Commissariat à l'énergie atomique (CEA) -11 avril
M. Alain Bugat, président du conseil d'administration et administrateur général
M. Bruno Sido , président - Je vous remercie de votre présence parmi nous aujourd'hui.
Nous recevons Alain Bugat, président du conseil d'administration et administrateur général du Commissariat à l'énergie atomique (CEA), en le remerciant d'avoir accepté l'invitation de la mission commune d'information sur la sécurité d'approvisionnement en électricité. Celle-ci, qui rassemble toutes les commissions du Sénat et tous les courants politiques, a été mise en place à la suite de la panne du 4 novembre 2006 dans le but de formuler des préconisations pour la France permettant d'éviter la répétition de tels incidents. Car l'électricité peut être comparée au sang dans les veines : quand il n'y en a plus, tout s'arrête. Nous avons rapidement constaté qu'avec l'ouverture du marché de l'électricité, la France est devenue si dépendante des autres Etats européens que nous ne pouvons pas examiner la question de sa sécurité d'approvisionnement sans nous préoccuper des autres pays de l'Union européenne, de leurs systèmes de production, de leurs plans pluriannuels d'investissement -si tant est qu'ils en aient- et de leurs politiques énergétiques. Le CEA est un acteur majeur de la recherche en la matière et nous sommes donc ravis de vous entendre. Nous pourrons articuler cette heure que nous avons à passer ensemble en deux temps : un propos liminaire de votre part, suivi de questions. Je vous remercie.
M. Alain Bugat , président du conseil d'administration et administrateur général du Commissariat à l'énergie atomique (CEA) - Merci, M. le président. Comme vous l'avez signalé, le CEA est aujourd'hui un établissement public de recherche à titre exclusif puisque toute la partie industrielle ainsi que la partie sûreté et traitement des déchets, qui ont longtemps fait partie de ses activités, ont été filialisées. Je me prononcerai donc sur le plan de la recherche. Toutefois, le CEA assume aussi une mission de supervision générale sur la manière dont évolue le système nucléaire français et international. A ce titre, il reste le conseiller du Gouvernement pour les affaires nucléaires internationales et les relations diplomatiques, que ce soit dans un cadre bilatéral ou multilatéral. Quelques éléments pourront peut être être ajoutés sur ce deuxième aspect.
Es qualité, je participe au groupe de travail du Centre d'analyse stratégique (CAS) sur les perspectives énergétiques de la France à l'horizon 2020-2050, présidé par Jean Syrota. Peut-être avez-vous eu l'occasion de discuter de cette question avec lui ? Ce groupe de travail a évalué l'effort actuel de recherche français public -provenant des fonds publics, de l'Etat et des différentes agences- à 722 millions d'euros, dont 350 millions sont destinés au nucléaire pour financer la recherche mais aussi les coûts de support du nucléaire et ceux liés au respect de la réglementation complexe qui s'applique aux matières nucléaires : une protection physique, des gardiens et des services de protection contre les radiations sont ainsi nécessaires. La fraction « recherche » représente les deux tiers de ces coûts, la fraction « frais fixes » un tiers, ce qui est plutôt élevé. Une partie de ces 722 millions d'euros est consacrée au volet « biocarburants », qui reste assez dispersé, tandis que le volet « production électrique » est relativement ramassé. Le troisième volet concerne les bâtiments et les économies d'énergie.
Au-delà de ces 722 millions d'euros d'investissement en recherche et développement, la puissance publique « dépense » aussi pour l'énergie au travers des aides fiscales et des tarifs de rachat, qui représentent quant à eux un montant nettement supérieur à un milliard d'euros, que ce soit pour l'aide aux biocarburants et à la cogénération ou pour les rachats d'électricité éolienne ou photovoltaïque. La conclusion à laquelle le groupe devrait vraisemblablement parvenir est qu'entre ces différentes dépenses, le curseur peut être adapté : nous proposerons sans doute une augmentation de l'effort de recherche et développement.
