3. Travailler plus ?
A partir notamment de l'analyse comptable des évolutions de niveau de vie en Europe comparativement aux États-Unis, l'idée s'est imposée qu'une mobilisation plus forte du facteur travail - grâce à une augmentation à la fois de la durée du travail et du taux d'emploi - permettrait à la fois d'augmenter le pouvoir d'achat des salariés et le PIB par habitant.
Cet enchaînement, évidemment souhaitable, suppose néanmoins deux conditions :
- à court terme , une augmentation de la durée du travail se traduit instantanément par une accélération de la productivité par tête et donc une croissance moins riche en emplois. Une évolution de cette nature est donc difficilement compatible avec la situation de sous-emploi qui caractérise aujourd'hui quelques grands pays de la zone euro (Allemagne, Italie, France...) ;
- néanmoins, à moyen terme , si le taux de chômage diminue suffisamment, comme le laissent envisager les projections analysées dans un rapport d'information récemment présenté par votre Délégation 49 ( * ) , une augmentation de la durée du travail permet d'augmenter la productivité par tête, la croissance potentielle et le PIB par habitant .
Il faut d'ailleurs souligner que c'est dans une situation proche du plein-emploi, en fonction de l'arbitrage que les salariés opèreront entre plus de travail et de revenu ou plus de loisirs (et moins de productivité par tête) que pourra véritablement s'apprécier la « préférence pour le loisir ».
De même, une augmentation du taux d'emploi, et donc de la croissance potentielle et du PIB/habitant, n'est possible que si l'économie européenne évolue au voisinage de sa trajectoire de moyen-long terme ou de son potentiel. Or, actuellement, le déficit de production de l'Union européenne - par rapport à son potentiel - est évalué à 1,5 % de PIB 50 ( * ) .
Autrement dit, les politiques consistant à intensifier le recours au facteur travail ont un impact à moyen terme sur la croissance potentielle et le PIB par habitant. Mais à court terme, si les politiques macroéconomiques de régulation conjoncturelle ne permettent pas un retour de l'économie européenne à son potentiel, ces politiques de mobilisation du facteur travail ont un coût transitoire en termes de chômage.
Par ailleurs, la productivité horaire diminue avec le nombre d'heures travaillées en raison d'effets de fatigue, et avec le taux d'emploi - les entreprises ayant mobilisé en priorité les travailleurs les plus productifs -. Cela signifie que travailler plus longtemps ou (re)mettre des gens au travail entraîne, au moins de manière transitoire, une baisse de niveau de production horaire moyen.
Avoir plus d'emplois ou plus d'heures travaillées contribue certes à une augmentation du PIB par habitant mais ne suffit pas : il faut que l'Europe tire pleinement parti de technologies plus productives et d'une organisation du travail qui permette leur mise en oeuvre.
Ce propos est résumé par un éminent spécialiste des questions de productivité, Bart van Ark, Professeur à l'Université de Groningue : « A plus longue échéance, toutefois, les différentiels de productivité entre pays ne s'expliquent pas, au premier titre, par une carence d'effort de travail, mais par une sous-performance du capital et de la technologie ».
Ce qui pourrait trivialement se résumer en disant que l'Europe - et la France - a besoin non pas seulement de plus de travail, mais de plus de travail productif .
Votre rapporteur abordera dans le quatrième chapitre les voies par lesquelles cette condition pourrait être remplie.
* 49 Voir Rapport d'information du Sénat n° 89, 2006-2007, page 111 et suivantes.
* 50 Selon l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE).