B. MESURES VISANT À AMÉLIORER LA PARTICIPATION DÉMOCRATIQUE DES MIGRANTS
Abordées dans le cadre d'une discussion commune avec le rapport de la commission des questions politiques sur le même thème, les propositions de M. John Greenway (Royaume-Uni - GDE), au nom de la commission des migrations, des réfugiés et de la population, vont plus loin.
Partageant le même constat d'une mise à l'écart de quelque 64,1 millions de personnes sur l'ensemble du continent européen (8,8 % de la population totale), la résolution va néanmoins plus loin en appelant à un véritable changement culturel quant à l'appréhension des migrants au sein de nos sociétés, au travers notamment d'actions concrètes en faveur de la lutte contre toute forme d'intolérance ou de discrimination, notamment au plan économique. La résolution incite ainsi les États membres à réviser les critères de naturalisation mis en place (tests de langue, conditions de revenus et de logement, etc.), considérés comme potentiellement contraignants. Elle propose, en outre, une régularisation rapide des réfugiés clandestins.
Invité à s'exprimer devant l'Assemblée avant le débat sur le texte, M. Jan Niessen, directeur du Groupe des politiques de migration (5 ( * )) , a plaidé pour la mise en oeuvre de véritables politiques de recrutement en faveur de migrants au sein des institutions publiques et des partis politiques. Il a également insisté sur la nécessaire ratification de la Convention sur la participation des étrangers à la vie publique au niveau local . Adoptée en 1992, elle n'a été ratifiée que par 8 États membres. La résolution appelle une nouvelle fois à l'adoption par la totalité des États membres de cette convention.
La résolution rappelle, à cet égard, l'objectif d'octroyer le droit de vote aux élections locales et régionales. M. Denis Badré (Hauts-de-Seine - UC-UDF) a souhaité que la participation démocratique des migrants respecte néanmoins le cadre constitutionnel national :
« Le rapport de M. Gross est excellent. Comme mon intervention porte plus spécifiquement sur la vie démocratique des migrants, je salue plus directement la grande qualité et l'exhaustivité du rapport de M. Greenway.
Je suis entièrement d'accord avec lui lorsqu'il privilégie le concept d'intégration des migrants plutôt que celui d'assimilation qui implique le risque de repli communautaire. Il est clair aussi que les efforts d'intégration resteront vains s'ils ne sont pas mutuels. Ces efforts doivent concerner les accueillis tout autant que ceux qui les accueillent.
Je souhaiterais appeler maintenant l'attention de notre Assemblée sur deux réserves.
D'une part, le nécessaire renforcement de la participation démocratique des migrants doit être pris en compte dans le cadre des dispositions constitutionnelles nationales relatives à l'exercice du droit de vote. Le rapport est d'ailleurs prudent sur ce point, car s'il évoque les droits électoraux des migrants, c'est en les limitant aux élections locales. A cet égard, je me trouve fort bien de compter au sein de mon équipe municipale un citoyen britannique, une citoyenne française d'origine portugaise et un citoyen d'origine marocaine. C'est une bonne chose pour ma ville !
D'autre part, il va sans dire que la participation démocratique des migrants est limitée aux étrangers légalement établis dans leur pays d'accueil, ne serait-ce que parce qu'ils sont les seuls à pouvoir être identifiés. C'est bien dans ce cadre que la France a inscrit parmi les priorités de sa présidence de l'Union européenne, aujourd'hui imminente, la conclusion d'un « pacte européen sur l'immigration et l'asile », qui devrait comporter des mesures destinées à lutter contre l'immigration illégale.
Ces deux réserves faites, je constate que l'on va bien dans le sens mis en avant par le rapport : la participation démocratique des migrants va plutôt en s'améliorant en France.
En effet, il y a bientôt vingt ans que, par décret, a été créé en France le Haut Conseil à l'intégration, qui a pour mission de donner son avis et de faire toute proposition utile sur l'ensemble des questions relatives à l'intégration des résidents étrangers ou d'origine étrangère. En janvier dernier, il a ainsi rendu un avis sur la question prioritaire du logement des personnes immigrées.
Par ailleurs, l'Agence nationale de l'accueil des étrangers et des migrations travaille actuellement sur les questions fondamentales du travail ou du regroupement familial. Elle présente à chaque migrant qui souhaite résider durablement en France un contrat d'accueil et d'intégration, qui vise à établir « une relation de confiance et d'obligation réciproque ». Le signataire du contrat bénéficie de plusieurs formations - linguistique et civique - et d'une information sur les démarches de la vie quotidienne. Le non-respect des engagements qu'il prend peut être sanctionné par le refus de renouveler le titre de séjour ou de délivrer la carte de résident. Cet exemple de relation contractuelle vient, me semble-t-il, conforter les recommandations du Conseil de l'Europe.
Comme le souligne M. Greenway, il ne peut, plus généralement, y avoir de politique d'intégration des migrants sans respect de leurs droits ni lutte contre les discriminations qui les touchent. C'est pourquoi la loi française pour l'égalité des chances a créé une Agence nationale pour la cohésion sociale et l'égalité des chances. Elle a, par ailleurs, renforcé les pouvoirs de la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité et introduit des dispositions en vertu desquelles la programmation des chaînes de télévision doit refléter « la diversité de la société française », migrants inclus.