S'agissant de l'indépendance énergétique, le rôle du CEA est de surveiller les échéances à 30 ans. Les acteurs, comme EDF ou RTE, s'en sortent très bien sans nous pour gérer la génération en cours et l'arrivée de la troisième génération d'EPR. Un travail important, qui allie les industriels et les centres de recherche sur les combustibles, est mené sur cette nouvelle technologie pour améliorer les performances des combustibles et les taux de combustion, c'est-à-dire à inciter à faire un meilleur usage du combustible et de la matière valorisable, l'uranium, lequel est actuellement très mal utilisé dans les réacteurs. Seuls quelques pour cents sont consommés pour l'instant. En augmentant les taux de combustion et en recourant à des gaines de combustible plus résistantes, les performances économiques d'un réacteur comme l'EPR pourraient être sensiblement augmentées. L'EPR peut également brûler le plutonium : son chargement peut être entièrement composé de MOX (mixed oxyde), ce qui est fondamental en matière d'utilisation des matières valorisables et de réutilisation du plutonium, séparé à la Hague, et en termes de non-prolifération. Car contrairement à une idée reçue, nous savons également retraiter le MOX : le combustible initial, à base d'uranium, passe une première fois dans le réacteur puis est récupéré et transféré à la Hague, où le plutonium est extrait et le combustible MOX fabriqué pour être inséré dans le réacteur. Et après l'en avoir retiré, nous savons retraiter ce MOX, même si le second retraitement s'avère effectivement plus difficile parce que les poisons s'accumulent. Du point de vue de l'indépendance énergétique, nous disposons ainsi d'une capacité très significative de maîtrise du cycle et d'une visibilité très longue, qui peut aller jusqu'à des milliers d'années. Nous pourrons donc valoriser nos combustibles usagés sur une longue période.
Reste que, comme AREVA a dû vous le dire, la recherche d'approvisionnements en uranium sera un des éléments important du futur, parce que les MOX utilisent de l'uranium en même temps que du plutonium. Il importe donc d'avoir un peu d'avance sur ce point. Nous n'avons malheureusement pas pu acheter la mine d'uranium d'Olympic Dam, en Australie, qui représente un quart des réserves mondiales. Cette acquisition aurait nécessité un effort un peu plus concerté des pouvoirs publics à l'occasion d'une offre publique d'achat (OPA) que nous n'avons pas suivie. L'opération s'est déroulée trop rapidement et AREVA a présenté le dossier trop tard aux pouvoirs publics, qui ont réagi en se braquant. En outre, cette OPA dépassait les moyens d'AREVA et une action concertée d'EDF, d'AREVA et du CEA aurait donc été nécessaire pour acheter la mine. Pour autant, il n'y a aucune inquiétude majeure sur l'indépendance énergétique à avoir, même si le prix de l'uranium sur le marché spot a tendance à augmenter très significativement, car nos contrats sont des contrats de long terme.
En ce qui concerne les installations, un renouvellement s'avère nécessaire. Du reste, l'usine d'enrichissement d'Eurodif va être renouvelée et la partie de fluorisation, qui précède l'enrichissement, fait également l'objet d'un programme de rénovation complète par AREVA. Ainsi, nous aurons renouvelé pratiquement toutes les installations du cycle de l'uranium d'ici 2015.
Si notre action majeure sur la troisième génération de réacteur nucléaire concerne essentiellement le combustible, l'ensemble du système de la quatrième génération doit en revanche faire l'objet d'une nouvelle conception. La montée en puissance des efforts de recherche en matière nucléaire du CEA porte sur ce domaine. Le Président de la République a demandé que la France dispose d'un réacteur prototype en 2020, délai que nous essaierons de respecter mais qui reste très tendu. Des installations du cycle associé seront indispensables pour ce prototype : de petites usines seront nécessaires pour fabriquer le combustible et il faudra un petit laboratoire pour pouvoir inclure les déchets radioactifs pouvant être brûlés. Le but du prototype est aussi de vérifier que nous brûlons bien les fameux actinides mineurs, qui sont nettement plus irradiants que le combustible actuel composé de plutonium et d'uranium. Il faut donc prévoir des installations spéciales, avec une sécurité renforcée, ce qui signifie que l'effort d'investissement sera très significatif et qu'il s'accroîtra d'ici 2012-2013. Car si pendant la phase de faisabilité, d'ici à 2012, cet effort ne représentera que peu d'argent supplémentaire, la somme augmentera lors de la construction des installations. Ce point est incontournable pour passer à la quatrième génération. Cette préparation est en cours.
