3. Une surveillance à la robustesse relative

Sur le plan technique, plusieurs observations s'imposeraient. Elles sont trop nombreuses pour le présent rapport qui ne permet que d'en mentionner quelques unes.

L'appréciation portée sur la situation de la dette publique dépend étroitement de celle relative à la croissance économique potentielle ainsi que des projections démographiques à long terme 90 ( * ) .

Deux pays connaissant un même niveau de dette publique et un même niveau du déficit public supportent pourtant des contraintes différentes de soutenabilité de leurs comptes publics, dès lors que leurs perspectives de croissance sont différenciées.

Il est donc nécessaire de poser des hypothèses sur le niveau futur de la croissance potentielle des différents pays pour estimer l'écart entre leur situation budgétaire présente et une situation budgétaire soutenable.

Or, même si les hypothèses élaborées en ce domaine ne sont nullement fantaisistes , s'appuyant sur des perspectives raisonnables d'évolution de la population active et des gains de productivité, il existe des discussions légitimes qui témoignent de l'existence d'incertitudes importantes sur les évolutions économiques à long terme qui sont susceptibles de modifier significativement l'appréciation de la soutenabilité budgétaire .

Le rapport 2006 de la Commission européenne sur la soutenabilité à long terme des finances publiques dans l'Union européenne en fournit d'ailleurs des illustrations, dont l'une peut être considérée comme involontaire et particulièrement significative .

L'indicateur de soutenabilité budgétaire de la France, mentionné dans le rapport, semble légèrement surestimer l'effort à entreprendre pour stabiliser la dette publique à son niveau de départ .

L'estimation de la soutenabilité de la situation budgétaire en France est conduite par la Commission sur la base des résultats disponibles en 2005, et en fonction des perspectives démographiques alors connues. Le niveau du déficit structurel était alors de 3,2 points de PIB , se décomposant en un déficit primaire structurel de 0,6 point de PIB et des charges d'intérêt égales à 2,6 points de PIB . La dette publique atteignait 66,2 points de PIB . La recommandation implicite au premier terme de l'indicateur de soutenabilité budgétaire (S1), calculé par la Commission (celui portant sur l'effort à entreprendre au vu de la situation initiale des pays) suggère que la France « améliore » son déficit primaire structurel de 1,3 point de PIB pour stabiliser la dette publique au niveau alors atteint. Cela équivalait à passer d'un déficit primaire structurel de 0,6 point à un excédent primaire structurel de 0,7 point de PIB. Or, cet objectif de solde structurel, qui revenait à fixer un objectif de déficit de 1,9 point de PIB, paraît excéder ce qui était alors nécessaire pour stabiliser la dette publique au taux de 66,2 % du PIB.

Avec un déficit de 1,9 point de PIB, il suffisait pour stabiliser la dette publique d'une croissance de 2,9 % en valeur, soit dans l'hypothèse raisonnable d'une hausse du prix du PIB de 1,5 %, une croissance en volume de 1,4 %, très nettement inférieure à la croissance économique potentielle de longue période, telle que les nouvelles projections démographiques, alors non disponibles, la laissent suggérer. A supposer que celle-ci se replie vers un rythme à long terme de 1,7 %, comme le suggèrent les nouvelles perspectives de population active, avec une augmentation des prix du PIB de 1,5 %, le solde nécessaire pour stabiliser la dette publique à un niveau de 66,2 % du PIB (niveau de 2005) s'accommode d'un déficit public total de 2,1 points de PIB, soit un excédent primaire structurel de 0,5 point de PIB (contre le 0,7 point suggéré par la Commission).

On s'accordera pour reconnaître que, quantitativement , la question soulevée ici n'est pas déterminante, même si un ajustement de 0,2 point de PIB, en soi non négligeable, représente 6,2 % du chemin prescrit par l'indicateur (S1) de soutenabilité de la Commission, et 15,4 % de celui nécessité, selon elle, par la situation de départ des finances publiques de la France.

Cependant, sur un plan plus qualitatif , l'exemple ici développé traduit l'existence d'incertitudes - sur le niveau à venir de la croissance économique - qui affectent la robustesse du diagnostic posé sur la soutenabilité des finances publiques.

Dans son rapport précité, la Commission illustre quelques unes de ces incertitudes et leur impact sur l'appréciation de la soutenabilité des positions budgétaires dans l'Union européenne.

