2. La frontière entre recette et dépense
Pour l'application de l'article 40, la distinction entre la diminution de ressources publiques et la création ou l'aggravation d'une charge publique, en pratique, ne va pas toujours de soi. Certaines opérations ambivalentes sont assimilées à des pertes de recettes, d'autres sont considérées comme des dépenses. En outre, on assiste aujourd'hui au développement d'un phénomène renforçant cette relative complexité : les affectations de recettes .
a) Les opérations assimilées à des pertes de recettes
Deux principaux types d'opérations, qui sous un certain angle pourraient être analysées comme des dépenses, sont assimilées par votre commission des finances à des pertes de recettes qui, comme telles, peuvent faire l'objet d'une compensation autorisant leur recevabilité financière .
Conformément à l'article 6 de la LOLF, les prélèvements sur les recettes de l'Etat se trouvent être strictement limités à deux catégories : le prélèvement au titre de la participation de la France au budget des Communautés européennes, d'une part, et les prélèvements au profit des collectivités territoriales, d'autre part. Il existe également des prélèvements sur les recettes de personnes publiques autres que l'Etat, notamment entre différents niveaux de collectivités territoriales.
Les prélèvements sur les recettes de l'Etat en faveur des collectivités territoriales Détaillés dans l'annexe « Evaluation des voies et moyens » de chaque projet de loi de finances initiale, les prélèvements sur les recettes de l'Etat opérés au profit des collectivités territoriales se décomposent actuellement comme suit : - le prélèvement au titre de la dotation globale de fonctionnement (DGF) ; - le prélèvement du produit des amendes forfaitaires de la police de la circulation et des radars automatiques ; - le prélèvement au titre de la dotation spéciale pour le logement des instituteurs ; - le prélèvement pour la dotation de compensation des pertes de bases de la taxe professionnelle et de redevance des mines des communes et de leurs groupements ; - le prélèvement au titre de la dotation de compensation de la taxe professionnelle (DCTP) ; - le prélèvement au profit du fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée (FCTVA) ; - le prélèvement au titre de la compensation d'exonérations relatives à la fiscalité locale ; - le prélèvement pour la dotation « élu local » ; - le prélèvement au profit de la collectivité territoriale de Corse et des départements de Corse ; - le prélèvement pour la compensation de la suppression de la part « salaire » de la taxe professionnelle ; - le prélèvement pour le fonds de mobilisation départementale pour l'insertion (FMDI) ; - le prélèvement pour la dotation départementale d'équipement des collèges (DDEC) ; - le prélèvement pour la dotation régionale d'équipement scolaire (DRES) ; - le prélèvement pour la compensation d'exonération au titre de la réduction de la fraction des recettes prises en compte dans les bases de taxe professionnelle des titulaires de bénéfices non commerciaux ; - le prélèvement pour la compensation d'exonération de la taxe foncière relative au non-bâti agricole. |
Les dispositions de la LOLF s'opposent donc à la création , par voie d'amendement parlementaire à une loi simple, d'une nouvelle catégorie de prélèvement sur les recettes de l'Etat, c'est-à-dire en dehors du prélèvement au titre de la participation de la France au budget des Communautés européennes et des prélèvements en faveur des collectivités territoriales. Ainsi, par exemple, un amendement législatif « simple » ne peut instaurer de prélèvement sur les recettes de l'Etat au profit des organismes de sécurité sociale. En revanche, à la condition de prévoir la compensation qui convient, un tel amendement peut créer, au sein d'une catégorie existante , un prélèvement sur les recettes de l'Etat, en particulier au profit des collectivités territoriales.
En tout état de cause, un amendement parlementaire peut majorer comme minorer le montant d'un prélèvement sur recettes, à la condition d'être convenablement gagé . Dans le cas d'une proposition de minoration d'un prélèvement sur recettes, le gage vise le bénéficiaire du prélèvement, si celui-ci entre dans le champ de l'article 40. Par exemple, une diminution de la DGF à l'initiative parlementaire doit être compensée pour les collectivités territoriales. Dans le cas d'une proposition de majoration d'un prélèvement sur recettes, le gage concerne le « financeur » du prélèvement. Par exemple, une majoration de la DGF doit être compensée pour l'Etat.
