III. DES DISPOSITIFS DE SUIVI TROP LIMITÉS

Le régime des peines prévu par le code pénal permet dans une certaine mesure de neutraliser les personnes les plus dangereuses.

Il convient de rappeler à cet égard que le droit pénal français prévoit des quantum de peine en moyenne plus longs que les durées prévues par nos voisins européens -en particulier en matière d'infractions sexuelles. En outre, ces sanctions peuvent être assorties d'une période de sûreté interdisant l'application de toute mesure d'aménagement de peine (suspension ou fractionnement de la peine, placement à l'extérieur, permission de sortie et libération conditionnelle). La période de sûreté pour les condamnations à la réclusion criminelle à perpétuité est de 18 ans et peut être portée à 22 ans par décision spéciale de la juridiction. Elle peut même être appliquée à la durée totale de la peine si la Cour d'assises prononce la réclusion criminelle à perpétuité pour le meurtre ou l'assassinat d'un mineur de quinze ans, précédé ou accompagné de viol ou de tortures et d'actes de barbarie (art. 221-3 et 221-4 du code pénal) 35 ( * ) .

Néanmoins, une très grande majorité de condamnés est appelée à sortir de prison. Quels sont alors les moyens possibles de se prémunir de personnes considérées comme dangereuses ? Le suivi de ces individus est limité, d'une part, par la faiblesse des modalités actuelles d'évaluation de la dangerosité et, d'autre part, par l'insuffisance des moyens dévolus aux mesures de sûreté susceptibles de s'appliquer après l'exécution de la peine. L' évaluation de la dangerosité n'intervient aujourd'hui réellement qu'en cours de détention à travers le rôle joué par le centre national d'observation de Fresnes dont l'action ne couvre d'ailleurs qu'une part réduite de la population pénitentiaire. En second lieu, la mise en place de mesures de sûreté permet d'assurer un meilleur contrôle de la personne libérée. La France a progressivement renforcé son arsenal juridique dans ce domaine mais les dispositifs mis en place ne fonctionnent pas de manière complètement satisfaisante faute des moyens nécessaires.

A. UNE ÉVALUATION ENCORE INSUFFISANTE DE LA DANGEROSITÉ

Le centre national d'observation de Fresnes (CNO) permet de placer sous observation, pendant six semaines, les personnes condamnées à de lourdes peines (supérieures à dix ans) ou dont le comportement a soulevé de graves difficultés. Chaque détenu dispose d'une cellule de 9 à 10 m 2 et peut bénéficier d'activités sportives ou éducatives sans avoir cependant la possibilité de travailler. Une fiche quotidienne établie par un surveillant décrit son comportement.

Au terme des vingt-cinq jours au CNO, une proposition d'orientation du détenu est présentée sur la base d'un rapport de synthèse 36 ( * ) .

Selon les informations recueillies par vos rapporteurs, elle est prise en compte dans la majorité des cas par l'administration pénitentiaire qui décide en dernier ressort de l'affectation des condamnés.

Pour vos rapporteurs, l'intérêt de ce dispositif tient dans la durée de l'observation et le caractère pluridisciplinaire de l'équipe chargée d'évaluer le comportement du détenu . En effet, l'encadrement comporte des surveillants volontaires spécialement choisis pour assurer cette double mission de surveillance et d'observation (vingt-six personnes) ainsi que des personnels d'insertion et de probation (4,5 équivalents temps plein) et une équipe de psychiatres vacataires (trois), psychologues (cinq contractuels à mi-temps) complétée par deux surveillantes directrices, un psychologue du travail et un moniteur de sport vacataire. Comme l'a indiqué le chef du service pénitentiaire d'insertion et de probation de la structure, les personnels ne se bornent pas observer le détenu mais ils cherchent aussi à engager une relation de dialogue afin de connaître leurs besoins et leurs attentes.

Selon les constats dressés par le personnel médical, sur les soixante détenus du CNO, une majorité présente des troubles psychiatriques 37 ( * ) .

La principale difficulté à laquelle se heurtent les personnels tient à la difficulté des condamnés -en particulier ceux souffrant de troubles de la personnalité- à reconnaître leur responsabilité dans les crimes qu'ils ont commis et, donc, à admettre le principe même d'une thérapie ou d'un accompagnement.

