N° 113

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2007-2008

Annexe au procès-verbal de la séance du 5 décembre 2007

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la délégation du Sénat pour la planification (1) sur la coordination des politiques économiques en Europe ,

Par MM. Joël BOURDIN et Yvon COLLIN,

Sénateurs.

(1) Cette délégation est composée de : M. Joël Bourdin, président ; M. Pierre André, Mme Évelyne Didier, MM. Joseph Kergueris, Jean-Pierre Plancade, vice-présidents ; MM. Yvon Collin, Claude Saunier, secrétaires ; MM. Bernard Angels, Gérard Bailly, Yves Fréville, Yves Krattinger, Philippe Leroy, Jean-Luc Miraux, Daniel Soulage .

AVANT-PROPOS

L' Union européenne , et plus encore la zone euro, est une zone de forte intégration économique (échanges commerciaux, flux financiers, monnaie unique...). Par ailleurs, la construction européenne a une dimension politique , qui pour être diversement ressentie en Europe, est une donnée essentielle de l'imaginaire et de l'histoire des citoyens européens .

Dans ces conditions, l'intégration économique européenne ne peut être considérée , et n'est pas vécue, comme le simple fruit des circonstances ou comme un compromis de nature exclusivement technique destiné à mettre de l'huile dans les rouages commerciaux d'une collection d'Etats que tout séparerait par ailleurs. Elle est en soi un objectif politique, ce que l'adoption d'une monnaie unique, en lieu et place des monnaies nationales, vient consacrer avec une force particulière.

Il n'en reste pas moins que l'Union européenne n'est pas un ensemble complètement unifié : les frontières demeurent avec une grande partie de leur efficace. L'Europe est toujours segmentée : le commerce, la finance, la langue, la culture, en somme la plupart des réalités socio-économiques, tout en Europe est plus national qu'européen . L' organisation politique européenne porte la marque de cette identité. Les souverainetés politiques ont bien pu donner lieu à des abandons, elles subsistent dans leurs aires nationales .

Ces souverainetés trouvent naturellement à s'exercer dans le domaine des politiques économiques.

Elles ont, certes, été limitées. Mais , excepté pour la monnaie, même quand des contraintes européennes sont posées, les souverainetés juridiques des Etats demeurent , plus ou moins, complètes.

Elles sont même sans limite dans tous les autres domaines que la monnaie, sauf celui de la politique budgétaire .

A l'usage, cette pyramide des souverainetés a confirmé l'instabilité qu'on pressentait à mesure qu'elle était édifiée et les Etats ont affiché la volonté de l'asseoir plus solidement : la coordination des politiques économiques en Europe était née . Le présent rapport est consacré à en évaluer le contenu et l'efficacité.

La coordination des politiques économiques représente un engagement politique majeur dans le processus historique de la construction européenne. Dans les faits, cet engagement n'a pas été tenu pour des raisons politiques qu'il faut analyser car, de cette analyse, dépendent les pistes de solutions qu'il est possible d'explorer .

La coordination des politiques économiques en Europe est inscrite dans le Traité fondateur qui stipule que « les Etats membres considèrent leurs politiques économiques comme une question d'intérêt commun et les coordonnent au sein du Conseil » .

La coordination des politiques économiques est ainsi un engagement international solennel, élément à part entière de l'équilibre sur lequel repose la construction européenne.

Cet engagement est-il seulement formel ? Le texte du Traité semble inviter à une réponse affirmative . La coordination des politiques économiques entre les Etats y est présentée comme faisant l'objet d'un engagement de principe auquel le Conseil a vocation à donner telles suites concrètes qu'il souhaite.