A l'inverse, j'ai été amené à déclarer l'irrecevabilité de plusieurs amendements tendant à accroître le niveau des dotations de l'Etat aux collectivités territoriales. Ces dotations ne sont pas financées par un prélèvement sur recettes, mais par des crédits budgétaires ne pouvant être augmentés , en principe, par un amendement parlementaire 21 ( * ) . Cette mesure, en effet, serait constitutive d'une nouvelle charge pour l'Etat.
Par ailleurs, un amendement parlementaire peut modifier la répartition d'un prélèvement sur recettes entre plusieurs de ses bénéficiaires, sous la réserve de ne pas dégrader le niveau de ressources de l'un d'entre eux . Aussi, une augmentation de la part perçue par une catégorie de collectivités territoriales qui se réaliserait au détriment d'une autre catégorie doit être assortie d'un gage au bénéfice de cette dernière. Par exemple, une hausse de la seule DGF des communes et établissements publics de coopération intercommunale (EPCI), alors que le prélèvement au titre de la DGF resterait à niveau constant, suppose un gage pour les départements et les régions.
Le gage des amendements relatifs à la DGF La dotation globale de fonctionnement (DGF) fait l'objet d'un taux de croissance annuel fixé par la loi de finances, pour chaque catégorie de collectivités territoriales (communes et EPCI, départements, régions). Chaque DGF catégorielle se trouve elle-même composée de plusieurs dotations. En particulier, elle comprend une ou plusieurs dotations de péréquation, qui en constituent le solde après la prise en compte de l'augmentation de ses dotations n'ayant pas de fonction de péréquation . En conséquence, les seuls amendements relatifs à la DGF nécessitant un gage sont ceux qui augmentent le montant global des dotations de péréquation, ou qui augmentent explicitement le montant global de la DGF d'une catégorie de collectivités . Par exemple, un amendement prévoyant une majoration de la dotation d'aménagement (destinée à la péréquation 22 ( * ) ) de la DGF des communes et EPCI doit être gagé, parce qu'il implique une augmentation globale de la DGF des communes et EPCI. Au contraire, ne requièrent pas de gage les amendements qui augmentent une ou plusieurs des dotations composant de la DGF autres que les dotations de péréquation (par exemple, la dotation de base de la DGF des communes et EPCI) ou qui n'augmentent que certaines composantes des dotations de péréquation (par exemple, au sein de la dotation d'aménagement de la DGF des communes et des EPCI, la dotation de solidarité urbaine [DSU]). De tels amendements, en effet, entraînent mécaniquement une diminution à due concurrence du montant global des dotations de péréquation de la DGF de la catégorie de collectivités concernée. |
En outre, j'ai admis la recevabilité des amendements tendant à augmenter un dégrèvement de fiscalité locale, dès lors que le « gage » prévoyait explicitement que cette augmentation serait compensée, non par des crédits budgétaires versés par l'Etat aux collectivités concernées, mais par un prélèvement sur ses recettes. Il en allait ainsi, par exemple, des nombreux amendements au projet de loi de finances initiale pour 2006 relatifs au « ticket modérateur » mis en place dans le cadre de la réforme de la taxe professionnelle.
b) Quand une réduction d'impôt devient une dépense...
Un cas assez fréquemment rencontré lors de l'examen de recevabilité au titre de l'article 40 correspond aux crédits d'impôts ainsi qu'aux autres mécanismes de restitution ou de récupération fiscale.
Un crédit d'impôt présente une nature ambivalente , dès lors qu'il peut à la fois s'analyser comme une réduction de recettes et s'interpréter comme une création de charge.
En effet, le crédit d'impôt , en s'imputant sur l'impôt dû, représente une perte de recette pour la personne publique affectataire de cet impôt. En atténuant le montant de l'impôt calculé, voire en annulant son montant, il correspond à une perte de recettes qui, comme toute diminution de ressources, est susceptible d'être gagée.
