D. LE STATUT DE L'ELU LOCAL EN ESPAGNE
Il existe en Espagne trois niveaux hiérarchisés de collectivités infra-étatiques (article 137 de la Constitution espagnole). Les plus importantes sont les Communautés autonomes (17), suivies des Provinces (50) et des Municipalités (8.800). A cette division de base sont venus s'ajouter progressivement des niveaux d'intercommunalité tels les ''comarcas'' et ''mancomunidades''.
Ce système institutionnel est le résultat d'une évolution en quatre temps :
1) 1978 : Adoption de la Constitution, qui place l'idée d'autonomies au coeur du système politique espagnol (consécration de ''l'Etat des Autonomies''). Les collectivités territoriales peuvent notamment exercer des recours devant le Tribunal constitutionnel pour faire respecter le principe d'autonomie locale.
2) 1985 : Adoption de la Loi du 2 avril sur les bases du Régime local et de la Loi organique du 19 juin sur le Régime électoral général.
3) 1999 : ''Pacte local'' entre les différentes formations politiques, débouchant sur l'adoption de la Loi du 21 avril, qui renforce les pouvoirs d'exécution et de gestion des Présidents de collectivités locales.
4) 2003 : Adoption de la Loi du 16 décembre pour la Modernisation du Gouvernement local, qui a modifié le mode de fonctionnement des 80 municipalités les plus importantes (capitales de province, villes de plus de 250.000 habitants, municipalités de plus de 75.000 habitants présentant des ''circonstances économiques, sociales, historiques ou culturelles particulières'').
I. LA PERCEPTION DES ÉLUS LOCAUX ET DE LEUR TRAVAIL
De manière générale, le travail des élus locaux espagnols est reconnu et apprécié (même si les révélations sur des affaires de corruption, notamment sur le littoral, ont un impact négatif). Cette bonne image résulte notamment :
- de leur proximité avec le terrain, perçue comme garantissant une meilleure compréhension des difficultés des citoyens, et alors que les élus nationaux ne sont pas attachés à une circonscription uninominale, mais élu à la proportionnelle au niveau de la Province.
- de leur engagement, voire de leur vocation, sachant qu'un mandat local en Espagne ne débouche que très rarement sur un mandat national. L'un des effets du système autonomique est que certaines personnalités politiques de premier plan sont des élus régionaux et locaux, qui n'ont pas d'ambition pour des postes au niveau national.
- de leurs compétences étendues, du fait d'un degré élevé de décentralisation.
- de règles assez précises et appliquées avec rigueur limitant le cumul des mandats et fixant le régime des incompatibilités. Ainsi, il n'est pas possible pour un membre de Parlement autonomique d'être élu au Congrès des Députés. De même, s'il n'existe pas de règle formelle interdisant à un Député national d'être titulaire d'un mandat local, la pratique est quasiment inexistante (ce n'est pas le cas au Sénat, où siègent de nombreux maires et conseillers municipaux, mais cette institution dispose de pouvoirs bien moindres que le Sénat français). Un maire peut également être élu à la tête d'une Assemblée de province.
Au niveau local, la personnalité des élus compte pour beaucoup : il n'est ainsi pas rare d'observer un décalage, voire une inversion, entre scrutins nationaux et scrutins locaux dans une même ville. Un maire appartenant au Parti populaire (PP) peut être réélu dans une commune ayant voté majoritairement pour le Parti Socialiste (PSOE) aux élections législatives, ou inversement.
Depuis l'adoption de la Loi du 2 avril 1985 sur les Bases du Régime Local, les élections municipales ont été convoquées à cinq reprises : 1987, 1991, 1995, 1999 et 2003. Les prochaines élections doivent avoir lieu le 27 mai prochain (le même jour que les élections dans 14 des 17 communautés autonomes).
Le taux de participation à ces différents scrutins n'est jamais passé en dessous de la barre des 60 pour cent. Le plus haut en 1995 : 70 pour cent. Le plus bas en 1991 : 63 pour cent (à titre de comparaison, le taux de participation aux dernières élections législatives en mars 2004 était de 76 pour cent).
II. LE STATUT DE L'ÉLU LOCAL ESPAGNOL, ET LA DISTINCTION ENTRE ÉLUS À TEMPS PLEIN ET ÉLUS À TEMPS PARTIEL
Les règles de base relatives aux élus locaux au sens large figurent dans le Chapitre V de la loi du 2 avril 1985 sur les bases du régime local, intitulé ''Statut des membres des institutions locales''. Ces règles fixent un cadre général. D'une Communauté autonome à l'autre, des différences existent et tendent à s'accroître.
