N° 357
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2006-2007
Annexe au procès-verbal de la séance du 27 juin 2007 |
RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
au nom de la mission commune d'information (1) sur la sécurité d' approvisionnement électrique de la France et les moyens de la préserver,
Par MM. Michel BILLOUT, Marcel DENEUX et Jean-Marc PASTOR,
Sénateurs.
Tome II : Auditions et déplacements
(1) Cette mission commune d'information est composée de : M. Bruno Sido, président ; MM. Gérard Longuet, Pierre Laffitte, vice-présidents ; M. Michel Esneu, Mme Nicole Bricq, secrétaires ; MM. Jean-Marc Pastor, Marcel Deneux, Michel Billout, rapporteurs ; M. Jean-Paul Amoudry, Mme Marie-France Beaufils, MM. René Beaumont, Gérard César, Éric Doligé, Claude Domeizel, Philippe Dominati, Ambroise Dupont, Serge Lagauche, Mme Élisabeth Lamure, MM. Dominique Mortemousque, Jackie Pierre, Xavier Pintat, Daniel Raoul, Thierry Repentin, Henri Revol, Michel Sergent, Jacques Valade, André Vallet, Mme Dominique Voynet.
Énergie . |
AUDITIONS
AUTORITÉS ET ÉTABLISSEMENTS PUBLICS
M. François Loos, ministre délégué à l'industrie - 24 janvier
M. Bruno Sido , président - Le 4 novembre 2006, un incident survenu en Allemagne a provoqué l'effondrement d'une partie du réseau d'approvisionnement électrique allemand et français. Suite à cet événement, l'un de nos collègues parlementaire a demandé la création d'une commission d'enquête. Après réflexion, le Sénat a opté pour une mission commune d'information sur la sécurité d'approvisionnement électrique de la France et les moyens de la préserver. J'ai l'honneur d'en être le président. Les trois rapporteurs ici présents, Jean-Marc Pastor, Marcel Deneux, Michel Billout et moi-même avons l'ambition de remettre nos conclusions le plus tôt possible. L'idéal serait que le ministre alors en exercice trouve notre rapport sur son bureau au lendemain des élections, en juin prochain. Par conséquent, je vous remercie d'avoir répondu si vite à notre très récente invitation. Nous y sommes très sensibles. La question principale est contenue dans l'appellation de notre mission. Nous avons certainement, toutes et tous, des questions à vous adresser. Je serai donc très bref. L'incident de novembre nous incite à réfléchir à l'avenir. En effet, tout dépend et dépendra de plus en plus de l'électricité. Par ailleurs, nous pouvons constater les difficultés éprouvées dans certaines régions françaises en cas de mauvaises conditions climatiques. Tout cela soulève des interrogations légitimes auxquelles vous êtes, M. le ministre, le mieux placé pour répondre. Après votre exposé liminaire, les rapporteurs, les membres de la mission et moi-même serons amenés à vous poser des questions.
M. François Loos , ministre délégué à l'industrie - Le 4 novembre 2006, le black-out de l'Europe a été évité et la réaction française s'est avérée exemplaire. Ce soir-là, vers 22 heures 10, cinq millions de consommateurs français se sont retrouvés dans le noir. Il en était de même pour plus de dix millions de consommateurs dans les différents pays de l'ouest de l'Europe.
Que s'est-il passé ? En moins de trente secondes, le réseau interconnecté européen s'est séparé en trois parties. La partie ouest, soit la France, l'ouest de l'Allemagne et le Benelux, s'est alors retrouvée avec un système qui recevait toujours de l'électricité en provenance de l'est, mais dont la production accusait brusquement un très fort déficit de 9 000 mégawatts (MW), soit 9 tranches nucléaires. Ce déficit s'est traduit par une baisse automatique très rapide de la fréquence de 50 à 49 Hertz. Cette baisse a été accélérée par les déclenchements de très nombreux petits moyens de production décentralisée, principalement des co-générations et des éoliennes, pour une puissance cumulée de plus de 10 000 MW. Le déficit a ainsi doublé, passant de 9 000 à 19 000 MW. Cet événement est le plus grave et le plus spectaculaire qui ait jamais affecté le réseau électrique européen. Pour autant, le black-out a été évité et les coupures qui ont touché les consommateurs ont duré moins d'une heure.
La question est de savoir si cette panne était un événement imprévisible, contre lequel on ne pouvait pas, en conséquence, se prémunir. Selon toutes les conclusions des analyses conduites jusqu'ici, il n'en est rien. La panne qui a touché toute l'Europe a été provoquée par une erreur humaine, apparemment anodine, effectuée par l'entreprise E.ON, l'un des quatre gestionnaires du réseau allemand, au cours de la mise hors tension d'une ligne électrique située en Allemagne du Nord.
Pour comprendre comment un incident sur une seule ligne allemande a pu engendrer de tels troubles sur le réseau européen, il faut bien saisir la particularité des flux d'électricité qui se répartissent sur le réseau, suivant des lois physiques d'autant plus compliquées à modéliser que le réseau est grand. Ce travail de prévision des flux est mené par les pilotes du système électrique, que l'on appelle les « dispatcheurs ». Ils sont les seuls à pouvoir décider de mettre en service ou d'arrêter tel ou tel ouvrage.
Le 4 novembre 2006, les dispatcheurs d'E.ON ont commis l'erreur d'agir sans concertation suffisante avec leurs collègues des gestionnaires de réseaux voisins. Leur prévision de flux s'est par conséquent révélée erronée. Ils ont mal anticipé les événements consécutifs à la coupure de cette ligne. Ils ont alors constaté un phénomène « d'écroulements en cascade », autrement dit la coupure successive d'un grand nombre de lignes à très haute tension.
Pour autant, l'incident a été bien géré. En effet, la crise a été rapidement maîtrisée par les gestionnaires de réseaux et les parades mises en oeuvre ont fonctionné. En moins de trois-quarts d'heure, la fréquence a été ramenée aux environs de la normale de 50 Hertz sur les trois réseaux séparés, ce qui a permis de les reconnecter entre eux. En effet, quand la fréquence sur une partie du réseau est inférieure à celle du reste du réseau, on ne peut les connecter sans risquer de bloquer l'ensemble. Quand la fréquence est redevenue suffisante, on a alors pu reconnecter. Dans le même temps, au fur et à mesure du rétablissement des marges de production par rapport à la consommation, les clients concernés par les coupures ont été à nouveau alimentés. Environ une heure après la crise, la situation était à peu près rétablie et la quasi-totalité des clients réalimentés.
