c) Poser la question de l'absence de gouvernance des dépenses d'assurance maladie en établissement
Compte tenu de l'éclatement des responsabilités entre les acteurs institutionnels, les missions de gestion du risque et de contrôle des dépenses des établissements sociaux et médicosociaux ne sont pas exercées dans des conditions satisfaisantes.
Lors de son audition par la mission, le directeur de la Cnam 160 ( * ) soulignait ainsi que, même si l'assurance maladie contribue pour une part prépondérante au financement des dépenses de l'Ondam médicosocial, elle apparaît de fait comme une « boîte aux lettres financière ». Outre des modalités de pilotage très minimalistes, le système actuel induit des risques de double facturation dans les Ehpad, certains actes pouvant être pris en charge une première fois dans le cadre des forfaits soins, et une seconde fois dans le cadre du remboursement des soins de ville.
Cette attitude quelque peu en retrait de la Cnam, eu égard à la complexité des circuits financiers de la dépendance et de son aspect « périphérique » par rapport à son coeur d'activité, apparaît pour le moins singulière. Les masses financières en jeu mériteraient à l'évidence un meilleur suivi de sa part, ainsi qu'un approfondissement des contrôles.
D'autres « anomalies » témoignent en effet de l'ampleur du problème d'efficience des dépenses d'assurance maladie en Ehpad, ainsi d'ailleurs que dans les Ssiad :
- le forfait global pour tous les soins concerne aujourd'hui encore moins de 15 % des Ehpad (la proportion des établissements conventionnés disposant d'une pharmacie à usage intérieur se limite par ailleurs à 21 %). L'écrasante majorité des établissements sont donc financés selon un forfait soins partiel n'incluant ni les médicaments, ni les honoraires médicaux. Ce système est contraire à la logique de tarification à l'activité en vigueur dans les hôpitaux ;
- la règle dite du « per capita » consacre un principe contestable, puisque le taux d'encadrement des unités de soins de longue durée est conservé, même lorsque les lits sont transformés en lits d'Ehpad ;
- la tarification des Ssiad n'établit pas de distinction en fonction du niveau de dépendance du bénéficiaire, ce qui incite à privilégier les patients en Gir 3-4, au détriment de ceux classés en Gir 1-2.
d) Promouvoir l'impératif d'une meilleure coordination entre les secteurs sanitaire et médicosocial
La qualité de la prise en charge des personnes âgées en perte d'autonomie suppose la coordination étroite des interventions entre les différents acteurs de la politique de la dépendance qui, à l'évidence, n'apparaît guère satisfaisante sur le terrain. Comme l'ont souligné devant la mission les participants au projet expérimental Prisma 161 ( * ) , on doit constater que les dispositifs actuels occasionnent de fréquents phénomènes de « rupture de soins ».
Le « choc des ruptures » : un
exemple de parcours
« Une femme âgée de quatre-vingt-treize ans, valide et vivant seule à son domicile parisien, a été hospitalisée en urgence, en raison d'une pathologie pulmonaire, dans un service de court séjour. Plusieurs examens médicaux, à l'issue d'attentes multiples, ont été pratiqués, mais sans admission au service gérontologique de l'hôpital ou dans un Ehpad. La malade a été finalement admise dans un service de médecine générale d'un autre hôpital qui, une semaine plus tard, a imposé un retour au domicile, jugeant que son état de santé ne justifiait plus une hospitalisation, la personne n'étant cependant alors plus autonome. La famille a dû chercher dans l'urgence une solution d'aide à domicile sans appui des services sociaux de l'hôpital. Elle a fait appel à l'association d'aide à domicile de l'arrondissement. Le dispositif mis au point comportait six gardes de nuit par semaine par une assistante de vie et huit heures de présence par jour durant cinq jours d'une autre assistante, la famille prenant le relais pendant la fin de semaine. « Ce système relativement efficace a duré peu de temps car la personne s'est fracturé le col du fémur. Elle a été hospitalisée en urgence, à nouveau dans un service de médecine générale, puis transférée au service de chirurgie orthopédique. Après un séjour de douze jours, l'hôpital a décidé le retour au domicile. « Un établissement de soins a néanmoins été trouvé avec l'aide de l'assistante sociale de l'hôpital, afin d'entreprendre une rééducation fonctionnelle limitée. L'intéressée y est restée quarante-cinq jours, tandis qu'un système d'aide