ANNEXE
ÉTUDE RÉALISÉE PAR LA DIRECTION
DES ÉTUDES ET SYNTHÈSES ÉCONOMIQUES DE L'INSEE
Institut national de la statistique et des études économiques
Niveaux de vie et productivité :
la
France et les principaux pays développés
Octobre 2006
NIVEAUX DE VIE ET PRODUCTIVITÉ : LA FRANCE ET LES PRINCIPAUX PAYS DÉVELOPPÉS
Le positionnement de la France dans la hiérarchie internationale des niveaux de vie et de la productivité est devenu un sujet d'interrogation récurrent, surtout depuis que la France s'est installée dans un régime de croissance affaiblie, à la fois distancée par les pays développés les plus performants, notamment les Etats-Unis, et concurrencée de manière croissante par un certain nombre de pays émergents, la Chine étant celui qui attire le plus d'intérêt, en raison de la vigueur exceptionnelle de sa croissance et son poids démographique.
Cette note récapitule les principaux éléments de constat sur ce positionnement relatif de la France, tant en termes de productivité que de niveau de vie, en niveau et en croissance. On s'intéressera principalement à la comparaison avec 6 pays (l'Allemagne, l'Irlande, l'Italie, l'Espagne, le Royaume-Uni et les Etats-Unis), ainsi qu'avec l'ensemble constitué de l'Union Européenne à 15, avec quelques éléments additionnels relatifs à la Chine. On évoquera les problèmes de mesure qui peuvent affecter ces comparaisons internationales. Ces problèmes de mesure ne faussent pas les comparaisons d'ensemble, mais ils invitent à relativiser les écarts qui sont de trop faible ampleur.
On examinera ensuite la façon dont les différentiels de croissance sont comptablement déterminés par les différentiels de productivité horaire, de durée du travail, de taux d'emploi et de ratio démographique entre population d'âge actif et population totale. Le facteur démographique intervient de manière complexe et, dans le cas de la France, il contribue assez peu à expliquer le positionnement de la France par rapport aux Etats-Unis. La baisse de la durée travaillée joue un rôle tendanciel plus net, partagé par une bonne partie des pays Européens. Il en va de même pour les taux d'emploi. Le différentiel de productivité horaire joue plutôt à l'avantage de la France en termes de niveau, mais cet avantage a commencé à s'éroder en fin de période. On conclut en évoquant succinctement les quelques facteurs qui pourraient avoir contribué à ce décrochement.
I. COMPARAISONS DE PIB/TÊTE EN NIVEAU ET EN VARIATION
On ne reviendra pas en détail sur les limites du concept de produit intérieur brut pour la mesure ou la comparaison du bien-être entre pays et entre périodes : absence de prise en compte de la destruction de capital physique ou naturel, faible couverture des activités informelles, etc. Quelques uns de ces points sont développés succinctement dans l'encadré 1.
En revanche, même si l'on assume ces limites du concept, il reste un problème incontournable qui est celui du passage du PIB nominal (agrégat des valeurs ajoutées des entreprises en monnaie locale courante) au PIB réel. Il existe deux grandes façons de procéder :
Encadré 1
Problèmes méthodologiques de la mesure
des PIB nominaux et des SPA :
Comparabilité des PIB nominaux La littérature est assez abondante sur les sources d'imprécision du calcul du PIB, mais plus discrète sur leur chiffrage. Chaque « changement de base » est d'ailleurs l'occasion de constater que les montants précédemment admis ont été corrigés, parfois de manière importante. La rédaction des SCN (manuel de comptabilité nationale des Nations Unies) et des SEC (manuel de comptabilité nationale de l'Union Européenne) successifs est néanmoins de plus en plus précise, et le travail d'harmonisation d'Eurostat dans le cadre du contrôle de la quatrième ressource (comité RNB) oblige à une description plus complète des méthodes nationales, parfois assorties de « réserves » posées par Eurostat et devant donner lieu à des explications ou des évaluations pour correction du PIB au titre de la quatrième ressource. L'année 2005 a vu le changement de base de la plupart des pays européens. Certains aspects ont été harmonisés, notamment les Services d'Intermédiation Financière Indirectement Mesurés (SIFIM), le croît naturel forestier, l'évaluation des services informatiques autoproduits et le traitement des dépenses de logiciels. Une source de sous estimation du PIB/divergence entre la France et les Etats-Unis était le fait que ces dépenses y étaient traitées en consommations intermédiaires plutôt qu'en investissement (Lequiller, 2000). Il reste de nombreuses autres sources d'imprécision dans les comparaisons internationales, notamment : - la prise en compte des