II. DES MENACES CROISSANTES
La présence des espèces vivantes sur Terre n'est que transitoire. Celles qui y vivent actuellement ne représentent que 2 % de celles qui y ont vécu jusqu'ici .
La biosphère a connu 5 crises d'extinction spectaculaire dont la plus connue est celle qui a entraîné la disparition des dinosaures, il y a soixante-cinq millions d'années, mais la plus dévastatrice, celle du permien, il y a deux cent cinquante millions d'années, qui a supprimé 50 % des familles d'animaux terrestres et 95 % des espèces océaniques.
Mais chacune de ces crises d'extinction s'est déroulée sur des centaines de milliers d'années.
Le problème qui se pose à nous est de savoir si nous ne vivons pas un sixième cycle d'extinction massive et si ce spasme d'extinction ne va pas se produire dans des délais très brefs au regard des temps géologiques, de l'ordre du siècle.
Il serait probablement prématuré d'apporter une réponse tranchée à cette question - et annoncer une extinction de l'ampleur de celui du permien. Mais on doit ici se faire l'écho d'un constat unanime de la communauté scientifique : le bilan du demi-siècle passé est très préoccupant et pour le proche avenir les pressions traditionnelles s'accroissent, alors même qu'une nouvelle menace se profile - celle du changement climatique.
A. UN BILAN TRÈS INQUIÉTANT
1. Le rythme général d'extinction des espèces s'accélère
Avant d'évoquer les évaluations portant sur l'amplification de la disparition de la biodiversité des espèces, on doit tempérer l'exposé de ces projections, bien que leurs tendances soient incontestables.
Car on conçoit aisément la difficulté de l'exercice qui consiste à évaluer le rythme de collapsus d'une donnée, la biodiversité, dont on ne connaît pas tous les éléments (à l'exception des mammifères) et en fonction d'événements dont l'ampleur et donc les conséquences ne sont pas non plus connus. C'est pourquoi ces méthodes reposent sur l'idée 6 ( * ) qu'il existe une relation linéaire entre la surface d'un biome et le nombre d'espèces naturelles de ce biome : quand la surface diminue 10 fois, le nombre d'espèces se réduit de moitié. Ce mode de projection est robuste mais élémentaire.
Ces difficultés méthodologiques expliquent qu'on aboutit à des estimations très différentes ; suivant les cas, entre 40 000 et 250 000 espèces par an.
On peut également rappeler que ce type d'approche repose sur une relation de linéarité qui n'est pas évidente et s'applique à des échelles du vivant qui n'ont pas le même degré de vulnérabilité : le risque de disparition de l'éléphant d'Afrique est probablement plus élevé que les risques d'extinction qui existent chez certaines espèces d'insectes ou d'invertébrés.
Mais, pour l'essentiel, la communauté scientifique s'accorde sur le fait que sur les deux derniers siècles, le rythme de disparition des espèces a été, suivant les espèces considérées, de 10 à 100 fois supérieur au tempo naturel d'extinction 7 ( * ) (une espèce sur 50 000 par siècle).
La projection faite par la communauté scientifique internationale à la demande de l'ONU à l'occasion du millénaire estime que d'ici 2050, ce rythme d'extinction sera multiplié par 10, soit, suivant les espèces considérées, un tempo de 100 à 1 000 fois supérieur au rythme d'extinction normal .
En clair, l'humanité détruit à une vitesse accélérée non seulement la biodiversité qu'elle connaît, mais celle qu'elle n'a pas encore découvert.
2. Tous les biotopes sont atteints
Sur la base d'observations effectuées depuis 1970, le WWF publie un indice dit « de planète vivante » (IPL), qui mesure l'évolution de la diversité biologique sur la Terre à l'aide de tendances de population de 1313 espèces de vertébrés de toutes familles et de toutes les parties du monde.
Entre 1970 et 2003, cet indice général de biodiversité a diminué de 30 %.
Cette donnée générale est décomposée en 3 sous-divisions représentatives de l'évolution de la biodiversité dans les milieux terrestre, marin et d'eau douce.
La convergence de l'érosion de la biodiversité pour chacun de ces indices est frappante :
- 31 % pour les espèces terrestres,
- 27 % pour les espèces marines,
- 28 % pour les espèces d'eau douce.