Trois hypothèses différentes de celles posées dans la simulation centrale de la Commission sont explorées :


• celle d'une accélération des gains de productivité égale à 0,25 point entre 2005 et 2015 ;


• celle d'une augmentation du taux d'emploi des « seniors » de 5 points entre 2005 et 2015 maintenu au-delà ;


• celle d'une augmentation du taux d'emploi général de 1 point entre 2005 et 2015 maintenu au-delà, et provenant, soit d'une augmentation de l'offre de travail, soit d'une baisse des tensions inflationnistes que provoque souvent la réduction du taux de chômage (hypothèse de baisse du NAIRU - voir chapitre II ).

On doit souligner que ces hypothèses alternatives, qui peuvent être cumulées sous certaines conditions de cohérence, ont deux sortes d'effets sur les indicateurs de soutenabilité budgétaire tels qu'ils sont construits par la Commission, qui sont susceptibles de se conjuguer :


• elles augmentent le niveau de la croissance potentielle en accroissant la population employée et en augmentant son efficacité productive ;


• elles jouent sur les équilibres démographiques qui conditionnent l'impact du vieillissement de la population sur les finances publiques et l'appréciation qu'on peut porter sur leur soutenabilité présente.

IMPACT SUR LA VALEUR DE L'INDICATEUR DE SOUTENABILITÉ (S2)
DE QUELQUES HYPOTHÈSES ÉCONOMIQUES
(EN POINTS DE PIB)

Hypothèses

Accélération des gains de productivité

Augmentation du taux d'emploi des Seniors

Augmentation de l'emploi due à une hausse de l'offre de travail

Augmentation de l'emploi due à une baisse du NAIRU

Belgique

- 0,3

- 0,3

- 0,2

- 0,5

Danemark

0,0

- 0,4

- 0,1

- 0,4

Allemagne

0,0

- 0,1

- 0,1

- 0,3

Grèce

-

-

-

-

Espagne

- 0,6

- 0,1

- 0,1

- 0,2

France

- 0,3

- 0,4

- 0,2

- 0,3

Irlande

0,0

- 0,1

- 0,1

- 0,3

Italie

- 0,4

0,0

- 0,1

- 0,2

Luxembourg

- 0,1

-

-

-

Pays-Bas

0,0

- 0,1

- 0,1

- 0,7

Autriche

- 0,6

- 0,4

- 0,2

- 0,5

Portugal

- 0,9

- 0,2

- 0,2

- 0,4

Finlande

- 0,4

- 0,3

- 0,1

- 0,3

Suède

- 0,2

-

- 0,1

- 0,4

Royaume-Uni

- 0,3

- 0,1

- 0,1

- 0,2

UE-25

- 0,3

- 0,2

- 0,1

- 0,3

UE-12

- 0,3

- 0,2

- 0,1

- 0,3

Source : Services de la Commission

Pour l'Union européenne à 25 , l'écart de soutenabilité est réduit de 0,6 à 0,8 point de PIB selon le scénario d'augmentation de l'emploi retenu quand on cumule les effets des différentes hypothèses posées en variante.

L'amélioration du solde public primaire structurel requise pour stabiliser à l'infini la dette publique au niveau de 60 points de PIB n'est plus de 3,4 points de PIB mais, alternativement, de 2,8 ou 2,6 points de PIB (une stabilisation du niveau de la dette publique à horizon 2050 réclamerait un effort ramené de 2,1 à 1,5 ou 1,3 point de PIB).

Pour la France , la contrainte de stabilité est abaissée de 0,9 ou 1 point de PIB. L'écart de soutenabilité infinie passe de 4 à 3 points de PIB ( à horizon 2050 , il n'est plus que de 2,3 ou 2,2 points de PIB).

Chacune des hypothèses exerce un effet analogue du point de vue quantitatif même si l'augmentation du taux d'emploi des seniors a un impact légèrement supérieur (0,4 point de PIB) puisqu'il augmente, à la fois, le taux de croissance potentiel et réduit la durée de service des pensions.

*

* *

Au-delà des difficultés résultant de la robustesse seulement relative des projections de dette publique sur lesquelles sont fondées les recommandations concernant la politique budgétaire, il faut encore observer que l'appréciation de la soutenabilité budgétaire à partir des perspectives longues de la dette publique conduit à figer la politique budgétaire au service d'un objectif financier discutable .

* 90 Ce dernier point a été largement développé par votre Délégation dans son dernier rapport consacré aux perspectives économiques et des finances publiques à moyen terme (2007-2011). Rapport d'information n° 89 (2006-2007).

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