En France, comme l'a confirmé la mission du Conseil Général des Mines que j'ai diligentée en novembre, Electricité de France (EDF) et son gestionnaire du réseau de transport d'électricité (RTE) ont été très réactifs. Afin de contribuer à rétablir l'équilibre, des systèmes de sécurité ont immédiatement interrompu une partie de la consommation d'électricité. Ainsi, plus de 6 000 MW ont été délestés à 22 heures 15, chez cinq millions de clients. Cela s'est déroulé selon des plans de délestage préétablis préservant l'alimentation électrique des sites sensibles, comme les hôpitaux ou les centres névralgiques, sans aucun incident à déplorer. Parallèlement, plus de 5 000 MW de production nouvelle ont été injectés dans le réseau en moins de 30 minutes, grâce à notre potentiel hydro-électrique rapidement mobilisable. Grâce à ces actions très rapides, la moitié des clients a pu être reconnectée dès 22 heures 30. À 22 heures 40, RTE a demandé la reconnexion du reste de la consommation délestée. A 23 heures, soit moins d'une heure après l'incident, l'ensemble des consommateurs était réalimenté.
RTE et ses équivalents européens ont bénéficié, en la circonstance, d'une situation relativement favorable. En effet, en raison de la date et de l'heure de la panne, le niveau de consommation était assez modéré. Par ailleurs, ils ont profité de la grande disponibilité des groupes hydro-électriques, capables de fournir toute leur puissance en quelques minutes. Si l'on a pu éviter le black-out complet lors de cette panne d'une ampleur exceptionnelle, on ne peut exclure l'éventualité d'une panne encore plus grave. Il convient donc d'examiner comment s'en prémunir et comment en limiter l'impact si, malgré tout, un tel événement devait à nouveau survenir.
Plusieurs enseignements peuvent être tirés de cette panne. La sûreté du système électrique a plusieurs composantes. Une crise peut s'expliquer par trois facteurs :
- d'un déséquilibre structurel entre l'offre et la demande d'électricité. C'est la situation qu'a connue la Californie il y a quelques années, avec des coupures tournantes ;
- d'un problème sur une infrastructure électrique à la suite d'un aléa climatique. On peut citer par exemple les tempêtes de 1999, qui ont endommagé plusieurs centaines de pylônes et des milliers de poteaux de distribution ;
- d'une erreur d'exploitation, comme le 4 novembre dernier.
La résolution de ces problèmes appelle des stratégies différentes. Les déséquilibres entre l'offre et la demande font l'objet d'une surveillance attentive via le bilan prévisionnel réalisé par RTE, une fois tous les deux ans. Ce bilan est ensuite repris pour élaborer, une fois par législature, la programmation pluriannuelle des investissements de production électrique (PPI). La PPI est ensuite transmise au Parlement. La dernière PPI sur la période 2006-2015, qui vous a été transmise en décembre dernier, n'a pas identifié de besoin supplémentaire pour la fourniture en base grâce à la mise en service d'un réacteur EPR à Flamanville en 2012. Près de 2 600 MW de besoins d'investissements en semi-base ont été identifiés à l'horizon 2015. Ils devraient être couverts par les projets de cycles combinés gaz annoncés par les sociétés SNET, Powéo, Gaz de France et EDF d'ici à 2011-2012. Enfin, sur les besoins de pointe qui devraient apparaître à compter de 2013, aucun investissement n'est annoncé à ce jour. Je souhaite néanmoins que des projets de stations de pompage se développent, car ils permettent d'utiliser au mieux notre potentiel hydraulique. Par ailleurs, ils sont indispensables lors d'incidents comme celui du 4 novembre dernier. Je rappelle que le rapport, confié à M. Fabrice Dambrine, sur le développement du potentiel hydro-électrique de la France souligne la possibilité d'accroître de 10 % notre production actuelle. Cet objectif est inscrit dans la PPI à l'horizon 2015, et nous avons besoin de réalisations avant 2013. Enfin, la PPI nous permet d'atteindre nos objectifs de développement des énergies renouvelables en lançant des appels d'offres pour que les investissements se réalisent. Ainsi, un appel à projets de 300 MW à partir de biomasse est en cours.
La France soutient par ailleurs la mise en place de programmes prévisionnels au niveau européen, afin que chaque pays investisse suffisamment dans les moyens de production pour mieux éviter une dépendance, partielle ou totale, envers ses voisins. Je pense notamment aux petits pays. Le Luxembourg, par exemple, dépend complètement de l'extérieur. La Hollande maintient une politique d'externalisation de sa production. L'Italie, elle, est largement en sous-production.
Pour se prémunir des effets des aléas climatiques, le gouvernement a demandé à RTE et EDF de bâtir des programmes d'investissements pour la sécurisation des réseaux. Cela représente une enveloppe annuelle de plus de 300 millions d'euros, prévue dans le contrat de service public signé fin 2005 entre l'Etat et le groupe EDF. Par ailleurs, les réseaux de grand transport et les interconnexions continuent à se développer pour renforcer la sécurité d'approvisionnement de notre territoire : une enveloppe de 4 milliards d'euros y sera consacrée via RTE d'ici à 2010.
S'agissant des erreurs d'exploitation, celles-ci doivent être traitées par des règles de sûreté de plus en plus exigeantes et un entraînement régulier des équipes de dispatcheurs. Ainsi, l'incident du 4 novembre a montré que les règles de sûreté qu'utilisent les gestionnaires de réseaux de transport d'électricité (GRT) ne sont pas suffisantes, ou qu'elles ne sont pas correctement appliquées. Pour y remédier, il est nécessaire de renforcer le contrôle de l'Union Européenne sur ces règles -diverses d'un pays à l'autre- puis d'améliorer la coordination entre les GRT. Ces propositions, que j'ai portées au niveau du forum pentalatéral associant le Bénélux, la France et l'Allemagne, ont été reprises par la Commission européenne lors de sa dernière communication dans le domaine de l'énergie, le 10 janvier 2007. Cette communication stipule que les règles de sécurité seront harmonisées au niveau européen. Il est proposé qu'elles fassent l'objet d'une approbation commune par les Etats-membres. En ce qui concerne l'amélioration de la coordination entre les GRT, la France souhaite la création d'un centre unique qui permettrait aux différents gestionnaires d'établir des prévisions communes. Je m'emploie déjà à en convaincre mes collègues au niveau pentalatéral. On constate l'utilité et l'obligation qui en découle de discuter quotidiennement, et heure par heure, entre gestionnaires de réseaux voisins.
