3. Une place structurellement plus faible de l'épargne retraite que dans les pays anglo-saxons
Comme le montre l'analyse comparative du ministère de l'économie, des finances et de l'industrie reproduite dans l'encadré ci-après, le moindre développement de l'épargne retraite en France aujourd'hui par rapport aux autres pays industrialisés s'explique par des facteurs structurels :
- ainsi, la dépense publique consacrée aux retraites s'élève à 12,1 % du produit intérieur brut en France, contre 4,4 % aux Etats-Unis, 5 % au Royaume-Uni et 5,2 % aux Pays-Bas ;
- les actifs financiers placés dans d'autres supports (assurance vie, mais également placements liquides dont le niveau est relativement élevé en France) rendent mieux compte de l'effort global individuel pour préparer la retraite ;
- la part des Français propriétaires de leur logement (56 %) est inférieure à celle observée dans d'autres pays européens, comme le Royaume-Uni (70 %) et les Etats-Unis (68 %) : ces données apparaissent toutefois biaisées puisqu'il n'est pas tenu compte de l'endettement des ménages.
Au demeurant, les lacunes des fonds de pension britanniques montrent que le développement de l'épargne retraite n'est pleinement justifié que s'il s'opère dans un cadre protecteur des intérêts des épargnants : or, au Royaume-Uni, 11 % des fonds de pension à prestations définies présentaient, en 2003, un taux de couverture des engagements financiers inférieur à 90 %, et ces fonds apparaissaient très morcelés puisque 81 % d'entre eux rassemblaient moins de 11 membres à la même date.
Votre rapporteur général exprime sa conviction que, ayant développé plus tardivement l'épargne retraite, la France a su définir des outils juridiques (cantonnement, représentation des intérêts des épargnants, lisibilité des frais) de nature à éviter les difficultés rencontrées par certains fonds de pension anglo-saxons.
En outre, il estime que la France est appelée à combler son retard , dans la mesure où les nouveaux régimes d'épargne retraite (PERP, PERCO, PERE) ne sont pas arrivés à maturité, et en raison de la dégradation du taux de remplacement des revenus d'activité garanti par les pensions des régimes obligatoires.
Analyse comparée du développement de
l'épargne retraite en France
« Compte tenu du niveau des prestations servies par les régimes obligatoires par répartition, qu'ils soient de base ou complémentaires, en France les régimes d'initiative professionnelle ou individuelle occupent une place moins prééminente que dans les pays anglo-saxons, même si ces régimes bénéficient d'incitations fiscales et des nouveaux dispositifs mis en place par la loi de 2003. Il reste qu'aujourd'hui les pensions de 2 ème et 3 ème piliers jouent un rôle limité dans le revenu des actuels retraités. « En termes de prestations, les régimes de retraite supplémentaire au sens large (incluant également les contrats Madelin et les régimes particuliers comme la Préfon ou le CGOS) représentent 4,8 milliards d'euros de prestations annuelles en 2004 , à comparer aux 126 milliards d'euros versés par les régimes de base, et à 40 milliards d'euros versés par les régimes complémentaires (source DREES). « Les comparaisons internationales en matière d'épargne retraite privée s'avèrent être un exercice délicat, compte tenu des différences structurelles existant dans le domaine du financement des retraites. La générosité des dispositifs publics variant fortement d'un pays à l'autre, il en est de même du besoin d'épargne privée accumulée en vue de la retraite . Deux groupes de pays se distinguent. Dans les pays « continentaux » (France, Italie, Allemagne), les prestations de retraite sont principalement d'origine publique et l'épargne privée destinée à la retraite est peu étoffée. Dans les pays « anglo-saxons » (Royaume-Uni, Etats-Unis, Pays-Bas), c'est la tendance inverse qui s'observe. « En France, la dépense publique dédiée aux retraites représente une part importante de la richesse nationale. « La dépense publique consacrée aux retraites représente 12,1 % du PIB en France et 11,8 % en Allemagne, contre 4,4 % aux Etats-Unis, 5 % au Royaume-Uni et 5,2 % aux Pays-Bas. Le vieillissement de la population devrait contribuer à l'augmentation de ces ratios, qui passeraient vers 2050 à 14,5 % pour la France et 13,8 % pour l'Allemagne, contre 6,2 % aux Etats-Unis, 5,6 % au Royaume-Uni 9 ( * ) et 8,3 % aux Pays-Bas 10 ( * ) . « Quasi-négligeables dans les pays continentaux, les fonds de pension détiennent des niveaux d'actifs conséquents dans les pays anglo-saxons... « Les chiffres relatifs aux fonds de pension reflètent en miroir le niveau de prestation des systèmes publics de retraite : ils ne représentent que 7 % du PIB en France et 3,8 % en Allemagne, contre 56,1 % au Royaume-Uni, 95 % aux Etats-Unis et 106,2 % aux Pays-Bas 11 ( * ) . « ...qui peuvent toutefois masquer d'importants déficits de financement des engagements de retraite. « Rapporter les actifs des fonds de pension au PIB ne suffit pas à mesurer la bonne préparation de ce secteur aux enjeux soulevés par le vieillissement de la population. Le système