TROISIÈME PARTIE :
L'APPORT DE LA SCIENCE ET DE LA TECHNOLOGIE
À LA
TRANSITION ÉNERGÉTIQUE
Le constat effectué sur le modèle énergétique mondial et ses scénarios d'évolution à l'horizon d'une génération montrent clairement l'urgence de décisions en matière de politique énergétique .
Le défi est simple : il faut avoir mis en place avant 2020 un modèle énergétique pertinent dans chaque pays, mais également à l'échelon planétaire.
Qu'est-ce qu'un modèle pertinent en matière de développement durable ?
C'est une architecture de production et d'utilisation de l'énergie qui permet de poursuivre notre développement en répondant à une triple exigence :
• réduire fortement les émissions de gaz à effet de serre,
• utiliser de façon plus parcimonieuse des ressources fossiles qui se raréfient,
• et proposer dans ces deux domaines des alternatives cohérentes avec l'organisation de nos économies et de nos pratiques sociales, ce qui n'exclut pas d'infléchir ces dernières par des interventions de la puissance publique pour orienter les marchés en faveur du changement qu'exige la protection du futur.
Au regard de ces trois conditions, les modèles et les réponses de chaque pays peuvent être diversifiés. Car il n'existe pas de modèle énergétique unique.
Par exemple :
• les pays dotés en charbon (Chine, Etats-Unis, Inde, Australie) pourraient, à terme, privilégier les filières de captation-séquestration du CO 2 en vue d'assurer une production d'électricité sans émission de gaz à effet de serre.
• les pays à fort potentiel agricole devront choisir entre la production de biomasse destinée aux carburants, les autres usages non alimentaires et les productions alimentaires.
La transition énergétique reposera donc sur des solutions qui seront différentes dans chaque pays.
Mais, même dans chaque pays , cette transition ne pourra pas reposer sur une filière unique . Par exemple, un pays comme la Suède, qui est revenue sur son moratoire électronucléaire, va concilier l'emploi de cette filière avec l'usage massif de biocarburants et d'énergies issues de la récupération des déchets.
Par delà la pluralité des modèles nationaux de développement énergétique durable, il faut aussi que ces modèles répondent à une cohérence à l'échelon planétaire , ce qui signifie que les règles du commerce international ne doivent pas pénaliser les pays les plus actifs dans le secteur du développement durable planétaire.
La science et la technologie peuvent-elles nous aider à répondre à ce défi ?
Bien sûr, à condition de considérer comme une priorité la recherche dans les domaines clés. Les sociétés humaines ont toujours su trouver des réponses à leurs problèmes. La difficulté est liée à l'importance du facteur temps.
L'essentiel des voies de recherche et des solutions envisageables est connu. Mais les durées d'évolution d'un système économique encore totalement dédié à l'usage des carburants fossiles sont grandes et la nécessité d'une action urgente et massive est peu perçue par la population - et encore moins par la plupart des responsables politiques du concert des nations.
La conviction de l'ensemble des scientifiques et organismes qui étudient les questions du changement de climat est que l'urgence d'une action volontariste - une volonté politique - est aiguë. Que les échelles de temps qui verront se développer des dérèglements climatiques dévastateurs sont plus courtes que ce qui résulte des modèles.
Ainsi, par nature, ne peuvent être pris en compte que des phénomènes dont l'ampleur est mesurable avec une faible marge d'erreur. Or, tous ces phénomènes vont vers une aggravation forte des pergélisols de hautes latitudes - fonte de glaces polaires et diminution d'albédo - évolution des émissions fortement accrue dans les pays émergents (les courbes ont tendance à rester exponentielles plus que prévu et non pas linéaires).
Mais, par éthique, les scientifiques, tant qu'ils ne sont pas sûrs, n'aiment pas jouer les Cassandre et par conséquent pratiquent le principe de précaution à l'envers : s'ils pensent que le danger est grand, mais ne peuvent affirmer qu'il sera catastrophique dans cinq ans, ils restent dans le flou sur les délais.
Pourtant, une transition énergétique nécessaire et difficile est possible . Et sur ce point :
• les propositions de la science et de la technologie sont multiples,
• les fortes contraintes qui pèsent sur l'introduction de filières énergétiques nouvelles peuvent être pilotées par une régulation intelligente (de taxes et d'aides),
• la transition énergétique constitue une chance à saisir car elle nous introduit dans le monde économique et social de demain .
I. LA MULTIPLICITÉ DE L'OFFRE SCIENTIFIQUE ET TECHNOLOGIQUE
Si la question de l'apport des sciences et des technologies avait été posée il y a une trentaine d'années, au moment où le Club de Rome annonçait la raréfaction, puis l'épuisement des ressources naturelles, la réponse aurait probablement été teintée de pessimisme.