activités souterraines ou illégales ; - l'évaluation des services de logement, notamment des propriétaires-occupants ; - l'évaluation de la production des ménages ou des institutions sans but lucratif au service des ménages ; - le prochain sujet d'harmonisation concernera les actifs que constituent les originaux de biens et services culturels. Difficultés de mesure des Parités de Pouvoir d'Achat La comparaison spatiale de niveaux de prix est très difficile. Pour la consommation des ménages, elle nécessite de comparer les prix d'un panier de biens et services comparables et représentatifs entre pays d'environ 3000 produits. Or comparabilité et représentativité sont souvent des objectifs antagonistes. Comme ce sont les équipes nationales qui procèdent aux relevés de prix, on ne peut être assuré qu'elles ont effectué les mêmes choix subjectifs dans les 25 pays européens, car la définition n'est jamais assez précise, ou elle l'est trop. On peut estimer l'imprécision de l'exercice sur le consommation des ménages en comparant le résultat d'une enquête à celui de l'enquête précédente extrapolé par trois années d'indices de prix à la consommation. La comparaison des autres agrégats du PIB ou de la consommation finale des ménages en services de logement est encore plus problématique. Elle donne lieu, notamment en ce moment, à des task forces pour réviser les méthodes et les chiffrages, si possible sur le passé. Erreurs passées : révision en 2003 des séries de 1995 à 2002 La version de décembre 2001 des statistiques de PIB par habitant de l'année 1999 en termes de PPA, des différents pays européens publiée par Eurostat, avait fait grand bruit. En effet, selon ces données, la France s'inscrivait depuis 1997 à la douzième place du palmarès européen, alors qu'elle figurait au troisième rang ex-aequo en 1992. En réalité, même si les chiffres de la comptabilité nationale corroboraient bien pour la France sur la période 1992-1997 une moindre croissance du PIB par habitant par rapport à la moyenne européenne (+0,5% de population et -2% de PIB en écart relatif à la moyenne européenne sur la période, ce qui, d'après les chiffres européens aujourd'hui disponibles, se traduit par un recul la France de 6 ème place européenne en 1992 à la 9 ème en 1997 en terme de PIB nominal par habitant), le recul relatif de la France mesuré à l'aune les PIB par habitant en PPA était artificiellement accentué, car il était entaché d'une erreur dans le calcul des prix de certains produits (notamment de la construction). A la demande de la France, Eurostat a entrepris une révision des PPA sur les années passées (1995-2001), car cet exercice de comparaison spatiale faisait apparaître un manque de cohérence intertemporel pour chaque pays, lié au fait que les consignes internationales pour évaluer précisément certains prix restaient floues. Les prix des loyers, des services non marchands, de la FBCF en construction et en biens d'équipement ainsi que les taux de TVA ont ainsi été revus sur toute la période et tous les pays. Cette révision globale a été publiée en décembre 2003, en même temps que les résultats provisoires 2002. La cohérence intertemporelle pour chaque pays est maintenant établie, même si la cohérence spatiale demeure perfectible. Révisions à venir en 2006 Cet exercice de révision, à l'origine exceptionnel, est entré dans les moeurs. Ainsi, à l'occasion du changement de base des comptes nationaux de la plupart des pays européens en 2005, une nouvelle révision des parités de pouvoir d'achat est programmée à échéance fin 2006 (jusqu'en 1995 seulement). On attend en particulier des progrès méthodologiques sur les loyers (les prix britanniques apparaissent trop bas - ce qui toutes choses égales par ailleurs remonte indûment le niveau du PIB du Royaume Uni en PPA - ; le groupe de travail qui a eu lieu en 2005 a conclu sur une nouvelle méthode bien meilleure car articulée entre valeurs et prix, mais chaque pays doit maintenant procéder aux calculs) et sur les services non marchands (le manuel d'Eurostat laissait trop de place à l'arbitraire ; les prix français sont probablement trop bas, les prix allemands trop hauts ; un groupe de travail se réunira sur ce sujet en 2006 et 2007). |
• Si la question est uniquement de comparer le PIB pour un même pays à deux dates, la démarche consiste à diviser ce PIB par un déflateur mesurant l'évolution des prix de ce pays. On peut pour cela bénéficier d'indices assez fins et temporellement homogènes neutralisant les effets de qualité des produits, c'est-à-dire mesurant l'évolution moyenne au cours du temps d'un panier de produits inchangés et identifiés avec précision.