britannique est par exemple marqué par plusieurs problématiques : « o la solvabilité et les pratiques d'investissement des fonds à prestations définies (DB) restent préoccupantes : 11 % d'entre eux affichaient un taux de couverture des engagements inférieur à 90 % en 2003. Au total, les bilans des entreprises font apparaître un déficit cumulé de 130 milliards de livres au 31 décembre 2004 au titre des engagements de retraite DB, soit 11 % du PIB. Près de 60 % de ce déficit est causé par les fonds des entreprises cotées du FTSE 350. « o les fonds sont actuellement encore très morcelés : pour un total de 25,5 millions de membres, l'on comptait 227.085 fonds en 2003 (93.768 en 2004 en ne comptant que les fonds encore en activité), dont 81 % rassemblant moins de 11 membres. « o le remplacement des fonds à prestations définies (DB) par des fonds à contribution définie (DC) bute sur des taux de contribution trop bas : la plupart du temps facultatives, les cotisations et le taux de participation aux nouveaux plans DC sont significativement plus faibles (entre 7 % et 11 % en moyenne) que celles des anciens plans DB (entre 16 % et 20 % en moyenne). « o le niveau d'information financière de la population est faible, la majorité de la population britannique avouant une connaissance limitée du fonctionnement des fonds de pension. Or, dans le contexte de montée en puissance des fonds DC qui reportent le risque sur l'épargnant, celui-ci est amené à opérer des choix déterminants parmi les différentes options d'investissement que lui offre son fonds de pension. « o les fonds sont marqués par une forte hétérogénéité de leur politique d'investissement : l'option d'allocation offerte par défaut aux contributeurs varie fortement d'un fonds à l'autre. Blake, Byrne, Cairns & Dowd (2005) ont montré que ces différences devraient avoir un impact significatif sur le revenu final dont disposeront les retraités 12 ( * ) . « En outre, les précédents chiffres ne prennent pas en compte le fait qu'une part importante de l'épargne retraite privée peut être détenue en France via des sociétés d'assurance vie plutôt que des fonds de pension. Les actifs cumulés de ces deux types d'organisme atteignent 60 % du PIB en France et 31,9 % en Allemagne contre 116,2 % au Royaume-Uni, 115 % aux Etats-Unis et 140,4 % aux Pays-Bas. « Ces chiffres nous apprennent que la France dispose d'un stock d'actifs spécifiquement dédiés à la retraite inférieur à celui de ses principaux partenaires. Ce constat est renforcé par celui sur le taux de ménages propriétaires de leur logement, plus faible en France (56 %), en Allemagne (42 %) et aux Pays-Bas (53 %) qu'aux Etats-Unis (68 %) et au Royaume-Uni (70 %) : l'immobilier rentre traditionnellement dans le champ des investissements utilisables lors de la retraite. « Pour autant, le niveau d'actifs spécifiquement dédiés à la retraite n'est pas nécessairement insuffisant en France au regard des besoins futurs des ménages. Dans la mesure où le système public s'y montre plus généreux qu'à l'étranger, les ménages n'ont pas le même impératif d'épargne que dans les pays « anglo-saxons ». Idéalement, la comparaison complète entre les systèmes français et étrangers devrait donc intégrer une dimension comparative entre flux futurs de prestations-retraite publiques et capitalisation actuelle des fonds de pension privés (et/ou contrats d'assurance vie). Il n'existe pas d'étude publique récente se livrant à cet exercice, très délicat sur le plan méthodologique, et dont les résultats sont extrêmement sensibles aux hypothèses de calcul. « Par ailleurs, une part importante des actifs détenus par les ménages français est actuellement placée en véhicules liquides (13 %), d'importance similaire à l'assurance vie (13 %, soit 34 % des actifs financiers) , et bien inférieure à ce que représente l'immobilier (53 %). C'est notamment afin de mieux orienter cette épargne liquide vers des produits spécifiquement dédiés à la retraite que le Gouvernement et le Législateur ont mis en place le plan d'épargne retraite populaire (PERP) ». Source : ministère de l'économie, des finances et de l'industrie 13 ( * ) |
* 9 Le dernier rapport de la Pensions Commission britannique présidée par Lord Turner, qui dresse un constat alarmant sur l'insuffisance de l'épargne retraite au Royaume-Uni, fait état de projections plus critiques (7,5 % du PIB).
* 10 Source : Rapport du G10 Ageing and pension system reform : implications for financial markets and economic policies.
* 11 Source : OCDE, Global Pensions Statistics.
* 12 Sources : The Pensions Commission, rapports 2004 et 2005. The pensions regulator et Occupational pension regulatory authority. Byrne A. (2004), Investment decision making in defined contribution plans, Pensions vol. 10,1,37-49 Association of British Insurers (2003), The State of the Nation's savings. Blake, Byrne, Cairns & Dowd (2005) : The Stakeholder Pension Lottery: An Analysis of the Default Funds in UK Stakeholder Pension Schemes, The Pensions Institute, Discussion paper n° PI-0411.
* 13 Les éléments en gras sont soulignés par votre rapporteur général.