EXAMEN EN COMMISSION
Réunie le mercredi 17 octobre 2007, sous la présidence de M. Jean Arthuis, président, la commission a entendu un compte rendu du déplacement effectué du 25 mars au 1 er avril 2007 par une délégation de la commission dans trois Etats du Golfe persique : Emirats arabes unis (EAU), Royaumes de Bahreïn puis d'Arabie Saoudite.
M. Jean Arthuis, président , a précisé que la délégation, composée de M. Philippe Marini, rapporteur général, MM. Maurice Blin, alors sénateur, Philippe Adnot, Philippe Dallier, Aymeri de Montesquiou et Michel Moreigne, avait pour objectif d'examiner, sous l'angle économique, financier et géopolitique, la situation de trois Etats bénéficiant de la « manne » ou « rente » pétrolière.
Il a ensuite indiqué que la théorie économique définit l'économie de rente par son caractère non productif et non diversifié, reposant sur l'exploitation d'une seule ressource, dont le produit est redistribué à la population par l'intermédiaire de l'Etat.
Il a constaté que ces économies, reposant sur une rente longtemps gérée de façon « familiale », étaient désormais soucieuses de se diversifier vers l'industrie et les services, ce qui nécessitait de recourir à l'expertise des meilleurs spécialistes mondiaux et se traduisait par un nouvel « âge d'or » riche d'opportunités pour les pays développés grâce à l'ouverture de marchés solvables considérables. Il a néanmoins souligné que ceux-ci demeuraient encore fragiles en raison de l'instabilité géopolitique de la région.
S'agissant des Etats détenteurs de cette rente, il a tout d'abord fait observer leur diversité démographique, constatant que le faible poids des nationaux posait à la fois une question de sécurité géopolitique, de cohésion nationale mais aussi économique.
M. Jean Arthuis, président , a examiné les disparités de ces pays dans la détention des réserves pétrolières en comparant l'Arabie Saoudite, première puissance pétrolière mondiale en production et en réserves prouvées et le Royaume de Bahreïn. Il a relevé que le volume des pétrodollars, poussé à la hausse par le cours élevé du pétrole, faisait de la région le plus grand gisement de liquidités au monde. Ainsi, au 15 octobre 2007, le prix du baril avait atteint son record de l'année en dépassant 86 dollars.
Il a évoqué l'inquiétude des monarchies pétrolières quant à la survenance du pic de production, ou « pic de Hubbert », à partir duquel la production pétrolière commencera à décliner, vraisemblablement entre 2015 et 2025, incitant ces Etats à adopter une « politique » de prix du pétrole destinée à maximiser leurs ressources.
Il a observé qu'en 2006 et en 2007, le niveau de croissance de la région avait été exceptionnel, avec un taux moyen, pour les trois pays concernés, de 6,6 %.
M. Jean Arthuis, président , a souligné que ces pays disposaient d'une manne financière considérable, précisant toutefois que le chiffrage réel de leurs avoirs financiers restait délicat en raison, notamment, de la confidentialité des montants.
Il a estimé qu'ils se chiffraient en billions de dollars et posaient la question plus large des fonds dits « souverains ». Il a cité l'exemple de l'Abu Dhabi Investment Authority (ADIA), chargé d'investir une partie des revenus du pétrole, qui disposerait de 875 milliards de dollars d'actifs en septembre 2007, bien que l'ADIA ne publie aucun compte.
Il a considéré que la région du Moyen-Orient comptait aujourd'hui parmi les plus dynamiques au monde et se montrait désireuse d'investir à l'extérieur, sans doute de plus en plus vers l'Europe, comme alternative aux Etats-Unis.
Face la double nécessité de rééquilibrage économique et de stabilisation de la société , M. Jean Arthuis, président, a ensuite relevé que les trois Etats visités cherchent à réduire la part des hydrocarbures dans le PIB.
Il a observé que l'attractivité et la diversification économiques de la région nécessitaient la mise en place de zones franches fiscales et réglementaires comme le Dubaï International Financial Center, DIFC, zone franche instituée en 2004 avec l'ambition de s'ériger en place financière la plus importante de la région.
Il a ensuite détaillé le phénomène de finance islamique, qui rend compatible la finance avec l'éthique musulmane et se définit comme un ensemble de produits financiers conformes à la Charia. Il a constaté qu'il s'agissait d'un marché à très fort potentiel de développement, en croissance de 15 % par an vis-à-vis duquel la City disposait déjà de plusieurs années d'expérience.
