M. Hugues Fulchiron, doyen de l'université de Lyon 3, directeur du Centre du droit de la famille
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois.-
La parole est à M. Hugues Fulchiron, doyen de l'université de Lyon 3, directeur du Centre du droit de la famille.
M. Hugues Fulchiron, doyen de l'université de Lyon 3, directeur du Centre du droit de la famille.-
Le terme de « résidence alternée » est ambigu ; mieux vaudrait parler de « résidence partagée », pour éviter tous les phantasmes sur l'alternance. La question est déjà ancienne et hérissée de polémiques. Au terme d'une évolution jurisprudentielle et législative qu'il est inutile de retracer ici, la loi du 4 mars 2002 l'a non seulement consacrée mais, en un sens, l'a proposée comme modèle - non comme principe - aux parents et aux juges. Par là même, la loi entendait affirmer un principe essentiel, le principe de coparentalité.
A vrai dire, le principe de coparentalité n'est pas sans ambivalence. Il traduit un droit essentiel de l'enfant, celui d'être élevé par ses deux parents. C'est un droit et, en un sens, un idéal. Mais il traduit aussi - et dans certains discours, l'ambiguïté est réelle - l'idée d'égalité entre homme et femme, entre père et mère, en tant que parents. Il apparaît alors comme une sorte de droit des parents ; à tel point que l'on a parfois utilisé le terme de « parité » à l'appui du principe de coparentalité, ce qui montre l'ambiguïté du concept.
Cette ambivalence est finalement au coeur de tous les débats qui tournent autour de l'alternance et du partage de l'hébergement. Il serait vain de le nier, dangereux de l'oublier. Au contraire, il faut l'avoir à l'esprit lorsqu'on réfléchit aux problèmes que suscite le partage de l'hébergement.
Avant aborder ces problèmes, il faut faire un constat. En pratique, le partage de l'hébergement ne suscite pas un contentieux important. Sans doute ce contentieux est-il extrêmement délicat, parfois très vif, chargé d'émotion, comme tous les contentieux liés à la séparation ; mais, de façon générale, il est relativement réduit, qu'il s'agisse de la mise en place de ce mode de résidence ou de son fonctionnement.
Il est vrai que les juges semblent en faire un usage assez mesuré. Une enquête réalisée en 2003 par le ministère de la justice avait révélé que l'alternance était retenue dans 8 % à 8,5 % des cas seulement et que dans 95 % de ces cas, elle était mise en place à la demande des deux parents. Et lorsqu'on interroge les juges aux affaires familiales, il semble que ce mode de résidence suppose, pour être mis en place, la réunion d'un certain nombre de conditions. Ainsi, les magistrats sont attentifs à ce que certaines conditions matérielles soient réunies : résidences et école relativement proches, conditions d'hébergement satisfaisantes chez l'un et l'autre parent. Ils sont aussi attentifs à l'existence d'un dialogue minimum entre les parents, une sorte de projet parental commun minimum.
Mais si ce mode de résidence n'est pas en soi pathogène, deux questions reviennent en jurisprudence et dans l'ensemble des débats qu'il suscite : le juge peut-il imposer le partage de l'hébergement à défaut d'accord entre les parents ? Ce partage peut-il être retenu pour des enfants en bas âge ?
S'agissant de la première question, la réponse, sur un plan uniquement juridique, est très claire : oui, le juge peut imposer le partage de l'hébergement, notamment à titre expérimental. L'article 373-2-9 du code civil dispose qu'« à la demande de l'un des parents ou en cas de désaccord entre eux sur le mode de résidence de l'enfant, le juge peut ordonner, à titre provisoire, une résidence en alternance dont il détermine la durée. Au terme de celle-ci, le juge statue définitivement sur la résidence de l'enfant au domicile de chacun des parents ou au domicile de l'un d'eux ».