Le dispositif connaît cependant une double limite. En premier lieu, la structure ne compte que 60 cellules. Ces capacités ne sont pas à la mesure des besoins, ce qui, comme le soulignait le rapport de la mission santé-justice entraîne souvent des délais d'attente importants avant le passage au CNO.

Ensuite, le placement dans un autre établissement pénitentiaire ne permet pas d'assurer le suivi de la personne -même si les membres de l'équipe pluridisciplinaire du CNO peuvent désormais visiter régulièrement les établissements pénitentiaires- et s'accompagnent souvent d'une rupture dans la prise en charge thérapeutique, en particulier en cas d'affectation en maisons centrales où les équipes médicales apparaissent insuffisantes.

B. LES MESURES DE SÛRETÉ ET LEURS LIMITES

Le droit pénal prévoit différentes mesures destinées à surveiller la personne après sa libération afin de prévenir le risque de récidive.

En premier lieu, la loi du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité a institué le fichier judiciaire national automatisé des auteurs d'infractions sexuelles ou violentes (FIJAIS) afin de prévenir la récidive des délinquants sexuels par l'enregistrement de l'identité et des adresses de ces derniers 38 ( * ) . Surtout, les personnes définitivement condamnées pour un crime ou pour un délit puni de dix ans d'emprisonnement sont tenues de signaler semestriellement leur adresse en se présentant auprès d'un service de police ou de gendarmerie pendant une durée de trente ans.

Par ailleurs, lors de son audition par votre commission, Mme Myriam Quemener, sous-directrice à la direction des affaires criminelles et des grâces du ministère de la justice, a jugé utile, conformément aux recommandations de la commission Santé-Justice, la mise en place d'un centre de documentation psycho-criminologique. Celui-ci, qui pourrait être rattaché au casier judiciaire, constituerait une base de données nationale recensant l'ensemble des expertises psychiatriques et psychologiques ordonnées par l'autorité judiciaire, ainsi que les hospitalisations d'office - uniquement lorsque celles-ci seraient prononcées après une déclaration d'irresponsabilité pénale pour troubles mentaux. Selon Mme Myriam Quemener, un tel outil permettrait de mieux connaître les individus dangereux en assurant une forme de « traçabilité » de ces personnes tout en évitant la multiplication des expertises.

Par ailleurs, la prise en compte de la dangerosité après l'exécution de la peine peut se traduire par la mise en place de mesures de sûreté . Celles-ci sont d'une nature différente de la peine. En effet, la peine est une sanction édictée par la loi et prononcée par une juridiction pénale dont l'objectif est de réprimer la commission d'une infraction et de prévenir toute récidive. Imposée dans un but de défense sociale par les magistrats, la mesure de sûreté est quant à elle dépourvue de tout but répressif. Elle est destinée à prévenir le risque de réitération ou de récidive.


Le suivi socio-judicaire

Institué par la loi du 17 juin 1998 relative à la prévention et à la répression des infractions sexuelles ainsi qu'à la protection des mineurs, le suivi socio-judiciaire peut être prononcé par les juridictions répressives à l'encontre des personnes condamnées pour certaines catégories d'infraction. Il est le plus souvent prononcé en sus d'une peine privative de liberté.

Selon la doctrine, il présente un caractère sui generis intermédiaire entre la peine complémentaire et la mesure de sûreté. Dans le silence de la loi, la chambre criminelle de la Cour de cassation a qualifié le suivi socio-judiciaire de « peine complémentaire » et estimé, en vertu du principe de non rétroactivité de la loi pénale, qu'il ne pouvait s'appliquer pour des faits commis avant l'entrée en vigueur de la loi.

La mesure de suivi socio-judiciaire ne peut être prononcée que dans les cas prévus par la loi. Elle est encourue pour les infractions à caractère sexuel ainsi que, depuis la loi relative au traitement de la récidive des infractions pénales, pour les autres infractions les plus graves (actes de torture et de barbarie, meurtres, pyromanie...).

Le suivi socio-judiciaire consiste à soumettre le condamné, sous le contrôle du juge de l'application des peines, pendant une durée fixée par la juridiction de jugement, à des mesures d'assistance et de surveillance destinées en principe à prévenir la récidive. Elle ne peut excéder dix ans en matière correctionnelle et vingt ans en matière criminelle. La loi du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité a néanmoins fixé cette durée à trente ans lorsqu'il s'agit d'un crime puni de trente ans de réclusion criminelle. Elle a également permis à la cour d'assises de ne pas fixer de limite à la durée du suivi socio-judiciaire s'il s'agit d'un crime puni de la réclusion criminelle à perpétuité.

