Syndicat des énergies renouvelables (SER) - 15 février
M. Jean-Yves Grandidier, vice-président
M. Bruno Sido, président - Au cours des dernières semaines, notre mission a été amenée à auditionner de nombreuses personnalités, parmi lesquelles le président d'Electricité de France (EDF) ou encore celui de Réseau de transport d'électricité (RTE). Si nous avons décidé aujourd'hui de procéder à l'audition de M. Jean-Yves Grandidier, c'est parce que l'éolien est appelé à prendre une importance croissante dans le paysage énergétique français. Par ailleurs, il nous a été indiqué que l'énergie éolienne avait joué un rôle non négligeable lors de l'incident du 4 novembre 2006. Il semblerait que ces équipements décrochent très rapidement du réseau en cas de chute de fréquence. Peut-être pourriez-vous revenir sur ce point dans votre exposé liminaire ?
M. Jean-Yves Grandidier, vice-président du Syndicat des énergies renouvelables - Le Syndicat des énergies renouvelables (SER) regroupe près de 250 adhérents, dont 160 exercent leurs activités dans la filière éolienne. Notre syndicat s'est donné pour mission première de devenir l'interlocuteur éclairé des pouvoirs publics en vue de développer les énergies renouvelables (ENR) dans notre pays. J'occupe par ailleurs le poste de Président de France énergie éolienne, qui constitue la branche « éolien » du SER, après le rapprochement entre les deux structures il y a deux ans. Désormais, le SER regroupe toutes les filières renouvelables en son sein.
Je m'attacherai à présenter les perspectives de développement des énergies renouvelables dans le cadre de la programmation pluriannuelle des investissements (PPI). Les objectifs européens en matière de développement des ENR électriques ont été fixés en 2001 dans une directive. Le décret relatif à la PPI ne fait que transcrire ces objectifs définis pour la France par cette directive. Au terme de ce décret, en 2010, nous devrons disposer de 14 500 mégawatts (MW) de puissance provenant de l'énergie éolienne. Au moment de la publication du décret relatif à la PPI, la France disposait déjà d'une puissance éolienne de 1 000 MW. Compte tenu de ces installations déjà en fonction, nous devrons donc accroître notre puissance de 13 500 MW supplémentaires d'ici à 2010. En outre, à l'horizon 2015, la France devra disposer d'une puissance éolienne de 18 000 MW. Le tableau que je vous présente regroupe ces données et indique la puissance absolue et inclut, par conséquent, les installations existantes au moment de la publication de la PPI.
La biomasse doit contribuer largement à notre effort pour atteindre les objectifs européens. Aujourd'hui, la biomasse est essentiellement utilisée pour la production de chaleur. Dès lors, du fait de la concurrence entre les différentes utilisations de cette source d'énergie, il n'est pas évident que nous puissions atteindre nos objectifs dans ce secteur.
Compte tenu des tarifs existants, il semble possible d'atteindre et de dépasser les objectifs qui ont été fixés en matière d'énergie photovoltaïque, soit 500 MW à l'horizon 2015. Cela nous paraît d'autant plus plausible, qu'en l'espace d'une seule année, en 2004, l'Allemagne est parvenue à accroître de 400 MW la puissance installée sur son sol. Ce chiffre a ensuite été largement dépassé en 2005. A terme, nous devrions donc atteindre des régimes de croissance annuelle comparables à l'objectif fixé à l'horizon 2015.
En matière d'objectifs d'accroissement de la production d'énergie électrique à partir d'ENR depuis 2001, l'éolien représente 76 % du total pour 2010 et 64 % pour 2015. En tant que professionnels de l'éolien, il nous apparaît impossible d'atteindre l'objectif pour 2010, la barre étant beaucoup trop haute. Toute la bonne volonté des acteurs et de l'administration, dans l'octroi des permis de construire notamment, n'y suffirait pas. En revanche, l'objectif 2015 semble tout à fait réalisable.
L'Allemagne accroît chaque année sa puissance éolienne de près de 2 000 MW, tout comme l'Espagne. La France connaît pour sa part une montée en puissance progressive. Le régime annuel devrait ainsi avoisiner 2 000 MW dès 2010. Nous sommes d'autant plus optimistes que les prévisions réalisées en 2002 par France Energie éolienne se vérifient assez largement. Si nous suivons cette courbe, nous pouvons atteindre les objectifs fixés. Toutefois, nous ne sommes pas à l'abri d'une dégradation de cette tendance. Fin 2010, nous devrions ainsi avoir atteint une puissance équivalente à 8 400 MW, alors que l'objectif est de 14 500 MW. En revanche, en 2015, nous pouvons parvenir aux 43 térawattheures (TWh) et aux 18 000 MW fixés comme objectifs par l'Europe, à condition de respecter un régime d'installation de 2 000 MW supplémentaires chaque année. Il est à noter que cet objectif de 18 800 MW est comparable à la puissance déjà installée en Allemagne. Nous accusons donc un décalage de dix ans par rapport aux Allemands. Peut-être pourrons-nous revenir sur cette comparaison par la suite.
Pour tenir cette feuille de route, il nous faudra lever les obstacles administratifs existants. Le ministère de l'industrie a réalisé une enquête sur les permis de construire délivrés en 2005. Ils correspondent à une puissance supplémentaire de 1 200 MW. Nous savons que ces installations seront opérationnelles trois ans plus tard, c'est-à-dire fin 2008. Par ailleurs, une petite partie d'entre elles ne devrait pas voir le jour. Nous en déduisons d'ores et déjà que la puissance supplémentaire mise en service en 2008 sera inférieure aux 1 600 MW supplémentaires nécessaires pour tenir les objectifs. Ce constat traduit l'existence d'un problème en matière de délivrance de permis de construire. Parallèlement, nous avons vu le nombre de permis accordés baisser entre 2004 (1 500 MW) et 2005. Les difficultés liées à la présence des radars et celles qui ont trait à la mise en place des zones de développement éolien (ZDE) s'ajoutent à ces problèmes et font peser une menace sur notre capacité à atteindre ces objectifs.