Enfin, à la lumière de l'expérience du 4 novembre, je souhaite qu'une réflexion soit engagée sur les moyens de production décentralisée. En particulier, les co-générations et les éoliennes en développement doivent bénéficier de techniques suffisantes pour contribuer à la sauvegarde du réseau en cas de chute de fréquence. Cela n'est manifestement pas le cas aujourd'hui. Tout à l'heure, j'ai indiqué que le déficit de 9 000 MW généré par la coupure en avait provoqué un autre, de 10 000 MW. Certaines installations de production ne supportent pas la baisse de fréquence. Les éoliennes, notamment, décrochent aussitôt. En France, nous avons peu recours aux éoliennes. Mais l'Espagne, qui en utilise beaucoup plus, en a pâti. En France et en Allemagne, les éoliennes ont donc arrêté de fonctionner. C'est l'explication du phénomène de perte d'alimentation immédiate en cascade. Cela est dû aux normes de décrochage des alternateurs qui produisent l'électricité, différentes d'un pays à l'autre, différentes entre les moyens de production d'un même pays, et même différentes d'un réseau régional à un autre, comme en Allemagne. Aux bornes extrêmes d'une même ligne de transport, on pourra trouver des règles de décrochage qui ne seront pas identiques. Nous devons coordonner cela. Nous rencontrons donc un problème technique avec les éoliennes et les co-générations, ainsi qu'un problème de normes européennes entre les GRT européens.
En conclusion, je souhaiterais évoquer les fausses bonnes idées que l'on a pu entendre ici et là, après l'incident du 4 novembre. Ce n'est pas un manque d'investissement qui est à l'origine de cette panne, ni une trop forte interdépendance des pays. C'est le Portugal qui a subi la plus forte baisse en proportion : 19 % de perte contre 12 % en France. Ce n'est donc pas lié à l'importance des liaisons, mais au fait qu'il en existe. Le renforcement des interconnexions ne permettrait pas non plus d'éviter le renouvellement de ce type de panne. La Commission européenne le souhaite et le défend ardemment, mais dans le cas de l'incident du 4 novembre, il est faux de croire qu'un accroissement des capacités d'échange aurait pu nous éviter la panne. Celle-ci est due à une erreur d'exploitation et non à un déficit des infrastructures. Enfin, la dernière fausse bonne idée est la mise en place d'un régulateur européen unique, qui aurait pu prévenir la crise. En réalité, un régulateur unique n'est pas nécessaire, car ce n'est pas lui qui aurait discuté des prévisions de flux à 22 heures ce jour-là. Ce sont les dispatcheurs des deux réseaux qui auraient dû s'informer entre eux. Le régulateur européen unique est une idée intéressante, mais il ne remplacera pas les discussions techniques indispensables sur le terrain. La mission d'inspection que j'ai mandatée me remettra son rapport définitif dans les prochains jours : je vous le transmettrai, de même que les informations supplémentaires que je pourrais obtenir ultérieurement sur cette panne, pour un éclairage le plus large possible sur cette question.
M. Bruno Sido , président - Merci M. le ministre pour toutes ces explications, qui vont naturellement susciter, je suppose, un certain nombre de questions, particulièrement de la part de nos rapporteurs. Je me permettrai de vous poser la première d'entre elles. Vous y avez d'ailleurs répondu en partie. La France produit globalement plus d'électricité qu'elle n'en consomme. Pourtant, en moment « de pointe », elle a besoin d'en importer. En effet, l'incident du 4 novembre a démontré qu'en cas de crise, elle dépend de pays étrangers pour desservir ses consommateurs. On en conclue donc qu'à ce moment précis soit la consommation française était alors supérieure à la capacité de production, soit la capacité de production n'était pas complètement mobilisée voire pas complètement mobilisable. Cela, d'ailleurs, n'est pas contradictoire. Pouvez-vous nous donner des précisions sur ce point ? Plus généralement, pouvez-vous nous expliquer comment EDF prévoit son planning de production et l'entretien de ses centrales nucléaires ?
M. François Loos - Le 4 novembre 2006, au moment où le black-out s'est produit, la France exportait 6 000 MW. La capacité utilisée instantanément à ce moment-là était largement suffisante et excédentaire. De l'électricité était simultanément exportée et importée.
M. Bruno Sido , président - 9 000 MW quand même ! Il en manquait donc 3 000...
M. François Loos - Nous ne pouvons pas raisonner ainsi. Lorsque la coupure s'est produite, nous avons perdu 9 000 MW. Cependant, par ailleurs, nous étions en train d'exporter notamment vers l'Italie, l'Allemagne. Ce bilan global ne peut servir à déterminer les risques encourus lors d'une telle coupure. A un endroit précis, sur une ligne donnée, on peut constater une surcharge. A titre préventif, un surcroît de tension ou une baisse de la fréquence déclenche automatiquement un délestage, qui vise à atténuer les effets de ces phénomènes. Cela peut entraîner des réactions en chaîne. Mais la production et la consommation globales nationales ne sont pas en cause. La panne ne résulte pas d'un déficit ou d'un excédent en électricité. C'est à un endroit précis qu'est nécessaire un équilibre entre production et consommation. Par contre, réalimenter les consommateurs délestés nécessite de remettre un certain nombre de moyens de production en route. Chaque pays dispose de ses propres règles de délestage. En France, ces règles ont fonctionné. Lorsque le délestage a eu lieu, pour réenclencher, il a fallu relancer une production à la hauteur des pertes, soit 19 000 MW. Nous n'avons pu les obtenir tout de suite. Cette production a permis que les fréquences reviennent à niveau sur le réseau, nous autorisant ainsi à y raccorder les consommateurs déconnectés. Nous devons donc disposer d'une capacité résiduelle dans ces moments-là, soit de la capacité de pointe. C'est la raison pour laquelle je pense que nous devons réévaluer notre capacité de pointe actuelle. En effet, si un tel problème venait à se reproduire, on ne pourrait le résoudre qu'en relançant des centrales immédiatement mobilisables. Le bilan global de la production vis-à-vis des importations et des exportations n'est pas en cause.
M. Bruno Sido , président - Pourriez-vous nous expliquer comment la perte de 9 000 MW a induit une perte de 10 000 MW supplémentaires ? Cet effet de « château de cartes » me semble préoccupant. Sans entrer dans les détails techniques, on sait que certains générateurs ne disposent pas d'excitatrice et ont donc besoin d'être alimentés eux-mêmes en électricité pour en produire. Mais, si tout le réseau s'effondrait ?