Les obligations du suivi socio-judiciaire qui doivent en principe être initialement fixées par la juridiction de jugement renvoient, d'une part, à celles prévues pour le sursis avec mise à l'épreuve et comportent, d'autre part, des dispositions spécifiques (interdiction de paraître dans certains lieux ; interdiction de rencontrer certaines personnes ; interdiction d'exercer une activité en contact avec les mineurs...). Le suivi socio-judiciaire comporte également des mesures d'assistance similaires à celles du sursis avec mise à l'épreuve (aide sociale et, le cas échéant, aide matérielle). Le suivi socio-judiciaire peut également comprendre une injonction de soins.

L'injonction de soins

Aux termes de l'article 131-36-4 du code pénal, le suivi socio-judiciaire « peut comprendre une injonction de soins ». L'injonction, prononcée en principe par la juridiction de jugement 39 ( * ) , demeure subordonnée à une expertise médicale établissant que la personne poursuivie est susceptible de faire l'objet d'un traitement 40 ( * ) .

L'injonction de soins prend tous ses effets à la libération du condamné 41 ( * ) .

Le juge de l'application des peines doit alors désigner un médecin coordonnateur sur une liste départementale de psychiatres ou de médecins ayant suivi une formation appropriée, établie par le procureur de la République (art. L. 3711-1 du code de la santé publique). Le médecin coordonnateur assume une triple fonction :

- il invite le condamné à choisir son médecin traitant ;

- il conseille le médecin traitant -considéré comme médecin référent- à la demande de celui-ci ;

- il transmet au juge de l'application des peines ou à l'agent de probation les éléments nécessaires au contrôle de l'injonction des soins.

La part des suivis socio-judiciaires assortis d'une injonction de soins n'est pas appréhendée par les statistiques du ministère de la justice. Il semble cependant qu'elle demeure faible.

En réalité, le dispositif d'injonction de soins souffre d'une triple faiblesse que la mission d'information de l'Assemblée nationale sur le traitement de la récidive avait mise en évidence en 2004.

Tout d'abord, la pénurie de psychiatres dans le secteur public -quelques 800 postes vacants- explique que certains tribunaux de grande instance soient dépourvus de médecins coordonnateurs (dont le nombre total n'est d'ailleurs pas connu).

Ensuite, la prise en compte thérapeutique de la délinquance sexuelle est limitée, d'une part, par l'insuffisante formation des médecins psychiatres dans ce domaine et, d'autre part, par le fait que les auteurs de ces actes sont considérés, par une majorité de psychiatres, comme des « pervers » au sens clinique et à ce titre non susceptibles -à la différence des schizophrènes- d'un traitement.

Enfin, le nombre de médecins traitants apparaît insuffisant au regard des besoins. Afin de remédier à cette difficulté, la loi du 12 décembre 2005 relative au traitement de la récidive des infractions pénales a prévu d'élargir le « vivier » des responsables du traitement thérapeutique aux titulaires d'un diplôme de troisième cycle en psychologie clinique.

L'inobservation par le condamné des obligations liées au suivi socio-judiciaire est sanctionnée par un emprisonnement dont la durée maximale doit être initialement fixée par la juridiction de jugement et qui, en tout état de cause, ne peut dépasser trois ans en cas de délit et sept ans en cas de crime. Il appartient au juge de l'application des peines d'ordonner, en tout ou partie, l'exécution de cet emprisonnement.

Dès lors qu'il est prononcé en même temps qu'une peine privative de liberté, le suivi socio-judiciaire permet d'exercer un contrôle post-carcéral du condamné.

Le nombre de suivis socio-judiciaires prononcés par les juridictions demeure limité : malgré une récente progression, 1.063 suivis socio-judiciaires ont été prononcés en 2004 (contre 853 en 2003).

Ce nombre limité est dû en particulier au manque de médecins coordonnateurs et de médecins traitants.


La surveillance judiciaire

Ce dispositif, créé par la loi du 12 décembre 2005 relative au traitement de la récidive des infractions pénales, permet de contrôler dès leur libération des personnes ayant commis des infractions particulièrement graves, considérées comme dangereuses et susceptibles de récidiver.