L'Allemagne est le leader mondial en matière de production d'électricité d'origine éolienne. Fin 2006, elle disposait d'une puissance éolienne supérieure à 20 000 MW. 2 000 MW supplémentaires ont été installés en 2006. En 2002, ce chiffre avait atteint 3 300 MW. En Allemagne, les projets off-shore n'ont pas encore pleinement pris le relais de l'éolien traditionnel. L'Espagne occupe la deuxième position du classement mondial avec 11 600 MW. Les Etats-Unis talonnent désormais l'Espagne, grâce à un effort équivalent à 2 500 MW supplémentaires en 2006. Cette croissance rapide les place au premier rang en termes d'installations nouvelles. L'Inde et le Danemark suivent ce trio. Il est d'ailleurs à noter que le Danemark reste le pays disposant de la puissance la plus importante au regard de la taille de sa population. La France a fait cette année son entrée dans le classement des 10 pays les plus avancés dans ce domaine.
Le marché mondial croît rapidement, à savoir de 25 % en 2006 par rapport à 2005. Au niveau mondial, la puissance éolienne atteignait 60 000 MW fin 2005. Elle dépassait 74 000 MW douze mois plus tard. En France, le parc installé a doublé en l'espace d'un an. Notre pays disposait en effet d'une puissance installée de 700 MW en 2005 et a installé 800 MW supplémentaires en 2006.
Le taux de pénétration de l'éolien avoisine 6 % en Allemagne, 9 % en Espagne et 20 % au Danemark. Aux Etats-Unis, l'éolien reste toujours marginal. En Espagne, la puissance instantanée délivrée sur le réseau par l'éolien a atteint jusqu'à 8 000 MW en décembre 2006, alors que 11 000 MW sont en fonction dans ce pays. A ce moment précis, l'éolien représentait 30 % de la puissance appelée instantanément. La demande était alors assez faible, tandis que le nombre d'éoliennes en service était élevé. Il semblerait que cette situation n'ait posé aucune difficulté sérieuse. Le fait que l'Espagne soit considérée comme une « péninsule électrique » confère encore plus de force à cet exemple. Dans l'est du Danemark, dans les périodes de forts vents, le taux de pénétration dépasse 200 %. Nous devons cependant tenir compte du fait que le Danemark reste un petit pays disposant d'une interconnexion forte. En France, nous restons bien entendu loin de ces chiffres.
M. Marcel Deneux, rapporteur - Je vous trouve quelque peu pessimiste au sujet de la réalisation des objectifs à l'horizon 2010. Je suis élu de la région Picardie, qui souhaite à terme détenir 15 % de la puissance éolienne nationale. Or je ne constate aucun ralentissement dans cette région. Je souhaitais par ailleurs vérifier la véracité de vos chiffres en matière de nombre d'heures. Les données que vous avancez sont bien éloignées des informations qui m'ont été communiquées. Je pourrais prendre l'exemple de champs de 12 éoliennes qui produisent 3 400 heures équivalent pleine puissance à Pendé et Chepy dans la Somme. Enfin, je remarque que votre exposé ne s'est pas penché sur la question des installations off-shore.
M. Jean-Yves Grandidier - Le nombre d'heures équivalent pleine puissance suscite effectivement un débat chez les spécialistes. Néanmoins, je ne crois pas que les champs de Pendé et Chepy puissent atteindre de tels rendements. La PPI prévoit 4 000 MW off-shore à l'horizon 2015. Ils sont intégrés dans les chiffres qui vous ont été communiqués.
M. Marcel Deneux, rapporteur - Quelles sont les problématiques liées à l'off-shore en termes de liaison avec le réseau et de partage de la taxe professionnelle ?
M. Jean-Yves Grandidier - Plusieurs points restent en suspens sur le plan administratif, comme la taxe professionnelle et les concessions d'endigage. Le cadre n'est pas encore en place. Parallèlement, certains aspects techniques et économiques de l'exploitation off-shore posent question. Sur le plan industriel, cette filière reste risquée. L'installation est soumise à plusieurs contraintes. L'installation d'éoliennes off shore ne peut en effet avoir lieu pendant la période hivernale, du fait de la possibilité de survenance d'une tempête. En cas de retard du programme, le délai atteint ainsi immédiatement une année. Ceci pèse lourdement sur les immobilisations des capitaux.
De même, sur le plan de l'exploitation, les risques ne sont pas négligeables. Les éoliennes actuelles sont conçues de telle sorte que en cas de défaut, l'intervention humaine sur place est encore très souvent requise. Or, dans le cas des champs off-shore, de telles opérations s'avèrent complexes en cas de tempête, alors que le risque de panne est maximal. En effet, bien souvent, les éoliennes s'arrêtent parce qu'elles ont connu une surchauffe, fréquente en cas de coup de vent prolongé. La disponibilité reste fonction de l'accessibilité. Il apparaît donc primordial de développer, pour le off-shore, de nouvelles générations de turbines, qui autorisent un contrôle à distance, afin d'améliorer leur disponibilité. Malgré ces inconvénients, nous ne pouvons oublier que les implantations off-shore représentent des opportunités majeures pour le développement du secteur.
M. Marcel Deneux, rapporteur - Il faut ajouter à cela le fait que les champs off-shore sont généralement constitués de 500 à 1 000 éoliennes. Avez-vous eu connaissance du rapport du Préfet maritime qui émet un avis négatif sur le développement de l'éolien off-shore ? Ce rapport engage le gouvernement.
M. Jean-Yves Grandidier - Je n'en ai pas pris connaissance.
M. Bruno Sido, président - Vous indiquiez qu'au Danemark, l'éolien représentait, à certaines périodes, plus de 100 % de la puissance appelée. En Espagne, ce chiffre a connu un maximum autour de 30 %. Nous comprenons aisément que la part de l'éolien à un instant « T » varie considérablement en fonction de la demande et de la force du vent. Ce constat nous permet de soulever un problème de taille en termes de régulation. Même si l'on exclut les cas de pannes, la production éolienne reste très aléatoire. Des considérations de régulation et de sécurité d'approvisionnement nous amènent à penser qu'il existe en fait un maximum admissible en termes de production d'électricité d'origine éolienne. Nous ne pouvons en effet redémarrer et stopper à l'envi des centrales nucléaires en fonction de la production générée par l'éolien.
