INTRODUCTION :
MIEUX APPRÉHENDER LES EFFETS DE LA
MONDIALISATION DE L'ÉCONOMIE
Le déplacement d'une délégation du bureau de votre commission des finances en Corée et au Japon se situe dans le cadre des travaux menés par cette dernière, depuis déjà longtemps, sur la mondialisation de l'économie.
Ainsi, du 16 au 23 avril 2006, la délégation est allée faire des « travaux pratiques », pour étudier deux « success stories » du développement économique : le Japon et la Corée. Comme chacun sait, le Japon et la Corée, dont le développement économique a véritablement commencé respectivement dans les années 1960 et dans les années 1970, ont aujourd'hui un niveau de vie identique à celui respectivement de l'Europe occidentale et d'un pays comme le Portugal.
Il s'agissait en outre de voir comment ces deux Etats étaient parvenus à surmonter de graves crises économiques, voire « sociétales », qui avaient pu conduire à s'interroger sur la solidité de leur développement économique.
I. DES ÉCONOMIES DÉJÀ « VIEILLES » ?
Les économies du Japon et de la Corée connaissent aujourd'hui des difficultés comparables à celles des pays occidentaux.
L'économie japonaise a stagné dans les années 1990, en raison notamment d'une incapacité des pouvoirs publics à réformer le système bancaire, une telle réforme n'ayant été mise en oeuvre qu'à compter de 1998. En Corée, le manque de transparence des chaebols , c'est-à-dire des grands groupes économiques, a été une cause essentielle de la grave crise économique traversée par le pays en 1998.
Le Japon est le pays dont la dette publique brute 3 ( * ) , de l'ordre de 160 % du PIB, est la plus élevée de l'OCDE. Comme dans certains pays occidentaux, le gouvernement affirme pouvoir réduire le déficit public par la seule maîtrise de la dépense, ce que certains observateurs jugent irréaliste, en particulier du fait du vieillissement de la population, qui pousse les dépenses à la hausse.
Par ailleurs, si le quasi-plein emploi que l'on peut observer dans ces pays, avec un taux de chômage de 4,4 % au Japon et 3,7 % en Corée en 2005, provient en partie d'une logique de « partage du travail » - avec, dans le cas du Japon, une forte flexibilité à la baisse des horaires et des rémunérations -, il s'explique également par le fait que Japonais et Coréens sont souvent contraints d'accepter des emplois qui trouveraient difficilement preneur en France.
La croissance structurelle des deux économies tend à ralentir. La croissance structurelle de l'économie japonaise semble désormais de l'ordre de 1,5-2 %. Si la croissance structurelle de l'économie coréenne est encore de 5 % environ, celle-ci devrait se trouver, d'ici une quinzaine d'années, dans une situation analogue à celle de l'économie japonaise aujourd'hui, avec une population vieillissante - la Corée avait un taux de fécondité de 1,17 enfant par femme en 2002, ce qui était le taux le plus bas de l'OCDE, avec celui de la République tchèque - et une croissance relativement modeste. Par ailleurs, une éventuelle réunification des deux Corée, dont les niveaux de vie présentent un écart de l'ordre de 1 à 10 - la Corée du Nord étant l'un des Etats les plus pauvres du monde -, pourrait avoir de graves conséquences sur l'économie de la Corée du Sud.
II. DES PAYS QUI COMMENCENT À CONNAÎTRE CERTAINES CONSÉQUENCES NÉGATIVES DE LA MONDIALISATION
Le président de votre commission des finances s'attache, en particulier depuis un rapport d'information publié en 1993 4 ( * ) , à faire oeuvre de pédagogie au sujet de la mondialisation, et à combattre la tendance contemporaine à « diaboliser » cette dernière. Il n'en demeure pas moins que la mondialisation, si elle est, incontestablement, une bonne chose, peut avoir des conséquences dommageables sur l'emploi dans les pays développés. Tout d'abord, le progrès technique, qu'elle favorise, nuit à l'emploi des personnes les moins qualifiées. Ensuite, la délocalisation de certaines activités - évaluées, dans le cas de la France, à 200.000 emplois dans les seuls services au cours des 5 prochaines années 5 ( * ) - est également un facteur de chômage.
Ainsi, comme la délégation a pu le constater, le Japon et la Corée commencent à connaître certaines des conséquences négatives de la mondialisation.
L'emploi précaire se développe dans les deux pays. Au Japon, la quasi-totalité des créations nettes d'emplois depuis 1990 ont consisté en des emplois dits « irréguliers ». Il est symptomatique que le débat français sur le contrat première embauche (CPE) ait été contemporain d'un débat analogue en Corée, relatif à deux projets de loi, considérés par une partie de l'opinion publique comme la manifestation d'une volonté de développer l'emploi précaire.
Si le Japon est parvenu à se spécialiser dans les produits à fort contenu technologique, tel est moins le cas de la Corée, ce qui la soumet à une concurrence croissante de la part de la Chine. C'est peut-être en raison de la meilleure spécialisation du Japon que les responsables japonais que la délégation a pu rencontrer ne perçoivent pas le développement économique de la Chine comme une menace pour l'emploi dans leur pays.