Cette surveillance peut s'exercer pour une durée correspondant aux réductions de peine dont l'intéressé a bénéficié. Elle se traduit par des mesures de contrôle identiques à celles du suivi avec mise à l'épreuve ou à certaines obligations du suivi socio-judiciaire (y compris l'injonction de soins).


Le bracelet électronique mobile

La loi du 12 décembre 2005 a également institué le placement sous surveillance électronique mobile. Cette mesure peut s'appliquer après l'exécution de la peine d'emprisonnement 42 ( * ) dans le cadre soit du suivi socio-judiciaire, soit de la surveillance judiciaire, soit de la libération conditionnelle aux auteurs des infractions pour lesquelles un suivi socio-judiciaire est encouru.

Le consentement de l'intéressé est nécessaire (mais le refus est susceptible de justifier une réincarcération) et la durée maximale du placement a été limitée à deux ans renouvelables une fois en matière correctionnelle et deux fois en matière criminelle.

Une expérimentation est en cours dans le cadre de la surveillance judiciaire ou de la libération conditionnelle -ces deux modalités d'application du PSEM étant seules susceptibles d'autoriser une application immédiate de cet instrument. Le projet concerne une quinzaine de bracelets sur 6 mois et représente un coût de 150.000 euros (sur la base d'un coût journalier de 60 euros incluant matériel et surveillance).

Selon les informations données par M. Pascal Clément devant le Parlement lors du débat sur la loi relative au traitement de la récidive, le nombre maximal de criminels sexuels ayant purgé plus de dix ans de détention serait de l'ordre de 700 et plus de 10 % d'entre eux pourraient être considérés comme potentiellement dangereux et donc susceptibles de se voir appliquer le placement sous surveillance électronique mobile.

Selon les témoignages recueillis par votre commission lors de l'examen de la loi relative au traitement de la récidive, le bracelet électronique mobile -comme le placement sous surveillance électronique fixe- n'est réellement adapté que pour des personnes aptes à en comprendre le fonctionnement et surtout à intégrer les obligations (principalement l'interdiction de paraître en certains lieux) dont il est assorti. Aussi, ces dispositifs ne semblent en tout état de cause pas convenir pour les personnes atteintes de troubles mentaux.

* 35 Dans ce cas, la décision de mettre fin à cette période de sûreté n'est possible qu'au terme d'une période de 30 ans et après une expertise réalisée par un collège de trois experts désignés par le bureau de la Cour de cassation afin de se prononcer sur l'état de dangerosité du condamné (art. 720-4 du code de procédure pénale).

* 36 9 cycles se sont déroulés au cours de l'année 2004 correspondant à l'observation de 289 détenus.

* 37 Selon le rapport d'activité pour 2004, 37,7 % des détenus étaient incarcérés pour une affaire de moeurs, 35 % pour des affaires de meurtre. Sur les 289 détenus observés en 2004, 70 ont fait l'objet de signalements psychiatriques justifiant un suivi par le SMPR.

* 38 Ces informations sont conservées dans le fichier pendant un délai de 30 ans s'il s'agit d'un crime ou d'un délit puni de dix ans d'emprisonnement et un délai de 20 ans dans les autres cas.

* 39 L'injonction de soins peut également être prononcée par le juge de l'application des peines au vu d'une nouvelle expertise, en particulier lorsque, après sa condamnation, l'auteur d'une infraction sexuelle reconnaît les faits reprochés et devient ainsi accessible aux soins.

* 40 En cas de meurtre ou assassinat d'un mineur, précédé ou accompagné de viol, de torture ou actes de barbarie, l'expertise devra être réalisée par deux experts.

* 41 Celui-ci peut refuser le traitement -en vertu du principe du « consentement aux soins » inspiré par l'éthique médicale ainsi que par un souci d'efficacité thérapeutique- mais il s'expose à la mise à exécution de l'emprisonnement prononcé par la juridiction (art. 131-36-4, alinéa 2 du code pénal). En effet, il convient de rappeler que l'inobservation par le condamné des obligations résultant du suivi pourra être sanctionnée par un emprisonnement dont la durée sera initialement fixée par la décision de condamnation. Il appartient au juge de l'application des peines d'ordonner, le cas échéant, l'exécution de cet emprisonnement.

* 42 Il peut être décidé par le juge dans trois cadres distincts : la libération conditionnelle, le suivi socio-judiciaire et la surveillance judiciaire, nouveau dispositif qui permet d'imposer au condamné certaines obligations pendant la durée correspondant aux réductions de peine qu'il a obtenues.

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