M. François Loos - Tout en perdant 9 000 MW, le réseau français continuait néanmoins à tenter de répondre à des besoins de consommation identiques. Ne pouvant y faire face avec la production disponible, la fréquence s'est mise à baisser, créant une inertie supplémentaire qui a fait ralentir les alternateurs. Certaines centrales ne peuvent supporter une baisse de fréquence. Par exemple, les éoliennes et co-générations décrochent automatiquement à 49 hertz. Techniquement, les éoliennes supporteraient peut-être 48 hertz, mais il a été décidé qu'il valait mieux les arrêter dès 49 hertz. N'étant pas un technicien, je ne peux être plus précis. Les centrales nucléaires, elles, décrochent à 47 hertz. Alors, en même temps que nous perdions l'approvisionnement des 9 000 MW, l'effet boule-de-neige créé par les règles de décrochage nous en faisait perdre 10 000 supplémentaires. Ce phénomène a pris une ampleur bien plus importante en Espagne et au Portugal : la production espagnole repose en effet sur un plus grand parc d'éoliennes. Face à la perte de production de non plus 9 000 MW mais 19 000 MW, les règles de décrochage devaient être appliquées sans plus attendre, afin de réduire la consommation. Nous disposons de plans de délestage, élaborés dans chaque département par les préfets. Ces plans précisent les installations à ne pas délester. EDF prévoit ainsi les 20 % de délestages admis. C'est la raison pour laquelle les délestages effectués le 4 novembre n'ont pas posé de problème autre que la gêne normale en cas de coupure. Aucun arrêt de bloc opératoire ou d'usine de fabrication de chlore n'a été rapporté. Ces plans diffèrent d'un pays à l'autre. Le nôtre a bien fonctionné. Au moment du délestage, il faut veiller à délester suffisamment, afin de compenser la perte de production. Nous y sommes parvenus dès le premier cran : déconnecter 5 millions de foyers a suffi à équilibrer la balance. Nous avons dès lors pu réenclencher la production, au niveau nécessaire au rétablissement des fréquences sur l'ensemble du réseau, puis réalimenter les consommateurs délestés. Enfin, nous avons été en mesure de nous raccorder au réseau allemand.
Mme Marie-France Beaufils - Je souhaiterais vous poser une question, en partie technique, sur ce que vous venez de dire. Vous avez parlé des normes de décrochage des éoliennes qui ont entraîné de fortes pertes de production en Espagne. Ces normes sont-elles liées aux capacités techniques des turbines ? Ont-elles été mises en place par les gestionnaires de réseau, afin d'être mieux à même de maîtriser leurs rentrées financières lors des négociations pour la vente de leur production ? Pourriez-vous nous éclairer sur cet aspect peut-être très pointu, mais qui me semble important dans la réflexion de fond que nous menons sur la sécurité de notre approvisionnement ?
M. François Loos - M. le président, mon bagage technique n'est pas assez fourni. Je ne connais pas le fondement des normes de décrochage. Je pense que vous auditionnerez des personnalités plus compétentes que moi sur ces questions. Je peux simplement dire que les éoliennes sont du nouveau matériel, classé à 49 hertz pour éviter de prendre de trop grands risques. Après quelques années d'expérience, peut-être que les réglementations applicables aux éoliennes pourraient baisser. Je demande que cette réflexion, par nature européenne, soit menée. Les gestionnaires au niveau européen doivent travailler en commun afin de déterminer les niveaux de décrochage des différents matériels et les marges de manoeuvre technique pour chaque type d'alternateur. Je demande donc la création de ce groupe de travail et la réflexion corollaire. Pour le moment, la norme est celle-là, et tient sans doute à la jeunesse du matériel. Il en va de même pour les co-générations. La panne a mis ce problème à jour. En France, les éoliennes produisent 2 000 MW, les co-générations 5 000 MW. Nos pertes, suite aux décrochages, sont de cet ordre. Le choix de la norme de décrochage pour les éoliennes n'est pas politique : il correspond à la norme de sécurité pour le matériel. Les choix les plus politiques sont les priorités de délestage.
M. Jacques Valade - Malgré vos excellentes explications, M. le ministre, j'ai sans doute besoin d'actualiser mes connaissances sur le rapport entre fréquence et puissance. En effet, je ne comprends pas pourquoi tout décroche quand la fréquence baisse autant. Mais, comme vous le disiez, nous aurons certainement l'occasion d'auditionner des techniciens. La question que je vais vous poser est cohérente avec ce que vous venez d'exprimer. Que se passera-t-il lorsque la période de libéralisation arrivera à son terme, et que, tant au niveau de la distribution qu'au niveau de la production, des opérateurs indépendants contribueront à fournir des puissances supplémentaires, quelle qu'en soit la méthode ? J'insiste sur la production : je pense avant tout à la co-génération, mais également aux éoliennes. Que ferons-nous alors dans pareille situation ? Actuellement, le niveau de maîtrise est élevé, compte tenu du faible nombre d'opérateurs : EDF via RTE. Pourra-t-on maîtriser un grand nombre de petits producteurs ? Bien sûr, on pourra imaginer des règles de connexion au réseau très contraignantes, mais nous risquons tout de même de nombreux problèmes.
M. François Loos - Le choix d'une norme de décrochage tient à la sécurité du matériel. Ces normes sont variables selon le matériel et selon les pays. Ma demande politique est que l'on s'accorde sur ces questions au niveau européen, et que l'on en tire les conséquences. En effet, les éoliennes ou les centrales ne s'arrêtent pas toutes seules : elles sont arrêtées. Le système est automatique : quand on arrive à 49 hertz, on coupe. On pourrait décider de ne décrocher qu'à 48 hertz. Les décisions sont d'ordre technique, du même ordre que les règles de sécurité en vigueur dans les centrales. Pourquoi cela baisse ? Simplement parce que l'on consomme plus que ce que l'on produit. De la même manière que lorsque l'on utilise le frein moteur, les alternateurs tournent moins vite et la fréquence baisse. Des experts vous donneraient certainement sur ce point des explications plus techniques. Néanmoins, leur conclusion serait identique à la mienne.
Vous m'avez également demandé comment on fera pour assurer la gestion d'un réseau où opèrent des producteurs différents. Chaque producteur doit veiller à ce que sa production soit consommée. Pour fournir ses clients, un petit producteur -puisque c'est d'eux qu'il s'agit- doit acheter un droit de passage sur le réseau. Les directives européennes ont le très grand mérite d'avoir séparé les fonctions. Le réseau de transport a un tarif. Par exemple, Powéo vend avec un prix de transport, un prix de distribution et un prix de production. La décision de mobiliser une capacité de production doit être liée à l'existence d'un client prêt à consommer. Pendant la journée, on assiste à un foisonnement de la clientèle. RTE établit quotidiennement une courbe prévisionnelle de consommation au lendemain. Chaque producteur fabrique de l'électricité pour le montant vendu. Normalement, les deux chiffres correspondent. RTE facture alors le passage sur son réseau de transport au tarif calculé par la Commission de régulation de l'énergie (CRE). C'est la raison pour laquelle EDF n'intervient pas ici. Il revient en effet à la CRE de fixer les tarifs pratiqués sur le réseau de transport, identiques quel que soit l'opérateur. L'équilibre résulte simplement de l'existence d'un client pour chaque production.
