b) Substitution capital/travail et productivité
Une autre interprétation de la bonne performance apparente de l'Europe en matière de productivité du travail résiderait dans le fait que le coût du travail relativement élevé pour les travailleurs non qualifiés 39 ( * ) aurait contribué à y substituer plus rapidement qu'aux États-Unis des machines à la main-d'oeuvre.
Du coup, la productivité par tête en Europe aurait augmenté mécaniquement (moins de travailleurs pour une même production) mais celle du capital aurait diminué (plus de machines pour une même production) : la productivité globale des facteurs , qui traduit la véritable efficacité du processus de production 40 ( * ) , n'en aurait pas pour autant augmenté en Europe.
Le professeur d'économie au Massachusets Institute of Technology, Olivier BLANCHARD, estime ainsi que la productivité globale des facteurs est, en France, 10 % inférieure à celle des États-Unis 41 ( * ) .
Pourtant, cet économiste parvient au diagnostic selon lequel « les deux ajustements (en fonction du taux d'emploi et la productivité globale des facteurs) conduisent à une évaluation moindre de la productivité européenne relativement à celle des États-Unis. Mais l'Europe en général, et la France en particulier, restent dans des échelles de niveaux de productivité proches de celui des États-Unis » .
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Ce propos vient pour le moins nuancer celui des économistes français cités ci-dessus... Quelle conclusion en tirer ?
Peut-être, selon votre rapporteur, que la thèse d'un retard technologique structurel important de l'Europe et de la France est excessive ; mais qu'après l'interruption du processus de rattrapage technologique des États-Unis au cours des années 80, les années 90 ont fragilisé la position européenne , du fait d'un déficit d'innovation dont les raisons seront analysées dans le troisième chapitre de ce rapport.
Et, aussi, qu'il est secondaire de trancher définitivement sur la position de l'Europe par rapport à la frontière technologique mais qu'il est essentiel, pour les politiques publiques, de considérer qu'une position ou un avantage technologiques ne sont jamais acquis et que les politiques publiques qui permettent de maintenir ou d'améliorer cette position doivent sans cesse être mobilisées ; ce que les pays européens ont certainement négligé depuis le début des années 90, comme votre rapporteur s'efforcera de le montrer dans le quatrième chapitre.
* 39 Compte tenu de salaires minimums élevés en pourcentage du salaire moyen et d'un coin fiscalo-social important.
* 40 Il faut rappeler, en effet, que la productivité du travail peut se décomposer comptablement en « intensité capitalistique » (qui traduit l'augmentation de la productivité du travail due à l'augmentation du capital) et « productivité globale des facteurs » (qui traduit l'efficacité de la combinaison productive et mesure le « progrès technique »).
* 41 « The economic future of Europe », National Bureau for Economic Research, Working paper 10310 (2004).