5.5. SIMULATIONS
Les estimations ci-dessus mettent en évidence des différences de comportement budgétaire en Allemagne, en France et au Royaume-Uni. Afin d'illustrer les conséquences pratiques de ces différences de comportements, nous effectuons pour finir deux séries de simulations contre-factuelles détaillées dans l' encadré 5 .
a. La première série de simulations est destinée à mesurer le degré de divergence des politiques budgétaires allemande et française depuis 1970. Pour cela, on compare l'évolution théorique du SPS selon que l'on applique aux données françaises la règle budgétaire française et la règle allemande. Symétriquement, on compare l'évolution théorique du SPS selon qu'on applique aux données allemandes la règle allemande et la règle française. Dans les deux cas, les simulations sont effectuées en utilisant les règles estimées avec des coefficients constants (cf tableau 5 ) et en excluant les chocs de SPS ne correspondant pas à la règle (les résidus et des estimations). Ces simulations permettent donc de comparer des régularités de comportement face au cycle et à la dette, non les politiques discrétionnaires elles-mêmes. On a vu précédemment que, sur l'ensemble de la période, la France apparaît moins réagir au cycle que l'Allemagne, alors que les coefficients sur la variation de la dette sont similaires. On s'attend donc à ce que la règle allemande produise une politique budgétaire davantage contra-cyclique, c'est-à-dire une hausse du SPS plus marquée en période de forte croissance et une chute plus brutale en période de ralentissement.
Cette comparaison est complétée par la simulation des SPS français et allemand à l'aide d'une règle estimée sur les Etats-Unis pour la même période. Le coefficient de réaction au cycle d'activité est alors plus élevé (0,26) que dans le cas allemand (0,21) et surtout français, alors que le coefficient sur la dette (0,05) est comparable. On s'attend donc à une politique davantage contra-cyclique avec la règle américaine qu'avec la règle allemande et surtout française.
Encadré 5 : Simulations numériquesSimulations 1 : Les soldes structurels sont reconstitués à partir des estimations de leurs évolutions données par les équations suivantes : - France (Graphique 19a) s t fra = s t-1 fra + a j 1 s fra t-1 + a j 2 s fra t-2 + j t-1 y fra t-1 + j t-1 d fra t-1 ; où j = fra, ger, us. - Allemagne (Graphique 19b) s t ger = s t-1 ger + a j 1 s ger t-1 + a j 2 s ger t-2 + j t-1 y ger t-1 + j t-1 d ger t-1 ; où j = ger, fra, us . Simulations 2 : Estimation de l'écart de production selon les politiques budgétaires (graphique 20) y t * =y t + (sps t * - sps t ) où y t * est l'écart de production simulé, est le multiplicateur budgétaire, et sps t * est la politique budgétaire retenue. - scénario A : solde budgétaire primaire structurel constant, égal à la moyenne du solde sur la période, sps t *=-0,06% du PIB; - scénario B : politique budgétaire allemande, sps t *= sps ger t |
Les résultats de cette première série de simulations sont présentés sur le graphique 19 . De manière frappante, tous les soldes simulés sont croissants à partir du milieu des années 1980, alors que les soldes observés fluctuent autour de zéro. Ceci signifie que la seule application de la règle budgétaire française, allemande ou américaine aurait produit une amélioration progressive des finances publiques de 1985 à 2005. Dès lors, l'absence de tendance haussière du SPS dans les faits est attribuable à des décisions budgétaires discrétionnaires, sans régularité par rapport au cycle et à la dette.
Le second enseignement de ces simulations est que l'élévation progressive du SPS est plus marquée avec la règle française qu'avec les deux autres règles, en raison d'une moindre réaction aux ralentissements économiques de 1993 et 2001-2003. Les divergences entre les différentes règles sont croissantes par construction car le SPS d'une année dépend du SPS (simulé) de l'année passée. En fin de période, le SPS français se trouve alors près de deux points de PIB plus haut avec la règle française qu'avec la règle allemande. Le SPS allemand finit quant à lui trois points plus haut avec la règle française. La règle américaine produit des résultats très proches de la règle allemande.
Si la coordination des politiques économiques consiste à s'entendre sur les principes de gestion budgétaire, comme cela a été suggéré par Jacquet et Pisani-Ferry (2000), alors les simulations suggèrent que l'absence de coordination produit en effet de fortes divergences de politique budgétaire entre la France et l'Allemagne, dans le sens d'une politique moins réactive au cycle, donc de facto plus prudente en France depuis le milieu des années 1980. Il faut toutefois rappeler que ces simulations sont réalisées à l'aide de coefficients estimés sur longue période. Or il a été montré dans la section précédente que la réaction au cycle a diminué en Allemagne tandis qu'elle a augmenté en France. En retenant des coefficients de fin de période, les conclusions seraient inversées avec une politique plus prudente selon la règle allemande qu'avec la règle française.
b. Le second exercice de simulation vise à mesurer l'impact de différentes politiques budgétaires discrétionnaires sur le cycle économique. En posant l'hypothèse d'un multiplicateur budgétaire élevé (égal à 1), nous comparons l'écart de production français historique avec celui qui aurait été observé si la France avait appliqué une politique budgétaire neutre (SPS constant, scénario A) ou la politique budgétaire allemande (scénario B).
Les résultats sont représentés sur les graphiques 18. Même si elle n'a pas beaucoup réagi au cycle, la France a eu une politique contra-cyclique en moyenne sur la période, ce qui se traduit par des fluctuations de l'écart de production moins marquées qu'avec une politique neutre, particulièrement à partir de 1985 (scénario A). Bien qu'elle soit davantage contra-cyclique, la politique allemande appliquée à la France ne permet pas de stabiliser l'activité française (scénario B), en raison des décalages de conjoncture entre les deux pays. Par exemple, la France a connu un pic d'activité plus marqué que l'Allemagne en 2000 ; l'application cette année-là de la politique budgétaire allemande n'aurait fait que renforcer l'écart de production positif en France.
Ces différentes simulations ont bien sûr un caractère uniquement illustratif. Elles montrent cependant que des divergences relativement modestes dans les règles implicites de politique budgétaire peuvent entraîner des évolutions de soldes assez différentes entre pays. Ces simulations plaident pour une convergence sur les principes de gestion budgétaire (se traduisant ici par davantage de proximité des coefficients de réaction au cycle et à la dette). A l'inverse, les simulations montrent qu'une convergence des soldes structurels ne constitue pas un bon moyen de coordonner les politiques.