• Si la question est plutôt de comparer les PIB ou les PIB/tête entre deux pays le recours aux indices de prix nationaux est insuffisant : ces indices permettent seulement de contrôler les évolutions de prix, pas leurs niveaux. Ils disent si le prix du panier de consommation moyen évolue plus ou moins vite en France ou en Allemagne, mais ils ne disent rien de la comparaison des prix de ce même panier dans les deux pays. Pour ce faire, on a recours à la méthode des standards ou des parités de pouvoir d'achat (PPA) qui consiste à réaliser dans l'espace ce que les indices de prix usuels font dans le temps, i.e. comparer les montants nominaux requis pour acheter le même panier de biens dans les deux pays.
Dans l'idéal, cette méthodologie des PPA devrait être apte à couvrir à la fois la question des comparaisons dans le temps et dans l'espace. Mais tel n'est pas le cas. Il y a en particulier le fait que les comparaisons dans l'espace s'appuient sur des paniers dont la comparabilité temporelle est beaucoup moins garantie que ce n'est le cas pour les indices de prix nationaux. A titre d'exemple, on rappelle que des comparaisons de PIB par la méthode des PPA publiées par Eurostat en 2002, qui avaient fait apparaître un fort recul du rang relatif de la France, s'appuyaient sur des mesures des PPA qui intégraient des hausses peu vraisemblables des prix de la construction sur la période 1996-1997 (+40%), et qui correspondaient en fait à une rupture de série (Magnien, Tavernier et Thesmar, 2002).
Dans la pratique on est donc amené à combiner les deux approches. On utilise les indices de prix nationaux pour redresser chaque série nationale en fonction du temps, et les PPA d'une année de référence servent à positionner les différentes courbes nationales les unes par rapport aux autres.
Pour illustrer à la fois cet impact de la correction par les PPA et la marge d'erreur qui entoure cette correction, la figure 1 donne la comparaison des niveaux de PIB par habitant selon diverses sources et/ou méthodes de redressement, pour l'année 2004 qui est la dernière année commune à l'ensemble de ces sources. Les données sont fournies en niveaux relatifs par rapport à la moyenne de l'UE15. On fournit trois données issues des bases de l'OCDE (niveaux de vie ajustés compte tenu des taux de changes courants, des PPA courantes, des PPA de 2000), une donnée issue de la base du Groningen Growth and Development Centre (mise à jour de Timmer, Ypma et Van Ark, 2003, avec des données ajustées sur la base des PPA de 2002) et les données Eurostat (basées sur des PPA courantes).
Figure 1 : Comparaison de six mesures des PIB/habitant pour l'année 2004 (UE15=100).
Chaque ligne de cette figure permet de suivre comment varie le positionnement relatif d'un pays par rapport à la moyenne de l'UE15 en fonction de la mesure retenue. La comparaison des deux premiers points de chaque courbe permet de voir l'ampleur de la correction qui résulte du passage des taux de change aux PPA. Les résultats principaux sont le relèvement de la situation relative des Etats-Unis (notamment en correction du faible niveau actuel du dollar), et un rapprochement partiel vers la moyenne de l'UE15 pour l'Irlande et le Japon (pays dont les prix intérieurs sont donc plutôt élevés) ainsi que pour l'Espagne (pays dont les prix intérieurs sont plutôt bas).