M. Jean-Yves Grandidier - France énergies renouvelables a longuement étudié ces questions. En 2003, elle s'est penchée sur la possibilité d'intégrer 10 000 MW d'énergie éolienne sur le réseau français. Cette étude est disponible sur notre site, mais je vous la transmettrai directement. Elle s'appuie sur les valeurs réelles de consommation relevées entre 2000 et 2003. Afin de simuler la puissance éolienne, nous avons intégré les données de 40 stations météo réparties sur 38 départements français. Les départements de l'Aude et du Finistère ont été surreprésentés dans ce panel, car il apparaissait à l'époque que ces deux départements étaient les plus prometteurs en termes d'implantations. Il s'avère en réalité que la Somme et la région Centre devraient supplanter ces départements. Nous avons simulé l'installation d'une puissance de 250 MW sur chacune de ces stations avant de calculer la puissance qui aurait été effectivement fournie.
Sur le réseau français, la variation horaire de la consommation atteint jusqu'à 8 500 MW. Le gestionnaire doit gérer de manière quotidienne de telles variations. Parallèlement, la variation horaire de l'énergie éolienne ne dépasse jamais plus de 2000 MW. Dans 95 % des cas, elle se maintient dans une fourchette comprise entre - 1 000 MW et + 1 000 MW.
M. Bruno Sido, président - Ces variations peuvent s'additionner.
M. Jean-Yves Grandidier - En effet, ces variations s'additionnent. Le cas le plus difficile à gérer réside dans une augmentation de la consommation couplée à une baisse de la production d'origine éolienne. Néanmoins, nous nous sommes aperçus que ces cas étaient rares. La décroissance de l'énergie éolienne d'une heure sur l'autre n'est que rarement corrélée avec une hausse de la consommation. Ainsi, par rapport à l'augmentation horaire maximum de la consommation (8 412 MW), 10 000 MW éolien rajoutent au pire 850 MW pour arriver à une variation horaire « consommation + éolien » de 9 260 MW, sachant que le nombre de fois où cette somme a été supérieure à l'augmentation horaire de consommation maximum est égal à treize, sur pratiquement 25 000 tranches horaires que compte cette étude. Le gestionnaire du réseau pourrait donc parfaitement gérer les variations de consommation induites par l'introduction de 10 000 MW d'origine éolienne.
M. Marcel Deneux, rapporteur - Pouvons-nous imaginer un cas où le gestionnaire vous demande de stopper momentanément la production éolienne ? Comment réagiriez-vous ?
M. Jean-Yves Grandidier - Le gestionnaire de réseau ajuste en réalité ses moyens en fonction de la puissance éolienne disponible. Par exemple, en Allemagne, l'éolien représente 20 000 MW, alors que l'appel de pointe atteint 80 000 MW. L'éolien représente 60 % des besoins d'ajustement globaux de l'Allemagne. Néanmoins, comme les phénomènes ne sont pas corrélés, en réalité, les besoins d'ajustement supplémentaires représentent 20 % du total actuel. Mais la nécessité de constituer des réserves plus importantes pour faire face à l'aléa éolien ne veut pas dire pour autant qu'il faudra construire de nouveaux moyens de production thermique.
M. Michel Billout, rapporteur - Ma question est directement liée à la sécurité d'approvisionnement. Le décrochage de la production d'énergie éolienne a été mis en cause lors de la panne du 4 novembre 2006. Certains experts l'ont identifié comme un facteur d'aggravation. Comment analysez-vous ce phénomène et comment éviter qu'une telle situation ne se reproduise ?
M. Jean-Yves Grandidier - Le décrochage de l'éolien a constitué un élément d'aggravation du phénomène de la panne dans l'Ouest européen. Toutefois, l'éolien n'est pas à l'origine du problème. Côté allemand, il a même contribué à la résolution du problème. La fréquence du réseau a alors augmenté et les éoliennes se sont découplées. Ce mouvement a permis de retrouver l'équilibre dans cette partie de l'Europe qui devait faire face à une surproduction. Dans l'Ouest européen, les éoliennes disposent d'une sécurité calée à 49,5 hertz (Hz) en cas de baisse de fréquence du réseau. Dans le cas du 4 novembre, la baisse a atteint 49 Hz. Ainsi, en Espagne, 3 500 MW sur les 4 000 MW produits au moment de la panne se sont déconnectés instantanément. La puissance produite par la cogénération en a fait de même. En réalité, les unités connectées au réseau de moyenne tension sont soumises à des exigences moins importantes en termes de protection. Pour éviter ce type de difficultés, il suffirait simplement de modifier ces exigences et instaurer une protection à 47,5 Hz en fréquence basse.
M. Marcel Deneux, rapporteur - Est-ce techniquement possible ?
M. Jean-Yves Grandidier - Cela ne pose pas de problème sur le plan technique. Cela modifie simplement le coût de l'installation.
M. Bruno Sido, président - Une réglementation européenne fixe-t-elle précisément ce paramètre à 49,5 Hz ?
M. Jean-Yves Grandidier - Il n'existe aucune réglementation européenne en la matière. E.ON a été le premier à édicter une série d'exigences techniques pour l'installation d'éoliennes sur son réseau. Elles incluent tout particulièrement une norme en matière de tenue à la chute de tension. Néanmoins, E.ON n'a pas considéré utile de se pencher sur la question de la fréquence. Je veux cependant croire que la prochaine version des spécifications inclura une norme chiffrée de tenue en fréquence, du moins en fréquence basse.
En fait, il s'agit là d'un processus itératif. E.ON avait envisagé le cas d'une chute de tension, mais pas celui d'une baisse de fréquence. Il suffirait d'introduire une telle spécification pour que les concepteurs et les investisseurs intègrent ce paramètre dans leur dispositif. Cette difficulté ne relève en aucun cas de la technique inhérente au système éolien. Elle ne tient qu'à la réglementation. En la matière, elle n'était pas suffisante chez E.ON de même qu'en Espagne.
France Energie éolienne et le SER sont affiliés à l'Association européenne d'énergie éolienne. Cette dernière travaille en profondeur sur ces questions d'harmonisation des réglementations, afin de permettre une intégration à large échelle de l'énergie éolienne.
M. Bruno Sido, président - Il semble que l'aléa de la consommation soit cependant moins important que l'aléa de la production. Aujourd'hui, RTE sait prévoir le mouvement brownien des consommateurs. En revanche, personne ne peut prévoir l'intensité du vent. Ainsi, personne n'avait prévu plus de 12 heures à l'avance l'arrivée d'une tempête sur le Golfe de Gascogne la semaine dernière. Au final, puisque nous sommes dans l'incapacité de prévoir la production d'une éolienne, ne serons-nous pas obligés, en schématisant à l'extrême, de coupler chaque éolienne à une centrale thermique ? Quand l'éolienne tourne, nous pouvons arrêter la centrale thermique, mais, lorsqu'elle s'arrête, nous redémarrons la centrale thermique. Au final, l'investissement est double et induit un surcoût non négligeable.
