ANNEXE 6 - LE CONTEXTE JUDICIAIRE EN ESPAGNE
PLUSIEURS ORDRES DE JURIDICTION PARMI LESQUELS UNE JUSTICE DE PROXIMITÉ, UN STATUT DES MAGISTRATS MARQUÉ PAR UNE SÉPARATION STRICTE ENTRE LE SIÈGE ET LE PARQUET ET UNE FORTE INDÉPENDANCE DES JUGES DU SIÈGE
- L'organisation judiciaire espagnole : un nombre important d'ordres de juridiction
L'Espagne est marquée par l' unité de la fonction judiciaire , c'est-à-dire que l'institution judiciaire regroupe les ordres civil, pénal, administratif, commercial et social.
On dénombre plusieurs ordres de juridiction :
- Les justices de paix ( juzgados de paz ), composées de magistrats non professionnels et chargées des petits litiges civils ou pénaux et infractions mineures dans les communes ne disposant pas de juridictions de première instance 157 ( * ) . On en dénombre actuellement 7.800 environ ;
- les juridictions de première instance et d'instruction ( juzgados de primera instancia e instrucción ), compétentes pour instruire les délits qui seront jugés par les juridictions pénales de première instance ou les audiences provinciales, juger des infractions simples, statuer sur les recours contre les décisions des juges de paix et dans les procédures d' habeas corpus et enfin autoriser l'exécution par la force publique d'un acte de l'administration chez un particulier ;
- les juridictions pénales ( juzgados de lo penal ). Située dans chaque province 158 ( * ) , elles jugent des peines allant jusqu'à trois ans d'emprisonnement ;
- les audiences provinciales ( audiencias provinciales ). Présentes dans chaque capitale de province, elles sont pénalement compétentes pour juger collégialement des délits ne relevant pas des juridictions pénales, pour statuer sur les recours contre les décisions des juridictions d'instruction et des juridictions pénales ainsi que pour régler certains problèmes de compétence ;
- les tribunaux supérieurs de justice . Autorités suprêmes pour chaque communauté autonome, ils sont chargés de régler les problèmes de compétences entre les juridictions pénales de leur ressort, statuer sur les appels contre les décisions du président du tribunal du jury 159 ( * ) et pour juger de certaines affaires pour lesquelles le statut de la Communauté autonome les déclare compétents (par exemple, les procès engageant la responsabilité d'un magistrat pour un acte commis dans l'exercice de ses fonctions).
- l' audience nationale ( audiencia national ). Composée de six juridictions centrales d'instruction, d'une juridiction centrale pénale et d'une chambre pénale, elle est compétente, d'une part, pour instruire et juger, sur l'ensemble du territoire national, les affaires de terrorisme, de fausse monnaie, les infractions commises contre l'Etat ainsi que celles dépassant le ressort d'une province, et, d'autre part, pour examiner des demandes d'extraditions et d'exécution de mandats d'arrêt européen adressées à l'Espagne ;
- le Tribunal suprême ( Tribunal supremo ), qui statue sur les recours en cassation, les recours en révision ainsi que ceux qui sont présentés contre les décisions rendues par l'Audience nationale et les Audiences provinciales.
Il est également compétent pour instruire et juger les affaires mettant en cause les autorités supérieures politiques et judiciaires de l'Etat.
Les effectifs des magistrats du siège espagnols sont environ 4.300 160 ( * ) , correspondant ainsi à 9,8 juges pour 100.000 habitants. Chaque juge constitue un tribunal et dispose d'un greffe d'environ dix fonctionnaires.
Afin de pallier le manque de juges, l'Espagne compte une catégorie de « magistrados substitutos », des substituts de juges, juristes de métier et qui renforcent les tribunaux en cas de vacances de poste. Généralement considérés comme insuffisamment qualifiés, leur existence fait l'objet de critiques.
L'effectif des procureurs s'élève à 1.980.
- Le statut des magistrats espagnols
- Une séparation stricte entre le siège et le parquet
Les juges du siège et les procureurs constituent deux corps strictement distincts. Il est donc impossible de passer du siège au parquet, ou inversement, sauf à passer un concours interne qui n'existe toutefois que pour les procureurs souhaitant devenir magistrats du siège.