Le juge peut donc imposer un partage de l'hébergement et, sur le plan des principes, la règle me paraît tout à fait opportune. Il faut éviter que le refus d'un des parents - et notamment du parent qui a le plus de chance d'obtenir la résidence habituelle, en général la mère - ne bloque le système. Dès lors que l'on admet la possibilité d'un partage, il me semble logique de dire que le juge peut l'imposer, malgré l'opposition d'un des parents, au moins à titre transitoire, au moins à titre expérimental. Reste au juge à adopter une démarche mesurée, une démarche pragmatique. Il paraît évident qu'en l'absence totale de dialogue entre les parents, ce genre de système ne peut fonctionner. La solution du partage de l'hébergement ne doit donc pas apparaître comme une solution à la Ponce Pilate, moins encore comme une solution à la Salomon - du moins un jugement de Salomon pris au premier degré. Lorsqu'on discute avec les magistrats ou avec les avocats, il apparaît que, dans certains cas, le recours au partage de l'hébergement peut débloquer certaines situations. Au juge d'apprécier. En pratique, sauf cas particuliers - il existe toujours des arrêts erratiques -, il ne semble pas que les juges fassent un usage immodéré de ce pouvoir.
A l'inverse, on peut dire qu'il est aussi important de maintenir le principe selon lequel la demande des parents ne lie pas le juge. Ce n'est pas parce que les parents, dans leur convention soumise à homologation, souhaitent le partage que le juge doit se plier à leur volonté : la loi donne au juge le pouvoir de contrôler le respect de l'intérêt de l'enfant, qui doit rester le critère unique en la matière.
La seconde question, très débattue, et que l'on voit apparaître en jurisprudence, est celle de l'âge de l'enfant. Le juge peut-il ordonner ou accepter le partage de l'hébergement pour un enfant en bas âge, notamment pour un enfant de moins de deux ou trois ans ?
Là encore, la question est délicate. Je ne reviendrai pas sur le débat en opportunité ; d'ailleurs, il n'y a pas unanimité entre les spécialistes de l'enfance. A nouveau, il me semble qu'il faut se garder de tout dogmatisme et laisser au juge le soin d'apprécier au cas par cas l'opportunité de la résidence partagée.
De fait, une interdiction de principe pour un enfant en bas âge présenterait plusieurs inconvénients.
En premier lieu, elle introduirait une rigidité inopportune dans le système. Le seul critère en la matière est l'intérêt de l'enfant, que l'on ne peut apprécier qu'au cas par cas. Au demeurant, si l'on pose une interdiction, quel seuil fixer ? Tout dépend de l'enfant et du cas particulier, des circonstances dans lesquelles l'enfant vit, du contexte dans lequel il est élevé.
En deuxième lieu, cette interdiction irait à l'encontre du principe de coparentalité. On reviendrait à une idée simpliste consistant à dire que l'enfant en bas âge doit a priori être élevé par sa mère.
Enfin, une telle réforme renforcerait le sentiment d'instabilité législative et donnerait l'impression que le législateur intervient au coup par coup, au gré des opinions évolutives, de l'opinion publique et des spécialistes de l'enfance. La loi actuelle n'est pas si ancienne : elle date de 2002. Nous n'avons pas encore assez de recul, me semble-t-il, pour pouvoir proposer de nouvelles règles et remettre en cause les principes adoptés.
Il semblerait plus sage de laisser au juge le soin d'apprécier la situation et de déterminer au mieux les modalités et les rythmes du partage, quitte à recourir à des mesures d'accompagnement comme la médiation.
Si on élargit le propos, il se pourrait que la meilleure solution ne soit pas dans la loi, dans le code civil, mais dans des modes d'accompagnement parallèles, ce que l'on appelle aujourd'hui la « soft law ».
Certains ont ainsi émis l'idée d'un guide de bonnes pratiques qui pourrait être élaboré en collaboration par le ministère de la justice, les magistrats et les associations. Cette idée est intéressante car elle permet de concilier différents impératifs : celui d'affirmer le rôle de la loi comme modèle - la loi fixe des principes, elle définit des modèles de conduite - et celui de permettre d'adapter la décision aux particularités de la situation, dans le respect de l'intérêt de l'enfant et de l'intérêt du groupe familial dans son ensemble.
Elle éviterait également le sentiment d'arbitraire que certains parents peuvent ressentir parce que tel juge, dans tel tribunal, a une position particulière sur le partage de l'hébergement alors que dans le tribunal voisin, les solutions sont différentes. Un tel guide permettrait de canaliser les pratiques judiciaires, de faire le lien entre l'abstrait de la règle du code civil et le concret des situations soumises au juge.