Au-delà, nous devons considérer le fait que ces centrales thermiques émettent beaucoup de gaz à effet de serre. De fait, l'éolien serait producteur indirect de gaz à effet de serre. Comment éviter de tels désagréments ? Je souhaiterais par ailleurs que vous répondiez clairement sur la question du seuil maximal d'éolien dans le bouquet énergétique dans l'optique de la préservation de la sécurité d'approvisionnement pour le consommateur.
M. Marcel Deneux, rapporteur - La France présente l'avantage de posséder des ressources hydrauliques importantes. Les pays qui n'en disposent pas connaissent des difficultés plus grandes encore en la matière.
M. Bruno Sido, président - En effet, la situation est pire encore pour ces pays. Concentrons-nous cependant sur le cas particulier de la France.
M. Jean-Yves Grandidier - Beaucoup pensent à tort que la production éolienne n'est effective que pendant 25 % de l'année. Un modèle plus proche de la réalité consisterait à dire qu'une éolienne produit 25 % de sa puissance nominale durant toute l'année. La France a pour particularité de présenter des régimes de vent très différents à un instant donné. Les conditions au bord de la Méditerranée sont rarement identiques à celles que l'on retrouve au même moment sur la façade atlantique. Cette dernière est d'ailleurs tellement étendue que les événements ne se produisent pas simultanément sur toutes les parties de la côte. De fait, la France dispose d'un très bon foisonnement éolien.
Avec 10 000 MW installés, la production réelle ne dépassera jamais 8 000 MW. En réalité, ces éoliennes produiront de manière quasi continue 3 000 MW. La production oscillera entre 1 000 MW et 5 000 MW pendant 70 % de l'année. La production dépassera 5 000 MW pendant 15 % de l'année et se situera sous 1 000 MW pendant les 15 % restants. Nous constatons qu'il s'agit d'une production bien plus régulière que l'on ne veut le croire. Son installation permet d'éviter d'avoir recours à un certain nombre de centrales thermiques.
M. Marcel Deneux, rapporteur - Vous ne répondez pas directement à la question du Président. Il est nécessaire en fait d'adosser une centrale thermique à l'éolien afin que le réseau puisse s'ajuster.
M. Jean-Yves Grandidier - Il s'agit en réalité de moyens d'ajustement.
M. Bruno Sido, président - Nous disposons déjà d'un début de réponse. Il n'est pas nécessaire de coupler l'équivalent de 100 % de la puissance éolienne. 70 % peuvent suffire.
M. Jean-Yves Grandidier - Cela n'est pas exact. Les exemples du Danemark et de l'Espagne devraient nous éclairer à ce sujet. Ces deux pays n'ont jamais construit une seule centrale thermique supplémentaire pour permettre d'ajuster leur réseau et pallier la variabilité de l'éolien. Ils utilisent des installations déjà en fonction pour ce faire.
M. Marcel Deneux, rapporteur - Les centrales thermiques ne démarrent pas aussi vite qu'une centrale hydraulique : il faut entre 30 minutes et 2 heures pour mettre en marche ces installations.
M. Jean-Yves Grandidier - La variation de production d'une heure sur l'autre peut atteindre2 000 MW. Ceci dit, de tels événements sont prévisibles. Nous sommes aujourd'hui capables de prévoir à court terme les variations de production. L'éolien ne saurait représenter 100 % de la production française. Néanmoins, nous sommes en mesure d'anticiper le démarrage ou l'arrêt de centrales thermiques en fonction de la baisse ou de l'augmentation de la capacité éolienne.
Le problème de l'extrême pointe mérite d'être posé. Il permet de déterminer la capacité de substitution de l'éolien. Selon l'étude effectuée par RTE à ce sujet, une puissance éolienne de 10 000 MW correspond en réalité à une puissance moyenne de 2 860 MW. Nous étions parvenus à une conclusion semblable quelques mois plus tôt, même si nous ne disposons pas d'outils aussi performants que RTE. La capacité de substitution à la pointe s'établit donc à 30 % pour une sécurité de fonctionnement identique.
Par ailleurs, une telle installation de 10 000 MW éoliens permet en fait de produire 24 TWh en l'espace d'une année, ce qui correspond à la production de 3 000 MW thermiques qui fonctionneraient pendant 8000 heures par an. 10 000 MW éoliens se substituent ainsi à 3 000 MW thermiques à la fois en énergie et en puissance. Cette étude conclut donc au fait que 10 000 MW d'éolien offrent une capacité de substitution de 3 000 MW de thermique à niveau de sécurité équivalent. Par conséquent, les besoins à l'extrême pointe pour RTE, qui atteindront 1 000 MW par an à partir de 2009, seront couverts par la capacité de substitution qu'offrira alors l'éolien entre 2009 et 2012 si la feuille de route présentée précédemment est respectée. Cette capacité éolienne nous épargnera des investissements dans le thermique. Au-delà de l'extrême pointe, les capacités existantes suffisent largement.
M. Marcel Deneux, rapporteur - Aujourd'hui, vous rassemblez plus de 160 producteurs, petits et gros. Comment vous adapterez-vous lorsque deux d'entre eux disposeront de 15 % à 20 % du marché ? Un tel changement engendrera-t-il des perturbations dans la politique éolienne ?
M. Jean-Yves Grandidier - En Allemagne, de nombreux petits acteurs coexistent. A l'inverse, en Espagne un nombre restreint de grands acteurs se partagent l'essentiel du marché. Une telle mutation avec l'arrivée de ces grands acteurs ne nous fait pas peur. Nous nous félicitons d'ailleurs du fait que de grands électriciens commencent à s'intéresser au marché de l'éolien. Ceci signifie qu'ils croient à l'avenir de l'éolien et qu'ils pensent que cette énergie sera amenée à occuper une part croissante dans le mix énergétique. Le rachat de plusieurs sociétés françaises par Enel, Endesa ou Iberdrola ne peut que nous encourager. Ces grands groupes essaient de poser le pied en France par le biais de l'éolien.