Modifier la source ou le système de PPA se traduit par des modifications qui sont évidemment de beaucoup plus faible ampleur que le basculement taux de change/PPA, mais les variations peuvent rester assez significatives. Si elles ne remettent pas en cause le placement relatif des cas extrêmes, les écarts de niveau de vie inférieurs à 5% en valeur absolue apparaissent effectivement trop fragiles pour permettre un interclassement fiable des pays. De fait, c'est bien la pratique des instituts de statistique de se refuser d'afficher tout classement sur la base d'écarts inférieurs à ce seuil. Dans le cas des pays de l'ancienne Union Européenne à 15, Eurostat n'utilise les PPA que pour différencier trois groupes : deux pays à haut niveau de vie (Luxembourg et Irlande), trois pays à bas niveau de vie (Espagne, Chypre et Grèce), et l'ensemble des 10 autres pays en situation médiane dont les PIB/tête s'étagent dans une bande de largeur relative à peu près égale à 10%.
Pour ne pas multiplier les résultats, et à l'instar d'Artus et Cette (2004) on se basera ici sur les données de la base du Groningen Growth and Development Centre , exprimées en Dollars de l'année 1995 et ajustées sur des PPA de 2002. Elles ont l'avantage d'avoir la couverture la plus large, temporelle et spatiale. On a vu sur la figure 1 que cette base avantage quelque peu la France par rapport à la moyenne de l'UE15 mais, encore une fois, il ne faut pas considérer un tel écart comme significatif. Dans la suite, on s'appesantira surtout sur les écarts les plus importants.
Les figures 2a et 2b utilisent cette base pour donner des évolutions de PIB/tête pour l'ensemble des pays sous revue. Le premier graphique montre le positionnement de la France par rapport à l'UE15 et aux trois pays hors UE. Malgré sa croissance récente, le revenu par habitant chinois reste très inférieur à celui des pays et développés, de l'ordre du cinquième du PIB par habitant de la France. A l'autre extrême, les Etats-Unis sont constamment au dessus, avec un écart par rapport à la France de l'ordre de 15% jusqu'à la première moitié des années 1990 et de l'ordre de 25% depuis, en légère croissance sur l'ensemble de la période.
Le positionnement relatif de la France par rapport au Japon et au reste de l'UE est ambigu. Vis-à-vis du Japon, les courbes se croisent à deux reprises : le Japon rattrape la France à compter de 1989, puis se fait à son tour rattraper dix ans plus tard. Sa croissance redevenue plus rapide sur les deux dernières années donne à penser qu'un troisième croisement pourrait être possible. Mais, à nouveau, nous sommes sur des ordres de grandeur des écarts qu'il ne faut pas considérer significatifs. Il en va de même vis-à-vis de l'ensemble de l'UE15. Avec cette source de données, la France reste au dessus de la moyenne de l'UE sur l'ensemble de la période, mais avec un écart qui se réduit progressivement. Comme on l'a vu sur la figure 1, d'autres sources indiqueraient que ce rattrapage par la moyenne de l'UE est déjà achevé.
La figure 2b permet de mieux voir ce que recouvre ce positionnement par rapport à la moyenne de l'UE. Il y a un clair phénomène de rattrapage par l'Espagne. Dans le cas de l'Irlande, le rattrapage se termine en dépassement : le niveau de vie irlandais est environ 20% supérieur au niveau de vie français en 2005, alors qu'il n'en représentait qu'à peine plus de la moitié en 1970. Mais, ce rattrapage spectaculaire doit beaucoup au poids de l'investissement direct étranger dans ce pays : raisonner en termes de revenu national brut (RNB) plutôt que de PIB réduirait d'à peu près 25 point la croissance irlandaise globale depuis le début des années 1970. Sa situation de fin de période s'en trouverait sensiblement rapprochée de la moyenne européenne.
Figure 2.a. Niveaux de PIB par tête en dollars 2005 (Source GGDC)
Figure 2.a. Niveaux de PIB par tête en dollars 2005 (Source GGDC)
Outre l'Irlande, un phénomène de dépassement de la France intervient également pour le Royaume-Uni mais d'ampleur beaucoup plus limitée.
Vis-à-vis de l'Allemagne, la période est marquée par l'effet de la réunification. La série présentée enchaîne données de l'Allemagne Fédérale jusqu'en 1990 et données de l'Allemagne réunifiée depuis. La réunification fait chuter le niveau de vie allemand moyen légèrement en dessous de la moyenne française, et ce décrochement s'accentue en fin de période. Aucune tendance nette ne se dégage enfin vis-à-vis de l'Italie.