël Bourdin, rapporteur , a ensuite précisé que les perspectives de moyen terme étaient envisagées, dans le rapport, selon deux scénarios réalisés grâce au modèle macroéconomique de l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE).
Le premier scénario - scénario central - est décalqué de la programmation des finances publiques initiale du gouvernement. La réduction du déficit public structurel y atteint 0,6 point de PIB par an, la croissance s'élève pourtant à 2,5 % à partir de 2010 et le déficit public est ramené à 0,5 point de produit intérieur brut (PIB) en 2012. Ce scénario suppose, toutes choses égales par ailleurs, une demande soutenue par l'endettement des ménages et des entreprises.
Le 6 novembre dernier, le gouvernement a amendé sa programmation, qui s'inscrit désormais entre le scénario central et le second scénario, dit « scénario de crise ». Construit en collaboration avec l'OFCE, ce dernier est fondé sur des hypothèses délibérément prudentes. La demande y est plus modérée, avec un taux d'épargne des ménages et un investissement stabilisés. La correction budgétaire est retardée et moins ambitieuse (deux fois moins que dans la programmation gouvernementale). La croissance plafonne alors à 1 % en 2010, puis se stabilise à 2 % à partir de 2011. Le déficit public se dégrade dans un premier temps, culminant à 4 % du PIB en 2010, pour revenir à 3 % en 2012.
Si le Gouvernement a, depuis, modifié sa programmation, elle reste proche du scénario central et n'invalide pas les enseignements qu'on en peut tirer.
A ce sujet, M. Joël Bourdin, rapporteur, a précisé que, pour qu'un scénario conjuguant un fort ajustement budgétaire avec une croissance soutenue se réalise, il fallait, toutes choses égales par ailleurs, que la réépargne publique soit compensée par une désépargne privée. Tout déficit public peut en effet être considéré comme une forme d'intermédiation financière réalisée par l'Etat, qui s'endette en lieu et place des entreprises et des ménages pour leur distribuer du revenu. Réduire le déficit public revient à limiter cette intermédiation.
Pour que ce processus ne freine pas la demande, il faut qu'avec moins de ressources, ménages et entreprises consomment et investissent au moins autant, donc que leur épargne diminue.
Selon M. Joël Bourdin, rapporteur, les ménages sont la clé du désendettement de l'Etat. Dans le scénario central, la réduction du déficit budgétaire et le coup d'arrêt que porte la crise à l'augmentation des effectifs salariés pèsent sur le pouvoir d'achat des ménages, alors que la consommation doit se révéler dynamique pour entretenir la croissance et permettre l'ajustement budgétaire. Le différentiel ne peut résulter que d'une baisse prononcée de leur taux d'épargne, de 16 % à 14,2 % entre 2008 et 2013.
Si ce processus ne se déclenchait pas, demande et croissance s'en trouveraient pénalisées.
Or la crise ne favorise pas la perspective d'une baisse de l'épargne des ménages français, même si leur taux d'endettement est comparativement faible. Les inquiétudes sur l'emploi, un resserrement du crédit qui constitue une hypothèse très crédible à court terme, les effets de richesse négatifs qui deviennent sensibles, avec la baisse de valeur des actifs immobiliers et financiers, s'ajoutent aux incertitudes sur les retraites et incitent à reconstituer les patrimoines et à développer l'épargne de précaution.
La désépargne privée qui conditionne la réalisation du scénario de désendettement public porte non seulement sur les ménages, mais aussi sur les entreprises.
Précisant que l'investissement, en constante progression depuis 2004, resterait dynamique dans le scénario central, le taux d'investissement passant de 19,7 % en 2008 à 21,7 % en 2013, M. Joël Bourdin, rapporteur, a constaté que ce dynamisme impliquait une nouvelle baisse du taux d'autofinancement des entreprises, de 66,3 % à 64,8 % entre 2009 et 2013.
Dans ce contexte difficile, aussi bien en termes d'accès au crédit que de perspectives de débouchés, une remontée du taux d'autofinancement et un ralentissement de l'investissement ne sauraient être exclus.
Le scénario d'un endettement croissant des agents économiques n'est donc pas le plus probable à court terme, bien qu'il conditionne les scénarios de désendettement public. Dans ces conditions, M. Joël Bourdin, rapporteur, s'est interrogé sur les moyens de soutenir la demande sans endettement supplémentaire, ce qui devenait crucial dans le contexte d'une crise économique liée au surendettement.
Pour les ménages, outre l'endettement, trois leviers peuvent relancer la consommation : une augmentation de la productivité suscitant la croissance économique et celle des salaires, un ajustement moins rigoureux des dépenses publiques nettes des prélèvements obligatoires et enfin, un partage de la valeur ajoutée plus favorable aux salariés.
Il a indiqué que la crise financière et économique actuelle, qui succédait à une période de croissance fondamentalement déséquilibrée, car fondée sur un endettement croissant des agents économiques, donnait toute son acuité à l'exploration de cette dernière piste.
