B. UNE BASE DE RÉFÉRENCE LARGE POUR FAVORISER L'INITIATIVE PARLEMENTAIRE
Suivant une pratique constante, pour l'application de l'article 40, l'incidence de l'initiative parlementaire sur les finances publiques s'apprécie par rapport à la base de référence la plus favorable à cette initiative . Selon les cas, il s'agit soit du droit existant , lui-même largement entendu, soit du droit proposé à la discussion parlementaire 11 ( * ) . Le choix de la base la plus favorable à l'initiative parlementaire m'a ainsi conduit à accepter le dépôt d'amendements visant à introduire des exonérations aux franchises médicales proposées par le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2008. J'ai, pour ce faire, statué sur la base du droit existant , en application duquel ces franchises n'existaient pas. Incontestable au regard du droit proposé, la création de charge publique n'était, en effet, pas constituée au regard du droit existant.
Il convient en outre de préciser que les intentions du gouvernement , si elles ont été formellement exprimées, peuvent servir de base de référence.
1. Droit existant ou droit proposé ?
a) Qu'est-ce que le droit existant ?
En principe, l'examen de la recevabilité financière d'un amendement (ou d'un sous-amendement) d'origine parlementaire, en ce qui concerne tant une éventuelle diminution de ressources qu'une éventuelle création de charge, est effectué par rapport au droit existant. C'est le plus souvent à ce titre que je suis conduit à déclarer l'irrecevabilité d'amendements sur le fondement de l'article 40. Ainsi, par exemple, un cas d'irrecevabilité récent a résulté de la proposition d'accroître les catégories de malades exonérées de l'acquittement d'une franchise de soins médicaux déjà existante : cette mesure aurait constitué une nouvelle charge publique.
En revanche, un amendement est toujours recevable au regard de l'article 40 lorsqu'il tend à maintenir inchangé l'état du droit en vigueur . Le droit existant détermine la limite de semblables initiatives : si le nouvel impôt proposé doit se substituer à un impôt existant, un amendement non gagé ne peut proposer l'aménagement de ce dispositif qu'à hauteur du niveau de recettes fiscales en vigueur. Pour toute proposition entraînant une perte de recettes en deçà de ce niveau, l'amendement devrait être convenablement gagé.
La notion de « droit existant » est comprise de manière relativement large . En effet, elle recouvre cinq niveaux de normes :
- la législation en vigueur. En pratique, et logiquement, c'est la base de référence la plus courante ;
- la réglementation en vigueur 12 ( * ) ;
- la jurisprudence nationale, et d'abord celle du Conseil constitutionnel (conformément à l'autorité que l'article 62 de la Constitution reconnaît à ses décisions) ;
- les traités et accords internationaux (dans les conditions d'applicabilité prévues par l'article 55 de la Constitution) ;
- la coutume, pour autant qu'elle s'avère compatible avec le droit institué.
L'expérience conduit à attirer l'attention sur deux points.
D'une part, il s'agit de la différence entre le droit existant et le droit qui a existé . Au contraire des propositions de retour, par rapport au texte en discussion, à l'état du droit en vigueur, les amendements proposant le retour à un ancien état du droit ne sont pas recevables s'ils créent une charge ou diminuent sans compensation des ressources publiques. Récemment, j'ai ainsi été contraint de déclarer irrecevables des amendements visant à :
- restituer à l'Etat la gestion des dispositifs du revenu minimum d'insertion (RMI) et du revenu minimum d'activité (RMA), décentralisée depuis 2004 (la mesure aurait constitué un « re-transfert » de charge, pesant sur l'Etat) ;
- supprimer les conditions spécifiques d'accès aux soins des travailleurs étrangers en situation irrégulière mises en place à partir de 2002 (par rapport au droit existant, la mesure créait évidemment une charge) ;
- relever à son niveau antérieur à 2004 l'autorisation de participation de l'Etat au capital des entreprises EDF et GDF (la proposition impliquait une charge, au moins potentielle, pour l'Etat).
D'autre part, les amendements visant à pérenniser ou à proroger des dispositifs existants mais limités dans le temps, dès lors que ces dispositifs comportent un coût pour les finances publiques, sont irrecevables du point de vue de l'article 40. En effet, de semblables amendements constituent ipso facto la création d'une charge. A l'inverse, bien sûr, il est toujours possible pour les parlementaires de s'opposer à la reconduction d'une mesure limitée dans le temps, ou de proposer l'abrogation d'un dispositif « coûteux ».
b) Qu'est-ce que le droit proposé ?
Dans le cas où les dispositions du texte discuté (projet ou proposition de loi) tendent soit à une diminution de ressources publiques, soit à la création ou l'aggravation d'une charge publique, la recevabilité financière des amendements (ou sous-amendements) parlementaires se trouve appréciée par rapport à ces dispositions, et non au regard du droit existant. Avalisée de longue date par le Conseil constitutionnel 13 ( * ) , cette pratique confère une grande latitude à l'initiative parlementaire. En effet, de la sorte, l'article 40 autorise toutes les propositions d'amendement au texte en discussion dans le sens d'un moindre coût pour les finances publiques , même si ces amendements représentent, par rapport au droit en vigueur, la création d'une charge ou une perte de ressources non gagée.
Par ailleurs, il convient de prendre en compte les différentes situations suscitées par des propositions de loi déjà adoptées.