Le troisième volet du travail du CEA concerne la partie internationale. Sur ce plan, nous allons nous trouver confrontés au problème suivant : les initiatives concernant la quatrième génération ont été prises en commun, dans un forum international. Il s'agit donc d'un travail collectif, du moins pendant un certain temps. Car aujourd'hui, chaque pays essaie de tirer profit de ses forces et de ses points forts pour poser des jalons en termes de propriété intellectuelle sur des concepts de réacteur. Ainsi, la France entend concevoir un réacteur prototype pour 2020, le Japon pour 2025, de même que les Etats-Unis. Il va donc falloir décider si nous considérons cette nouvelle phase comme une étape abordée de manière collective, internationalement, ou si nous nous trouvons déjà dans une bataille de savoir-faire et de technologie. Ce problème n'est pour le moment pas résolu.
Voilà ce que je peux dire sur le sujet qui nous intéresse. La partie recherche dans le nucléaire est destinée à assurer notre indépendance énergétique sur le long terme. Nous n'avons pas d'activité en ce qui concerne la sécurité des réseaux, en particulier dans le domaine électrique.
Mais à côté du nucléaire, le CEA est engagé dans un nombre limité de travaux de développement des énergies renouvelables.
L'effort porte principalement, s'agissant de la recherche publique, sur l'hydrogène et les piles à combustible, qui concerne à la fois l'électricité et les véhicules. Cette problématique touche à la sécurité électrique dans la mesure où les piles à combustible peuvent être utilisées pour fournir l'électricité de bâtiments et de sites isolés, dans un contexte « hors réseau ». Par ailleurs, ce type de piles représente l'une des solutions les plus porteuses pour le transport. Il s'agit d'un sujet majeur et très technologique, sur lequel de nombreux progrès sont encore à accomplir parce que les coûts restent très élevés, que ce soit les coûts cibles ou les coûts actuels. Il existe un facteur dix là où les choses sont les plus simples, c'est-à-dire par exemple pour les groupes électrogènes susceptibles de remplacer un groupe diesel de secours. Nous encourageons nos industriels à élaborer des produits réels et nous avons commandé un groupe de secours qui, fourni par AREVA, est installé au centre de crise du CEA à Saclay : mais il nous a coûté douze fois plus cher qu'un gros groupe diesel ! Il n'a donc pas été facile à obtenir mais nous sommes parvenus à justifier cet achat. Ces groupes présentent l'avantage non négligeable de n'avoir aucun problème de démarrage, puisqu'il n'existe pas de phénomène d'encrassement, tandis qu'un groupe diesel ne démarre pas une fois sur trois, ce qui est ennuyeux quand il s'agit d'un groupe de secours de réacteur nucléaire... Au-delà de la pure problématique énergétique, nous pouvons donc espérer en sus un progrès qualitatif !
Les travaux du CEA portent également sur l'énergie solaire photovoltaïque, domaine dans lequel la France souffrait d'une très grande dispersion de ses efforts, répartis sur une multitude de laboratoires de type universitaire. Nous connaissions donc un retard considérable par rapport au Japon et à l'Allemagne. Notre groupe industriel modèle, Photowatt, a régressé dans les classements en passant du deuxième au dixième ou douzième rang mondial, parce qu'il ne disposait pas d'un marché et d'une recherche nationale comme les Japonais ont par exemple su les créer. Heureusement, tout le monde s'est donné les moyens de réagir : le Centre national de la recherche scientifique (CNRS), le CEA, le Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB), l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME), la région Savoie et l'Etat ont décidé de créer à Chambéry un Institut national de l'énergie solaire (INES), qui fonctionne depuis un an et a presque atteint sa vitesse de croisière. Cet institut compte 60 personnes du CEA et peut être comparé aux deux grands instituts allemands. En ce qui concerne le photovoltaïque, les enjeux portent également sur les coûts ; cette technique reste très chère et il faut donc, à la fois, améliorer le rendement des cellules du silicium et trouver des moyens de production du silicium beaucoup moins coûteux. Aujourd'hui, nous utilisons les chutes de silicium de qualité microélectronique, ce qui coûte très cher. Se met donc en place en France une filière qui va du matériau de base à bas coût -implanté à Saint-Auban, près de Digne- jusqu'à un nouveau procédé de fabrication des plaques mis au point par le CNRS de Chambéry ; en outre, nous travaillons au doublement de la capacité de production de Photowatt de Bourgoin-Jallieu. La filière voltaïque française bénéficie donc aujourd'hui d'efforts tout à fait significatifs, l'objectif étant de construire des bâtiments avec une fibre à énergie positive instantanée, une utilisation du solaire beaucoup plus intégrée et un moindre appel au réseau. Notre conclusion est qu'une génération, c'est-à-dire 25 ans, sera nécessaire à la France pour arriver à constituer un marché de masse. L'industrie et les PME du bâtiment ne sont absolument pas équipées pour accomplir ce travail et il faudra donc former des personnes capables de réaliser une conception d'ensemble des maisons : d'après les professionnels, cette tâche devrait prendre une vingtaine d'années. Mais nous pensons qu'il y a là une voie importante d'économies d'énergie et d'utilisation du solaire dans le bâtiment.