Pourtant, cette approche restrictive, et quelque peu résignée, ne peut être retenue pour au moins quatre raisons :

- le relief donné à la coordination des politiques économiques, « une question d'intérêt commun », oblige à considérer qu'au-delà d'une obligation de moyen, est fixée une véritable obligation de résultat : les Etats membres n'ont pas à se contenter d'essayer de coordonner leurs politiques économiques, ils doivent, substantiellement, les coordonner ;

- les Traités, et les protocoles annexés, définissent dans plusieurs domaines dont, en premier lieu, le domaine budgétaire, des modalités précises de coordination des politiques économiques qui, dépassant la seule intention formelle, déterminent des règles de fond (le déficit excessif, la dette soutenable...) ;

- le renoncement à l'instrument monétaire pour servir les intérêts économiques nationaux suppose, en contrepartie, une coordination des politiques économiques entre Etats, pour des motifs différenciés : pour assurer la préservation de la monnaie certes mais aussi parce que l'adoption des principes communs de politiques économiques est seule de nature à éviter une concurrence ruineuse entre Etats ;

- enfin , et surtout , la construction européenne n'est pas qu'un projet formel ; elle prétend à des finalités politiques .

Ainsi dans le domaine économique, comme l'indique le Traité négocié lors du récent Sommet de Lisbonne (article 3.3), qui renforce, en ce domaine, les ambitions européennes, « l'Union établit un marché intérieur. Elle oeuvre pour le développement durable de l'Europe fondé sur une croissance économique équilibrée et sur la stabilité des prix, une économie sociale de marché hautement compétitive, qui tend au plein emploi et au progrès social , et un niveau élevé de protection et d'amélioration de la qualité de l'environnement. Elle promeut le progrès scientifique et technique.

Elle combat l'exclusion sociale et les discriminations, et promeut la justice et la protection sociales , l'égalité entre les femmes et les hommes, la solidarité entre les générations et la protection des droits de l'enfant.

Elle promeut la cohésion économique, sociale et territoriale , et la solidarité entre les Etats membres [...] ». 1 ( * )

Ainsi, la coordination des politiques économiques ne doit pas être prise à la légère .

Pilier fondamental de la construction économique dans une Europe non fédérale, elle doit être considérée comme un engagement politique fort, visant, dans un cadre politique et institutionnel décentralisé, à tenir la place et exercer les fonctions d'une gouvernance européenne non-unifiée.

Là réside l'importance de la coordination des politiques économiques mais là se trouvent aussi les racines du mal qui semble la frapper .

L'absence d'unification politique en Europe, à quoi prétend remédier la coordination des politiques économiques, laisse toute sa force à la diversité d'options de politiques nationales qui s'opposent et à la survivance d'intérêts nationaux qui se concurrencent.

Dans ces conditions, bien que gagnante, et collectivement, et pour chacun, la coordination des politiques économiques a peu de chances d'aboutir. De fait, elle doit surmonter deux obstacles redoutables : les désaccords sur le sens même des coordinations à instaurer ; la concurrence des intérêts nationaux tels que les conçoivent les Etats.

Il existe alors un risque mortel pour l'Europe, le déroulement d'un processus d'hyper-compétition entre les Etats ruinant le projet politique européen qui repose sur une solidarité minimale.

Cette éventualité, à laquelle l'histoire de la coordination des politiques économiques en Europe donne malheureusement beaucoup de crédit, déboucherait sur une « guerre économique » quand le projet européen peut s'enorgueillir d'avoir maintenu depuis plus de cinquante ans la paix politique et militaire.

Ce qui constituerait une régression économique serait donc aussi une formidable faillite politique.

Les auteurs du présent rapport, qui s'attachent à analyser les échecs et les enjeux économiques de la coordination des politiques économiques en Europe, n'oublient pas que la tâche essentielle, et le moyen de prévenir la grave crise politique que ne manquerait pas d'engendrer le statu quo, est de nature politique.

Il s'agit de démentir la formule historique du Général de Gaulle : « Les Etats n'ont pas d'amis, ils n'ont que des intérêts » . Pour cela, il faut penser au-delà de l'idée des débuts de la construction économique selon laquelle les intérêts nationaux nous feraient amicaux les uns aux autres, et redécouvrir et consacrer vraiment la puissance considérable qui réside pour l'Europe dans le choix de la coopération entre partenaires.

Telle nous semble devoir être la priorité absolue de la future présidence française de l'Union européenne.

* 1 Les passages en gras sont soulignés par vos rapporteurs.

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