Pourtant, contrairement à ce qui est souvent affirmé, la théorie économique reconnaît que le développement de la Chine pourrait être défavorable à l'emploi dans les pays développés. Ainsi, M. Paul Samuelson, prix Nobel d'économie, considère que le développement de la Chine pourrait remettre en cause certains aspects de la théorie « classique » du commerce international. Cette dernière suppose que les pays se spécialisent dans les produits pour lesquels leur avantage par rapport aux autres pays (leur « avantage comparé ») est le plus grand, ce qui permet aux autres pays de continuer à fabriquer d'autres produits, et à l'ensemble des pays de tirer profit du commerce international. Concrètement, cela signifie que les pays émergents tendent à se spécialiser dans les industries de main-d'oeuvre, et les pays développés dans les productions à fort contenu technologique. Mais selon M. Paul Samuelson, il ne serait pas impossible que la Chine connaisse, dans les produits technologiques, une augmentation de la productivité telle qu'elle n'aurait plus de raison de se spécialiser dans un type d'industrie plutôt que dans un autre, et qu'elle se mette donc à produire dans tous les domaines. Du coup, les pays développés actuels n'auraient plus intérêt à commercer avec elle, et verraient leur revenu significativement réduit.
Certes, nous n'en sommes pas là, mais il convient de ne pas faire preuve d'angélisme, et de rester vigilant. En définitive, le présent rapport d'information, issu de « choses vues sur le terrain », a pour seule ambition d'aider notre pays à bien s'insérer dans une « globalisation mieux assumée ».
Les déplacements de délégations du bureau de votre commission des finances destinées à mieux appréhender la mondialisation Au cours des années récentes, des délégations du bureau de votre commission des finances se sont rendues, pour mieux appréhender la mondialisation : - du 25 septembre au 3 octobre 1996, en Chine ; - du 31 août au 8 septembre 1998, à Hong Kong et au Japon ; - du 24 mars au 30 mars 2002, au Brésil ; - du 12 au 18 avril 2003, en Argentine ; - du 18 au 26 avril 2004, à nouveau en Chine ; - du 17 au 24 avril 2005, en Inde ; - du 16 au 23 avril 2006, en Corée et au Japon, ce déplacement faisant l'objet du présent rapport d'information. Par ailleurs, une délégation du groupe de travail sur la régulation financière et monétaire internationale, dont votre rapporteur général était le rapporteur, a effectué six déplacements à l'étranger, de mai à novembre 1999, dont un déplacement aux Etats-Unis (Washington et New York), un déplacement à Francfort, et un déplacement à Tokyo, ce dernier du 3 au 6 octobre 1999. Ces déplacements ont donné lieu à plusieurs communications devant votre commission des finances 6 ( * ) , ainsi qu'à plusieurs rapports d'information. On peut citer, en particulier : - le rapport d'information du groupe de travail sur La régulation financière et monétaire internationale , du 22 mars 2000, fait par notre collègue Philippe Marini, rapporteur général 7 ( * ) ; - le rapport d'information du président de votre commission des finances sur La globalisation de l'économie et les délocalisations d'activité et d'emplois , du 22 juin 2005 8 ( * ) ; - le présent rapport d'information. |
I. PRÉSENTATION GÉNÉRALE : LES CRISES FINANCIÈRES JAPONAISE ET CORÉENNE SEMBLENT SURMONTÉES
A. UN SUCCÈS ÉCONOMIQUE ET HUMAIN
1. Un succès économique
Le Japon et la Corée ont connu au cours des dernières décennies un important développement économique, qui a véritablement commencé dans les années 1960 dans le cas du Japon et dans les années 1970 dans celui de la Corée. Le Japon et la Corée sont membres de l'OCDE depuis respectivement 1964 et 1996.
En parité de pouvoir d'achat, le niveau de vie de la Corée (environ 70 % de la moyenne de l'OCDE) est équivalent à celui de la Grèce et du Portugal, alors que celui du Japon (légèrement supérieur à la moyenne de l'OCDE) est analogue à celui de l'Union européenne à 15, comme l'indique le graphique ci-après.
Le PIB par habitant du Japon et de la Corée en 2002
(en parité de pouvoir d'achat) (1)
(OCDE = 100)
* Pays membre de l'UE mais pas de l'OCDE
(1) L'approche en parité de pouvoir d'achat permet de mesurer le niveau de vie réel, quel que soit le niveau du taux de change.
Source : OCDE
Son niveau de vie étant nettement inférieur à la moyenne des pays de l'OCDE, la Corée a connu un taux de croissance du PIB structurellement supérieur de 4 points à celui du Japon. Il s'agit d'un phénomène normal, dit de « rattrapage », qui vient du fait qu'un pays qui se développe tend à imiter les modes d'utilisation du travail et du capital des pays déjà développés. Ainsi, le Japon et la Corée ont connu un taux de croissance de l'ordre de respectivement 4 % et 8 % dans les années 1980, et 1,5 % et 5,5 % dans les années 1990.
* 3 La dette publique nette du Japon est de « seulement » 80 % du PIB.
* 4 Jean Arthuis, « L'incidence économique et fiscale des délocalisations hors du territoire national des activités industrielles et de service », rapport d'information n° 337 (1992-1993).
* 5 Jean Arthuis, « La globalisation de l'économie et les délocalisations d'activité et d'emplois », rapport d'information n° 416 (2004-2005).
* 6 Cf. en particulier les bulletins du 7 mai 2003 (mission en Argentine) et du 23 juin 2004 (mission en Chine).
* 7 Rapport d'information n° 284 (1999-2000).
* 8 Rapport d'information n° 416 (2004-2005).