Le troisième axe de recherche du CEA concerne la biomasse technologique. Pour le moment, nous ne disposons pas dans ce domaine d'une légitimité résultant d'une décision positive de l'Etat. Le Haut Conseil de la science et de la technologie, dans un rapport paru il y a deux ou trois jours, et son président, M. Serge Feneuille, s'interrogent d'ailleurs sur l'action du CEA dans le domaine de la biomasse. Par des technologies issues du nucléaire, nous sommes capables de maîtriser ces procédés fortement consommateurs d'énergie et personne d'autre ne le fait en France. Le sujet reste encore embryonnaire et ne mobilise que deux millions d'euros par an, mais si l'Etat nous demandait de développer cet axe, nous serions prêts à le faire. Seuls les biocarburants sont visés dans cette gazéification : nous ne nous intéressons pas à l'utilisation de la biomasse pour la cogénération.
Nous investissons pour l'hydrogène et le photovoltaïque 30 millions d'euros d'argent public, auxquels il faut ajouter 20 millions d'euros en provenance des industriels. Au total, cet effort représente donc 50 millions d'euros.
Voilà, M. le président, quel est le paysage actuel de la recherche menée par le CEA en France.
M. Bruno Sido , président - Je vous remercie. Je souhaiterais vous poser une question : le nucléaire semble paré de toutes les vertus si ce n'est celle de la souplesse, qui lui empêche d'être efficace en période de pointe. Pour le reste, il n'émet pas de CO 2 , permet une indépendance énergétique et présente une grande sécurité. Néanmoins, l'Allemagne et la Pologne n'en veulent pas et ne sont pas prêts à le développer. Alors, pourquoi le nucléaire fait-il peur ? Que peut faire le CEA, reconnu comme un acteur responsable et compétent, pour contribuer à faire avancer l'idée que le nucléaire est une réponse aux questions que nous nous posons ?
M. Alain Bugat - Les arguments utilisés par les pays défavorables au nucléaire, que j'ai eu l'opportunité de rencontrer à l'occasion de la « Plateforme hydrogène » et qui ont accepté le nucléocrate que je suis, sont de trois ordres.
D'abord, la sûreté des centrales laisserait à désirer. Cette critique est assez amusante puisqu'elle s'appuie sur le fait que les Etats-Unis déclarent 25 incidents par an sur leurs centrales alors que la France en déclare 600. Or, cette différence ne fait que prouver une chose : c'est que les exigences définies par les autorités de sûreté ne sont pas identiques de part et d'autre de l'Atlantique. En Europe, un très important effort, sous l'impulsion de la France et d'André-Claude Lacoste, le président de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN), a été fourni en faveur de l'homogénéisation des procédures de sûreté. Certes, nous ne disposons pas encore d'une directive commune comme le prévoyait le paquet nucléaire. Mais les autorités de sûreté européennes sont néanmoins très exigeantes, le niveau de ces exigences étant en outre à peu près homogène depuis que la Commission européenne a conclu avec les nouveaux Etats-membres le marché suivant : elle les autorise à entrer dans l'Union européenne à condition qu'ils ferment leurs installations nucléaires. A part la Bulgarie et la Roumanie, qui ont parfois refusé, tout le monde a accepté. Comparé aux autres pays du monde, les Européens sont vraiment en avance en matière de sûreté, les « raffinements » étant parfois même un peu excessifs : soumettre à des normes sismiques élevées une installation construite dans les Landes constitue par exemple un de ces excès...