M. Marcel Deneux , rapporteur - M. le ministre, j'ai une question sur l'effet perturbateur de l'éolien et sur sa montée en puissance. Vous y avez déjà partiellement répondu, nous le vérifierons dans votre rapport. Mon autre question porte sur les effets à prévoir pour les Français de la Corse et des DOM-TOM. Existe-t-il une programmation de production à destination de ces territoires ? Je connais la Guyane pour des raisons familiales, j'ai pu y constater les efforts d'équipement depuis dix ans. J'imagine que les choses sont différentes dans les Antilles et à la Réunion. Pouvez-vous nous éclairer un peu sur les DOM-TOM ? C'est un point incontournable de notre prochain rapport.
M. François Loos - Dans la plupart des systèmes électriques insulaires, l'électricité est produite par des moyens techniques classiques : charbon ou moteur diesel. En général, les installations ne respectent pas les limites d'émissions de polluants. Les gestionnaires d'installations sont sous le coup d'objectifs de dépollution d'ici à 2010. Par ailleurs, dans ces zones, la consommation augmente à un rythme plus soutenu que dans l'Hexagone, notamment du fait du recours généralisé à la climatisation. Tout cela a été mesuré dans la PPI, qui couvre la métropole, la Corse, les DOM, Mayotte et Saint-Pierre-et-Miquelon. La PPI nous donne la mesure des besoins de production supplémentaires d'ici à 2015.
Dans les DOM, il est prévu un programme d'investissements de 600 millions d'euros pour renouveler l'ensemble du parc diesel. C'est une opération très lourde, puisque cela représente 450 MW. Cela devrait permettre de répondre à la hausse de la consommation. 400 millions d'euros supplémentaires seront consacrés à la réfection des réseaux. Cela fait un total d'un milliard d'euros.
En Corse, la priorité est au remplacement des installations de Luciana et du Vazzio. Je me suis d'ailleurs rendu en Corse il y a quelques mois, en compagnie du président d'EDF, pour y annoncer ces programmes. EDF doit prochainement annoncer la mise en place d'une turbine à combustion. L'augmentation des capacités d'interconnexions avec la Sardaigne est également nécessaire pour couvrir les besoins à court terme. On vient de raccorder 50 MW et il faudra bientôt passer à 100 MW, si mes souvenirs sont exacts. La construction d'un barrage sur le Rizzanese est également prévue, pour un apport de 60 MW supplémentaires à la Corse. La PPI tient dont compte des besoins outre-mer, et les investissements nécessaires sont d'ores et déjà programmés.
M. Marcel Deneux , rapporteur - Juste un mot, M. le ministre, car c'est l'occasion d'en parler : il existe un producteur français d'éolien spécialisé dans les zones tropicales. Il ne vend rien sur le territoire hexagonal, mais il est mondialement reconnu pour les zones tropicales. Il emploie 140 personnes en France. Avez-vous une sollicitude particulière pour cette entreprise ? Sa spécialité est l'éolienne qui se couche en cas de cyclone.
M. François Loos - Je crois en effet qu'il exporte la totalité de sa production. Je suis ravi de ce grand succès commercial, et je lui en souhaite encore plus. Je me tiens à sa disposition. Mais, à ma connaissance, il n'a pas encore de projet en France, malgré son succès à l'international. Vous connaissez le système des éoliennes. Qu'elles se couchent ou non, obligation est faite à EDF de racheter l'électricité ainsi produite dès lors que le projet dispose de toutes les autorisations normales. Actuellement, de nombreux projets éoliens voient le jour. En un an, nous sommes passés de 700 à 2 000 MW d'éolien, et le taux de croissance est assez élevé. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle on voit Areva s'y intéresser. L'éolien se développe, même s'il ne représente qu'une petite partie de la production d'électricité. Néanmoins, cette part grandit d'année en année.
M. Xavier Pintat - M. le ministre, j'aimerais que vous précisiez de nouveau votre position sur la nécessité ou non d'un régulateur au niveau européen. Je ne voudrais pas vous contredire, d'autant plus que je vous sais très à l'écoute des autorités concédantes. Néanmoins, au vu de la volonté affichée de l'Union européenne de laisser les électrons circuler librement sur le réseau européen interconnecté, il me semble que les risques de black-out sont de plus en plus liés à la propagation de contraintes, voire de défauts électriques d'un pays à l'autre. La sécurité d'approvisionnement est finalement intimement liée à l'architecture et à la gestion des interconnexions, qui relèvent elles-mêmes de politiques transfrontalières. Dans ces conditions, on peut se demander si la mise en place d'un régulateur européen, doté de véritables pouvoirs, n'est pas désormais inéluctable. Puis-je connaître votre position sur ce point ?
Par ailleurs, la garantie de livraison d'électricité sans coupure ni chute de tension est un enjeu de qualité. La loi d'Orientation de 2005 a prévu un système de pénalités réversibles et vertueuses. Nous nous sommes ici intéressés à la distribution. Or, la panne du 4 novembre nous laisse à penser que la qualité de l'électricité présente sur les réseaux de distribution dépend partiellement de la qualité de l'électricité présente sur les réseaux de transport. Par conséquent, peut-être devrions-nous imaginer quelque recours pour ouvrir aux autorités de distribution la possibilité de faire cesser des défauts imputables au transport. En clair, les pénalités réversibles et vertueuses mises en place à l'intention de la distribution en 2005 pourraient être étendues aux transporteurs.
S'agissant du régulateur européen, c'est le président de RTE, André Merlin, qui en a parlé, le soir de la panne.
M. François Loos - Le président Merlin et Romano Prodi en ont parlé. L'idée selon laquelle tous les problèmes seront réglés dès la mise en place d'un régulateur européen est assez simple. Seulement, chaque régulateur a une fonction différente. Même en France, les attributions de notre régulateur ont déjà changé plusieurs fois. Des discussions ont eu lieu à ce sujet lors de l'élaboration de la dernière loi sur l'énergie. Je pense que le régulateur doit pouvoir examiner le problème des conditions d'interconnexions. Sur un plan strictement opérationnel, je souhaite en priorité que les régulateurs européens aient des compétences et des expériences comparables. Ce n'est pas le cas aujourd'hui. Je crois qu'avant de penser à créer un régulateur européen, nous devrions harmoniser nos régulateurs nationaux. Cela peut se faire à l'occasion du prochain texte : après le Livre Vert, nous émettrons une communication qui pourra comporter nos propositions de directives, parmi lesquelles l'harmonisation des règles en matière d'électricité. Entendons-nous bien : notre régulateur donne une indépendance réelle aux réseaux de transport. C'est le régulateur qui fixe les prix du transport, qui vérifie que les transporteurs réalisent des investissements suffisants, qui approuve ou désapprouve lesdits investissements. Ce système permet de maintenir une indépendance des transporteurs vis-à-vis des producteurs. Ceux-ci, même ceux qui ne sont pas EDF et GDF, en sont satisfaits. En comparaison, si je ne m'abuse, le régulateur portugais est une personne physique, soit un conseiller technique de mon homologue. Les situations sont très diverses. Quels seraient donc les rôles et attributions de l'instance européenne unique vis-à-vis des régulateurs nationaux ? Qu'en sera-t-il pour les pays dont les régulateurs n'opèrent pas sur le même champ que le nôtre ?