En France, au cours des années quatre-vingt, la part des salaires dans la valeur ajoutée a fortement décru, avec une baisse simultanée et durable du taux d'épargne des ménages. L'endettement des ménages, passé de 49 % du revenu disponible brut des ménages en 1996 à près de 72 % en 2007, a apporté une incontestable contribution à la croissance économique française.
Depuis la fin des années quatre-vingt, l'inflation est globalement résorbée en France et, depuis la monnaie unique, dans la zone euro, ce qui signifie que la croissance économique n'y a pas excédé la croissance potentielle. Si la demande avait dépassé la capacité de production des économies, une inflation en aurait résulté.
Ainsi, sans la forte progression de l'endettement constatée au cours des dix dernières années, la croissance aurait suivi un chemin moins favorable, situé en dessous de son potentiel.
Selon M. Joël Bourdin, rapporteur, ce constat d'une croissance non inflationniste, alimentée par un endettement accru, pose la question du caractère soutenable des termes actuels du partage de la valeur ajoutée.
Mais une politique d'augmentation de la part de la rémunération du travail dans la valeur ajoutée ne peut être le fait d'un pays isolé, ce qui renvoie à la question, devenue récurrente, de la coordination des politiques économiques en Europe.
Le modèle des Etats-Unis livre quelques enseignements supplémentaires. Le pouvoir d'achat de la plupart des revenus y a diminué dans la période récente, sauf pour les ménages les plus aisés. Comme la propension moyenne à consommer des ménages diminue quand le revenu augmente, le recours à un endettement massif a évité que l'accroissement des inégalités ne se solde par une diminution de la consommation pour la plupart des ménages. L'endettement fut ainsi une réponse à la montée des inégalités.
Au total, le régime de croissance mondiale de ces dix dernières années a reposé sur un endettement croissant des ménages occidentaux qui a permis une progression continue de la consommation de masse à l'appui d'une croissance pourtant non inflationniste.
Cette question se pose également pour les entreprises, dont l'endettement est passé de 63 % à 74 % du PIB entre 2000 et 2007.
Il faudrait conforter la part de la valeur ajoutée dévolue à l'investissement, afin d'éviter un recours accru des entreprises à l'emprunt. M. Joël Bourdin, rapporteur, a jugé que cela n'était pas incompatible avec une majoration de la part des rémunérations du travail dans la valeur ajoutée. En effet, la part des profits peut elle-même se subdiviser entre autofinancement et dividendes, et ces derniers ont beaucoup augmenté.
La « norme » des 15 % de ROE (« return on equity », c'est-à-dire rentabilité financière), d'origine américaine, a essaimé dans toute l'Europe occidentale, où les dividendes versés représentent une part croissante du PIB.
Ainsi, en France, la part des dividendes dans la valeur ajoutée des sociétés non financières est passée de 2,9 % à 7 % entre 1981 et 2000.
Un ROE élevé implique, indirectement, un endettement accru des ménages en raison des déformations du partage de la valeur ajoutée qu'il entraîne. En outre, il suscite directement un endettement accru des entités économiques dont le capital social est détenu sous forme de titres, entreprises ou fonds d'investissement, pour engendrer des effets de levier liés à une rentabilité financière excédant la rentabilité économique. Le secteur financier s'est manifesté par une grande créativité dans la recherche de ces effets de levier.
Etant donné que, dans le bouclage économique d'ensemble, l'endettement public peut, dans une certaine mesure, se substituer à l'endettement privé, une norme élevée de ROE constitue, par conséquent, un accélérateur d'endettement pour l'ensemble des agents économiques : ménages, entreprises, banques, Etat.
M. Joël Bourdin, rapporteur , a considéré que la crise financière actuelle appelait donc à une réflexion économique approfondie sur les termes d'une rentabilité financière soutenable à long terme dans le cadre d'une croissance proche de son potentiel. Compte tenu de la mobilité des capitaux, il a estimé qu'une surveillance efficace ne pourrait qu'être coordonnée au niveau mondial. Le premier grand défi pour l'avenir devrait, par conséquent, consister à définir et piloter un partage de la valeur ajoutée et une rentabilité financière conduisant à un sentier de croissance mondiale dynamique et stable.
Dans l'attente d'une telle politique, il a jugé que la contraction des dettes privées, malgré l'assouplissement des politiques monétaires, appelait une réaction immédiate : celle de politiques budgétaires « contra-récessives ».
M. Joël Bourdin, rapporteur , a alors évoqué la stratégie à moyen terme des finances publiques. L'objectif est de parvenir à un équilibre budgétaire en 2012 en appliquant une norme d'augmentation de la dépense publique très serrée. La politique budgétaire décrite serait cohérente si la croissance dépassait son potentiel, afin d'atténuer une surchauffe.
Elle suppose une nette inflexion des dépenses publiques, dont le principe est moins discutable que les modalités. La question est de savoir si la baisse programmée des moyens est compatible avec le maintien des missions, tant pour les collectivités territoriales que pour l'Etat. Concernant les modalités de réduction des dépenses publiques, une autre question fondamentale est à clarifier : la baisse des dépenses publiques ne doit pas réduire les opportunités de croissance potentielle et elle ne doit pas davantage creuser les inégalités, ce qui invite à une sélectivité fine des efforts d'économie.