Source : WWF
Source : WWF
Source : WWF
3. Mais certains types d'écosystèmes sont plus touchés
a) Une localisation géographique inégale de l'érosion de la biodiversité
La biodiversité n'est pas également répartie sur la planète. Par exemple, les forêts tropicales qui ne constituent que 7 % de surface émergée représentent 50 % de la biodiversité faunistique et floristique de la Terre. L'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) identifie (en rouge sur le planisphère ci-après) les points chauds de la biodiversité planétaire terrestre.
Source : Conservation International
Or, ces points chauds de la biodiversité planétaire sont ceux qui subissent les pertes les plus fortes.
A titre d'illustration, l'indice précité du WWF sur l'érosion de la biodiversité terrestre indiquait une perte moyenne de 31 % sur l'ensemble de la planète, mais cet indice d'affaiblissement atteint 64 % dans les régions tropicales et est encore supérieur dans le domaine géographique Inde-Malaisie de l'Asie du Sud-est :
Source : WWF
De même, si on reprend l'indice marin du WWF, sa perte moyenne n'est que de 27 %, mais elle atteint 60 % pour la zone océan Indien/Sud-est asiatique :
Source : WWF
b) Des biotopes sont plus particulièrement menacés
- La perte de biodiversité dans les milieux humides et des eaux continentales a atteint 37 % entre 1970 et 2000,
- les biotopes marins et côtiers sont très affectés :
* 60 % des coraux sont exposés à l'activité humaine et 20 % ont disparu en trente ans,
* depuis 10 ans, le quart des mangroves d'Asie et près de la moitié des mangroves d'Amérique latine ont disparu,
* l'interdiction de la pêche à la morue dans les eaux canadiennes en 1992 n'a pas permis de reconstituer le gisement 8 ( * ) ,
* en 40 ans, la surface de la Mer d'Aral est passée de 66 000 km² à 16 000 km².
- Les milieux forestiers sont très touchés :
* même si la situation est stabilisée, les forêts méditerranéennes, qui sont un des points chauds de la biodiversité mondiale, avaient perdu 70 % de leur habitat initial en 1950,
* la réduction du périmètre des forêts tropicales sèches se poursuit (Madagascar, Mata Atlantica brésilienne dont il ne reste plus que 7 à 10 %),
* la déforestation des forêts tropicales humides (Afrique, Asie, Amérique du Sud) se poursuit au rythme de 13 millions d'hectares par an 9 ( * ) alors que ce milieu héberge 50 % de la flore mondiale.
La carte ci-dessous montre (en rouge) les pertes à venir dans la plus grande forêt du monde, l'Amazonie, si la tendance constatée jusqu'en 2000 se poursuivait jusqu'en 2050 :
Source : WWF
- La biodiversité des pays développés, déjà très anthropisée , continue à être atteinte :
* les eaux continentales subissent le contrecoup d'usages excessifs de polluants et des usages de l'eau pour l'agriculture ; ces ressauts de consommation excèdent les possibilités normales d'adaptation des espèces aquatiques aux variations des cycles hydrologiques,
* l'Union européenne a établi que, hors les zones protégées par les directives « Natura 2000 », les pertes de biodiversité de la faune aviaire pouvaient atteindre 70 % pour certaines espèces 10 ( * ) ; aux Etats-Unis, les pertes de biodiversité sur les vingt espèces d'oiseaux les plus répandues atteignent 50 %.
* l'appauvrissement du sol, et donc de la biodiversité associée, s'accentue. En trente ans, la Beauce a perdu plus de 30 % des composés organiques de son sol,
* en France, de 3 à 5 espèces de céréales couvrent les besoins en protéines végétales contre plusieurs dizaines avant 1939 ; de même, sur la même période, 750 espèces animales domestiques ont disparu ,
* l'accroissement de l'utilisation de l'eau par l'agriculture produit :
- des phénomènes de ruissellement qui augmentent la turbidité des eaux continentales,
- et un développement de la salinité des estuaires qui menace les écosystèmes côtiers,
* enfin, on constate, à la suite du développement des normes d'hygiène, que la biodiversité des bactéries lactiques utilisées dans la fabrication du fromage a diminué de plus de 30 % en vingt ans .
*
* *
* 6 Mise en évidence par le botaniste britannique Watson, au 19 e siècle.
* 7 C'est-à-dire hors des grandes crises d'extinction.
* 8 Ce gisement reposait sur des cycles lents et a été remplacé par des écosystèmes à cycle plus rapide (nécrophages, méduses, etc.).
* 9 Données FAO 2007.
* 10 Et même 80 % à 90 % pour les hirondelles.