M. Pierre Laffitte - Je poserai deux questions, assez différentes. La première est une constatation : globalement, on ressent le système européen relativement fragile, ceci en raison du manque de cohésion des politiques nationales, et notamment entre celles des grands pays. Je suis d'ailleurs étonné que l'Italie ne soit pas plus mise en cause dans cette affaire, ainsi que l'Allemagne, où beaucoup déclarent vouloir acheter plus d'électricité à la France compte tenu du blocage de leur électricité nucléaire. Ceci ne me paraît pas très cohérent avec une stratégie de sécurisation des approvisionnements et des développements, notamment à la lumière des dangers que représentent les dérèglements climatiques.
Parmi ces dangers, on citera la raréfaction de l'eau des rivières et des fleuves, qui peut entraîner de graves conséquences sur le fonctionnement de nos centrales nucléaires, qui manqueront alors de moyens de refroidissement. Dans la loi sur l'eau, notre président s'en souvient certainement, nous avons décrit la notion de changement climatique, non sans difficultés. Il nous manque une stratégie de sécurité dans l'hydro-énergie, qui est actuellement le moyen de stockage et de restitution d'énergie le plus commode. Une stratégie gouvernementale semble se dessiner en matière de retenues collinaires. Ces dernières permettront de réguler les débits en hiver et en été, afin de parer aux événements climatiques, dont on sait qu'ils seront de plus en plus nombreux, telles les canicules et les sécheresses. On sait aussi que les eaux seront plus chaudes, en même temps qu'elles se raréfieront. C'est une grave menace pour les approvisionnements en électricité, à laquelle nous devons nous préparer. Ce point paraît très général, mais paraît d'autant plus crucial à mon département des Alpes-Maritimes que nous nous situons en bout de ligne. Le projet d'une deuxième ligne a été bloqué par le Conseil d'Etat. Par conséquent, sans mesures drastiques pour diminuer la consommation -comme éviter le « tout-climatisation », notamment dans le service public- ou développer des MW, nous courons des dangers supplémentaires. Un black-out, même s'il ne touche qu'une seule région, signifie tout de même une perte de plusieurs milliards pour le Produit Intérieur Brut (PIB). Nous nous retrouvons donc à la fois avec des problèmes liés aux réseaux de transport, à la nécessité de développer des moyens de stockage, y compris par air comprimé. La société Electricité de Marseille, implantée à Sophia-Antipolis, conduit des expérimentations à ce sujet dans la région de Tournefort. Ces expériences visent à remplacer l'électricité de pointe par de l'air comprimé. Je pense que cette opération pilote est à suivre. Nous devons par ailleurs assurer la cohésion entre la stratégie nationale et les politiques européennes, sans laquelle nous ne saurons que faire d'un régulateur européen.
M. François Loos - Je compléterai d'abord ma réponse à M. Xavier PINTAT sur le point de l'extension des sanctions aux transporteurs d'électricité : le cahier des charges type de concession du RTE, approuvé par décret, prévoit déjà des dédommagements des clients du RTE si les objectifs de qualité de fournitures ne sont pas atteints. Sur l'hydraulique en général -et cela répond à la question sur le stockage- j'ai dit au cours de mon intervention initiale qu'il serait judicieux d'examiner un recours aux stations de pompage. Peut-être, ou plutôt probablement, devrions-nous investir dans de telles stations, nous permettant ainsi non seulement de stocker, mais aussi d'augmenter notre capacité en période de pointe. Cette solution est encore meilleure dans la perspective de changements climatiques et de raréfaction de l'eau. Des travaux restent à mener avec les différents concessionnaires, en liaison avec les administrations et les collectivités locales. Certains lieux d'implantations possibles ont déjà été identifiés. Chaque endroit est un cas particulier. On doit évaluer les coûts. La PPI nous enjoint d'en construire avant 2013. Le travail est en cours. Pour la région Provence-Alpes-Côte d'Azur, le blocage du projet de la ligne très haute tension de Boutre-Carros, projet pourtant soutenu par le gouvernement, est en effet un problème. On peut espérer que les mesures de restrictions de la consommation permettront de pallier les risques à court terme. Cependant ces risques demeureront tant que l'on n'aura pas trouvé une autre option de liaison. J'ai demandé au préfet et à RTE des propositions à moyen et à long termes. Elles sont actuellement à l'étude.
M. Michel Billout , rapporteur - Mes questions portent sur la libéralisation du secteur énergétique, jusqu'à présent marqué par une forte maîtrise étatique, en France comme dans le reste de l'Europe. Les crises que nous avons connues en France, après les tempêtes de 1999 ou encore au cours de la panne du 4 novembre dernier, nous ont laissé voir un opérateur public réagir particulièrement bien. Le 4 novembre notamment, la coordination entre EDF et RTE a été bien meilleure que celle entre les opérateurs allemands, confrontés aux mêmes difficultés. Or, l'entrée d'actionnaires privés au capital d'EDF, qui réclament une rémunération de plus en plus importante, n'est-elle pas susceptible de modifier les comportements de cette entreprise, et donc d'affecter ainsi les approvisionnements électriques de la France ? J'ai parlé des situations de crise, qui nécessitent le maintien d'un fort potentiel d'agents compétents et formés ainsi qu'un haut niveau d'investissements. En effet, vous l'avez abordé au cours de votre intervention, la question des investissements est une question importante pour l'avenir de notre pays.
D'un point de vue plus général et dans une dimension européenne, ne pensez-vous pas qu'il peut y avoir des contradictions importantes entre les choix économiques libéraux fondés sur la libre concurrence et la sécurité d'approvisionnement électrique ? J'aurais pu prendre plusieurs exemples pour illustrer mon propos. Cependant, je m'en tiendrai à citer le rapport préliminaire du 20 décembre 2006 du groupe des régulateurs européens, à propos du parc éolien : « La production provenant de sources d'énergie renouvelable est particulièrement problématique [en cas de déclenchement-recouplage au réseau]. Les mécanismes mis en place au niveau national ont généralement pour but d'augmenter la production à partir de sources renouvelables sans créer trop de barrières à l'entrée de ces unités sur le marché. La prise en compte de la sécurité d'exploitation du système dans son ensemble a été très souvent considérée comme l'une de ces barrières à l'entrée sur le marché ». Cela est prudemment écrit, mais révèle tout de même une forte contradiction entre la logique du marché et celle de la sécurité de l'exploitation et donc des approvisionnements.