La deuxième critique est celle des déchets. Sur ce sujet, le CEA doit remettre l'ouvrage sur le métier. A l'occasion du rendez-vous sur la loi de 1991, nous avons présenté les résultats de nos recherches : l'axe de communication retenu -dire qu'il existe une solution référente constituée par le stockage profond -est politiquement rassurant. Mais il n'est pas suffisant. Quand je déclare aux Allemands que nous savons retirer tous les produits radioactifs des déchets, que nous avons démontré scientifiquement que nous savions les brûler, et qu'il ne reste qu'à démontrer que c'est réalisable au plan industriel, ils expriment une extrême surprise car ils n'imaginent pas qu'il existe une solution scientifique au problème des déchets. Or, nous savons désormais les transmuter, avec les deux réserves suivantes : d'une part, nous ne le ferons pas sur les déchets déjà existants ; d'autre part, même en retraitant, il existe toujours des déchets ultimes. Toutefois, il faut savoir que leur volume est alors extrêmement limité et que leur durée de vie considérablement raccourcie : nous sommes passés d'une échelle de temps de 300 000 ans à 300 ans, qui est un horizon davantage accessible à l'esprit humain. Nous disposons donc de résultats scientifiques très importants. Malheureusement, nous n'avons pas assez communiqué. Aussi, nous allons réintroduire ce sujet dans notre programme d'action pédagogique, y compris hors de France parce que l'Allemagne ou le Royaume-Uni n'ayant rien fait pour les déchets, il serait très utile de valoriser notre savoir-faire.
La troisième objection concerne les aides financières cachées au nucléaire. Le premier sujet, relatif au démantèlement et à l'assainissement, peut être écarté rapidement : dire que ces coûts ne sont pas pris en compte et restent à la charge de l'Etat est faux. Les coûts de démantèlement et d'assainissement sont intégrés au prix du kilowattheure, avec des normes qui sont maintenant agréées sur le plan comptable. Nous n'avons donc aucune peine à le dire. Le deuxième sujet est celui de l'aide de 350 millions d'euros dont bénéficierait directement le nucléaire par le financement public de la recherche en ce domaine. Enfin, troisième sujet : l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), organisme d'expertise nucléaire qui n'intervient que pour cette énergie, représente un coût supplémentaire du nucléaire. Dans certains pays, il s'agit d'une aide indirecte. Mais sur ce dernier argument, je rappellerai que les exploitants des installations nucléaires de base (INB) paient une taxe significative et, si je n'en connais pas le produit total, il ne doit pas être loin de couvrir le budget de l'IRSN. Le bilan ne doit donc pas être si négatif.
Telles sont les trois véritables objections au nucléaire. A cela s'ajoute la mauvaise foi criante de ceux qui affirment que la construction de centrales nucléaires est émettrice de CO 2 . Le calcul a été fait par AREVA : ce type de construction émet moins de CO 2 qu'un barrage. Il s'agit donc d'un faux argument.
M. Bruno Sido , président - Je vous remercie et suis très content de votre réponse.
M. Marcel Deneux , rapporteur - Je suis heureux de vous avoir entendu. Il est nécessaire d'améliorer la transparence pour continuer à démystifier toute cette affaire dans le pays. La plupart des gens qui parlent du nucléaire n'y connaissent rien et propagent de fausses informations en permanence. Continuez à être transparent, vous et les autres opérateurs...
Je voulais vous poser une première question : serait-il aberrant d'installer des tranches plus petites que les unités de production actuelles ? Le prix de revient augmente-t-il si la taille diminue ? Quant à ma seconde préoccupation, les biocarburants et la biomasse, vous y avez répondu en partie : le jour où existera une directive gouvernementale, vous irez plus vite. Mais savez-vous si des pays nous ont dépassés sur cet aspect biomasse et biocarburant ?
M. Alain Bugat - Vous parliez de transparence dans votre propos : nous avons en effet un rôle pédagogique consistant à former nos concitoyens et M. Jean-Pierre Raffarin était très sensible à ce sujet : quand il m'a nommé, il m'a demandé d'intensifier les efforts du CEA sur ce point. C'est pourquoi nous avons mis en place un programme d'action pédagogique.
S'agissant des petites centrales, une formule assez simple dit que le prix de revient du kilowattheure diminue comme la racine carrée de la puissance : ainsi, le prix de 300 mégawatts est « racine de trois fois plus cher » que celui de 1 000 mégawatts.