L'article 73 de ce texte renvoie à la loi électorale pour ce qui a trait à la détermination du nombre de membres des institutions locales, à la procédure électorale et à la durée de leur mandat (4 ans).
L'article 74 cherche à articuler le droit à exercer un mandat public représentatif (garanti par l'article 23.2 de la Constitution) et le droit au travail (article 35 du même texte). Il fixe notamment les règles relatives à la situation des élus membres de la fonction publique : ceux-ci se trouvent en situation de ''services spéciaux'' (forme de disponibilité) lorsqu'ils sont élus au sein de la collectivité pour laquelle ils sont supposés travailler ou lorsqu'ils sont fonctionnaires au sein d'une autre administration, mais que leur mandat est rémunéré et à temps plein. Par ailleurs, la Loi garantit en droit aux élus locaux exerçant leur mandat à temps partiel, que l'emplacement de leur lieu de travail (que leur emploi soit public ou privé) reste inchangé pendant la durée de leur mandat.
L'article 75 distingue les différentes formes de rémunération des élus locaux :
- les rétributions (exclusives de toute autre forme de rétribution publique) sont réservées aux élus exerçant leur mandat à temps plein. Considérés comme des salariés, ils sont affiliés au Régime général de Sécurité Sociale. Les élus exerçant leur charge à temps partiel se verront rétribués à hauteur du temps consacré à l'exercice de leur mandat.
- les indemnités de présence (''asistencias'') sont versées à ceux des élus qui n'exercent leur mandat ni à temps plein, ni à temps partiel, pour chacune des sessions auxquelles ils assistent effectivement.
- les remboursements de frais sont versés à chaque élu pour les dépenses qu'il a été amené à faire dans l'exercice de son mandat.
Le montant de chacune de ces rémunérations est fixé par l'assemblée plénière (''Pleno'') de chaque institution, c'est-à-dire le Parlement pour les Communautés autonomes, l'Assemblée pour les provinces et l'Assemblée municipale pour les communes. C'est à l'assemblée plénière de chaque institution que revient également le soin de déterminer le nombre de postes et de mandats exigeant un exercice à temps plein : tout dépend bien entendu de la taille de la collectivité.
En outre, est exigée de la part de chaque élu local lors de sa prise de fonctions une déclaration sur toutes les causes d'incompatibilité possibles, ainsi que sur toutes les activités susceptibles de lui assurer une source de revenus, en même temps qu'une déclaration sur le contenu de son patrimoine. L'assemblée plénière évalue, pour chaque élu concerné, si son mandat et son activité professionnelle sont compatibles.
Depuis le 9 décembre 2006, est entrée en vigueur une loi du 29 novembre de la même année, répondant à une revendication de longue date des élus locaux, et qui étend à ces derniers la protection et la couverture de la Sécurité Sociale en cas de chômage, dont ils étaient auparavant exclus. Cette mesure concerne tout particulièrement les élus exerçant leur mandat à temps plein, susceptibles de se retrouver au chômage en cas de défaite électorale.
Sur le plan de la responsabilité des élus, il n'existe pas d'immunité comparable à celle dont bénéficient députés et sénateurs espagnols, malgré les revendications en ce sens de la ''Fédération Espagnole des Municipes et des Provinces'' (FEMP).
Les responsabilités pénale, civile et administrative peuvent ainsi être engagées. Sur le plan pénal, la responsabilité des maires peut être directement mise en jeu : dans l'actualité récente, un maire a ainsi été condamné à 18 mois de prison pour un délit qualifié ''d'omission'' en matière environnementale. Sur le plan civil, toute action est théoriquement d'abord exercée contre la collectivité mais, en cas de comportement fautif (dol ou négligence) de la part de l'élu concerné, la collectivité a la possibilité de se retourner contre lui en exerçant une action récursoire.
III. LES ÉVOLUTIONS APRÈS 1985 ET L'ÉTAT DU DÉBAT
Diverses évolutions ont eu lieu depuis 1985, poursuivant des objectifs différents :
a) Déjà évoquée, la Loi du 21 avril 1999, adoptée dans le cadre du ''Pacte local'', a cherché à renforcer les fonctions exécutoires et de gestion des Présidents des collectivités locales. Elle s'est accompagnée d'une modification de la Loi organique du Régime électoral général, pour améliorer la procédure de motion de censure et introduire au niveau local la ''motion de confiance''. Objets d'un large consensus politique, ces textes se fondaient sur le bilan du fonctionnement des institutions locales quatorze ans après l'entrée en vigueur de la loi de base.
b) La Loi du 16 décembre 2003 pour la Modernisation du Gouvernement local a modifié les règles de fonctionnement des municipalités les plus importantes.