M. François Loos - Cette question trouverait des réponses différentes d'un pays à l'autre. En France, notre système ne changera pas selon qu'EDF restera publique ou non. Nous avons décidé qu'EDF devait rester à grande majorité publique, mais ce n'est pas cet aspect qui détermine les décisions à prendre dans ce domaine. La décision de mettre en route une centrale dans le but d'assurer la sécurité de l'approvisionnement est du ressort de RTE, parce que ses prévisions lui indiquent le besoin de mise en production par une centrale supplémentaire. RTE en formule alors la demande auprès de l'opérateur, EDF ou un autre, dépendamment de la zone à alimenter. Le fait que les entreprises soient privées ou publiques n'intervient pas dans ce choix. En outre, les conditions tarifaires sont fixées par la CRE. Je me tourne vers mes collaborateurs afin qu'ils me le confirment. En cas de crise, lorsque le problème de sécurité se pose, la procédure à suivre est la même. Il n'existe aucune différence en fonction du pourcentage d'actionnaires privés de l'un ou l'autre producteur. Tout ceci est sous contrôle du régulateur, qui fixe les tarifs sans négociation préalable, car quand il est question de sécurité, on agit sans discuter. Dans un pays où le régulateur ne fixerait pas les prix et où il serait obligatoire de négocier au moment où les besoins supplémentaires se font sentir, on expérimenterait effectivement des problèmes de sécurité d'approvisionnements. Ceux-ci seraient fonction des relations entre le régulateur, le réseau de transport, l'opérateur, ses actionnaires. Je suis persuadé que notre système français, avec un régulateur fort, nous évite ce genre de problèmes. Mais je comprends votre question, car cela peut arriver dans d'autres pays, auxquels nous sommes d'ailleurs connectés. La propriété d'EDF n'est pas en cause.
M. Dominique Mortemousque - Le libellé de notre mission commune d'information comporte les termes « sécurité de l'approvisionnement et les moyens de la préserver ». Notre champ s'est élargi au fur et à mesure de notre entretien. J'en profiterai alors pour approfondir certaines questions. Tout à l'heure, M. Jacques Valade a évoqué les rapports entre clients et producteurs d'électricité. Votre réponse a été suffisamment claire. M. Marcel Deneux a parlé des départements et territoires hors de l'hexagone. Pour ma part, je vais revenir à l'hexagone et m'intéresser aux zones rurales. Quand des entreprises du niveau de RTE ne sont pas en mesure de fournir de l'électricité en continu dans certaines zones, la situation peut y devenir très désagréable. J'ai déjà évoqué ce sujet dans l'hémicycle et j'ai rendez-vous avec vos services très prochainement. Quand un réseau de distribution, supposé desservir toute la population, n'offre pas le niveau de service auquel on est en droit de s'attendre, on rencontre alors de très lourdes difficultés. Une automobile est faite pour rouler sur des routes et des autoroutes ; le constructeur d'automobiles n'est pas responsable de ces infrastructures, mais si elles ne sont pas en état, il se plaint. Je rencontre un cas particulièrement préoccupant sur mon territoire, où l'activité d'une entreprise de 1 000 salariés est aujourd'hui menacée du fait de coupures récurrentes. J'espère donc des remèdes salvateurs aux dysfonctionnements d'approvisionnement que je rencontre sur mon territoire de Dordogne.
M. François Loos - Je m'aperçois que je n'ai pas complètement répondu à la question de M. Michel Billout. Je reviendrai ensuite à celle de M. Dominique Mortemousque. Je vous rappellerai le volet de mon intervention sur les investissements nécessaires. Selon les scenarii de consommation sur lesquels nous nous fondons, notre production suffira à répondre à la demande jusqu'en 2012-2015, non pas parce que cette dernière stagnera, mais parce que l'activité de l'usine Eurodif ira en décroissant. En effet, l'objectif est de réduire la production de deux tranches nucléaires. L'augmentation parallèle de la consommation permettra d'atteindre un équilibre entre offre et demande. Toujours selon les mêmes scenarii, la prochaine centrale EPR de Flamanville devrait suffire à assurer une sécurité sur la base. En semi-base, je vous ai cité les projets de Powéo, SNET, GDF et EDF qui nous fourniront à terme les 2 600 MW qui nous manqueront. Cela signifie quand même que des entreprises privées, de même que des entreprises publiques, souhaitent investir dans la production d'électricité en France. Nous constatons de plus que ces projets répondent à nos besoins à cet horizon. Des efforts restent à fournir en pointe, principalement en hydraulique. On pourrait se contenter d'en importer de l'étranger, mais je préférerais que l'on se penche sur le recours aux stations de pompage, afin que nous puissions disposer de capacités de stockage.
Je réponds maintenant à M. Dominique Mortemousque. Le réseau français est uni. Il est par ailleurs conçu selon un système de péréquation, et l'accès à la distribution est soumis à des conditions strictes. Un grand réseau national est un facteur d'optimisation du transport d'électricité. Il n'est pas facile d'ajouter des mailles à ce réseau : construire de nouvelles lignes demande à chaque fois des années quand les gens sont d'accord. En cas de désaccord, le délai en est rallongé. On a donc intérêt à avoir un réseau bien dimensionné. Il nous faut dès lors savoir si ce réseau est en état de répondre à toutes les sollicitations instantanées. Sinon, quels sont les investissements à réaliser ? C'est une discussion à caractère technique, à mener avec RTE. Il sera intéressant de comparer les situations au plan européen. Il nous semble que notre réseau donne satisfaction. Je me suis intéressé à la comparaison entre la France et l'Allemagne en la matière. Malgré la panne, le réseau allemand s'est révélé plus « redondant » que le réseau français. On ne peut reprocher un manque à ce niveau au réseau allemand. Beaucoup de lignes sont disponibles, mais cela n'empêche pas les problèmes locaux, comme en l'occurrence, et les réactions en chaîne consécutives. C'est donc une question technique, dont la réponse est à mettre en perspective européenne. Concernant le problème de fréquence que vous aviez soulevé dans un amendement : cet amendement est passé et le décret d'application est en cours de rédaction. C'est d'ailleurs l'objet de notre prochaine réunion. Nous cherchons actuellement le moyen « d'ilôter » les co-générateurs, afin de déployer la solution que vous proposez.