Dans un monde où les individus ont besoin de se sentir associés à leur destin, où cette association permet d'ailleurs de les responsabiliser, il est important que le juge n'apparaisse ni comme le souverain maître des destinées individuelles - selon une image traditionnelle de moins en moins bien acceptée en matière familiale -, ni comme une simple instance d'enregistrement des volontés individuelles. Peut-être serait-il temps de réfléchir à de nouveaux modes de régulation familiale, avec une loi qui fixe des principes, qui pose des modèles et des instruments d'accompagnement de moindre teneur juridique, qui seraient autant de guides, de références, de cadres pour les parents ; guides, références, cadre qui permettraient aux individus - et, au premier chef, aux parents - d'assurer pleinement la liberté et la responsabilité qui leur sont aujourd'hui reconnues par la loi.
M. André Lardeux.-
Vous avez fait allusion aux décisions parfois erratiques de certains juges. Est-ce fréquent ? Ont-elles tendance à augmenter ou à diminuer ? Ces décisions erratiques sont-elles dues à des positions idéologiques de principe, dans un sens ou un autre, des juges concernés ?
M. Hugues Fulchiron.-
Il n'y a pas vraiment d'étude systématique qui permettrait d'avoir une idée précise de la pratique judiciaire, avec la masse, les courants majoritaires et les décisions extraordinaires.
Je me suis référé à la fois à l'enquête faite par le ministère de la justice sur environ 7 000 décisions et à la jurisprudence publiée, avec cette ambiguïté que, parfois, on ne publie que ce qui sort de l'ordinaire. Il serait donc extrêmement dangereux de faire des statistiques au vu de la jurisprudence. Pour autant, sur l'ensemble des décisions étudiées sur cinq ans, les décisions erratiques restent minoritaires. Certaines décisions sont prises par des magistrats qui ont des positions de principe très claires, mais elles ne sont pas forcément confirmées en appel. La majorité des magistrats font preuve d'une grande modération et se réfèrent à des critères de bon sens - résidence, accord minimum, etc.
Mme Gisèle Printz.-
Existe-t-il des comparaisons avec les pratiques des autres pays d'Europe sur cette question de la résidence alternée, qui pourraient nous servir de modèles si elles sont bonnes ?
M. Hugues Fulchiron.-
Sur les pratiques, je n'en ai pas connaissance.
Sur les règles de droit, plusieurs pays favorisent le partage de la résidence. Ils peuvent même le poser comme principe. Il me semble que le système français est un système raisonnable qui fait confiance au juge, avec toutes les interrogations que l'on peut avoir sur la pratique judiciaire, mais qui a l'avantage de la souplesse et que l'on pourrait éventuellement compléter par des sortes de guides. Les magistrats sont aussi démunis que nous tous face à une situation difficile à évaluer. Quel est l'impact du partage de l'hébergement sur de très jeunes enfants ? Nous ne disposons pas d'études complètes, ni de recul suffisant. Pourquoi ne pas essayer d'harmoniser les pratiques par ce type d'instrument qui permettraient d'éviter des positions de principe trop personnalisées ?
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales.-
J'apprécie beaucoup l'idée de ce guide de bonnes pratiques. Cela se fait aussi en médecine, lorsque les situations sont complexes. C'est bien que ce soit aussi le cas dans ce domaine excessivement délicat de l'intérêt de l'enfant.
M. Hugues Fulchiron.-
L'idée a été mise en oeuvre pour la question, si délicate également, des enlèvements d'enfants, notamment internationaux.
Ainsi la conférence de droit international privé de La Haye travaille à l'élaboration, à travers ses publications, d'un guide des bonnes pratiques permettant d'harmoniser l'interprétation et l'application par la juridiction des Etats signataires, de la Convention du 25 octobre 1980 sur les déplacements illicites des enfants à travers les frontières. Un guide de bonnes pratiques a également été annexé au règlement communautaire du 27 novembre 2003 sur la rupture du lien matrimonial et la responsabilité parentale, afin d'harmoniser l'interprétation du texte et d'orienter les magistrats vers quelques bonnes pratiques.
M. Robert Badinter.-
Les guides de bonnes pratiques existent dans divers domaines, notamment aux Etats-Unis, pour d'évidentes raisons d'harmonisation. J'y crois beaucoup. Peut-être pourrions-nous confier cette tâche à l'Office parlementaire d'évaluation de la législation ?
Je suis tout à fait partisan de ces modalités souples d'approche des conflits, surtout dans ce domaine. Il serait donc important que l'on retienne et développe cette idée dans le cadre de nos travaux.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois.-
Je vous remercie.