M. Marcel Deneux, rapporteur - De manière concrète, quelles sont vos relations avec RTE ? Quand prévenez-vous le régulateur de votre production ? Quels délais devez-vous tenir ?
M. Jean-Yves Grandidier - Les producteurs éoliens en France ne sont pas soumis à ce type d'obligation, contrairement à ce qui se passe en Espagne.
M. Marcel Deneux, rapporteur - Ainsi, vous entrez sur le réseau sans notification et en sortez de même. Cela ne saurait durer.
M. Jean-Yves Grandidier - Je suis d'accord avec vous sur ce point. En Espagne, les producteurs doivent fournir une prévision entre 12 et 36 heures. Au moment de la fixation des nouveaux tarifs, nous avons proposé à la direction de la demande et des marchés énergétiques (DIDEME) de s'appuyer sur l'exemple espagnol pour instaurer un système de prévision de production. Nous y sommes prêts.
M. Bruno Sido, président - Plus l'éolien se développera et plus cette nécessité s'imposera.
M. Michel Sergent - Comme la Somme, le Pas-de-Calais est aujourd'hui en pointe en matière d'énergie éolienne. Des projets de première importance doivent voir le jour au cours des prochaines années. Certains d'entre eux posent néanmoins des difficultés en matière de raccordement au réseau haute tension et aux postes sources. Ces problèmes sont-ils récurrents et quelles sont les limites techniques de telles implantations ?
Par ailleurs, je souhaitais revenir sur la question de l'éolien off-shore. Les machines off-shore ne sont pas plus fragiles que les éoliennes terrestres, mais sont soumises à des contraintes plus importantes. Dans le Nord-Pas-de-Calais, deux d'entre elles se sont récemment effondrées. La pêche artisanale et côtière voit d'un très mauvais oeil ce type d'implantation.
M. Bruno Sido, président - Combien ces 18 000 MW qui doivent être installés à terme en France représentent-ils d'éoliennes ? Nous ne saurions négliger certaines questions comme l'aspect visuel, l'obtention des permis de construire ou encore le droit de regard de l'architecte des bâtiments de France.
M. Marcel Deneux, rapporteur - 18 000 MW équivalent à 9 000 éoliennes de 2 MW. Cependant, quelques éoliennes de 2,5 MW sont aujourd'hui déjà en fonction.
M. Jean-Yves Grandidier - C'est exact.
M. Bruno Sido président - Nous compterons alors en moyenne une centaine d'éoliennes par département.
M. Jean-Yves Grandidier - Ce chiffre est à rapprocher des 30 000 châteaux d'eau installés en France.
M. Bruno Sido, président - Les châteaux d'eau ne sont pas aussi hauts que les éoliennes.
M. Jean-Yves Grandidier - En Allemagne, 20 000 MW sont installés pour l'essentiel dans le nord du pays et, plus particulièrement, dans le Schleswig-Holstein. Une visite dans la région vous permettrait de constater que ces installations ne dénaturent pas outre mesure le paysage.
En ce qui concerne le raccordement, nous rencontrons quelques difficultés dans le sud de la France. Le Languedoc-Roussillon est doté d'un potentiel éolien important, d'autant que la région est plutôt peu peuplée. Aujourd'hui, cependant, cette région est en passe d'être supplantée par la Picardie et le Centre. Nous y sommes confrontés à une faible densité du réseau. En région Midi-Pyrénées, nous rencontrons d'autres difficultés, liées pour l'essentiel à la concurrence de l'hydraulique.
Sur ce plan, nos relations s'améliorent franchement avec RTE. Ce dernier ménage aujourd'hui de la place pour l'éolien sur son réseau. Dans les régions au réseau peu dense, RTE accepte d'augmenter ses capacités d'accueil à condition que les producteurs lui fournissent une prévision à court terme, c'est-à-dire pour les 24 heures à venir. Aujourd'hui, les calculs de RTE et d'EDF Réseau Distribution (ERD) incluent systématiquement la consommation minimale, la production éolienne maximale et la production hydraulique maximale. En réalité, la production éolienne est généralement proche du tiers de sa puissance nominale. En instaurant un système de prévision de la production éolienne, nous reportons la question du besoin de renforcement de réseau.
Dans certaines régions, particulièrement en Languedoc-Roussillon et dans le sud du massif central, il sera assurément nécessaire de renforcer le réseau. Néanmoins, le fait d'accroître la place de l'éolien en réduisant celle de l'hydraulique devrait contribuer à contourner ce problème.
M. Bruno Sido, président - Avant le début de la réunion, vous me signaliez qu'il était possible de brancher les éoliennes 6 par 6 sur le réseau 20 000 volts. Pouvez-vous nous confirmer cette information importante en termes de branchement et de maillage ? En effet, les implantations d'éoliennes doivent répondre à deux impératifs, à savoir la présence de vent et l'existence d'une consommation suffisante dans la région.
M. Jean-Yves Grandidier - L'énergie éolienne a pour avantage d'être décentralisée. Dans des régions comme la Picardie, le Nord-Pas-de-Calais ou la Champagne, l'énergie produite par les éoliennes sera avant tout consommée dans la boucle 20 000 volts.
M. Marcel Deneux, rapporteur - Dans la Somme, nos postes source sont saturés. Les opérateurs s'interrogent donc aujourd'hui sur la possibilité de les renforcer et sur la distance qui les sépare de la ferme éolienne. Ils connaissent aujourd'hui les réponses à ces questions mais ne semblent pas prêts à partager ces informations. A quelle distance la ferme doit-elle se trouver du poste source pour que l'installation soit encore rentable ?
M. Jean-Yves Grandidier - Nous ne connaissons pas encore de situation de saturation.
M. Marcel Deneux, rapporteur - Dans le Pas-de-Calais et la Somme, nous y sommes d'ores et déjà confrontés. EDF nous propose de construire nous-mêmes un poste source.
M. Jean-Yves Grandidier - Je m'occupe personnellement de dossiers dans ces départements. Nous n'avons jamais eu besoin de postes sources supplémentaires. Dans certains cas où la ferme est très éloignée du premier poste source, il peut être avantageux d'en construire un nouveau sur une ligne de transport qui passe à proximité. France énergie éolienne et le Syndicat des énergies renouvelables se sont penchés sur cette question. Au travers d'une étude, nous avons étudié la répartition de l'énergie éolienne sur le territoire national département par département. Nous essayons ainsi, avec RTE, d'identifier les points où surgiront les premières contraintes.