à domicile était mis en place (adaptation dans l'appartement, acquisition d'un déambulateur, séances de massage). La famille a réactivé le système d'assistance à domicile (avec la même association et selon les mêmes modalités que précédemment). Ce système a fonctionné pendant dix mois. A la suite d'un congé de maladie de l'assistante de vie qui n'a pas été remplacée, l'essai a été tenté par la personne âgée de vivre seule durant la journée avec l'aide d'une de ses filles. Cette situation dure encore, rythmée par des visites à domicile, tous les deux ou trois mois, du médecin traitant. « Aucun dossier de demande d'Apa n'a été constitué. L'intéressée n'a pas souhaité non plus faire l'objet d'une évaluation à domicile, compte tenu de son niveau de ressources. Plusieurs organismes de retraite ont été sollicités pour prendre en charge des services complémentaires d'aide à cette personne dépendante : ils ont soit répondu par la négative, soit indiqué qu'ils ne géraient que des fonds sociaux d'un niveau limité, ou que l'intervention d'une aide ménagère après une intervention chirurgicale était limitée à une période de trente jours. « La situation particulière analysée ci-dessus met en évidence plusieurs dysfonctionnements dans la coordination des interventions, notamment une articulation insuffisante entre le secteur sanitaire et le secteur médicosocial qui ne garantit pas la continuité de la prise en charge. Cet exemple fait ressortir l'intérêt de services polyvalents d'aide et de soins et le rôle de coordination des Clic. » Source : Rapport de la Cour des comptes sur les personnes âgées dépendantes - novembre 2005. |
Ce constat illustre la nécessité de simplifier l'articulation entre le secteur sanitaire et le secteur médicosocial, dans l'intérêt des personnes âgées qui sont trop souvent « ballottées » de l'un à l'autre sans aucune cohérence d'ensemble et en-dehors de toute rationalité, mais également dans l'intérêt des finances publiques.
Le directeur général de l'action sociale a mis en avant la réussite de plusieurs expériences concrètes, réalisées par des acteurs de terrain et illustrant les fortes potentialités du travail en réseau 162 ( * ) . Même si de telles démarches restent encore rares, voire exceptionnelles, car elles proviennent d'initiatives locales, il s'est déclaré convaincu que les 32 000 établissements sociaux et médicosociaux de France ne peuvent continuer à s'ignorer les uns les autres. Multiplier les structures de coopération rendrait possible des redéploiements de moyens ainsi que le développement de l'évaluation des pratiques professionnelles.
Il s'agit à l'évidence d'un enjeu essentiel des futures ARS , dont le gouvernement a prévu qu'elles seraient compétentes conjointement dans le champ sanitaire et dans le champ médico-social. Trois rapports officiels 163 ( * ) publiés récemment soulignent la nécessité de cette démarche, sans toutefois trancher sur les modalités précises d'intervention des ARS dans le domaine médico-social.
A court terme, les priorités devraient avant tout consister :
- à étudier comment il serait possible de parvenir à une meilleure articulation des Sros, des Priac et des schémas gérontologiques 164 ( * ) , tout en préservant et en affirmant le rôle prééminent des départements en matière de prise en charge des personnes âgées ;
- à procéder à l'évaluation de démarches expérimentales comme le projet Prisma qui vient d'être lancé avec l'aide de la CNSA et de la direction générale de la santé.
* 160 Audition de Frédéric Van Roekeghem, le 6 février 2008.
* 161 Audition du 27 mai 2008 sur le projet Prisma d'amélioration de la continuité des soins et des services reçus par les personnes âgées dépendantes. Cette démarche expérimentale en cours consiste à favoriser le travail en commun de l'ensemble des acteurs de terrain, notamment les structures hospitalières, les associations, les services d'aide et de soins, les réseaux de santé, le secteur psychiatrique ainsi que les centres locaux d'information et de coordination (Clic).
* 162 Audition de Jean-Jacques Trégoat, le 23 janvier 2008.
* 163 Rapport sur la création des agences régionales de santé (ARS) - Philippe Ritter - janvier 2008. Rapport de la commission de concertation sur les missions de l'hôpital présidée par Gérard Larcher - avril 2008. Rapport d'information de la mission de l'Assemblée nationale sur les agences régionales de santé - Yves Bur - février 2008.
* 164 Voir également page 58 du présent rapport (définition des Priac).