Si j'ai cité ces quelques exemples, c'est évidemment pour confirmer que je souscris complètement au rapport de notre collègue Greenway, en particulier à la double affirmation qu'il nous a proposée à l'instant dans son propos liminaire : il faut que les choses changent et il faut que se manifeste une volonté politique forte.»
M. René Rouquet (Val-de-Marne - SRC) a, pour sa part, insisté sur la corrélation entre droit de vote aux migrants et intégration totalement réussie :
« L'exercice de la citoyenneté est un facteur particulièrement essentiel d'intégration dans les sociétés d'Europe. Chacun ici conviendra qu'il l'est davantage encore pour les migrants.
C'est la raison pour laquelle le rapport qui nous est soumis constitue une nouvelle et importante étape dans l'engagement de notre Assemblée au renforcement de la démocratie en Europe.
Les mesures d'ordre politique ou juridique contenues dans le projet de résolution présenté par notre collègue John Greenway, visant à renforcer l'investissement civique des citoyens migrants d'Europe et à faciliter leur participation, constituent une avancée déterminante à plus d'un titre.
J'évoquerai plus particulièrement la question des droits électoraux. Aujourd'hui, de plus en plus de voix s'élèvent en faveur de la reconnaissance de l'expression politique des migrants. Nous ne pouvons ici que nous en réjouir et je pense que le temps est enfin venu d'avancer concrètement sur ce sujet.
Comme le souligne ce rapport, l'octroi de droits électoraux aux migrants est un élément qui peut contribuer à éviter l'exclusion et ses conséquences. Ainsi chacun mesure combien une telle évolution peut être vecteur de promotion et d'apprentissage des valeurs propres à nos démocraties, conformément à la conception de Spinoza qui a montré, il y a bien longtemps que « on ne naît pas citoyen, on le devient. »
Dans l'histoire de l'Europe notamment dans celle des pays de l'Union, des millions d'étrangers ont contribué à leur construction, à leur histoire, et à leur défense en combattant, aux heures les plus sombres, au nom des valeurs de liberté de l'homme.
Pourtant, trop de discriminations demeurent pour l'accès aux scrutins, locaux ou nationaux, à l'encontre des citoyens non ressortissants de l'Union européenne, souvent installés dans leurs pays d'accueil depuis de longues années, mais toujours privés de participation au destin collectif de leur pays. Ces discriminations au regard du droit de vote sont contraires au principe d'égalité, alors même que les scrutins les concernent tous au même titre et de la même manière. Le libre exercice du droit de vote et d'éligibilité aux élections locales est étroitement lié à notre conception du processus d'intégration : c'est un élément moteur de cette dynamique.
La table ronde européenne d'Helsinki de 2006, sur la non discrimination dans les politiques d'intégration, avait souligné combien l'accès des migrants issus de minorités ethniques aux institutions pouvait contribuer à l'égalité avec les ressortissants nationaux, et sans discrimination.
Aujourd'hui pourtant, les droits que nous reconnaissons aux citoyens migrants s'arrêtent à la porte des bureaux de vote. Actuellement, c'est une préoccupation de nos concitoyens dans de nombreux pays membres de l'Union. En France notamment, contrairement aux ressortissants de l'Union qui bénéficient depuis 1992 du droit de vote aux élections locales, les étrangers non communautaires en sont aujourd'hui encore privés, même après des années de séjour.
Dans l'Union européenne, dix-sept pays ont une législation plus avancée que celle de la France en matière de droits électoraux. C'est le cas du Luxembourg, de la Slovaquie et de la Belgique, où les résidents étrangers extracommunautaires ont voté, pour la première fois, aux élections municipales de 2006.
A l'image des préconisations du présent rapport, la France devrait pouvoir, à son tour, accorder le droit de vote à tous ses migrants résidents, quelle que soit leur nationalité : leur reconnaître ce droit, ce serait prendre acte d'une citoyenneté qu'ils ne cessent d'affirmer par leurs activités quotidiennes.
Le droit de vote n'est certes pas une condition suffisante à une intégration réussie, mais il peut y contribuer. Il s'agit de permettre l'approfondissement de la démocratie. Priver du droit de vote et d'éligibilité aux élections locales les populations étrangères vivant dans les pays de l'Union européenne constitue aujourd'hui un frein à une politique d'intégration réussie. Il est particulièrement injuste que des citoyens migrants restent « sans voix » lors d'élections qui concernent, pourtant, leur propre collectivité. »
Aux yeux de la commission des questions politiques, l'intégration politique passe aussi par une participation accrue des migrants à la société civile. Le texte appelle de surcroît à la mise en place d'une représentation des migrants à tous les niveaux de l'administration chargés de la mise en oeuvre de politiques les concernant.
* (5) Le Groupe des politiques de migration est un institut politique indépendant établi à Bruxelles travaillant sur les questions de migration et de diversité.