M. Dominique Mortemousque - Nous cherchons donc à pallier la déficience de RTE.
M. François Loos - Nous sommes prêts à agir.
M. Jean-Marc Pastor , rapporteur - Plus une société est sophistiquée, plus on la rend fragile. Ma question ne ressemblera pas à celle d'un technicien, car je n'en suis pas un, mais à celle d'un représentant du peuple qui s'interroge. Je ne m'interroge pas spécialement sur la panne du 4 novembre, bien que cet événement suscite beaucoup de questions : après tout, nous devons bien admettre que les opérations de réparation se sont relativement bien déroulées, malgré les difficultés et aussi par comparaison avec des cas similaires dans le monde. Au vu de ce cas-là, au vu de ce qui se passe ailleurs, le citoyen est en droit de se demander si, demain, on ne risque pas la vraie catastrophe. Notre société est donc très fragilisée et il est de notre devoir de gouvernants -au sens large du terme- d'envisager les améliorations à apporter pour éviter, d'une part, une psychose parmi la population et, d'autre part, qu'une nouvelle panne ne tourne à la tragédie. Dans cette affaire sont concernés plusieurs Etats, menant chacun leur propre politique, comme vous l'avez dit, M. le ministre. Les producteurs sont multiples et utilisent des techniques variées, plus ou moins souples. N'oublions pas les effets de la libéralisation du marché européen, qui rend une grande part de ces acteurs libres d'agir à leur guise. Je dis « une grande part » parce qu'il existe quand même des limites à cela. Au milieu de cet imbroglio, quel est le rôle de l'Etat français ? Quel est le rôle du gouvernement, pour essayer d'éviter une catastrophe ? M. le ministre, avez-vous en main la totalité des ficelles pour maîtriser ce genre de situation dès demain ? J'ai bien entendu une de vos réponses : nous avons la capacité de stocker de l'eau, pour pouvoir éventuellement intervenir. Quelle est la politique actuelle de l'Etat vis-à-vis de cette approche ? Des orientations sont-elles définies ? Des moyens sont-ils déjà en oeuvre ? Existe-t-il des programmes à réaliser ? Si non, y en aura-t-il ? On a parlé tantôt du réseau RTE, mais parlera-t-on de la distribution, aux mains d'autres opérateurs que RTE ? Et des collectivités locales, syndicats ou autres, qui peuvent se retrouver concernés ? Je veux ainsi dire que ce problème est complexe, car voit intervenir des acteurs publics et privés. Comment, dans cet ensemble, comptez-vous assurer la régulation de ce marché libéralisé ? Que sommes-nous en mesure de faire actuellement, en regard des solutions que nous souhaitons apporter ultérieurement ?
Etant du sud de la France et proche de l'Espagne, ma deuxième question se rapporte à l'état d'avancement du projet de ligne à haute tension entre la France et l'Espagne qui vise à désenclaver la péninsule. On en parle depuis longtemps déjà. Je profite que vous soyez à mes côtés, M. le ministre, pour vous poser la question.
M. Bruno Sido , président - Je précise que ce sera la dernière question, car M. le ministre doit nous quitter dans une dizaine de minutes au plus tard.
M. François Loos - M. Jean-Marc Pastor me permet de faire le point politique sur ces questions. Il est vrai que la commission m'a jusqu'ici interrogé sur des aspects techniques. Derrière ces réponses techniques apparaissent des choix politiques clairs, que nous nous devons d'exprimer de façon compréhensible. Premièrement, nous avons déjà connu des pannes totales, des black-out, en Corse, notamment, en Italie aussi et en Californie. L'action de l'Etat porte sur la sécurité d'approvisionnement qui, en temps normal, signifie la garantie de l'approvisionnement à un bon prix. En temps de crise, cela signifie la continuité du service. Notre choix politique est de nous donner les outils pour rester en mesure d'assurer l'approvisionnement. Le premier de ces outils est le niveau d'investissement. Nous avons demandé à EDF d'investir 40 milliards d'euros sur cinq ans. Nous avons inscrit dans la PPI le niveau d'investissements nécessaires, et je vous ai exprimé ma satisfaction de constater que plusieurs opérateurs privés sont prêts à les réaliser. Dans les domaines où les opérateurs feraient défaut, la loi me confère le pouvoir de lancer des appels à projets. C'est ainsi que l'on a fait démarrer l'éolien. Un appel à projets sur la biomasse est en cours. Il existe donc un instrument pour aider à la réalisation des investissements, accessible aux entreprises publiques ou privées, françaises ou étrangères, qui fonctionne et qui apporte des réponses.
Le deuxième rôle de l'Etat est la régulation. Elle s'effectue soit par décision du Gouvernement, soit par décision du régulateur. Le régulateur est un organisme indépendant des producteurs qui conduit les analyses les plus objectives possibles, constituant ainsi un garant de neutralité pour l'Etat, contre un éventuel penchant à privilégier une option plutôt qu'une autre. L'Etat fixe aussi les normes : je vous ai parlé plus tôt des normes professionnelles qui diffèrent d'un pays à l'autre, voire d'une région à l'autre -comme en Allemagne- et des conséquences sur la gestion des crises. Je réitère mon appel politique à la réalisation commune de normes afin d'arriver à la plus grande efficacité possible. Quand les normes sont acquises par consensus au sein d'une profession, on intervient peu. Par contre, quand la profession peine à arriver au consensus, il est indispensable d'intervenir. Vous vous souvenez que la norme de la TNT a fait l'objet de nombreux débats, il y a quelques années. Aujourd'hui, la norme sur la télévision haut débit, celle sur la radio numérique, sont des domaines où nous prenons part. L'Etat essaie de faire en sorte que, grâce à la norme, les industriels puissent décider de leurs investissements. Car, sans norme, ces derniers n'investissent pas.
Ensuite, l'Etat arrête les règles de délestage : nos méthodes en vigueur diffèrent de celles suivies par nos voisins. Une harmonisation n'est pas obligatoire, mais selon la façon dont on déleste, on risque plus ou moins le black-out. On fait également le choix, positif ou négatif, de qui l'on déleste ou non. Tous ces choix ressortent de la politique locale et sont effectués par les préfets. Vous voyez donc que nous disposons des moyens d'action nécessaires. Les mettre en oeuvre demande que nous fassions des choix politiques, et même des choix de politique technique, nationaux ou européens, ce dont nous discutons en permanence avec nos homologues.
Enfin, en ce qui concerne la ligne très haute tension entre la France et l'Espagne, vous savez que ce projet résulte d'un accord intergouvernemental mais qu'il n'y a pas eu d'accord sur le tracé. On sent bien l'importante résistance au plan local à certaines options. C'est la raison pour laquelle, avec nos amis espagnols, nous avons décidé d'utiliser une procédure européenne qui permet de poser la question à une sorte de commissaire enquêteur européen, qui sera bientôt désigné par la Commission européenne, pour émettre des propositions dans ce domaine. Mon homologue espagnol et moi-même avons écrit à l'institution afin qu'elle désigne un coordonnateur européen. Cette liaison est importante pour l'Espagne. La demande de nos collègues espagnols pour que cette ligne voie le jour est forte.
M. Bruno Sido , président - Merci M. le ministre pour vos réponses claires, précises et concises. Merci chers collègues pour toutes vos questions qui, dès le premier jour, commencent déjà à enrichir les pièces qui permettront aux rapporteurs de rédiger leur rapport, que nous remettrons théoriquement au mois de juin prochain. Merci pour votre présence.