Pour conclure, M. Jean Arthuis, président , a tenu à évoquer le rôle que devrait jouer la France dans cette région, soulignant la relation politique exceptionnelle et la densité des liens culturels, concrétisés par les récents partenariats avec la Sorbonne et Le Louvre. Il a souhaité que les relations commerciales prennent de l'ampleur, notamment face à la concurrence agressive de l'Inde, et surtout, de la Chine.
Il a donc appelé de ses voeux une nécessaire et salutaire prise de conscience quant à l'exigence de vision stratégique et à la nécessité d'accroître la compétitivité française.
M. Michel Moreigne a souhaité évoquer la visite de l'usine de production d'aluminium ALBA au royaume de Bahreïn. Il a précisé que le coût d'importation de la matière première ne représentait que 0,5 % du prix de l'aluminium exporté, ce qui, au vu des 2.000 hectares d'exploitation que comptait cette usine, traduisait l'importance stratégique de ce secteur dans le Golfe.
M. Jean Arthuis, président , rappelant le développement des compagnies aériennes nationales, a estimé qu'elles pourraient devenir les plus importantes au monde, grâce aux concessions de lignes supplémentaires obtenues en contrepartie d'achats d'Airbus.
M. Philippe Dallier a fait part de ses sentiments contrastés à l'issue de la visite des EAU, devant leur formidable expansion économique, mais aussi leur opacité financière. Il s'est également interrogé quant à l'avenir de la politique étrangère française dans la région.
M. Jean Arthuis, président , a évoqué la rencontre de la délégation avec des représentants de la Sorbonne présents sur place, dont les méthodes de management d'université contrastaient avec les modèles français, et dont la France pourrait tirer profit. S'agissant du Louvre, il a indiqué que cette expérience contribuerait au financement des musées français, apportant près d'1 milliard d'euros sur trente ans.
Mme Nicole Bricq s'est tout d'abord interrogée sur la perception du partenariat avec le Louvre au sein de la population locale, puis sur le problème de la réciprocité et des moyens de se préserver des surliquidités des fonds souverains, sujet dont elle a estimé que la commission devrait se saisir rapidement. Enfin elle a souhaité revenir sur la finance islamique, dont elle a estimé qu'il était nécessaire de préciser qu'elle représentait avant tout un montage financier, destiné à contourner l'interdiction de principe du recours à l'intérêt.
Sur ce dernier point, M. Jean Arthuis, président , a confirmé qu'il s'agissait, pour une large part, d'une technique d'habillage, permettant de remplacer l'intérêt par un loyer.
S'agissant du Louvre, il a indiqué que ce projet traduisait un souci de recherche d'identité culturelle, partagé au sein de l'élite dirigeante d'Abou Dabi, mais qu'il lui apparaissait difficile de formuler un avis quant au sentiment réel de la population locale.
Sur les fonds souverains, il a formulé quelques craintes sur les investissements stratégiques que pourraient être tentés de réaliser certains Etats à travers ces fonds. Il a estimé, pour sa part, que les surliquidités avaient joué un rôle majeur dans la résorption de la crise des « subprimes ».
Enfin, M. Jean Arthuis, président , a considéré qu'à l'heure de la présidence française de l'Union européenne, un débat sur l'unification des organismes de contrôle et de surveillance des marchés financiers s'imposait. Il s'est déclaré favorable à ce qu'une réflexion soit menée sur les modes d'intervention des fonds souverains et les clauses de réciprocité.
M. Paul Girod a plaidé pour que la technique de la finance islamique soit mieux connue en France. Il s'est par ailleurs inquiété de l'intérêt que portent les fonds souverains aux entreprises de distribution.
M. Claude Belot s'est déclaré préoccupé du fait que cette considérable rente pétrolière puisse permettre l'acquisition de la totalité des entreprises du CAC 40 en moins de deux ans. Il a relevé les principaux facteurs d'instabilité géopolitique de la région et a appelé de ses voeux le développement rapide d'énergies alternatives afin de ne plus entretenir le système actuel reposant sur une source d'énergie non renouvelable, le pétrole.
M. Michel Moreigne s'est interrogé sur les modalités de souscription par ces pays des bons du Trésor.
M. Jean Arthuis, président, a signalé que la moitié de ces bons étaient détenus par des non-résidents, et notamment des fonds souverains, ce qui permettait de financer les déficits publics. Il a fait toutefois remarquer que lorsque les déficits disparaîtront, ces bons du Trésor n'auront plus d'avenir, tout en reconnaissant que cette perspective demeurait lointaine.
La commission des finances a ensuite autorisé, à l'unanimité, la publication de ce compte rendu sous la forme d'un rapport d'information .