Elle partait du constat du caractère inadapté des textes alors en vigueur pour ce qui concernait les villes les plus peuplées, et tirait les conséquences de l'appréciation positive portée sur l'application de la réforme de 1999. La loi poursuivait deux objectifs : répondre aux attentes d'une direction claire et transparente pour les électeurs, ce qui nécessite des responsables à même de gérer rapidement et efficacement, répondre à l'exigence d'un débat public ouvert et créatif portant sur les principales politiques de la ville, tout en approfondissant le contrôle d'un exécutif renforcé, par le biais du développement des pouvoirs de délibération et d'enquête de l'assemblée plénière.
Transformée en véritable organe ''parlementaire'' délibérant, l'assemblée plénière se trouve privée de fonctions exécutives et administratives : celles-ci sont en effet attribuées au Conseil de Gouvernement Local (''Junta de Gobierno Local''), qui occupe une position prééminente dans la nouvelle organisation, puisqu'il hérite de la plupart des fonctions exécutives du maire. Certains ont opéré un parallèle entre le système de gouvernement national et le nouveau système local ainsi créé, en assimilant le rôle du maire à celui du chef du Gouvernement.
Pour répondre aux exigences croissantes en matière de compétences techniques, le texte offrait au maire la possibilité de désigner, pour faire partie du Conseil de Gouvernement Local, un certain nombre de membres non élus (sans avoir le statut de conseiller), dans la limite d'un tiers du total des membres. Le maire peut ainsi s'entourer d'experts à même de lui apporter un éclairage complet sur des thèmes à la composante technique importante. Certains auteurs ont exprimé leurs doutes quant à la constitutionnalité d'une telle mesure, permettant à des personnes non élues de siéger au sein d'une organisation représentative (article 140 de la Constitution) mais, en l'absence de recours devant le Tribunal constitutionnel, la question n'a pas été tranchée.
c) Depuis 2005, a été lancée l'idée d'une nouvelle réforme du Gouvernement local, dont l'un des aspects les plus importants serait l'extension du système élaboré en 2003 pour les plus grandes communes à l'ensemble des municipalités.
La question a fait l'objet d'un ''livre blanc'' auxquels ont contribué de nombreux experts, et où la situation en Allemagne et en France a notamment été évoquée. Une conférence sectorielle, réunissant le Ministre des Administrations publiques et les représentants des dix-sept Communautés autonomes, a été créée. Un avant-projet de Loi de base du Gouvernement et de l'Administration locale a été élaboré.
Les principaux points du projet sont une nouvelle régulation des compétences (adaptée à une société qui a sensiblement évolué depuis 1985), le développement d'un modèle d'intercommunalité cohérent, la mise en place d'un système où la séparation des pouvoirs serait clairement établie au niveau local (donnant à la majorité les moyens de gouverner, et à l'opposition les moyens de contrôler) et la clarification du Statut des élus locaux. Etait également évoquée dans les travaux préparatoires la possibilité d'introduire l'élection directe du maire (revendication qui figure d'ailleurs dans le programme des principales forces politiques), mais cette évolution semble avoir été écartée.
L'examen du projet est prévu pour le début de l'année 2007, mais le contexte politique actuel, marqué par une forte crispation, fait douter d'une éventuelle adoption avant les élections locales de la fin mai.
IV. LA PERCEPTION DU ''MODÈLE FRANÇAIS"
Le système français en matière d'institutions locales, certes peu connu du grand public, constitue une référence pour la communauté des experts. Quelques admirateurs du centralisme continuent même à considérer la France comme un exemple en la matière, notamment après les évolutions décentralisatrices qu'a connues notre pays depuis les années 1980.
Certains Maires, dont la voix se fait entendre au sein de la Fédération Espagnole des Municipes et des Provinces (FEMP), jugent également que le système français offre l'avantage de garantir la présence, au sein du Gouvernement, d'élus locaux, gage d'une meilleure sensibilité aux enjeux de ce niveau.
Cela étant, les Espagnols, dans leur grande majorité, jugent que leur modèle de décentralisation très poussée est mieux adapté aux besoins du pays, caractérisé par des identités régionales fortes.