M. Marcel Deneux , rapporteur - L'effet est aussi important que çà ?
M. Alain Bugat - Oui, ce principe reste globalement toujours vrai : il existe un effet de taille qui est assez intéressant. En même temps, il faut être conscient que les méthodes industrielles vont progresser : par exemple, la conception des réacteurs de troisième génération est plus modulaire et utilise des blocs préfabriqués plutôt que des éléments assemblés sur place, ce qui rend moins dépendant de la taille. Un autre progrès devrait également se produire : lorsqu'un réacteur est arrêté pour maintenance, vous passez de 1 500 mégawatts (MW) à zéro. Dans un pays où un tel réacteur représente un tiers du réseau, chacun imagine la catastrophe énergétique que cela pourrait occasionner. Aussi une idée se fait-elle jour aujourd'hui chez AREVA, Technicatome et Framatome, qui consiste à proposer des réacteurs jumeaux de plus petite taille. Ainsi, l'un des deux fonctionne toujours, qu'il représente 600 ou 300 MW. Certes, ce dispositif coûte plus cher à l'investissement, mais il assure une continuité de service, une disponibilité, pendant les périodes de maintenance. Personnellement, j'ai confiance dans le fait que les petits et moyens réacteurs se développeront. Ce n'est pas un avis partagé par tous les industriels, mais je suis persuadé que des réacteurs de 100 à 300 MW, parfois couplés avec des installations de dessalement, seront installés dans les pays en développement.
Votre question sur les biocarburants tendait à connaître les pays qui font mieux que nous. Concernant les biocarburants de première génération, le Brésil et les Etats-Unis offrent de bons exemples. Sur la deuxième génération, c'est-à-dire l'utilisation du bois et de la cellulose qui permettent d'élargir considérablement la quantité en évitant d'empiéter sur des surfaces cultivées, il importe de gazéifier : les technologies existent mais les seuls pays actuellement concernés sont l'Allemagne, où l'entreprise Choren a installé à l'est des unités qui commencent à fonctionner, la France, puisque que nous construisons ce type de modèle dans la région de Bure, et la Finlande, qui travaille aussi beaucoup sur le sujet.
M. Marcel Deneux , rapporteur - Qu'en est-il des Suédois ? Il y a deux ans, ils disposaient d'un projet pilote qui utilisait deux tonnes de bois par jour.
M. Alain Bugat - Je pense que cet effort est un peu plus important en Finlande et les progrès vont également être très rapides aux Etats-Unis : les Américains ont vraiment décidé de développer significativement les biocarburants et pas uniquement en les achetant au Brésil. Globalement, sur toutes les technologies énergétiques, l'Europe est en avance, mais elle doit renforcer son industrie, sans galvauder sa propriété intellectuelle, et conserver son avance. Après Tchernobyl, la plupart des grands centres de recherche nucléaire européens ont été réorientés vers les énergies renouvelables et beaucoup de ces centres ont développé ces technologies nouvelles, biomasse, photovoltaïque, ce qui a permis d'atteindre un très bon niveau de résultat.
Mme Nicole Bricq - Je souhaitais vous poser deux questions concernant le nucléaire. S'agissant de la quatrième génération, vous avez dit qu'à partit de 2012, l'effort d'investissement serait énorme. Pouvez-vous nous donner un ordre de grandeur et des précisions sur les parts respectives du privé et du public ? En ce qui concerne la partie internationale, vous avez dit que la décision n'était pas encore arrêtée. Ma question est un peu plus politique : disposons-nous encore de l'espace pertinent de la décision ? Avons-nous encore le choix entre les deux stratégies ?
M. Alain Bugat - Vos questions sont tout à fait pertinentes. Si nous voulons disposer d'un réacteur prototype en 2020, nous devons compter cinq années de construction et deux ou trois années de préparatifs administratifs et réglementaires. C'est pourquoi il faut lancer ce projet en 2012 ou 2013. D'ici 2012, nous étudierons les solutions techniques. Si nous prenons l'exemple du réacteur à sodium, qui est une des deux filières que nous allons étudier, forts de l'expérience de Phénix et Super Phénix, nous allons travailler sur deux axes principaux : le premier consiste à avoir un système qui puisse être inspecté en service. Le problème que nous avons rencontré est que, le sodium étant opaque, nous ne voyons rien ; il faut donc inventer des systèmes nous permettant une inspection en service. Le second axe consiste à éliminer le risque majeur d'un possible contact entre le sodium et l'eau, qui serait explosif. La solution consisterait à ne plus utiliser d'eau pour le refroidissement et à faire fonctionner le système au sodium et au gaz. Mais ces deux innovations majeures vont demander quelques années pour être développées. A côté de cela, il faut également développer le combustible de ce réacteur. Pour atteindre ces trois objectifs en 2012, il importe d'aller très vite. Ce que je peux d'ores et déjà affirmer, c'est qu'il ne s'agira pas strictement d'un réacteur de quatrième génération : ce sera un réacteur intermédiaire.