Pour autant, le crédit d'impôt peut également se traduire par la restitution d'un excédent éventuellement constaté, au profit du redevable . Il s'agit là, d'ailleurs, de la spécificité du crédit d'impôt : le caractère restituable de la créance le cas échéant détenue par le contribuable sur le Trésor public. Cette restitution peut avoir lieu au travers, par exemple, d'un chèque ou d'une imputation du dépassement sur l'impôt dû au titre des années suivantes. Dans ce cas, le crédit d'impôt peut s'apparenter à une dépense, susceptible d'être inscrite au sein de la mission budgétaire « Remboursements et dégrèvements ».
Au regard de cette dualité, la jurisprudence au titre de la recevabilité financière des crédits d'impôt est claire : dès qu'un dispositif se traduit par une restitution, il est constitutif d'une charge publique et est irrecevable .
A titre d'exemple d'irrecevabilité financière, on peut tout d'abord mentionner le cas de l'extension du crédit d'impôt dans le cadre des contrats d'assurance maladie complémentaire 23 ( * ) . Deux amendements déposés à l'occasion de la discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2008 visaient, en effet, à étendre le bénéfice de ce crédit d'impôt aux publics ayant bénéficié de la couverture maladie universelle complémentaire (CMU-C) et étant désormais désireux de souscrire un contrat de sortie de la CMU-C auprès d'un organisme complémentaire. Bien que l'un d'entre eux ait été assorti d'un « gage », celui-ci n'était pas opérant et ils ne pouvaient ainsi que tomber sous le coup d'une irrecevabilité au titre de l'article 40.
Ont été également déclarés irrecevables plusieurs amendements, depuis le 1 er juillet 2007, se proposant de raccourcir des délais de remboursement de certains crédits d'impôt existants . Le raisonnement ayant abouti à ces décisions s'est fondé sur la charge de trésorerie ainsi créée et qui aurait pesé sur l'Etat ou sur le budget d'autres personnes publiques.
Le crédit de TVA a été particulièrement concerné par ces décisions. Ainsi, un amendement facilitant le choix, pour un exploitant agricole, d'opter pour la déclaration trimestrielle de TVA a été jugé irrecevable. De même, un amendement visant à instaurer un remboursement de TVA sur des trimestres « glissants », pour les PME, a été rejeté. Enfin, un amendement imposant un délai de trente jours, à compter de l'envoi de la déclaration par l'assujetti, pour le remboursement de la TVA déductible dont l'imputation n'a pu être opérée en janvier a dû être repoussé.
D'autres crédits d'impôt ont également été l'objet de ce type de décision, avec d'autres personnes publiques concernées que l'Etat. Ainsi, un amendement proposant de raccourcir le délai de remboursement de la fraction non-utilisée du crédit d'impôt consenti aux entreprises de pêche ayant réalisé un investissement direct dans un navire a été déclaré irrecevable. Il a en effet été considéré qu' un tel raccourcissement du délai aurait fait peser sur les conseils régionaux une charge nouvelle au titre de l'article 40.
Il est toutefois possible de se prémunir contre l'irrecevabilité de tels dispositifs en prévoyant dans le corps de l'amendement que les dispositions proposées ne s'appliquent qu'aux sommes venant en déduction de l'impôt dû. Ainsi rédigé, le crédit d'impôt devient une réduction d'impôt, et peut donc être gagé.
* 21 Ces dotations sont actuellement retracées par la mission « Relations avec les collectivités territoriales ». Sur le régime de recevabilité financière des amendements de redéploiement de crédits en loi de finances, cf. infra .
* 22 Dans un souci de simplification, on assimile ici la DGF des EPCI, qui fait partie de la dotation d'aménagement de la DGF des communes et EPCI, à une dotation de péréquation.
* 23 Ce crédit d'impôt a été introduit par la loi n° 2004-810 relative à l'assurance maladie du 13 août 2004.