M. Joël Bourdin, rapporteur , a donc estimé que la programmation pluriannuelle des finances publiques appelait un « discours de la méthode » pour la compléter.
Une autre question se pose : celle du réalisme de la politique budgétaire. Dans la programmation des finances publiques, le déficit public est structurellement réduit de 0,6 point de PIB ; la croissance atteint cependant 2,5 % par an à partir de 2010.
Pour suivre les rythmes de croissance annoncés, il faudrait que la croissance économique spontanée se redresse par rapport à l'existant et tende vers une croissance en volume de 3,1 % à compter de 2010. Or avec une politique budgétaire neutre, c'est-à-dire sans baisse du déficit public, le rythme de croissance qui égaliserait le rythme de croissance potentiel serait de l'ordre de 2,1 %, sauf à estimer que la croissance potentielle puisse s'établir à un niveau sensiblement plus élevé.
Dans l'hypothèse où les agents privés ne prendraient pas le relais de l'endettement, la réduction programmée de la dépense publique obèrerait donc la croissance. Elle limiterait les rentrées fiscales, entraînant ex post une neutralisation partielle du désendettement escompté.
En toute hypothèse, le risque macroéconomique associé à la programmation est de ralentir la croissance de l'ordre de 2 points de PIB entre 2010 et 2012, pour un gain budgétaire en termes de charges d'intérêts de l'ordre de 0,2 point de PIB au terme de la projection.
M. Joël Bourdin, rapporteur , a ensuite indiqué que le rapport comportait aussi quelques réflexions sur la dette publique, qui ne conduisaient pas à en négliger la soutenabilité, mais qui nuançaient la question de l'opportunité de faire de l'objectif de réduction de la dette publique un objectif prioritaire à atteindre à marches forcées. Il a rappelé que c'était, à ce jour, la position constante de la délégation que d'insister sur la nécessaire articulation de la politique budgétaire et du contexte économique. Il a jugé assez probable que les faits en valideraient la pertinence dans les cinq ans à venir.
Pour terminer, il a rappelé que les différents sujets abordés impliquaient systématiquement une refondation du modèle économique européen.
Un large débat s'est alors ouvert.
M. Bernard Angels a observé que les réactions des agents économiques face à la crise demeuraient incertaines. Constatant que la confiance ne saurait être décrétée, il a ajouté que le changement d'orientation actuel des politiques publiques pouvait même être déstabilisant. L'Etat devient en effet de plus en plus interventionniste alors que les caisses étaient encore jugées vides il y a peu. Les pouvoirs publics ont décidé de sauver les banques, mais pourront-ils en faire autant au profit d'autres entreprises qui connaîtraient des difficultés dans les prochains mois ?
Pour rétablir la confiance, il a préconisé une impulsion forte sur l'investissement à l'échelon européen, par le lancement d'un emprunt européen et par la mise en oeuvre d'une politique de relance. Il a jugé qu'une Europe unie et conquérante était la seule voie possible pour résoudre les problèmes financiers, mais aussi économiques et sociaux auxquels était confronté le continent.
M. Jean-François Mayet a estimé que la confiance des agents économiques n'était pas tant dépendante de l'évolution de la dette publique que de celle du chômage. Il a jugé que le déblocage de l'épargne ne serait possible que si celui-ci n'augmentait pas trop fortement, alors que dans la situation inverse, les effets en chaîne seraient inquiétants.
M. Joseph Kergueris a salué la démarche du rapporteur qui consistait à réfléchir à l'imbrication des faits économiques entre eux, dans un cadre systémique. Il a préconisé un pacte économique et social national et européen afin de relancer la confiance en agissant sur la question du partage de la valeur ajoutée. Un débat économique de fond est en effet nécessaire. Ce débat permettrait par exemple de mettre en relation le développement de l'endettement et l'augmentation de la part des dividendes dans la valeur ajoutée, comme le fait le rapport. La dimension politique de ces questions est essentielle.
M. Joël Bourdin, rapporteur , s'est félicité de la très forte convergence de vues qui se dégageait dans l'analyse de la crise.
M. Bernard Angels a également jugé qu'il existait désormais beaucoup de points de convergence dans l'analyse de la crise et les conclusions qui en étaient tirées, pour refonder le système économique et financier.
Selon M. Joël Bourdin, rapporteur , le projet de politique économique européenne est beaucoup trop en retard. L'augmentation du ROE à 15 % et la déformation du partage de la valeur ajoutée appellent une action coordonnée au niveau européen. Le ralentissement de la dépense publique doit éviter l'écueil d'un ralentissement supplémentaire de la croissance économique qui pourrait dégénérer en un enchaînement déflationniste.
M. Bernard Angels a craint que la crise économique et financière ne devienne également une crise sociale.
La délégation a alors donné un avis favorable unanime à la publication du rapport d'information sur les perspectives macroéconomiques et les finances publiques à moyen terme (2009-2013), de M. Joël Bourdin, rapporteur .