Pour la montée en puissance d'ici à 2012, nous aurons besoin de quelques dizaines de millions d'euros. Cette année, par exemple, nous aurions besoin de 10 millions d'euros supplémentaires, et, en 2012, ce coût s'élèvera à 30 millions d'euros. Puis, avec le début de la construction du réacteur, cette somme s'élèvera à un milliard d'euros et les installations du cycle associé demanderont quelques centaines de millions d'euros. Ce sont évidemment des ordres de grandeur. Concernant le financement, nous désirons la présence et la participation des industriels mais nous ne voulons pas qu'ils interviennent trop tôt. Je pense que le principe de base que l'Etat doit retenir est que, sur ces systèmes à très long terme, c'est à la puissance publique d'assumer les choix et de décider d'un procès en toute transparence et en toute indépendance scientifique et technologique, sans biais résultant d'impératifs industriels intégrés trop tôt. Il s'agirait donc d'un financement entièrement public, réalisé par le CEA. Cependant, la compétition internationale s'amorce déjà et le fait d'introduire les industriels assez tôt dans la boucle, en contrepartie de financements, est un moyen d'alléger la facture de l'Etat tout en donnant aux industriels des avantages compétitifs pour la suite. Aussi EDF et AREVA seront-ils présents dans le réacteur prototype de 2020. Mais je ne peux cependant pas dire dès aujourd'hui à quelle hauteur.
S'agissant de la coopération internationale, le choix est difficile aujourd'hui. Nous essayons de concilier les deux systèmes, entre une coopération internationale totale au sein du forum « Génération IV » ou une action française isolée. Même si la période 2020-2030 permettra de « tracer » la propriété intellectuelle, elle ne sera pas celle dans laquelle nous construirons le démonstrateur de l'entité du réacteur industriel pour 2040. Nous pouvons donc imaginer deux phases : une phase où nous resterons assez coopératifs, jusqu'à 2025, puis une phase plus nationale ou européenne. D'ici à 2025, nous pouvons entamer des discussions avec les Etats-Unis et le Japon pour avoir une feuille de route dans l'espace et le temps. Le réacteur prototype pourrait par exemple être construit en France et l'installation de retraitement aux Etats Unis, ou le réacteur au Japon... A l'heure actuelle, le président de la République ayant annoncé que le réacteur serait construit en France, nous proposons aux autres Etats de participer au réacteur dans notre pays. Les Américains n'y sont pas opposés, tandis que les Japonais hésitent un peu plus parce qu'ils avaient un projet en 2025. Mais celui-ci n'étant pas vraiment révolutionnaire, ils pourraient être intéressés à participer à quelque chose de plus ambitieux chez nous. Le sujet est en discussion.
M. Eric Doligé - La France est très en avance sur le plan nucléaire par rapport à un certain nombre de voisins. Je voudrais savoir si la position de ces voisins vous inquiète. Pose-t elle un problème dans le cadre d'un développement européen ? Avons-nous intérêt à être toujours très en avance sur eux, aussi bien en matière de recherche qu'en matière commerciale, ou cela risque-t-il d'être un frein pour les années à venir en matière de développement nucléaire ?
M. Alain Bugat - Nous fournissons tous des efforts pour ne pas être seuls et pour être davantage des fédérateurs. Même si le septième Programme cadre de recherche et développement (PCRD) lancé cette année par l'Union européenne ne prévoit pas beaucoup d'argent pour le développement de la fission et de la radioprotection -la fusion mobilisant l'essentiel de l'argent-, nous avons décidé au niveau européen d'en faire une utilisation plus optimale. Ces sommes représentent 325 millions d'euros sur l'ensemble du PCRD, ce qui n'est pas considérable, mais nous espérons pouvoir réévaluer cette somme à mi-parcours. Le 21 septembre 2007 sera lancée la « Plateforme fission », qui associera beaucoup des grands pays européens, y compris l'Allemagne, pour essayer de développer le nucléaire du futur en Europe. Nous n'y allons donc pas seuls et si nous construisons le réacteur prototype de type 1 en France, l'autre filière sera proposée à la coopération européenne. La Belgique et la République tchèque sont intéressées. Ce qui est probablement plus significatif est que, à notre grande surprise, l'Espagne se trouvait présente dans le tour de table de construction du réacteur de recherche à Cadarache. Notre homologue espagnol et des industriels espagnols, avec l'accord du Gouvernement de ce pays, se sont engagés dans la construction de ce réacteur à hauteur de 2 % : il s'agit d'un signe important pour un réacteur qui est destiné à soutenir les générations III et IV. Sont présents aujourd'hui dans ce réacteur la République tchèque, la Belgique, l'Espagne, la Finlande et le Japon, et des discussions sont en cours avec l'Italie, M. Romano Prodi semblant intéressé de revenir par ce biais dans le nucléaire. Et nous maintenons des contacts avec d'autres Etats : la Pologne, qui pourrait s'associer aux pays baltes, la Hollande et le Royaume-Uni, qui ne sont pas encore décidés. Pour ces deux derniers pays, il existe des velléités politiques, mais comme par principe ils s'en remettent au marché, il faut envisager qu'ils ne participent pas au projet.
