C. LA QUESTION DE LA REDISTRIBUTION INTERGÉNÉRATIONNELLE NE DOIT PAS ÊTRE TRAITÉE DE FAÇON SIMPLISTE
1. Des difficultés d'approche considérables
Tout système de retraite opère une redistribution entre les générations, des actifs vers les titulaires de droits à pension qui les exercent .
Comme telles, les dépenses publiques de retraite d'un système par répartition sont par nature redistributives entre les générations imbriquées qui y participent . Cette redistributivité s'exerce à partir d'un critère d' âge . Elle opère un transfert net des actifs vers les « inactifs ».
Mais, il en va de même des systèmes qui font une place plus ou moins grande à la capitalisation. Dans ce dernier cas, le patrimoine retraite sert de socle aux revenus des retraités qui représentent également un prélèvement sur le PIB et, par conséquent, sur les revenus attribuables aux actifs .
Cependant, on conviendra que le constat trivial de la redistributivité entre actifs et inactifs est loin d'épuiser la question, fort complexe , des propriétés redistributives intergénérationnelles des systèmes de retraite .
La question de la redistributivité intergénérationnelle doit être posée à partir de l'idée que les systèmes de retraite par répartition reposent sur une sorte d'équivalent de contrat entre générations .
Les actifs reçoivent, en échange de leurs transferts en faveur des retraités, la promesse d'être bénéficiaires à leur tour dans l'avenir de la contribution des générations futures au financement des retraites.
Tout se passe comme si les générations successives acquéraient des droits sur les générations qui les suivent (les générations futures) en échange de leur contribution au financement des pensions des générations passées (celles qui bénéficient du versement des prestations de retraite) .
Ce mécanisme peut conduire à poser un constat de redistribution intergénérationnelle s'il n'y a pas d'équivalence entre les droits des différentes générations . C'est dans ce sens que, compte tenu des perspectives démographiques d'une forte diminution du rapport actifs sur inactifs, la question est aujourd'hui posée, avec de plus en plus d'insistance, de la redistributivité intergénérationnelle du système et des dépenses de retraite.
Elle peut être résumée dans la perspective d'une augmentation du ratio des dépenses de retraite dans le PIB, autrement dit d'un alourdissement du prélèvement des inactifs sur les richesses crées par les actifs.
Certains associent à ces prévisions le constat d'une rupture d'égalité et souhaitent mettre en oeuvre dans le domaine des retraites un objectif de stricte égalité entre les générations.
Pourtant, le concept d'égalité des générations au regard des bénéfices nets du système de retraite n'est évident qu'en apparence , et il faut s'entendre sur un ou des critères précis pour lui donner une signification réelle.
Il faut relever d'emblée deux données importantes :
- l'augmentation prévisible du prélèvement des retraités n'est pas inédite, ni en soi, ni par son ampleur : les générations qui en seraient « responsables » ont supporté de tels événements ;
- la progression du prélèvement exercé par les retraités n'est pas équivalente à une révision à la baisse absolue des perspectives de pouvoir d'achat des actifs contrairement à ce qu'on peut parfois affirmer. D'une part, les perspectives de croissance qui servent de base aux simulations relatives aux retraites sont compatibles avec l'augmentation concomitante du poids des retraites et du pouvoir d'achat des actifs. D'autre part, s'il est vrai que par rapport à une situation inchangée, le pouvoir d'achat des actifs progresserait moins fortement, il faut prendre en compte la constitution des droits à pension auxquels leur ouvrent droit leurs cotisations.
Mais, au-delà, la question se pose de savoir ce que peut bien recouvrir l'objectif que les systèmes de retraite préservent l'égalité entre générations .
Cet objectif pose d'abord des problèmes conceptuels considérables.
Ainsi, si l'on s'intéresse au revenu , on pourra chercher à égaliser, pour toutes les générations, soit le taux de cotisation ou le taux de remplacement des revenus d'activité par les pensions, soit le niveau absolu des cotisations ou des pensions, soit le rapport entre cotisations versées et pensions reçues (le taux de rendement que chaque génération tire de ses cotisations). Chacun de ces critères conduit à des mesures nettement différentes .
De même, si l'on s'intéresse aux aspects non directement monétaires de la retraite, dira-t-on que le système est inégalitaire et entraîne une redistribution entre générations si toutes les générations ne bénéficient pas du même âge de départ à la retraite, ou si elles n'ont pas une durée homogène passée à la retraite, ou encore, si le rapport entre durée de retraite et durée d'activité n'est pas constant ?
Il pose, en second lieu, des problèmes non moins grands de faisabilité .
Les modifications du rapport démographique constituent une variable très lourde, c'est-à-dire une perspective susceptible d'influencer en profondeur le régime de la croissance économique , à la fois dans son rythme et dans les modalités de répartition du revenu.
Le vieillissement démographique doit, en théorie, ralentir les perspectives de croissance en altérant le potentiel de production en même temps qu'il introduit un équilibre différent des conditions de répartition du revenu.
Face à la puissance de ces phénomènes, toute réforme qui ne concernerait qu'un des aspects du partage du revenu entre retraités et actifs - par exemple, l'âge de liquidation des droits dans le régime par répartition - n'aura qu'une influence limitée.
C'est, plus globalement, qu'il faut traiter la question en se fixant un objectif, portant sur le niveau du prélèvement admissible exercé par les retraites et sur sa répartition entre eux .
Sous cet angle, le contrôle social de ce problème est certainement difficilement compatible avec une libéralisation complète des systèmes de prévoyance-retraite , sauf à imaginer que les prélèvements sur le revenu national dont ils seraient le socle fassent l'objet d'une active politique de redistribution.