Le corps des magistrats du siège est géré par le Conseil général du pouvoir judiciaire -CGPJ, équivalent au Conseil supérieur de la magistrature français-, organe indépendant composé de vingt membres élus pour cinq ans par le Parlement (douze magistrats et huit personnalités diverses) et doté d'une complète autonomie financière. Ce conseil est principalement chargé de veiller à l'indépendance des juges, de décider de leur nomination et de leur avancement, d'assurer leur recrutement et leur formation, tant initiale que continue, et d'appliquer le régime disciplinaire.
Il existe trois catégories de magistrats du siège :
- les juges (« jueces ») : jeunes magistrats nommés par le CGPJ à l'issue de leur formation et nommés dans les juridictions de première instance et d'instruction ;
- les magistrats (« magistrados ») : nomination par décret royal. Cette qualification est accessible aux juges ayant quatre à huit ans d'ancienneté.
- les magistrats du Tribunal suprême.
Le corps des membres du ministère public , régi par la loi organique du 30 décembre 1981, est quant à lui dirigé par le Procureur général de l'Etat . Chargé d'assurer l'unité de l'action publique, ce dernier est nommé par le Roi sur proposition du gouvernement. Il est révocable à tout moment.
Les procureurs sont soumis aux principes d'unité d'action, de dépendance hiérarchique, de légalité des poursuites et d'impartialité. Le Procureur général de l'Etat peut leur adresser des instructions particulières, ayant force obligatoire, sur les affaires en cours.
Une réforme est d'ailleurs envisagée en Espagne afin d'améliorer l'indépendance du Procureur général de l'Etat vis-à-vis du gouvernement 161 ( * ) .
Ces procureurs ( fiscales ) sont répartis en trois catégories :
- procureurs de troisième catégorie : postes de début de carrière (environ 400) ;
- procureurs de deuxième catégorie : postes de direction obtenus avec environ cinq ans d'exercice, par ancienneté et de façon automatique (environ 1.500) ;
- procureurs de première catégorie : postes les plus importants au sein du parquet, obtenus sur mérite (au nombre de 22 actuellement). Les nominations aux postes de direction sont renouvelées tous les cinq ans.
- Des magistrats du siège « indépendants, inamovibles et responsables »
En vertu de l'article 117 de la Constitution espagnole, la justice est administrée par des magistrats « indépendants, inamovibles, responsables, et soumis exclusivement à l'empire de la loi. »
L' indépendance des magistrats se manifeste principalement par leur absence totale de subordination hiérarchique et par l'impossible immixtion du pouvoir exécutif dans leurs affaires.
S'agissant de l' inamovibilité , elle offre des garanties de stabilité aux juges, tant quant à leur mutation ou à leur départ à la retraite qu'à leur suspension ou leur révocation.
- Les juges de paix, magistrats non professionnels assurant une justice de proximité
Nommés pour quatre ans par le tribunal supérieur de justice de chaque communauté autonome, sur proposition des conseils municipaux, les juges de paix sont présents dans les communes ne disposant pas de juridiction de première instance.
Juges non professionnels créés en 1988 n'ayant pas nécessairement de compétence juridique préalable et exerçant généralement une autre activité à titre principal, ils sont régis par le règlement du 7 juin 1995 réglementant les justices de paix et sont chargés de litiges mineurs, à savoir :
- en matière civile, les litiges inférieurs à 90 euros qui n'entrent pas dans la compétence matérielle d'une autre juridiction ;
- en matière pénale, les petites contraventions.
* 157 Voir ci-dessous le statut des juges de paix.
* 158 L'Espagne compte actuellement dix-sept communautés autonomes et cinquante provinces.
* 159 Le tribunal du jury est une forme spécifique de composition de juridiction pénale de premier degré. Ce jury populaire de neuf personnes, présidé par un magistrat professionnel, est compétent pour juger de certaines infractions définies par la loi (essentiellement des homicides, menaces, omissions de porter secours, violations de domicile, incendies volontaires, exactions et abus commis par un fonctionnaire, malversations, corruptions et trafics d'influence).
* 160 Cet effectif regroupe les magistrats exerçant dans les juridictions de droit commun, les juridictions du travail et les juridictions sociales.
* 161 Elle propose que le Procureur général de l'Etat soit désormais nommé pour quatre ans et que sa révocation ne puisse reposer que sur des causes limitativement prévues par la loi -la possibilité de le révoquer en cas de changement de gouvernement serait conservée.