Je pense que nous sommes capables, d'ici deux ou trois ans, d'avoir un consensus assez surprenant sur les études nouvelles de troisième et de quatrième génération. Il faut élargir les résultats que nous avons obtenus, jouer en transparence et, surtout, montrer que, pour nous, le nucléaire ne s'oppose pas aux énergies renouvelables mais qu'il fait partie d'un mix énergétique. Chaque pays peut utiliser toutes les technologies dont il dispose. Je suis pour ma part assez optimiste sur l'Europe. La Corée du Sud aura huit nouvelles centrales d'ici 2015 et passera demain à vingt-huit. Le Japon a quatre ou cinq centrales en construction, et je ne parle pas de la Chine et de l'Inde. Le Vietnam devrait avoir sa première centrale en 2015 ou 2016, tandis que le Maghreb et le Moyen-Orient nous assaillent de demandes. Mais nous ne savons pas bien gérer le problème quand le Qatar ou les Emirats arabes unis s'adressent à nous, car la sécurité de la zone pose problème.
M. Michel Billout , rapporteur - Je souhaite poser une question de béotien sur le nucléaire. J'étais hier à Tricastin, où j'ai discuté avec des cadres d'EDF et d'AREVA qui me disaient qu'il n'existait pas aujourd'hui d'appareils industriels suffisants pour répondre à l'ensemble des demandes qui se font jour partout sur la planète, notamment en termes de fonderie.
M. Alain Bugat - Je vous confirme cet aspect de la question. Il s'agit d'un problème majeur puisque les uniques fondeurs de grande taille sont japonais : toutes les pièces lourdes des réacteurs, en particulier toutes les ébauches de réacteur, y sont ainsi fabriquées. AREVA a mis fin à cette dépendance en rachetant Sfarsteel à France Essor -qui appartenait au groupe Bolloré et se trouve à Chalon, près du Creusot-, ce qui augmentera la capacité de forger. Les industriels avancent sur un rythme maîtrisé et raisonnable : il ne s'agit pas de faire des investissements majeurs dans le but de devenir les leaders du marché, mais de disposer d'une capacité de fonderie lourde, mais raisonnable, dans le cadre d'une montée en puissance progressive, sans chercher à satisfaire les besoins de toutes les nouvelles centrales du monde.
M. Marcel Deneux , rapporteur - Quelles sont vos perspectives en matière de transport terrestre ? Que se passera-t-il lorsque les réserves de pétrole seront épuisées, compte tenu de l'état des recherches en cours ?
M. Alain Bugat - Je dois avouer mon incompétence en la matière. La possibilité d'utiliser des piles à combustible dans les véhicules, qui serait la solution ultime puisque l'hydrogène est quasiment inépuisable, ne dépasse pas 1 % de pénétration du marché européen, soit un million de véhicules. Il faudrait déployer des efforts d'investissement très significatifs pour diminuer de 20 % le coût d'un moteur à pile à combustible. Je ne pense pas que des véhicules à hydrogène et à pile à combustible seront disponibles sur le marché avant 2030 ou 2035. D'ici là, il existe un espace pour les biocarburants de deuxième génération et pour les moteurs hybrides. Tel est le schéma qu'avait en tête le patron de PSA Peugeot Citroën : il existe d'ores et déjà une voiture à pile à combustible de cette marque, fabriquée par le CEA et disposant d'une puissance de 80 kilowatts. Mais cela reste cependant un prototype.
M. Bruno Sido , président - Je vous remercie infiniment.