Plus de trente ans après, le catalogue des propositions scientifiques et technologiques s'est beaucoup enrichi . La science et la technologie offrent aujourd'hui des réponses permettant d'asseoir progressivement la transition énergétique, et de pérenniser un développement durable.
Une approche détaillée de l'ensemble de ces offres technologiques est donnée par l'excellent rapport de MM. Christian Bataille et Claude Birraux adopté par l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques le 14 mars 2006, « Les nouvelles technologies de l'énergie et la séquestration du dioxyde de carbone : aspects scientifiques et techniques ».
Au-delà de cet inventaire très complet, l'objet de la présente étude est de cerner dans quels délais et dans quelles conditions de priorités politiques données aux orientations des recherches et au développement industriel des prototypes, des processus et des filières, ces offres scientifiques et techniques pourront apporter une réponse pertinente pour inverser les tendances de l'économie mondiale actuelle en matière d'émissions de CO 2 . Une nouvelle équation économique et sociale commence. Elle doit pouvoir se développer avant que les catastrophes dites naturelles ne fassent reculer la croissance et freinent les investissements nécessaires à toute transition énergétique.
Cela suppose d'analyser plus précisément les données de la transition énergétique, puis d'exposer comment des filières technologiques nouvelles pourraient assurer cette transition.
A. LES DONNÉES DE LA TRANSITION ÉNERGÉTIQUE
1. La consommation mondiale d'énergie primaire
a) La consommation globale
Il convient de rappeler deux faits simples .
A l'horizon 2050, la stabilisation des émissions mondiales de CO 2 autour de 550 ppm contre 380 ppm actuellement exige de diviser par deux les émissions constatées en 2000. Compte tenu de la vitesse acquise du système, ce niveau de 550 ppm, déjà difficile à atteindre impliquerait déjà, à l'horizon 2050, une augmentation de la température moyenne de la planète de 1° à 3°C selon les fourchettes d'évaluation du GIEC qui sont plutôt basses.
La tendance actuelle de consommation d'énergie de la planète (environ 10 Gtep, soit 10 milliards de tonnes d'équivalent pétrole) aboutit à une consommation de 15 Gtep en 2020 et à une consommation approchant 20 Gtep en 2030, toujours dans une hypothèse basse sous-estimant ce que l'on constate depuis 2000..
Or, cette consommation d'énergie primaire 26 ( * ) repose à 88 % sur l'utilisation d'énergies fossiles, donc l'émission de gaz carbonique dans l'atmosphère (sauf captation et stockage) :
A structure de consommation égale, la poursuite de la tendance aboutirait donc, dès 2030, à un doublement des émissions de CO2 par rapport à ce qu'étaient ces émissions en 2000, alors que l'objectif est de pouvoir les réduire par deux en 2050.
Ceci démontre l'urgence d'une action énergique pour réduire très fortement la part des énergies fossiles dans les consommations d'énergie et pour éliminer les déchets correspondants de l'atmosphère, donc les capter et les stocker.
b) Les émissions de CO2 par type d'usage
A l'échelon mondial, l'utilisation de ces énergies fossiles se répartit comme suit par type d'usages :
- production d'énergie : 40 %,
- transports : 24 % (en croissance)
(soit près des deux tiers pour ces deux seuls usages),
- agriculture-industrie : 19 %,
- et résidentiel-tertiaire : 17 %.
Naturellement, cette répartition n'est pas uniforme entre les États. Par exemple la Chine, dont une bonne partie de la production d'électricité repose sur des centrales thermiques au charbon aura un taux d'émission de CO 2 dans ce secteur beaucoup plus fort que les pays qui ont recours aux énergies renouvelables ou à l'énergie nucléaire.
De même, en matière de transport, la géographie et les modes de vie ont des incidences marquées.
Ainsi, par unité de PIB, un Américain du nord utilise deux fois et demie plus de pétrole qu'un Japonais ou qu'un Européen.
En creux, cette répartition des émissions de CO 2 par usage des énergies fossiles qui les génèrent, montre qu'il y a trois secteurs forts d'interventions 27 ( * ) : la production d'électricité, le résidentiel et les bâtiments ainsi que les transports , sur lesquels l'intervention scientifique et technologique devrait se concentrer . Ce qui n'exclut pas que le progrès scientifique et technologique puisse s'appliquer aux autres usages de l'énergie primaire.
* 26 Énergie primaire commerciale, c'est-à-dire abstraction faite des autoconsommations de bois. Si on réincorpore ces utilisations, on aboutit à un pourcentage d'utilisation d'énergie fossile de 85/86 %.
* 27 L'industrie s'autorégule assez efficacement dans ce domaine. Elle est en outre la première cible du protocole de Kyoto. En témoigne l'AERES, association qui regroupe trente partenaires industriels pour la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Par exemple, l'entreprise RHODIA aura réduit ses émissions de 56 % sur la période 1990-2010, notamment celles de N 2 O.