(1) Le cas des conclusions des commissions saisies au fond sur les propositions des lois
Par symétrie avec la jurisprudence du Conseil constitutionnel établie à partir du cas de l'Assemblée nationale 14 ( * ) , la recevabilité financière d'un amendement sénatorial sur un texte issu d'une proposition de loi présentée par un député peut être appréciée par rapport aux conclusions de la commission de l'Assemblée nationale saisie au fond, si cette base de référence se révèle plus favorable à l'initiative parlementaire que le texte transmis au Sénat.
(2) Le cas des propositions de loi adoptées par l'une ou l'autre des assemblées parlementaires lors de la législature en cours
En second lieu, votre commission des finances admet qu' une proposition de loi adoptée par l'une ou l'autre des assemblées parlementaires lors de la législature en cours peut constituer une base de référence valable pour l'appréciation de la recevabilité financière, si la solution profite à l'initiative parlementaire. De cette façon, un amendement qui créerait une charge publique ou diminuerait sans compensation des ressources publiques n'en serait pas moins recevable, dans la mesure où il se bornerait à reprendre les dispositions du texte adopté, sans en aggraver le caractère « coûteux ».
(3) Le cas des propositions de loi adoptées par l'une ou l'autre des assemblées parlementaires lors d'une ancienne législature
A l'inverse, une proposition ou un projet de loi adopté par l'une des chambres du Parlement lors d'une ancienne législature ne peut « neutraliser » l'interdiction fixée par l'article 40 . En d'autres termes, un amendement créant une charge ou diminuant sans gage les ressources publiques, même si il ne fait que transcrire des mesures adoptées par le Sénat ou l'Assemblée nationale au cours d'une législature précédente, demeure irrecevable. Cette règle a récemment trouvé trois occasions de mise en oeuvre :
- en février 2008, dans le cadre de l'examen du projet de loi relatif aux organismes génétiquement modifiés (OGM), un amendement visant à créer un fonds public d'indemnisation du préjudice résultant, pour les exploitants agricoles, de la présence accidentelle d'OGM, a été déclaré irrecevable. Le fonds proposé, en effet, aurait été constitutif d'une charge nouvelle pour les finances publiques. La recevabilité de l'amendement ne pouvait être appréciée en considérant qu'un dispositif similaire avait été prévu par le projet de loi relatif aux OGM adopté par le Sénat le 23 mars 2006 (sous la XII ème législature) 15 ( * ) , texte devenu caduque ;
- dans le cadre de la discussion de la proposition de loi relative à la simplification du droit, au mois d'octobre 2007, j'ai admis la recevabilité financière de deux amendements, identiques, qui reproduisaient la proposition de loi relative à la législation funéraire adoptée par le Sénat le 22 juin 2006 (sous la XII ème législature) 16 ( * ) . Mais cette décision a résulté de l'analyse même des amendements, révélant d'une part qu'ils ne créaient pas de charge nouvelle par rapport au droit existant, et d'autre part que la diminution de ressources qu'ils comportaient se trouvait compensée par un gage. Le « précédent » que constituait la proposition de loi adoptée sous une ancienne législature est donc bien resté, au cas d'espèce, sans incidence ;
- un même raisonnement avait été suivi par le bureau de votre commission des finances dès le mois de juillet 2007, lors de l'examen de la recevabilité financière de cinq amendements, déposés sur le projet de loi renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs. Ces amendements tendaient à créer un contrôleur général et un corps de contrôleurs des prisons ; par rapport au droit existant, ils représentaient manifestement la création d'une charge publique. La proposition de loi relative aux conditions de détention dans les établissements pénitentiaires et au contrôle général des prisons, adoptée par le Sénat le 26 avril 2001 (sous la XI ème législature) 17 ( * ) , ne pouvait être retenue comme base de référence. Si les amendements en cause ont finalement été déclarés recevables, c'est exclusivement en considération des intentions que le gouvernement avait exprimées d'une manière formelle (cf. ci-après).
(4) Le cas des propositions de loi déposées mais non adoptées
Il convient enfin d'observer qu' une proposition de loi déposée mais non adoptée, ou un amendement parlementaire déposé à l'Assemblée nationale et non adopté , ne peut servir de base de référence pour apprécier la recevabilité financière d'une initiative sénatoriale.
* 11 A cet égard, il convient de noter que le projet de loi constitutionnelle de modernisation des institutions de la V e République, actuellement soumis à l'examen du Parlement, prévoit notamment de modifier l'article 42 de la Constitution afin que la discussion en séance des projets de loi, en principe, porte sur le texte adopté par la commission saisie au fond . Dans l'hypothèse où ces dispositions entreraient en vigueur, votre commission des finances s'attacherait, au regard de l'article 40 de la Constitution, à en faire une lecture conservant toute sa plénitude à l'initiative parlementaire .
* 12 La recevabilité financière d'un amendement n'exclut en rien la possibilité que le gouvernement invoque, à l'encontre de cet amendement, l'article 41 de la Constitution, lui opposant ainsi une irrecevabilité tirée d'un « empiètement » sur la compétence réglementaire.
* 13 Décision n° 60-11 DC du 20 janvier 1961.
* 14 La décision n° 93-329 DC du 13 janvier 1994 a admis que la recevabilité financière d'un amendement présenté par un député sur un texte issu d'une proposition de loi sénatoriale peut être appréciée par rapport aux conclusions de la commission du Sénat qui a été saisie au fond, si cette base de référence s'avère plus favorable à l'initiative parlementaire que le texte transmis à l'Assemblée nationale.
* 15 Texte n° 79 (2005-2006).
* 16 Texte n° 111 (2005-2006).
* 17 Texte n° 78 (2000-2001).