Au niveau local, il se peut que de telles difficultés soient apparues ça et là. En tout cas, en ce qui concerne plus particulièrement la Somme, je peux affirmer que les postes de Roye, d'Abbeville ou encore de Beauchamps ne sont pas saturés.
M. Marcel Deneux, rapporteur - Celui de Doullens est en revanche saturé.
M. Jean-Yves Grandidier - Il est possible que cela soit le cas pour quelques postes.
M. Gérard Longuet - Ma question sera pratique et comptable. Les coûts de démontage d'une éolienne sont-ils provisionnés dans le compte d'exploitation ?
M. Jean-Yves Grandidier - La loi du 2 juillet 2003 « urbanisme et habitat » nous oblige à les provisionner. Néanmoins, les décrets d'application de ces dispositions ne sont pas encore parus. Pour ma part, en tant qu'opérateur, je les inclus dans les plans d'affaires.
M. Gérard Longuet - Combien ce démontage coûte-t-il ?
M. Jean-Yves Grandidier - Il représente environ 1 % du coût de la construction.
M. Gérard Longuet - Il s'agit là d'un chiffre raisonnable.
M. Bruno Sido, président - Vous n'avez pas répondu à la question sur le parc off-shore.
M. Jean-Yves Grandidier - Il semble effectivement que l'implantation de parcs éoliens off-shore pose quelques problèmes dans le Pas-de-Calais. Certains pêcheurs voient cette idée d'un mauvais oeil. Les premiers parcs off-shore devaient à l'origine s'implanter dans le Languedoc-Roussillon au large de Port-la-Nouvelle. La plupart des pêcheurs semblaient en accord avec ce projet, dans la mesure où il instaurait une barrière entre la pêche hauturière et la pêche côtière.
Dans le Pas-de-Calais, la situation est différente. La zone de pêche n'est pas large et les conflits d'usage sont déjà nombreux. Ces données peuvent certainement expliquer ces réticences. Il appartient à la filière éolienne d'écouter les pêcheurs et de comprendre leurs pratiques et leurs inquiétudes. C'est en lançant une concertation avec eux que nous parviendrons à trouver un terrain d'entente, en suivant les exemples d'implantations réussies. Nous pourrons ainsi définir des solutions qui respectent tout à la fois la nécessité de développer l'éolien off-shore et les activités de pêche.
M. Bruno Sido, président - Nous pouvons aisément comprendre que les marins et le chef d'état-major de la marine ne sont pas favorables à l'implantation d'éoliennes qui constituent une gêne au trafic maritime. De même, le chef d'état-major de l'armée de terre s'oppose à la construction d'éoliennes qui deviennent des obstacles sur les couloirs aériens pour des avions plus fragiles encore que les bateaux. Les conflits d'usage sont nombreux.
M. Marcel Deneux, rapporteur - Les pêcheurs estiment que cela pourrait troubler la reproduction des poissons dans les frayères. A ce jour, aucune étude ne prouve le contraire.
M. Bruno Sido, président - Les chasseurs ont des craintes similaires.
M. Jean-Yves Grandidier - Nous envisageons d'amener les pêcheurs au Danemark, sur des sites éoliens off-shore, afin qu'ils puissent discuter avec les pêcheurs locaux. Nous avions entrepris des opérations similaires pour les parcs terrestres. Voilà quelques années, j'ai emmené un maire sur le site de Port-la-Nouvelle, afin qu'il puisse constater sur place ce que représenterait une telle installation sur sa commune. Tout au long du trajet, il me faisait part de ses préoccupations concernant le bruit. Après avoir discuté avec l'adjoint au maire de la commune de Port-la-Nouvelle, j'ai emmené le maire en question sur le site même. A quelques mètres de là, je demande au maire s'il souhaite vérifier par lui-même les nuisances sonores des éoliennes, car elles étaient alors en fonction. Rassuré par sa conversation avec l'élu, il m'a affirmé que cela n'était pas nécessaire.
De même, nous devons créer un dialogue entre les pêcheurs dans les futures zones d'implantations d'éoliennes off-shore et d'autres pêcheurs déjà confrontés à cette situation. Je ne pense pas que les pêcheurs du Pas-de-Calais soient de mauvaise foi. Je comprends leurs inquiétudes face à une activité nouvelle. Il nous appartient de faire la démonstration de notre innocuité pour le milieu. A ce sujet, je tiens à signaler que les japonais coulent volontairement de fausses épaves, parce qu'elles constituent un abri de choix pour nombre de poissons. L'arrivée d'éoliennes pourrait ainsi contribuer à la redynamisation des zones côtières qui s'appauvrissent rapidement sur le plan de la biodiversité.
M. Bruno Sido, président - La commission européenne a présenté le 10 janvier le paquet énergétique. Il préconise d'intégrer 20 % d'énergies renouvelables dans le bouquet énergétique. En quoi l'éolien et les énergies renouvelables, de manière générale, peuvent-ils contribuer à la sécurité d'approvisionnement de la France ? En fait, ces énergies ne représentent-elles pas un danger en la matière ?
M. Jean-Yves Grandidier - Avant tout, soulignons le fait qu'il s'agit d'énergies indigènes. Pour leur production, nous ne dépendons pas de l'étranger. Un tel avantage est indéniable. Rien ne peut nous empêcher d'utiliser les éléments à l'origine de ces énergies. Au-delà du fait qu'elles permettent de produire une énergie propre, nous avons démontré qu'elles n'étaient pas sans intérêt sur le plan de la sécurité d'approvisionnement. La variabilité de l'éolien est réelle, mais elle ne constitue en aucun cas une donnée insurmontable. De plus, cette variabilité est relativement bien corrélée avec la consommation, si bien que l'énergie éolienne peut apporter un complément en cas de besoin.
Par ailleurs, les objectifs européens ne concernent pas que la seule électricité. La chaleur et le transport sont également intégrés dans ce paquet. Or, en matière de transports, l'objectif a été fixé à 10 % d'incorporation de biocarburants. Dès lors, afin d'atteindre le seuil global de 20 %, il nous faudra dépasser largement ce seuil de 20 % sur l'électricité. L'éolien représente une opportunité de taille en la matière et, plus particulièrement, les gisements off-shore à l'horizon 2020 mais surtout 2030 où nous disposerons de technologies qui permettrons d'installer des éoliennes de manière économique dans des zones où les fonds marins sont importants.
Les objectifs européens en matière d'électricité peuvent être assez aisément atteints en levant les obstacles. En revanche, sur l'aspect biocarburants, le respect des engagements risque de s'avérer plus complexe. En effet, la demande dans le domaine des transports devrait atteindre 40 millions de tonnes équivalent pétrole (TEP) à l'horizon 2020. Il nous faudrait donc produire 4 millions de TEP pour atteindre l'objectif fixé par la Commission européenne. Pour cela, il nous faudrait consacrer près de 15 % de notre surface agricole utile à cette seule activité. En matière de chaleur, l'objectif de 20 % représente 25 à 26 millions de TEP. L'essentiel pourra être réalisé par la biomasse, par le biais d'un usage intensif de la forêt française. Cela ne sera pas aisé. Pour l'éolien, le problème des limites est encore loin de se poser. Nous pouvons aisément atteindre le seuil de 70 TWh à l'horizon 2020 et 130 TWh au-delà. La partie électrique présente plus d'opportunités que les transports et la chaleur, où nous serons rapidement confrontés aux limites de nos territoires.
M. Michel Billout, rapporteur - Vous présentez le développement du parc éolien comme un axe majeur de développement pour atteindre les objectifs européens. Dans votre propos introductif, vous remarquiez que, pour stimuler ce développement, il était nécessaire d'assouplir les règlements en la matière. Pouvez-vous préciser votre propos ? Quelles mesures concrètes vous semblent nécessaires ?
M. Jean-Yves Grandidier - Nous sommes confrontés à plusieurs problèmes. Le premier a trait aux radars. Le second porte sur les zones de développement de l'éolien (ZDE). Il ne tient peut-être qu'au fait que ce mécanisme doit progressivement se mettre en place. Enfin, un troisième problème concerne l'instruction des permis de construire. Le temps moyen actuel d'instruction des dossiers avoisine 18 mois, alors que le délai réglementaire est de 5 mois. Je souhaiterais que les administrations soient soumises à des délais plus courts.
Les dossiers présentés à l'administration présentent des cas de figure très divers. Face à cette complexité et aux nombreuses annulations de permis par les tribunaux administratifs, j'ai pu observer une certaine prudence au sein de ces administrations. Je peux comprendre aisément la réticence d'un préfet à l'aune de ces risques. Pour contourner cela, il serait important de mettre en place un comité national éolien, chargé de proposer des aménagements de la réglementation et d'émettre des avis pouvant se substituer au préfet le cas échéant. Ainsi les préfets seraient-ils couverts lorsqu'ils peinent à prendre une décision. Cette instance, qui serait composée d'experts, d'industriels, de spécialistes, de représentants de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME) et des ministères, pourrait décharger les préfets de cette tâche. Les radars représentent un autre type de contraintes.
M. Bruno Sido, président - A quel type de radars faites-vous allusion ?
M. Jean-Yves Grandidier - Je pense à la fois aux radars militaires ainsi qu'à ceux de Météo France et, plus particulièrement, aux plus récents qui utilisent l'effet « Doppler ». Je ne nie pas le fait que l'implantation d'éoliennes perturbe le fonctionnement de ces radars. J'estime cependant que l'enjeu du développement du parc éolien est plus important que celui de l'amélioration des prévisions météorologiques, sauf sur les sites sensibles. En effet, l'effet « Doppler » permet de détecter à très court terme des événements climatiques soudains, comme la grêle ou l'orage. Hormis le cas particulier de ces zones sensibles, où les installations d'éoliennes sont rares, il me semble que nous pouvons accepter une perturbation dans un rayon de 5 km autour du champ d'éoliennes. Même dans ces cas, nous bénéficions encore de données dont la précision est comparable à celle qui avait court voilà deux ans. Les radars utilisant l'effet « Doppler » ne couvrent à l'heure actuelle qu'une très petite partie du territoire. La station météo d'Abbeville dans la Somme fonctionne aujourd'hui parfaitement, malgré la proximité d'éoliennes.
M. Bruno Sido, président - Vos arguments valent aussi pour les architectes des bâtiments de France.
M. Marcel Deneux, rapporteur - Le problème réside dans le fait que la météorologie ne dépend pas du ministère de l'industrie.
M. Jean-Yves Grandidier - En ce qui concerne les radars militaires, l'enjeu est évident. Nous ne pouvons nous permettre de perturber la sécurité nationale. Je pense cependant que les éoliennes n'engendrent aucune perturbation sur les radars de moyenne et de haute altitude, qui représentent 70 % des installations militaires. J'ai rencontré à plusieurs reprises des officiers chargés de l'exploitation de ces radars. Ils m'ont conforté dans mon opinion. C'est en vertu du principe de précaution que toute avancée dans ce domaine est aujourd'hui exclue.
M. Bruno Sido, président - Qu'en est-il des radars de circulation aérienne civile ?
M. Jean-Yves Grandidier - Il existe des zones de servitude qui nous empêchent d'installer des éoliennes à proximité des aéroports.
M. Bruno Sido, président - Je pensais plus particulièrement aux autres radars de la Direction générale de l'aviation civile.
M. Jean-Yves Grandidier - Ces difficultés sont bien connues. Pour éviter les conflits d'usage, nous proposons de concentrer autant que possible les servitudes techniques et environnementales pour les nouveaux aménagements. Il est ainsi envisagé d'implanter un radar à proximité des centrales nucléaires de Paluel et Penly. Or, cette région compte déjà de nombreuses éoliennes. Ce radar va donc être implanté au milieu de champs éoliens déjà en exploitation. Cependant, cette implantation gèle tous les projets dans le secteur. Même si les sites retenus sont plus éloignés que les éoliennes existantes, ces projets seront systématiquement refusés. Pourtant, de par leur distance, ces installations ne devraient pas engendrer autant de perturbations que les installations existantes. Parallèlement, il est déjà impossible d'implanter des éoliennes sur la Côte d'Opale. Dès lors, pourquoi ne pas avoir construit cet équipement sur la Côte d'Opale ? De fait, deux zones sont interdites à l'éolien, alors qu'il était possible de limiter le conflit d'usage à une seule zone. Il serait important de mener une réflexion sur l'aménagement du territoire en incluant la nécessité de développer l'énergie éolienne.
M. Jacky Pierre - Nous avons abordé les questions techniques mais nous ne nous sommes à aucun moment penchés sur les questions économiques. Jusqu'où pouvons-nous aller dans la logique de rachat systématique des kWh produits par l'éolien ?
M. Jean-Yves Grandidier - Nous avons travaillé autour de l'hypothèse d'un développement de 8 000 à 9 000 MW d'éolien dans le cadre de l'obligation d'achat à 82 euro par MWh entre 2007 et 2011. Nous avons étudié le coût de ce programme pour la contribution au service public de l'électricité (CSPE) jusqu'à 2026, dans la mesure où ces centrales bénéficieront d'un contrat de 15 ans.
La CSPE est calculée par la CRE en fonction du prix de l'électricité du marché. Entre 2003 et 2006, le prix de l'électricité a augmenté en moyenne de 20 % chaque année. J'ai préféré retenir une hypothèse d'augmentation annuelle de l'ordre de 5 %. Il s'agit d'une hypothèse plutôt pessimiste, même si les coûts ne peuvent qu'augmenter au cours de la période. Le prix de marché du MWh s'élève à 58 euros en 2007, conformément à la communication récente de la CRE. En tablant sur une augmentation régulière des prix de 5 %, la contribution à la CSPE s'avère positive jusqu'en 2015. Les consommateurs seront donc obligés de payer plus cher pour le développement de l'éolien. Ensuite, la contribution devient négative. Les producteurs éoliens génèrent alors une rente pour la collectivité.
Mme Nicole Bricq - Vous considérez donc que vous atteindrez le point d'équilibre en 2015.
M. Jean-Yves Grandidier - Tel sera le cas si l'hypothèse d'une augmentation régulière de 5 % du prix se vérifie. Si les tarifs augmentent plus vite, l'équilibre sera atteint plus tôt. Si le chiffre réel est inférieur, ce moment sera retardé. En réalité, le point d'équilibre varie beaucoup en fonction des prix.
Sur la base de l'hypothèse d'une augmentation quatre fois inférieure à celle constatée au cours des quatre dernières années, le prix de l'électricité d'origine éolienne rejoint le prix du marché en moyenne annuelle en 2015. Sur cette base, entre 2015 et 2026, l'économie pour le consommateur représente un peu plus d'un milliard d'euros. Les sommes consacrées par les contribuables aujourd'hui au développement du secteur correspondent en réalité à un prêt à 5 % ou 6 %. Si l'augmentation s'avère supérieure, le résultat sera plus favorable encore pour le consommateur. Nous savons pertinemment que le prix de l'électricité est destiné à croître régulièrement. En fait, sur la base d'une hypothèse que nous pouvons qualifier de très raisonnable, l'éolien génèrera rapidement des rentes pour le consommateur.
Au Danemark, une étude a permis de déterminer que l'éolien avait permis de faire baisser de 10 à 15 % le prix du marché de l'électricité. Cette situation s'explique par le fait que l'électricité d'origine éolienne est soumise à une obligation d'achat. Cette énergie s'insère donc sur la base de l'empilement. De fait, elle autorise le Danemark à ne plus recourir aux filières thermiques, très coûteuses. En France, l'éolien permettra également de réduire les prix du marché.
Enfin, dans la mesure où cette énergie ne dépend pas des importations, elle constitue un facteur de stabilité des prix. D'un point de vue économique, nous avons tout intérêt au développement de l'éolien. Nos enfants en tireront assurément les bénéfices.
M. Ambroise Dupont - En ce qui concerne les complications administratives, je souhaitais savoir si la proximité de la date d'application de la loi sur la mise en place des ZDE, le 13 juillet prochain, avait accéléré le dépôt de demandes de permis de construire et freiné les accords administratifs dans l'attente de l'entrée en vigueur de la loi ?
M. Jean-Yves Grandidier - Je ne saurais répondre sur une éventuelle augmentation du nombre de dossiers de demande. Nous attendons les résultats de l'enquête du ministère de l'industrie sur le nombre de permis déposés en 2006. Ces résultats devraient être disponibles en juin ou juillet. Je ne suis cependant pas persuadé que nous constaterons une augmentation. Certains projets développés ces dernières années entrent dans le cadre de la période transitoire. Je veux croire que les promoteurs de ces projets feront leur possible pour déposer leur dossier avant le 13 juillet. Au-delà, de nombreux projets développés aujourd'hui entrent dans le cadre des ZDE. Par exemple, mes projets en Champagne ou dans la Marne font l'objet d'une demande de ZDE.
Au-delà, certains préfets, comme celui de la Somme, ont déclaré qu'ils ne donneraient plus de notification de délai d'instruction de permis de construire sur les projets qui ne sont pas déposés dans le cadre d'une ZDE. Il l'a déclaré publiquement lors du colloque national éolien en novembre dernier. Pourtant, une telle posture est contraire à la loi et à son esprit.
M. Marcel Deneux, rapporteur - En réalité, il reprend une interprétation de la lettre de Matignon aux préfets en mai dernier. J'ai eu l'occasion d'en discuter avec le préfet de région. Le préfet de la Somme est parfaitement couvert lorsqu'il tient de tels propos.
Par ailleurs, la Commission européenne a fixé pour objectif le seuil de 20 % d'énergies renouvelables dans le bouquet énergétique d'ici à 2020. Voilà deux ans, la France s'était engagée à atteindre l'objectif de 21 % d'ENR électriques. Aujourd'hui, la France se situe autour de 15 % à 16 % d'énergies renouvelables, grâce à ses ressources hydrauliques. Néanmoins, la part de l'hydraulique régresse régulièrement.
M. Jean-Yves Grandidier - Je dois préciser que l'objectif du « paquet énergie » concerne le secteur énergétique dans son ensemble, à savoir la chaleur, les transports et l'électricité. Pour respecter cet objectif, il nous faudra atteindre 10 % dans le domaine des transports, un peu moins de 50 % dans le domaine de la chaleur et autour de 30% en matière d'électricité, tout ceci à l'horizon 2020 et en tenant compte d'un vigoureux effort pour réduire notre consommation primaire d'énergie de 12 % sur la même période. L'objectif que se fixait la France concernait uniquement l'électricité. Elle souhaitait atteindre 21 % d'électricité d'origine renouvelable dans son bouquet à l'horizon 2010. Les objectifs européens à l'horizon 2020 sont ambitieux.
M. Bruno Sido, président - Je vous remercie, M. Grandidier.